Papa ?

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Ténèbres.

Se cacher. Ne plus bouger.

Là, ils ne me trouveront peut-être pas. Je ne dois pas faire de bruit. Je retiens ma respiration. J’entends des craquements. Ils ne sont pas loin. Que vont-ils me faire s’ils me trouvent ? Chut… Je me tasse sur moi-même. Le bip, bip de leur radar me parvient de la pièce voisine. Ils arrivent. Il est trop tard pour partir ailleurs, maintenant… Ma respiration s’accélère et mon cœur bat plus fort. Trop fort. Boum, boum. Il cogne dans ma poitrine. Il cogne contre la porte. J’essaye de l’arrêter. Boum, boum. Ils vont me repérer… Une lueur s’infiltre par les fentes du placard. Des voix. Non ! Je ne veux pas qu’ils m’emmènent. Papa ? Maman ? Où êtes-vous ? Je ferme les yeux. Je ne veux pas regarder… Une force me pousse vers l’avant… Papa, maman, venez me chercher ! Ne les laissez pas faire… Explosion de lumière. Ça fait mal… Non ! Papa ! Papa !

– Papa ?

– Fais doucement, ma chérie. Papa est très fatigué, tu sais.

Des couleurs. Des formes. Des visages… Je cligne des yeux pour dissiper le brouillard. Ma conscience vacille. Ma tête me lance. Je lutte. Je les vois autour de moi… Bon Dieu, c’est Clara ! L’évocation de ce nom familier électrise ma mémoire et les souvenirs jaillissent… Le coma, un accident de vélo, le médecin, l’infirmière… Merde, non, c’est pas vrai ! J’essaye de tendre la main…

– Clara… murmuré-je.

Je la vois se tourner vers le médecin avant de parler.

– Oui, Rémi, Je suis là. Tout va bien, mon chéri…

Je cligne des yeux à nouveau. Mais non, tout ne va pas bien. Une boule d’angoisse… Un vertige… C’est moi, Stanislas… Clara… Où est Nelly ? Je ne comprends pas. Toi aussi… Qu’est-ce que ?… Mes questions s’emmêlent, ma raison chavire, je voudrais crier…

– Papa ? Est-ce que ça va ?

– T’es réveillé, papa ?

Je baisse les yeux et je vois deux petits visages inquiets.

– Chloé… Jules… Vous êtes là ?

Je n’arrive à rien dire de plus. Je ne comprends pas. Qu’est-ce que les enfants de Rémi foutent ici, bordel ? L’angoisse me sert le cœur.

– C’est Zoé, papa, pas Chloé, mais c’est pas grave…

Sa petite voix me brise le cœur. La peur me submerge. Ma tête explose. Je ne veux pas effrayer les enfants, mais je ne contrôle plus rien. Mes yeux s’inondent.

– On est là, chéri, ne t’inquiète pas.

Clara me caresse le visage en essayant de m’apaiser. Je sens la main des enfants qui se pose sur la mienne. Je me laisse faire. Un instant j’oublie toutes mes douleurs à leur contact.

– Le docteur m’a expliqué pour ta mémoire, mais tu vas t’en sortir, murmure Clara.

Son visage tout près du mien, elle me regarde. Je vois ses yeux verts. Je vois la confusion. Je vois l’amour. Je vois un sourire. Je vois des larmes au bord de ses yeux.

– Clara…

– Clarisse… C’est Clarisse, mon chéri. Tu nous as manqués, Rémi…

Puis elle m’embrasse sur les lèvres. Je ne l’esquive pas. Clara. Clarisse. Ma confusion est totale. Je veux l’arrêter, je veux lui parler. Ses lèvres quittent les miennes.

– Clara…

– Je t’aime, me glisse-t-elle tout bas.

Non, ça n’a pas de sens !

– Clara, où est Nelly ? arrivé-je enfin à articuler.

Je la vois qui hésite et me dévisage.

– Je… Je ne sais pas… De qui tu parles, mon chéri ?

Elle recule et se tourne vers le docteur qui lui fait un signe de tête.

– Jules, Zoé, nous allons laisser papa se reposer. Il a besoin de dormir pour reprendre des forces, n’est-ce pas docteur ?

– Tout à fait, madame Blanchard. Mais votre papa est très courageux, les enfants, et nous allons tout faire pour qu’il revienne vite à la maison.

Du fond de mon cauchemar, je sens que je n’aime pas le docteur Frankin et sa façon de parler très appuyée, comme si on était tous des enfants.

– Allez faire un bisou à papa avant de partir.

Partir ? Déjà ? Mon cœur chavire. Je veux les retenir. Même dans ce délire, j’ai besoin de ces visages familiers, j’ai trop de questions à leur poser, je ne veux pas rester seul avec ma douleur. Seul dans cette pièce.

– Au revoir, papa, tu me manques.

– Je t’aime, mon papounet.

Je sens leur visage contre le mien et leurs petits bisous. Je vois qu’ils voudraient rester aussi. J’essaye de leur sourire malgré tout… Moi aussi, j’espère que leur papa va revenir, ce n’est pas possible autrement. Rémi, qu’est-ce que tu fous ? Il doit y avoir une explication. Et personne ne veut rien me dire sur Nelly, c’est insupportable. T’es où, Bébé ?

– À demain, mon chéri.

Je les vois quitter la chambre avec le docteur Frankin en me faisant un signe de la main. J’ai de nouveau envie de pleurer. Ou de mourir. Ou les deux à la fois, je ne sais plus… Sylvie l’infirmière est restée avec moi pour vérifier le goutte à goutte, les appareils ou je ne sais quoi. Je lève le bras pour attirer son attention. Elle me prend la main. Peut-être dit-elle quelque chose. Je sens l’épuisement me gagner.

– S’il vous plaît, où est ma femme ? supplié-je.

Je sombre en emportant son sourire bienveillant.

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