Chapitre 36: Loyauté et famille

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Charles Gaillot, Il y a plus d'un mois, durant le banquet royal à Fressons

Le banquet avait commencé depuis un certain temps, nombre de seigneurs étaient à table discutant d’affaires personnelles ainsi que de la tournure du récent tournoi. La nuit commençait doucement à tomber et les nombreux chandeliers de l’imposante salle étaient allumés, pour la plupart, éclairant la forêt de bannières qui peuplait les hauteurs de la salle. Charles, lui, était déjà assis depuis un moment. Il buvait un des nombreux vins présents sur sa table, la couronne n’avait pas lésiné sur les dépenses pour cet événement important. Les caves royales regorgeaient de crus aux provenances diverses et variées. La nourriture et les breuvages alcoolisés recouvraient les tables déjà prises d'assaut par les nobles de tout le royaume. Charles quant à lui était à l’une des tables réservées à sa famille et ses bannerets.

Les Gaillot étaient une famille ancienne et importante dans son Haut Corvin et le royaume de manière générale. En soi le Corvin était divisé en plus d'une dizaine de grandes seigneuries. Les terres sur lesquelles Evrard Gaillot, le père de Charles, régnait sur de vastes terres. Elles comprenaient une bonne partie du nord-ouest du royaume. Le Haut Corvin, lui, était divisé entre six grandes familles. Ces six grandes familles étaient les maisons d’Ambroise, Dugnons, Montanie, Vistel, Cresso et Gaillot. Chacune d'elles répondait directement au suzerain et morcelait son territoire entre ses fidèles bannerets. Des maisons de petite envergures étaient ainsi les fondations sur lesquelles les grandes seigneuries reposaient.

La table de Charles se situait sur le coin ouest de la salle de banquet, son père se tenait à ses côtés et de nombreux bannerets composaient le reste de la délégation, répartis sur les tables alentours, tous, exceptés de nombreuses épouses et le frère de Charles. Ce dernier avait dû arriver dans la journée, mais il ne s’était pas encore manifesté. En temps normal, Emmon se serait empressé de féliciter son jeune frère. Après tout, il avait gagné le tournoi. Mais ni son père, ni son frère ne l’avaient félicité. L'un avait seulement exprimé une légère approbation et l’autre était encore absent. Quelque chose clochait d’après Charles, mais il n'était qu’un cadet de famille. Il était accoutumé au manque de reconnaissance.

Tandis qu’il ruminait ses sombres pensées, Charles qui observait l’agitation de la salle vit arriver son ami Pierre. Ce dernier, accompagné par une dame, fut surpris par son jeune frère Eudric. Cet homme avait la surprenante capacité de surprendre les gens quand ils s’y attendaient le moins. Bientôt la dame, qui était entrée en même temps que Pierre, les quitta et les deux frères prirent la direction de leur table où attendaient leurs parents. La place des Ambroises était à l'opposé de celle de Charles. Si la famille Gaillot était l’une des plus grandes seigneuries du Nord, alors celle des Ambroises était plus qu’impressionnante. De nombreux bannerets de la famille avaient fait le déplacement et ils occupaient bien trois tables. Le regard de Charles croisa bientôt celui de Durand qui le salua chaleureusement de la tête.

Plus le temps passait, plus le nombre de convives augmentait et plus l'ennui gagnait Charles. Pour dire vrai, le jeune homme n’était pas un grand amateur des banquets. Il était plutôt un homme d’action, la chasse, la joute, voilà ce qui l’animait. Et il était doué, le résultat du tournoi le démontrait. Tandis qu’il se faisait resservir du vin par l’une des nombreuses servantes, il observait Durand en pleine discussion avec son fils. Malgré le bruit, Charles percevait l’animosité. Lorsque leur échange s'acheva, Eudric se leva pour quitter la salle. Au même moment, l'un des hommes de la garde personnelle d’Evrard, fit son apparition et rejoignit le seigneur Gaillot. Il chuchota à l’oreille de son maitre et outre la concentration de Charles, le bruit des festivités l'empêchait d'entendre quoi que ce soit. Quand les deux hommes eurent fini d’échanger, tous deux se saluèrent d’un signe de tête et le garde recula tandis qu’Evrard se tournait vers son cadet.

— Ton frère est arrivé, il doit sûrement se préparer dans une salle proche.

