Chapitre 32: Périssier, domaine de la reine

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Pierre d’Ambroise, aux abords de la ville de Périssier

Le voyage pour atteindre Périssier dura bien une semaine. En chemin, Pierre en profita pour converser avec Kreisth. Il en apprit plus sur l'ordre, son histoire et sur l'histoire de sa propre famille. Les événements récents avaient bouleversé sa vision des choses, la visison de chacun dans le groupe. En soi, l’inquisiteur était l’exception et non la norme en son domaine, il s’en était fallu de peu pour que Lise soit brûlée avec les survivants des covens. L’ordre des veilleurs intriguait de plus en plus le jeune seigneur. Le voyage jusqu'au sud fut mouvementé, notamment proche du récent front qui scindait à présent le royaume. La rosette de l'inquisiteur ouvrit bien des passages et une fois sur les routes du sud tout devint plus simple. Les grands axes étaient peu fréquentés. À part les réfugiés, les seuls voyageurs se trouvaient être les troupes en armes qui cheminaient jusqu’à la ligne de front.

Les terres du sud étaient bien différentes du nord auquel Pierre était accoutumé. La nature semblait en apparence moins sauvage et les villes et villages croisés étaient bien plus habités pour la majorité. L’accent des locaux était bien différent mais après un passage à la capitale, Pierre avait eu un avant-goût de la diversité du royaume.

La troupe arriva aux abords de Périssier dans l’après-midi de leur huitième jour de voyage. En soi, la ville était grandement comparable à la capitale, les faubourgs regorgeaient d'activités et de travail. Les gens ne saluèrent cependant que peu la colonne de cavaliers, sûrement distants après avoir reconnu les symboles de l’inquisition qui devaient en faire frémir plus d’un. Les murailles hautes de la ville étaient gardées par les troupes d’Anaïs et la porte nord, par laquelle le groupe approchait, était en pleine ébullition. De nombreuses caravanes côtoyaient les réfugiés en provenance de la frontière avec le Haut-Corvin. Les gardes faisaient régner l’ordre malgré le bruit assommant qui régnait. Kreisth qui avait seulement montré sa rosette fut tout de suite autorisé à continuer et les gardes lui dégagèrent un passage. De nombreux désœuvrés étaient ameutés devant les gardes et leur regard perdu choquait Pierre. Nombreux étaient ceux qui avaient dû perdre leurs maisons, leurs villages, avec la guerre qui faisait rage. Mais rien de mieux ne les attendait dans les rues de la ville. P Parmi eux, combien allaient devenir mendiants ou désœuvrés et Pierre n’était pas en position d’agir, il était lui-même un désœuvré en quête d'aide.

Progressant à travers les rues bondées d'activités, Pierre observait les alentours, porté par son cheval. Les bâtiments, les toiles et l’aspect général des lieux étaient bien plus colorés que dans le nord ou dans la capitale. La langue officielle du royaume se mélangeait à la sonorité rythmée des duchés du Sud, presque voisins géographiquement. Mais la langue et les couleurs n’étaient pas les seules choses atypiques et dépaysantes de la ville. La mer proche emplissait la ville de son odeur, de son parfum iodé. Les mouettes et autres oiseaux de mer piaillaient à tout va. Les rues recelaient nombre de commerçants vantant les bienfaits de leurs produits, de musiciens en tout genre ou encore de voyageurs en transit au port. Des troupes en armes étaient souvent visibles et elles étaient toutes différentes comme si la ville attirait les partisans de tout le royaume. Tous devaient se presser de rejoindre les armées au front, tous se pressaient de rejoindre le “glorieux” champ de bataille.

La troupe de Pierre, qui déambulait dans la rue centrale depuis un moment déjà, déboucha dans ce qui s’apparentait à une des principales places de la ville. Une foule en masse recouvrait l’espace. Cette entité compacte de personnes criardes s’écrasait avec force contre une ligne d’hommes en armes. Formant un mur de boucliers, les soldats tentaient de maintenir la foule, d'y faire régner un semblant d’ordre. La troupe se tenait en ligne devant une imposante structure, il devait s’agir d’un bâtiment officiel. Pierre observait des hommes s'affairer à un étage visible au-dessus de la place, surplombant la foule hystérique. Des hommes en tenue nordienne ou de prisonnier étaient face à la foule, une corde autour du cou. D’un geste rapide, ils furent poussés un à un dans le vide. La corde qui les retenait se tendit lors de leur chute et d’un coup sec, audible brisa la nuque des prisonniers qui furent ainsi mis à mort les uns après les autres. Chaque exécution fut accueillie par la foule ivre de vengeance.

