Chapitre 56 : Les hommes des duchés

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Raffaello Petiti

29e jour du mois d’aout de l’an de grâce 1205 AE.

Port de la ville de Périssier ; juste avant les Vêpres

Royaume du Corvin

Il y avait une vaste foule qui se pressait sur le marché du vieux port. Par cette ferveur de fin de journée, on aurait presque pu croire à une scène idyllique en un royaume en paix. Mais les patrouilles de garde et les hommes en armes qui débarquaient des navires rappelaient à tous que la situation réelle était tout autre.

Les habitants, voyageurs et commerçants de Périssier continuaient leurs activités, comme si de rien n'était, comme si les affrontements et les morts étaient bien lointains. Ils avaient raison en soit, mais si la reine perdait la guerre, ils allaient rencontrer bien vite la dureté du réel avec le siège de la ville par les forces du « roi » Léonard.

Mais après tout, pourquoi se priver de cet instant paisible, se dit Raffaello. Ils avaient raison.

Comme il aurait aimé être sur le front, son frère allait à nouveau se couvrir de gloire à la tête de ses stradiotes et mercenaires des duchés. Raffaello, quant à lui, allait devoir s’occuper de tâches plus obscures. Non pas que la guerre ne soit pas vilaine et sombre. Elle l’était par essence, mais ce que s’apprêtait à faire le sudiste, ce pour quoi il avait été engagé, était d’un tout autre registre.

Alors qu’il avançait entre les étales, Raffaello observait les biens, les denrées qui étaient aussi diverses que variés. C’était là une véritable éclosion de couleurs vives et d’odeurs étonnantes. Cela rappelait presque à Raffaello ses terres…

Il y avait un petit air de famille avec les étals de Castel Bianco. La grande ville du duché de Vinorossi dirigée par les Petiti depuis des générations.

Il y retournera bien assez vite, en temps voulu…

Pour le moment, il devait servir les intérêts de sa famille et son devoir le demandait en ce royaume du Corvin.

L’air iodé de la mer emplissait les lieux. Le sudiste accueillit cette odeur tout comme les bruits de l’eau qui frappait les murs et pontons de la ville. Il préférait cela à l'odeur âcre que ce genre de cité possédait, qu’il avait dû endurer dans les quartiers marchant de Périssier.

Raffaello s’était rendu chez plusieurs négociants locaux pour parler affaires au nom des Petiti. Ainsi, la journée avait défilé avec rapidité et il se retrouvait maintenant en route pour son navire sous la lumière faiblissante du soleil qui continuait à choir de son zénith.

Ses habits, richement décorés à la mode des duchés, détonaient avec ceux des locaux. Ils avaient été appréciés par les partenaires commerciaux de la famille, mais tout aussi beau qu’ils soient Raffaello allait devoir s’en défaire.

Après tout, il se devait d’être habillé comme il le fallait pour la nuit qui s’annonçait. Il n’avait pas rendez-vous avec n’importe qui et l’inquisiteur avait été clair sur le déroulement de la soirée.

Observant de jeunes femmes nobles parées dans de riches robes, Raffaello saisit l’une des fleurs du chariot qui passait à côté de lui avant de les aborder.

— Mesdames, fit-il d’un ton bien poli en offrant la fleur.

Le sudiste connaissait son charme et il n’hésitait pas à les utiliser. Trop selon son frère.

—Ho ! répondit l’un des trois nobles face à lui. Quelle gentillesse, seigneur ?

— Petiti, Raffaello Petiti, demoiselle.

— Bien Chevaleresque, fit l’une des trois en un regard presque accusateur.

— Voyons mesdames, je ne suis qu’un simple homme du sud faisant son chemin en ce royaume.

— Un homme d’armes fit alors la troisième femme en vue de l’épée et du fourreau accroché à la ceinture de Raffaello.

— Oui, je suis armée, mais c’est que ma famille est actuellement au service de la reine, toutefois nulle crainte. Je reste amicale gentes dames !

— Pourquoi tant de méfiance, dit alors celle à qui il avait donné une fleur à ses deux camarades.