— Amand a fait le voyage avec lui, répondit Charles en désignant le garde debout non loin.

— C'est cela, allez va, je vois bien que tu t'ennuies ainsi oisif. Ton frère a des choses à te dire, j’en suis sûr.

-Le garde et Charles commencèrent à quitter l’imposante salle qui ne cessait de se remplir de convives. Dépassant la large porte d'entrée, Charles talonnait le garde qui avançait rapidement. Les couloirs étaient hautement gardés, l’événement d’importance requérait un fort dispositif qui continuait à étonner le jeune homme. Parcourant les allées et dévalant les couloirs, les deux hommes finirent par atteindre leur but. Amand s'arrêta alors devant l'une des portes présentes avant de se retourner.

— Votre frère doit être avec ses hommes, je vous laisse ici, votre père m’a confié des tâches et vous savez qu’il n’aime guère attendre.

— En effet, merci encore.

À ces derniers mots, le garde d’Evrard tourna les talons et quitta le couloir. Charles quant à lui ouvrit la porte qui se trouvait devant. La salle qu’occupait son frère était de taille moyenne, plusieurs hommes étaient présents. Il s’agissait de la garde rapprochée de son frère aîné. Celui-ci était d'un âge adulte, sa fonction d'héritier lui accordait donc un choix quant aux hommes qui assuraient sa protection. L'une des nombreuses différences entre lui et Charles. Ce qui étonnait ce dernier n’était pas tant la présence d’hommes en armes à côté de son frère, mais la pièce elle-même. Il ne s’agissait pas d’une chambre, mais bien d’une salle quelconque où traînaient toutes sortes d'objets, de caisses et autres contenants. Quatre hommes composaient la garde de son frère, tous équipés aux couleurs de la maison. Emmon, le frère de Charles était quant à lui au bout de la pièce, face à la seule fenêtre du lieu, observant la capitale en contrebas. Au son de la porte, les regards s’étaient tournés vers le nouvel arrivant excepté celui d'Emmon, toujours fixé vers le paysage.

— Alors mon frère, on m’a dit que tu avais défendu la famille avec honneur durant le tournoi.

— Surpris ?

— Loin de là, je te connais par cœur, nous nous entraînions ensemble. Il y a de cela longtemps.

— Trop longtemps.

Emmon se retourna alors vers Charles en souriant.

— Je vois que tu es en forme, ça fait plaisir à voir, dit Emmon en s’approchant de son frère.

— Toi aussi, répondit Charles qui se trouvait face à son frère à présent.

— Tu as grandi, ça fait quoi, deux ans ?

— À peu de chose près. Toi tu as vieilli.

Tous deux rigolèrent avant qu’Emmon ne commence à serrer son frère cadet dans ses bras. Mais tandis que les mains de Charles étreignaient son frère, il sentit quelque chose d’étrange sous les habits. Reconnaissant le bruit et la forme d’une cotte de mailles, Charles ne cacha pas son étonnement. Tandis qu’ils se séparaient, Charles prit la parole, intrigué par sa découverte.

— Je pensais que tu te serais déjà changé pour le banquet, commença Charles perplexe.

— Je le suis, reprit Emmon d’un air qui coupait presque avec la chaleureuse accolade des deux frères. Je me suis d’ailleurs changé spécialement pour l'occasion.

Charles considéra son frère d'un regard qui remplaçait toute question qu’il aurait pu formuler. Au même moment deux des hommes d'Emmon se levèrent et se mirent debout devant la porte.

— Excuse-moi de ne pas t’avoir mis au courant plus tôt pour ce qui va suivre. Mais père ne voulait pas te sache la suite vu tes liens avec les Ambroises, avec Pierre.

— Que…

Charles n’eut pas le temps de formuler sa réponse que des bruits étranges commencèrent à se répandre dans le palais. Ce n’étaient pas des bruits festifs suivant le début d’un banquet, mais bien des bruits que Charles connaissait, celui d’armes s'entrechoquant, celui d’un affrontement. Les cris commencèrent bientôt à s’ajouter au son ambiant et Charles qui s’était retourné vers la porte restait debout, immobile, ne sachant que penser de la tournure des événements, de ce qu'il entendait. Il sentit alors la main de son frère se poser sur son épaule.

— Vraiment désolé, mais il n’y avait aucune autre manière de procéder.