— Qu'ont donc fait ces hommes pour subir un tel châtiment ? Certains portent encore les couleurs royales, ils meurent pour avoir combattu pour leur roi ? demanda Pierre qui cheminait en tête de la troupe aux côtés de l’inquisiteur.

— Ils meurent pour avoir combattu pour un homme qui a massacré une partie des membres du royaume. Certains sudistes ont perdu des pères, des fils, des filles...

— Ils meurent donc pour avoir suivi les ordres.

— Ils ont commis des crimes. Ils ont suivi les agissements d’un homme en faisant fi de ce que le bien leur dictait. Ils sont croyants comme nous, aucun des Sauveurs ne l'aurait ordonné ou accepté, aucun précepte ne les protège. Outre la loi de l’Église, c'est la loi des hommes qui prévaut et ils doivent maintenant s'y frotter. Qu’ils en soient conscients ou non, ils récoltent leur dû.

— Le sang réclame le sang.

— Tu as toi-même connu la perte de ta famille, n'éprouves-tu pas la même colère, la même voix sourde enfouie en toi qui menace de brûler le monde en représailles.

— Cette semaine de voyage m’a permis de réfléchir aux derniers événements. J’ai cru qu’une vengeance apaiserait ma peine, j’ai tué de nombreux hommes depuis la nuit des lames. Pourtant je ne me sens pas mieux, je revois certains visages des personnes que j’ai assassinées. Je pense maintenant m'être souillé dans ma vengeance au lieu de m'en être libéré.

— Tu as donc rencontré la nature profonde de l’homme et sa brutalité. Tu es à présent changé irrémédiablement. Soit cela te rapproche des complotistes du nord et du culte, soit cela te rapproche de feu ton père. J’aime à penser en connaissance de cause que tu es plus proche de ce bon Durand.

— Alors prendre la vie de membres du culte m'a permis de me rapprocher de l’homme que je respectais le plus au monde. Prendre une vie m’élève selon vous ?

— Je ne dis pas cela. Tu interprètes mes dires. Je dis juste que c'est ainsi que va le monde. Un homme en tue un autre et un proche réclame vengeance pour sa perte. C'est le cycle de la haine, le cycle de la vengeance, le cycle de l’homme. Tu as été poussé à grandir depuis cette nuit-là. Peut-être trop vite. Mais sache que tu as pour moi agi avec honneur. Jusqu'à présent, tu as honoré ta famille.

— Je n’en suis pas si sûr désormais.

— As-tu pris une vie par plaisir ?

— Je ne crois pas.

— As-tu protégé des personnes en prenant ces vies bien que tu sembles maintenant le regretter ?

— Oui…

— Alors, pense aux personnes que tu as sauvées. À la personne que tu as sauvée, dit Kreisth en souriant. Tu ne mérites pas d'être livré aux flammes rédemptrices, dit l’inquisiteur en rigolant cyniquement.

Le spectacle de la place n’était guère appréciable pour Pierre. Trop de personnes étaient déjà mortes, trop d'enfants du Corvin avaient disparu. Et tout semblait indiquer un conflit long. Au fond de lui, Pierre se demandait quel homme il serait à la fin de cette guerre, si toutefois il y survivait.

— Bon, suivez-moi, jeune Ambroise, nous sommes presque arrivés à destination, dit Kreisth en reprenant leur chemin.

