L'effet miroir

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Sylvie se rapproche de moi et me sourit.

– Je vais commencer par vous raser. Vous vous sentirez bien après, dit-elle en ouvrant la bombe de mousse.

Me raser ? Cette idée me paraît totalement incongrue. Je crois que personne n'a jamais eu à s'occuper de mon propre rasage. Son visage tout près du mien, elle m’enduit de mousse. Moi qui me suis presque toujours rasé au rasoir électrique, ce rituel me met mal à l’aise. Est-ce que tu te rases au manuel, Rémi ? J’en sais rien…

Sentir les doigts de Sylvie sur mes joues a quelque chose de troublant et de sensuel à la fois. La regarder manipuler et laver mon sexe ou me nettoyer les fesses tout à l’heure était forcément gênant, mais ce n’était pas vraiment mon sexe, c’était la queue de Rémi que je voyais… Alors qu’avec ses mains sur mon visage, pour la première fois j’ai l’impression qu’elle me touche moi, Stanislas.

Je sens la lame glisser sur la mousse en tranchant les poils avec le petit bruit râpeux caractéristique. À chaque passage, j’ai l’impression d’exister un peu plus, comme si elle retirait l’une après l’autre les couches de ce masque qui n’est pas moi. Je regarde Sylvie penchée sur mes joues, s’appliquer et me rendre la vie, petit à petit. Je vois ses yeux qui suivent les mouvements de sa main et croisent les miens de temps en temps par accident. Je sens son souffle sur ma peau découverte et sensible…

– Voilà. Je vais vous débarbouiller et vous montrer ce que ça donne.

Je hoche la tête en souriant. Merci Sylvie. Je sens le gant de toilette autour de mes yeux, sur mon front, derrière mes oreilles, d’un côté puis de l’autre, jusqu’au cou. La serviette me tamponne légèrement la figure pour me sécher.

– Là… Vous vous sentez mieux, je pense, Stanislas ?

– Oui, lui réponds-je, apaisé.

– Je vous brosse juste les cheveux pour vous coiffer… Tenez, regardez, me dit-elle en tendant un miroir devant moi.

Pendant quelques secondes, je ne comprends pas ce que je vois. Qu’est-ce que Rémi fout de l’autre côté du miroir ? Rémi avec ses sourcils roux et sa coupe à la brosse, Rémi avec ses yeux verts et son regard qui plaît aux filles, Rémi qui a l’air si maigre et qui a perdu des joues, Rémi qui est rasé de près, Rémi qui me regarde droit dans les yeux avec la lèvre inférieure qui tremble…

Une balle dans le cœur, je meurs… Des échardes de verre explosent et me transpercent… La douleur ruisselle et se répand dans tous les interstices de ma conscience, dissout ma mémoire… Je suffoque… Je ne vois plus… Je veux crier…

Je hurle de toutes mes forces en me débattant dans le noir.

– Hein ? Quoi ?... Stan ? Qu’est-ce qu’il se passe ?

La lumière s’allume dans la chambre. Je tourne la tête. Nelly ! Nelly est là ! Je la regarde une seconde, haletant, dégoulinant de sueur. Bébé… Je me jette sur elle en gémissant.

– Stan ! Ça va ? Qu’est-ce qu’il y a ? Stan ? Tu me fais peur ?

Je sens son corps entre mes bras qui se tend, résiste, puis m’accueille.

Monsieur Blanchard ! Calmez-vous !

– Nelly ?

– Oui, chéri, je suis là !

Je m’écarte, le visage inondé. Je la vois. Confuse. Paniquée. Je veux lui sourire, je veux lui dire. Je veux crier. Ma poitrine se gonfle. Les mots m’étouffent, se battent pour sortir, m’arrachent la gorge comme des oursins, m’écorchent la langue, m’entaillent le palais, lacèrent mes gencives, me percent les lèvres.

– Cauchemar…

Je m’écroule à nouveau sur sa poitrine.

Monsieur Blanchard ! Arrêtez ! Monsieur Blanchard !

– C’est bon, mon chéri, je suis là… C’est juste un cauchemar, Stan.

– C’était horrible Nel, réussis-je enfin à articuler en la serrant.

– Pas si fort, Stan, tu me fais mal.

Monsieur Blanchard, lâchez-moi !

– Tu comprends pas, Nel ! m’écriai-je en m’écartant. J’étais Rémi ! À l’hôpital, dans le corps de Rémi, putain !

– Calme-toi, Stan ! Je comprends rien… C’est fini, là !

Monsieur Blanchard, calmez-vous, vous m’entendez ?

– Non, je ne vous entends pas !

– Stan, à qui tu parles ? Qu’est-ce que t’as ? T’es tout trempé… Bouge pas, je vais te chercher un gant et une serviette.

– Non ! Nel, attends !

– Je suis là, je reviens tout de suite. Il faut te sécher, mon cœur.

– Nel !

Noir.

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