— Quelque chose ne me revient pas en son visage… Ce ne serait pas là le coureur de jupons qu’il y avait aux célébrations hivernales ?

— Voyons, damoiselles, vous devez vous tromper.

— Non, il n’y a nul doute possible.

— Si je puis me permettre, si j’avais vu telle beauté, je m’en souviendrais.

— Si ! C'est bien lui, fit alors la seconde femme qui avait été froide. C’est ce maudit coureur de jupons que le Bourgmestre avait promis de chasser !

La situation tournait en eau de boudin, pourtant Raffaello avait été sincère. Enfin presque, il avait déjà parcouru cette grande ville et goûter à ses plaisirs, mais ses souvenirs des festivités locales se terminaient souvent de manière bien embrumée.

Peste ! Il se devait d’agir avant que l’affaire ne soit irrécupérable. Avant que sa réputation ne soit entachée.

— Mesdames, si je puis me permettre…

— Nullement, coupa l’une des trois femmes en envoyant le seau d’eau proche sur le Seniore Petiti.

L’affaire était finie à n’en point douter…

Les trois femmes quittèrent alors prestement le marché laissant Raffaello seul, mouillé et blessé dans son ego. En observant les nobles dames partir, il put voir l’une d’elles jeter la fleur qui lui avait donné.

La plante autrefois belle et colorée s’était écrasée sur le sol. Sa beauté à présent entachée de la couche de saleté qui recouvrait le marché du vieux port. Entaché comme la réputation de Raffaello en cette ville.

Les femmes avaient du tempérament dans ce royaume.

Alors qu’il allait se saisir d’un tissu pour essuyer l’eau qui avait atteint son visage, le sudiste fut coupé dans son élan par une main tendue lui proposant l’objet en question.

Regardant l’homme en prenant le tissu, Raffaello reconnue de suite la personne.

— Vous voilà tombé à pic Azielo !

— Comme souvent Seniore, on dirait que vous ne laissez pas indifférente la noblesse locale.

— Ha si seulement, répondit Raffaello tout sourire en essuyant son visage.

— En tout cas, elles vous ont bien repoussé.

— Je les ai laissé faire pour mieux contre-attaquer, vous me connaissez !?

— Évidemment.

— Les hommes, sont-ils prêts pour ce soir ? dit alors le Seniore Petiti avec un ton bien plus sérieux.

— Ils le seront, venez, fit ensuite Azielo d’un geste de main pour inviter son seigneur à le suivre.

Et les deux représentants des duchés du sud dans ce port du Corvin avancèrent à travers la foule. La ville, bien cosmopolite, attirait de nombreux voyageurs ou commerçants. C’était exactement la couverture dont Raffaello avait besoin. Ainsi, ces deux hommes pouvaient passer pour de simples commerçants, et c’était là le but recherché. Car la réalité, tout autre, étaient qu’ils étaient tous deux des hommes de guerre qui dissimulaient simplement leurs armes et professions.

Quittant le sol pavé de pierre du port, Raffaello commença à fouler le plancher des docs. Si la diversité des produits et commerçants du marché pouvait surprendre alors ce n’était rien comparé aux navires. Ils étaient tous plus différents les uns que les autres et parmi cette foule de vaisseaux Raffaello chercha le sien.

La "Segniora delle onde" était là, amarrée au ponton en se dressant sur flots de toute sa prestance. Le navire plus qu’imposant alliait construction raffinée et traits élancés dans le plus pur style des duchés. Quelques boucliers aux couleurs des Petiti couvraient les bords des châteaux de proue et de poupe tandis que les mâts, eux, dominaient le bâtiment de leurs grandeurs. Deux formes étaient d’ailleurs visibles et en train de s’activer sur les voiles supérieurs depuis la hune qui finissait le plus haut des trois mâts.

Voyant les deux hommes avancer vers le navire, l’un des membres de l’équipage présents siffla. À son signal, les hommes de bords posèrent une planche entre le navire et le ponton pour permettre aux deux arrivants de monter.