Le groupe de cavaliers progressa lentement dans la ville grouillante. Ils arrivèrent à leur destination finale une bonne demi-heure après leur entrée par la porte nord. L’imposant complexe de bâtiments qui accueillait la cour d’Anaïs n’avait rien à envier au palais royal de Fressons. Les constructions qui composaient la résidence d'Anaïs étaient grands. De nombreuses tours s'élevaient comme des lances fendant le ciel au-dessus du jeune seigneur. La plus haute d’entre elles, la tour centrale, s’achevait par des pinacles en forme de flèche et des sculptures en relief difficilement visibles à distance. Les fenêtres des bâtiments étaient nombreuses. En lancettes pour la plupart, découpées en cinq pans de vitres. De nombreux contreforts dépassaient des murs comme pour rajouter de la puissance aux lieux déjà imposants. La troupe qui s’aventurait à présent par la porte principale du palais entra dans une sorte d’allée débouchant sur une vaste cour. Les lieux, qui habituellement accueillaient chargements, invités ou bien même spectacles, étaient à l'image du royaume : en guerre. Des tentes étaient présentes et, au centre, se tenait une sorte de lice où s'entraînaient des combattants.

Des domestiques étaient présents sur le devant de l’entrée principale. L’inquisiteur en tête de la colonne de cavaliers salua les officiels de la reine. Tous les regards de la cour étaient tournés en direction des arrivants. Le domestique avec lequel conversait Kreisth salua l’inquisiteur avec le respect que sa fonction imposait. L’inquisiteur fit alors signe à Pierre de s’approcher.

— Je dois échanger avec mon supérieur. Je vais vous laisser entre les mains des serviteurs de la reine.

— Ainsi même un homme comme vous doit rendre des comptes.

— Que voulez-vous, jeune homme, nous avons tous un maître en ce bas monde. Ce fut un plaisir de voyager en votre compagnie, Pierre. Je vous souhaite le meilleur, mais je ne me fais pas trop de soucis. Vous voyagez avec une personne des plus atypiques et de vous deux ça doit être la plus surprenante, dit-il souriant. Je ne doute pas que nous nous recroiserons bien assez tôt.

Sur ces mots, l’inquisiteur fit signe à son capitaine qui, de sa voix rauque, intima l’ordre de départ.

— Ha, j’allais presque oublier, tenez, dit Kreisth en tendant une lettre cachetée à Pierre.

Saisissant l’objet, le jeune homme l'examina et s'apprêta à l'ouvrir avant d'être coupé dans son élan.

— Ne l'ouvrez en aucune manière, jeune Ambroise. Donnez ce document à la reine quand elle vous recevra.

À ces derniers mots, l’inquisiteur quitta Pierre en exprimant une dernière et simple phrase :

— Adieu, et que les Sauveurs vous guident.

Tournant à nouveau la tête, Pierre vit l’un des serviteurs royaux s’approcher.

— Si monseigneur veut bien me confier sa monture, nous allons vous conduire jusqu'à la reine.

Pierre donna les rênes de son cheval, vit Lise faire de même. Les deux jeunes gens suivirent un des serviteurs à l'intérieur des lieux. L’homme de taille modeste ne ménagea pas les invités. Le trio avançait rapidement dans les nombreux couloirs richement décorés. Le périple mena Pierre et Lise dans les étages supérieurs du batiment et leur guide, qui s'arrêtait dans un espace aménagé, les invita à attendre. La reine devait crouler sous les entrevues et leur présence non signalée au préalable n’allait pas faciliter les choses.

Pierre, qui attendait depuis maintenant un long moment, observait à travers l'une des fenêtres le paysage de la ville. Le port était visible au loin, les bateaux recouvraient l’espace des docks et leurs mâts étaient telle une forêt dense aux couleurs diverses. Les voiles étaient de taille, de forme et de couleurs variées. Elles témoignaient toutes de l’appartenance de leur navire. Les équipages, eux, formaient d'innombrables points à l'horizon, travaillant sur les embarcations et les vastes pontons du port.

L’attente était maintenant devenue interminable. Pierre était assis sur un banc adossé au mur. Il bordait le couloir central tandis que Lise était sur une chaise à droite de la fenêtre. Elle n’avait cependant pas eu autant de résilience ou de patience. Elle était à présent assoupie, sûrement bercée par le son des vagues lointaines. Le bruit qui interpella le plus le jeune seigneur fut celui des pas rapides martelant les pierres du couloir au loin. L’homme qui s’approchait d’eux était vêtu élégamment et il ne tarda pas à s'adresser aux invités en s'éclaircissant la voix.

