Tout est rentré dans l'ordre

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Brouillard. De la neige sur l’écran de ma conscience. Des flashs. Une pulsation. Un élancement. Une douleur. Mes yeux s’ouvrent. Se referment. Au ralenti. Je tente de démêler la pelote de souvenirs qui tapissent ma mémoire. Nelly ? Sylvie ? Les brins se croisent. Se perdent… J’ai l’impression d’avoir déjà parcouru ce labyrinthe des dizaines de fois et pourtant je lutte pour retrouver la sortie.

Hôpital. J’attrape ce brin solidement, décidé à ne pas le lâcher. Je tire prudemment. Une intuition. J’ai peur. Tant pis, je dois savoir. Je tire. Un accident de vélo. Moi ? Oui. Non. Peut-être. Le coma, le réveil, l’infirmière aux cheveux rouge, Sylvie, la toilette et… Le visage de Rémi surgit, immense sur l’écran. Rémi qui me regarde à travers un miroir. Rémi qui bouge en même temps que moi. Pourquoi ? Parce que maintenant j’ai le visage de Rémi. J’ai le corps de Rémi. J’ai les cheveux roux de Rémi. J’ai même la bite de Rémi… Mais je ne suis PAS Rémi. Je suis Stanislas ! Et je peux le prouver ! Il y a ma femme, mes parents, mon frère, mes amis, mon boulot, ma vie, quoi !… Non ? Détresse… Je tire un autre brin. Les souvenirs des dernières heures défilent inexorablement, le petit déjeuner, les appels téléphoniques avec le portable de Sylvie, la sonde urinaire, la toilette et le miroir…

J’ouvre les yeux. Je tourne la tête. Je reconnais le bloc de réanimation, le lit sur lequel je suis allongé et les machines qui m’entourent. Cette fois la pelote chromosomique de ma mémoire a repris sa forme cauchemardesque ordonnée. Seul le dernier bout dépasse encore. Que s’est-il passé ?

La toilette, le miroir… Nelly ! Une nouvelle tempête de désespoir se lève. Mon cœur chavire. Je m’agite sur mon lit, j’essaye de me relever. Je n’y arrive pas. J’appelle. Nelly ! Nelly dans notre chambre, Nelly dans notre lit, Nelly dans mes bras, Nelly qui disparait…

– Nelly !... Sylvie !

Un bruit. Des pas.

– Monsieur Blanchard ? Vous êtes réveillés ?

Un homme apparaît dans mon champ de vision. Il porte une barbe et des lunettes. Ce n’est pas le docteur Frankin. Ce n’est pas Rachid. Je le regarde hébété.

– Qui êtes-vous ?

– Je m’appelle Brice, l’interne en charge de la surveillance du bloc réa. cet après-midi. Comment vous sentez-vous ?

– Je… J’ai mal à la tête et mon genou me lance, mais… Que s’est-il passé ? Où est Sylvie ?

– Sylvie ? Elle est partie…

– Hein ? Partie ? Mais où ça ? Qu’est-ce que… ? Je voulais lui dire…

– Calmez-vous monsieur Blanchard, tout va bien. Sylvie a juste pris son après-midi, c’était prévu… Qu’est-ce que vous vouliez lui dire ?

– Je… Je ne me souviens plus très bien, à vrai dire… Il y a eu la toilette, le rasage, le miroir et puis…

– Et puis vous vous êtes « agité », monsieur Blanchard. Vous avez crié, vous vous êtes jeté sur Sylvie et vous ne vouliez plus la lâcher. Vous n’arrêtiez pas de l’appeler Nelly…

– Nelly…

– …Vous étiez victime d’hallucinations. Nous avons été obligés de vous donner un léger sédatif pour vous détendre quelques temps.

Nelly, une hallucination ? Non… Je l’ai vue ! J’étais là, avec elle, dans notre chambre !... Sylvie… La confusion et la honte se mélangent au chagrin. Ai-je été violent ? Mon Dieu…

– Je suis désolé, articulé-je… Est-ce que Sylvie ?...

– Sylvie va bien, ne vous inquiétez pas. Elle a voulu un peu trop bien faire, comme d’habitude, mais tout est rentré dans l’ordre…

Au lieu de me rassurer cette petite phrase ne fait qu’augmenter mon angoisse. La perspective que « tout soit rentré dans l’ordre » me glace le sang. Qu’est-ce qui est rentré dans l’ordre ? Monsieur Blanchard a juste fait un mauvais trip, il se prenait pour quelqu’un d’autre, il a confondu le prénom de l’infirmière, mais maintenant tout est fini, c’est ça ? Hé bien, non, c’est pas fini, Brice ! J’ai peut-être la gueule et le corps de monsieur Blanchard, mais je sais que je ne suis pas monsieur Blanchard… Je veux protester, mais je me retiens. Lui n’y pourra pas grand-chose de toute façon.

– Par contre, maintenant que vous êtes réveillé, que votre état est stable et que vous pouvez vous alimenter tout seul, le docteur Frankin a donné son accord pour vous transférer dans un autre service où vous aurez votre propre chambre. Vous serez beaucoup plus à l’aise, vous verrez.

– Un autre service ?

– Oui, en orthopédie. Ici vous êtes en réanimation. Et comme vous avez pu le voir, vous partagez l’espace avec d’autres patients, il y a des allées et venues constantes, le bruit des machines, pas de salle de bain, pas de toilettes, sans compter les nouveaux arrivants qui remplissent très vite nos places disponibles.

En orthopédie… L’information se fraye lentement un chemin dans mon cerveau. Je comprends que c’est la marche à suivre. Médicalement parlant au moins, c’est plutôt bon signe. T’entends ça Rémi ? Tu vas t’en sortir, mon pote… Et moi aussi par la même occasion. Enfin, j’espère…

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