Sonde urinaire

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– Bon, en attendant, je vais vous retirer votre sonde urinaire, monsieur Blanchard. Maintenant que vous pouvez vous alimenter et boire par vous-même, vous n’avez plus besoin de ça, dit-elle en déballant une seringue sur la table de soins. On s’occupera de la toilette juste après.

Cette perspective-là non plus ne m’enchante pas. Pas du tout même. Sylvie doit lire la frayeur dans mon regard.

– Oh, détendez-vous, ce n’est pas très agréable, mais ça ne fait pas mal. Ça ne prend que quelques minutes, dit-elle en souriant pour me rassurer.

Les pensées se bousculent dans ma tête. Je ne suis pas très douillet, mais je n’ai jamais eu de tuyau enfoncé par « là ». Et puis c’est même pas ma bite, putain…

– J’abaisse le dossier du lit pour vous allonger complètement et je vous surélève un peu.

Manger dans le corps de Rémi c’est une chose, c’est peut-être même amusant ou agréable dans une certaine mesure, mais ça… J’avais totalement ignoré les fonctions « basiques  » jusqu’à là… Pisser, aller aux chiottes… Qu’est-ce que ça peut me faire ? Je ne suis qu’une pensée, qu’une conscience, enfermée dans ce corps, non ? Alors pourquoi ça te fait flipper, Stan ? Pourquoi tu as mal aux côtes, au genou ? Pourquoi ?...

Je vois Sylvie se laver les mains et enfiler des gants en plastique.

Ok, je flippe.

Elle revient vers moi. Elle abaisse le drap… Elle remonte ma chemise d’hôpital et écarte ma cuisse gauche. Ce n’est peut-être pas vraiment ma queue, mais je me sens mal à l’aise d’étaler mon sexe devant cette femme. Je sais qu’elle en a vu d’autres, et bien plus encore dans son métier, mais…

– Je vous glisse une alèse sous les fesses… Voilà… Je retire le petit sparadrap qui maintient le tuyau.

J’ai beau me débattre intérieurement, faire semblant, je ne peux nier l’évidence : pour le moment, je ne suis pas simplement dans le corps de Rémi, je suis ce putain de corps !

Je sens ses doigts manipuler ma verge et se poser sur mes testicules.

– C’est bien, il n’y a pas d’inflammation… Maintenant je vais dégonfler le ballonnet, il n’y en a pas pour très longtemps.

Allongé, impuissant, réduit à ma plus simple expression anatomique, j’essaie de ne penser à rien… Des souvenirs lointains et désagréables s’imposent malgré moi… À quatre pattes, le cul en l’air et les couilles qui pendent sur la table d’auscultation du proctologue… Ça, je ne t’en ai jamais parlé, Rémi, hein ? La piqûre dans l’anus, le coup de bistouri sur la rondelle pour pouvoir retirer une hémorroïde grosse comme une noix de cajou… Ah ça, des moments inoubliables, mon pote… Et maintenant quoi ? La queue à vingt centimètres du visage de mon infirmière, un tuyau dans la pine, tout va bien...

– Là, c’est presque fini. Détendez-vous, je vais retirer la sonde…

J’essaye de ne pas bouger. Je sens le tuyau coulisser, le long de mon urètre, centimètre par centimètre… Une évacuation intime, déplaisante au possible… Un serpent qui rampe, qui glisse, lentement, jusqu’au bout du gland…

– Voilà, c’est fait… Vous voyez, c’est rien du tout, annonce Sylvie, satisfaite, en retirant l’alèse. Je vais vérifier les niveaux, mais tout a l’air normal.

Chouette… Il ne manquerait plus qu’une complication de plus… Au moins je suis capable de pisser tout seul à présent. T’entends ça, Rémi ? Je vais pouvoir « marquer mon territoire », comme tu dirais. Ou peut-être le tien, finalement…

– Tout va bien ?

Tout va bien ? Non, Sylvie, tout ne va pas vraiment bien… Et je ne sais même pas comment je pourrais t’expliquer ça pour que tu me croies, sans me sentir ridicule ou pitoyable. Je hoche la tête malgré tout.

– C’est parfait, monsieur Blanchard ! Pour le moment, tant que l’on ne vous a pas transféré dans votre chambre, il faudra vous servir de cet urinal et nous prévenir dès votre première miction. Vous devez aussi vous hydrater régulièrement. Je vous mets de l’eau juste à côté.

Je suis certain qu’il n’y a rien à redire à tout ce protocole, mais je me sens comme un gosse à qui on doit expliquer comment faire pipi… Et je n’ose même pas songer au reste.

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