— Le conseil, auquel Sa Majesté la reine a participé ces dernières heures, l'a malheureusement fatiguée, commença-t-il d’un ton poli mais soutenu. Elle vous invite donc à la rencontrer demain. Nous vous avons préparé des quartiers, si vous voulez bien me suivre.

Pierre se leva, imité par Lise qui, malgré son sommeil, semblait étonnamment alerte. Les deux jeunes gens suivirent le serviteur à travers les couloirs. Le groupe quitta au bout d’un moment les longs passages principaux et, en fin connaisseur, le guide les fit passer par les innombrables couloirs secondaires que renfermait le palais. Bientôt ils débouchèrent sur des cours intérieures. Certaines renfermaient des jardins d’autres de simples espaces dégagés.

Ils entrèrent sur un espace comprenant de nombreuses forges. Les travailleurs et autres professionnels étaient à pied d'œuvre pour armer les troupes de la reine. Les forgerons battaient le fer dans des gerbes d’étincelles et l’acier chantait sur les enclumes à chaque coup de marteau. Pierre qui progressait en dernier dans le groupe fut arrêté net lorsqu’une épée se dressa sur son chemin. La lame de cette dernière était posée contre son torse. Tournant la tête, le jeune seigneur reconnut alors un visage qu’il avait rencontré il y a un moment déjà, une éternité presque, ce visage était celui de Folcard.

— Mais que fait un noble du nord dans le palais de la reine ? Vous vous êtes perdus ou vous venez quémander quelque aide, interroga Folcard d’un sourire espiègle.

— Je…

Le jeune seigneur n’eut pas le temps de répondre que l’épée de Folcard s’abattit en sa direction. Reculant prestement, le jeune homme évita de justesse le coup, mais Folcard n’en resta pas là et commença d'autres attaques envers le jeune seigneur. Esquivant chaque coup, Pierre se saisit d’une épée dans l’un des nombreux râteliers d’armes des ateliers et tous deux échangèrent coups et feintes au milieu des forges royales.

Les deux combattants manœuvraient dans l’espace restreint des forges, usaient du terrain, des outils et armes présentes pour combattre. Le jeune seigneur d’Ambroise qui n’avait pas manqué de batailler dans les dernières semaines opposa une bonne résistance face au frère de la reine, pourtant réputé. Sur leur passage, les deux combattants furent fustigés de noms d’oiseaux par les forgerons présents. Les coups de Folcard montaient cependant en intensité et Pierre fut bien vite à la peine. Il se trouva bientôt uniquement sur la défensive et les coups échangés le bloquèrent contre l’un des murs. La lame du bâtard royal s’arrêta net sur la gorge du jeune Ambroise qui lâcha donc son arme.

— Pas si mal pour un jeune nobliau qui n’a pas encore connu le champ de bataille, dit Folcard en rigolant.

Bientôt, il rengaina son épée et gratifia Pierre d’une accolade amicale.

— J’ai eu le plaisir de vous voir jouter à Fressons. Je suis heureux de voir que vous êtes encore en vie. J’aurais été peiné d’apprendre que la lignée de Durand se soit éteinte.

— Merci, enfin je crois. Je suis content de voir que vous vous êtes échappé vous aussi en un seul morceau.

— Pourtant il s’en est fallu de peu. Léonard semblait préparer son plan depuis un moment. Je savais que ce sournois personnage prévoyait quelques actions. Mais un tel massacre était difficilement prévisible, compréhensible. Vous avez déjà rencontré ma sœur ?

— Pas encore, nous avons attendu jusqu'à maintenant mais...

— Mais elle est occupée par la guerre. Ne soyez pas trop pressé, je suis sûr qu’elle a déjà tout planifié vous concernant. Elle sera sûrement ravie de vous voir. Vous savez, votre père Durand, dans sa jeunesse, fut l’un de ses précepteurs. Cela remonte à une éternité si vous voulez mon avis. Mais bon, je ne vais pas plus vous retenir jeune homme, votre amie et le chambellan de ma sœur ont assez attendu à en juger par leurs regards. Ce fut un plaisir, nous nous reverrons bien assez vite.

— Plaisir partagé.

Sur ces mots, Pierre quitta les lieux pour suivre sa camarde et le chambellan. L’échange plus qu’étrange qu’il venait d'avoir lui donnait encore plus à réfléchir.

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