Tandis que les bruits continuaient à résonner à travers la porte, la ville se joignit à la chaotique situation. Les cloches commençaient à sonner, sonner comme pour annoncer un événement important, un événement qui marquerait le royaume et son futur.

Charles marchait à présent dans les couloirs du palais avec son frère et ses hommes. Un triste spectacle se répétait à chaque intersection, derrière chaque porte. Des nobles, leurs familles, leurs courtisans et leurs gardes jonchaient le sol, morts. Le regard de Charles observait la macabre scène tandis qu’il progressait à la gauche de son aîné. La plus grande partie des victimes étaient du Bas Corvin. De temps à autre, les frères Gaillot croisaient des groupes d’hommes en armes. Leurs regards en disaient long sur leur récente activité et leurs lames étaient encore rouges du sang des convives, de leurs compatriotes. De nombreux manteaux pourpres s’étaient joints à la funeste tâche.

Charles, qui suivait son frère, était comme absent, malgré ce qu'il voyait il ne pouvait se faire à l'idée qu’un tel massacre avait été commis en sa présence. Il avait lui-même des amis sudistes, que leur était-il arrivé ? Son propre frère lui avait caché la tournure des événements à cause de ses liens avec les Ambroises, étaient-ils morts durant cette nuit ? De nombreuses questions fusaient à présent dans sa tête, mais le choc du macabre spectacle qui s'offrait à lui brouillait toute réflexion, toute pensée.

Le groupe fut bientôt en vue des portes de la salle du banquet dans laquelle Emmon entraîna ses hommes et Charles. Si les scènes dans les couloirs avaient de quoi choquer, ce n’était rien comparé au champ de bataille qu'était devenue la salle de banquet. Outre les tables et chaises retournées, les corps en grand nombre gisaient çà et là criblés de projectiles ou arborant de profondes entailles. La nourriture côtoyait au sol les corps et au centre de la pièce se tenaient Léonard et l'Eidhöle comme pris dans une fascination morbide pour la scène. Evrard, qui conversait avec des nobles, vit ses fils arriver et les rejoignit. Serrant son aîné dans ses bras, il regarda Charles en laissant passer un soupir.

— Tu te doutes bien que je ne pouvais pas te mettre au courant de ce qui allait arriver. Les Ambroises soutenaient ouvertement Anaïs, ils devaient être mis hors d’état de nuire. Si ça peut te rassurer, les deux fils sont encore introuvables. L'Eidhöle désire en garder un en vie.

Observant le regard de son fils cadet, le seigneur Gaillot reprit:

— Ne me regarde pas comme ça, dit-il sèchement. La tournure des événements était courue d’avance. Si on trouve Pierre ou Eudric, nous ferons ce qui est possible pour leur faire entendre raison. Dans le cas contraire, ils rejoindront leurs parents. À toi de voir si tu souhaites agir pour les maintenir dans ce monde.

Tandis qu’il finissait de parler, un groupe d’hommes d’armes des Gaillot fit son apparition à l’entrée et le banneret qui menait la troupe vint à son seigneur. Un garçon était traîné par les soldats du groupe. Observant avec attention, Charles le reconnut. Eudric, assommé, blessé, était maintenu par deux hommes. Son sang perlait d’une blessure à sa tempe.

— On a mis la main sur un des héritiers d’Ambroise, commença le banneret. Il ne s’est pas laissé faire, mais on a réussi à le maîtriser, finit l’homme souriant d’un air mauvais.

— Et le second ?

— Il a disparu. La dernière fois qu’il a été aperçu, c’était dans l’aile est.

— S’il n’est pas capturé, il doit être mort à présent, répondit Evrard en échangeant un regard avec Charles. L'Eidhöle voulait un Ambroise et il l’aura, c'est le plus important.

Le monde de Charles venait de basculer en un instant. Son ami d'enfance devait être mort ou en fuite. Il s’était sûrement enfui, il devait l'être, c'est ce que Charles désirait au fond.

Tout ceci présageait la guerre. Charles allait être opposé à des connaissances, des amis, peut-être à son meilleur ami. Il n’avait aucune idée de sa réaction s’il croisait Pierre sur le champ de bataille. Pouvait-il le tuer ? Le devait-il ? C’est ce que son devoir familial lui demandait à présent.

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