Chambre 317

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– Hé ouais ! En plus elle est super sympa, Selma. Elle va bien s’occuper de vous… Pour un peu, j’aimerais bien être à votre place. En plus…

Il n’a pas le temps de m’expliquer le « plus » en question.

– Bonjour Carole.

– Bonjour Kiko.

– Alors c’est vous le fameux Rémi Blanchard dont Sylvie me parle depuis des semaines ?

Le visage d’une femme blonde aux cheveux ondulés se penche au-dessus de moi avec un sourire curieux et bienveillant.

Et le non moins fameux Stanislas Rousseau ?

– Bonjour, je m’appelle Carole. Bienvenue en orthopédie… C’est pas le cinq étoiles, mais on sait prendre soin de nos patients, chez nous.

– Bonjour, bredouillé-je.

– On va tout de suite vous installer sur le lit et vous pourrez vous asseoir, vous serez mieux… Kiko, Selma, vous m’aidez à tirer le drap par ici… Ne bougez pas, monsieur Blanchard.

Cette fois, j’obéis. Je reste immobile, tandis que le trio me fait passer sur le lit. Il ne fait aucun doute que c’est Carole qui dirige les opérations, ici. Une autorité naturelle se dégage de cette femme d’une cinquantaine d’années que je n’ai pas envie de contrarier. Je me retrouve rapidement bordé et assis sur mon nouveau lit.

– Hé bien voilà ! Vous êtes à l’aise, monsieur Blanchard ?

– Oui, merci !

– C’est bon pour moi ?

– Oui, merci Kiko, tu peux y aller.

– Bon, bah à la prochaine. Et bon rétablissement pour vous !

J’adresse un signe de tête à Kiko en remerciement, tandis qu’il sort de la chambre avec son brancard.

– Ça va, il n’a pas été trop pénible ? me demande Carole avec une mine désabusée. Il est gentil, mais qu’est-ce qu’il parle celui-là…

– Heu… Ç’a été, réponds-je avec un sourire entendu.

– Bien. Brice m’a dit que vous aviez un peu faim. Selma va vous apporter un petit quatre-heures pour tenir jusqu’au repas du soir vers 18 h 30… C’est vrai que vous êtes pâle, mais après votre séjour en réa, ça ne m’étonne pas. C’est vraiment traumatisant, la phase de réveil. Mais ça ira de mieux en mieux, vous verrez…

Ça dépend pour qui, madame l’infirmière.

– … En tout cas nous ferons notre possible pour que vous soyez à l’aise et que vous repreniez des forces… À priori vous ne vous êtes pas trop plaint de douleurs ces dernières heures, c’est toujours le cas ? Je pense à votre genou…

– Non, c’est vrai que ça tire un peu, mais je ne peux pas vraiment parler de douleur. Je pense que ça va aller pour l’instant.

– Tant mieux. La sonnette se trouve ici. N’hésitez pas à vous en servir s’il y a quoi que ce soit… Bon, c’est tout pour moi pour le moment. Vous avez des questions, monsieur Blanchard ?

– Heu… Vous savez combien de temps je suis censé rester ici ?

– Quoi, vous venez d’arriver et vous voulez déjà nous quitter ?

– Non, enfin…

– Je plaisante, excusez-moi. C’est le docteur Frankin qui vous dira ça, mais cela dépendra de votre état. Si vous arrivez à retrouver votre autonomie pour vous déplacer et si tout va bien sur vos analyses, ça peut aller assez vite, vous savez. Une semaine, peut-être même moins que ça.

– D’accord, merci… Et les visites ?

– Les visites sont autorisées jusqu’à 20 h 30, mais j’imagine que votre famille ne va pas tarder à arriver. Normalement le service de réanimation les a prévenus de votre transfert.

Une fraction de seconde je suis transporté… Nelly, papa, maman ! Mais l’illusion cède trop vite la place à l’angoisse. Se lit-elle sur mon visage ? Le visage de Rémi ?

– Merci…

– Bon, hé bien je vous laisse avec Selma, conclut Carole. À plus tard, monsieur Blanchard.

Carole sort de la chambre 317 en claquant des talons et la jeune Selma aux yeux de reine d’Égypte m’adresse un regard amusé.

– En fait, il n'y a pas vraiment de goûter ici, à moins d’aller au service pédiatrie, mais je peux vous apporter des madeleines si vous voulez…

Ah ouais, des madeleines ! L’évocation de ce gâteau moelleux, promesse d’un plaisir que je vais pouvoir savourer simplement, sans faire semblant de rien, me tire presque les larmes.

T’es à la recherche du temps perdu, Stan ? Aha, bravo Marcel.

– Oui, des madeleines, ce sera parfait, merci beaucoup Selma, réponds-je en contenant mon émotion… Est-ce que je pourrais éventuellement avoir un thé aussi, s’il vous plaît ? démandé-je en me perdant dans les méandres de ses iris bleus.

– Oui, ça c’est plus facile, je vous l’amène. Et puis, il vous faut beaucoup boire de toute façon. Je vous mets l’urinal à côté… ajoute-t-elle, me rappelant à ma condition de distillerie biologique.

Me voilà enfin seul pour quelques minutes. Seul avec le corps de Rémi… Seul dans ma chambre d’hôpital défraichie, enfin libéré des abominables bips et chuintements des respirateurs… Il me semble pourtant les entendre encore, comme si les monstres à tentacules continuaient de me narguer à travers les murs.

La lassitude vient border mon lit de solitude. Je regarde cette forme sous le drap, je regarde l’urinal, je regarde la porte des toilettes, je regarde le plafond, la peinture écaillée par endroit sur le mur en face de moi, le store qui fait un petit angle avec l’horizontal en haut de la fenêtre. Est-ce que tout cela est réel ? Si c’était un canular, Rémi, tu pourras dire que tu m’as bien eu, mon pote, j’ai marché à fond, j’en ai pissé dans mes draps, j’en ai chialé et tout… Mais tu peux revenir maintenant, tu sais. Je crois que ce n’est plus vraiment drôle. Peut-être qu’on en rigolera un jour, hein. Mais, là, Rémi, je crois qu’il est temps d’arrêter. T’es le plus fort. Tout ce que tu veux… Rends-moi ma vie, reprends la tienne.

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