Raffaello, qui avança sur le court passage au-dessus de l’eau, fut alors aidé par l’un de ses mercenaires qui lui tendit la main depuis le pont du navire pour l’aider à monter et le Seniore Petiti foula alors le pont du navire.

L’endroit était chargé, de nombreux tonneaux y étaient regroupés, tandis que de nombreux hommes d’équipage vaquaient à leurs occupations sur le navire qui grouillait d’activités.

À première vue, à part sa taille et ses couleurs rouges du duché de Vinorossi, le navire n’avait rien de spécial. De l’extérieur, le bâtiment semblait être un énième navire de commerce qui occupait les quais de Périssier. Mais l’image d’un navire de négoce du vin était ce que Raffaello voulait faire croire au monde.

Les hommes d’équipage, eux même, collaient à cette « version » des choses ainsi drapés dans leurs capes brunes ou habits communs. Leurs armes dissimulées également dissimulées.

En vérité, le navire ne transportait pas du vin tout droit venu des duchés dans ses cales, mais bien les mercenaires de la compagnie Écarlate.

Azielo, qui fit appel à trois hommes, leur ordonna d’ouvrir le passage vers les ponts inférieurs et les membres d'équipage s’exécutant permirent aux deux arrivants d’entrer à l’intérieur du navire.

À présent, au cœur du bateau, l’ambiance était tout autre. Les quelques ouvertures étaient restreintes au sein du navire et seules de rares lumières permettaient à l’intérieur du lieu d’être éclairé. Il y avait cette atmosphère orangée et sombre qui collait parfaitement au secret qui entourait ce navire et les affaires qui liaient la compagnie de Petiti à la ville.

Azielo qui marchait en tête ouvrit alors une porte et les deux hommes entrèrent dans le quartier de l’équipage. L’endroit était tout aussi vivant et peuplé que le pont du bâtiment. Les hommes qui avaient ici abandonné tout déguisement se préparaient au combat.

Les épées étaient aiguisées, les cottes de mailles graissées et les armures enfilées. Une grande concentration régnait dans la pièce et durant son avancée dans le lieu, Raffaello fut salué par chacun de ses hommes.

L’un des vétérans du groupe, un homme grisonnant et âgé, se rapprocha alors du Seniore Petitit.

— S’est confirmé ?

— Oui, lui répondit Raffaello. C’est ce soir.

Et une clameur prit le pont inférieur. La lumière lancinante des quelques bougies fut accentuée lorsqu’un des mercenaires décala le couvercle du récipient en fonte qui accueillait un feu mourant. L’observant, Raffaello le vit passer sa main sur le rebord de la pièce de fonte pour passer la suie qu’il avait récoltée sur son visage.

Ses hommes étaient prêts…

— Azielo, fit Raffaello pour interpeller son second.

— Seniore ?

— À ton bien reçu notre chargement d’armes ?

— Bien sûr, fit ce dernier en emmenant Raffaello.

Enlevant le tissu qui recouvrait des caisses, le Seniore Petiti put voir les nombreuses lames d’argent qui reposaient dans le contenant.

— Bien, on va en avoir plus que besoin… Et pour ce qui est de notre autre atout ?

Pour réponse, Raffaello eut nulle phrase, seulement un signe de tête et tous deux continuèrent leur avancée dans le navire. Déverrouillant une autre porte, le second de Petiti fit alors entrer son maître dans une petite salle.

Il y avait là un homme nu échoué sur le sol. La peau couverte de cicatrices et autres sévices qu’il avait dû endurer ces derniers jours entre les mains de la compagnie.

— Il était résistant, dit Azielo. Presque admirable, mais une fois passé un certain seuil, il a été un vrai livre ouvert.

— Parfait, répondit Raffaello en s’agenouillant proche du corps.

L’homme au sol avait la peau bien blanche, mais d’expérience le Seniore Petiti savait que cela n’avait rien avoir avec le traitement qu’on lui avait imposé.

Le prisonnier n’était pas un simple humain, en témoignaient ses chaînes d'argent. C’était l’une de ces maudites créatures héritées des temps anciens.

Les informations qu’il avait données allaient être d’une grande aide contre ses congénères…

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