Chapitre 11: La victoire ou rien

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Pierre d’Ambroise, Place de joute royale à la capitale Fressons

La soirée plus qu'agitée marquait encore Pierre. Il s'était toutefois accordé un répit et il avait donc demandé à son jeune page de ne pas le réveiller aux premières lueurs. La journée s'annonçait radieuse, le soleil brillait déjà fort et les spectateurs du tournoi se pressaient pour pouvoir admirer la fin de la joute d'ouverture. Pierre observait la foule affluer jusqu'au gradin, après un moment de flottement, il rentra dans sa tente. Il avait une migraine, les verres de la soirée précédente s'avéraient être une mauvaise idée et il en ressentait les conséquences. Se trouvant à présent dans ses appartements du campement de tournoi, Pierre farfouillait à la recherche d'un fortifiant. Sans un bon remède sa migraine l'entraverait pour la journée à coup sûr. Il ne pouvait se le permettre. Son premier combat se déroulerait en fin de matinée, suivi par un second s'il arrivait à gagner. Il allait ensuite affronter son ami sur le champ de la lice en final s'ils se qualifiaient tout deux. Il se demandait quelles idées traversaient l'esprit de Charles en ce moment.

Mais, Pierre ne pouvait laisser son esprit divaguer sur des sujets autres que le combat. Être dans le dernier quatuor du tournoi était déjà un honneur mais il se devait d'aller le plus loin possible. Pour sa dignité et celle de sa famille. Alors qu'il cherchait depuis un certain moment, il mit enfin la main sur un sac. Il le déposa sur la table centrale et en sortit un à un les remèdes et baumes. Le sac avait été fait par le guérisseur qu'Eudric avait rencontré. Jugeant utile de vendre des produits pour la suite du tournoi, le guérisseur avait été chaleureusement remercié par Pierre. La table était maintenant couverte de bandages, potions, décoctions et autres remèdes. Lisant les écritures sur l'avant des fioles, Pierre put enfin ouvrir l'un des récipients. Mélange d'herbes médicinales, Pierre pouvait sentir une odeur plaisante, il enduisit un petit chiffon du produit et frotta son torse. Une chaleur diffuse faisait effet et les émanations du baume chatouillait les narines de Pierre. Il s'asseya sur l'une des chaises, se servit un récipient d'eau froide qu'il but à grande gorgée. Le page et les servants de Pierre n'allaient pas tarder pour les préparatifs. Reposant son flacon sur une malle, il rangea la table. Ceci fait, il put se rassoir et attendit l'arrivée de Lionel. Bien que luttant contre l'envie de fermer ses yeux, il fut emporté dans un sommeil plus que bienvenu.

Pierre fut réveillé par la voix gutturale et grave du forgeron familial. Ne sachant pas combien de temps son somme avait duré, il pouvait à présent voir de nombreuses personnes s'affairer aux préparatifs autour de lui. L'armure de plate avait été réparée et trônait sur son tréteau. Le page de Pierre, présent lui aussi, était assis dans un coin et prenait soin de l'écu de son seigneur. Armé de pigments, il tentait de retoucher le bouclier. Celui-ci arborait déjà de nombreuses marques et le blason familial s'effaçait à certains endroits. Se levant, Pierre bâilla et se dirigea vers le tréteau où son armure reposait, de sa main il caressa la surface en acier. Sa main traversant la surface touchait les traces d'usure suite aux combats passés. Son côté gauche avait souffert mais les artisans des Ambroise avaient passé de nombreuses heures à la retoucher. Leur travail était à la hauteur de leur réputation. Le domaine d'Ambroise avait toujours abrité des artisans de renom en matière de forgeage. Le jeune homme proche de l'armure appela les hommes aux alentours pour revêtir ses protections.

Le soleil se reflétait au milieu de la tente, l'ouverture de l'entrée permettait à la lumière de pénétrer dans les lieux. Pierre, ainsi revêtu de son pourpoint, se faisait attacher les épaisses pièces de plates de l'armure une à une. La lumière du soleil venait ainsi se réfléchir dans le revêtement poli de l'armure, Pierre tendit les bras et deux hommes lui enfilèrent ses lourds gants.

Serrant la main, il constata la bonne tenue de ses protections. Le temps était au rendez-vous et la foule, criant au loin, l'était plus encore. Pierre, réfléchissait au milieu de la pièce, admirait la lumière dans la tente. Ce jour serait spécial et il se sentait prêt pour le combat. Dans un cliquetis d'armure, le jeune seigneur se dirigea vers sa monture pour la joute. Il fallut tout de meme un moment pour que Pierre puisse rejoindre le lieu de l'affrontement. Le chemin lui avait permis de cogiter un certain temps sur le tournoi. Il était sûr d'une chose à présent, il avait pu défendre l'honneur de sa famille, désormais le combat restant n'était plus qu'un "plaisir secondaire". Il devait juste finir le tournoi sans se blesser comme Eudric mais il ne se laisserait pas non plus abattre facilement.

À présent à la porte nord de la lice royale, Pierre sentait une poussée de stress. Il serrait machinalement son poing et entendit le cuir de son gant grincer. Maintenant accoutumé aux affrontements sur la lice, il arrivait à garder pleine possession de ses moyens. Il n'était pas le seul à attendre sous l'imposante porte. Les quatre finalistes du tournoi d'ouverture étaient là. Charles représentant la famille Gaillot se trouvait tout à gauche. Il arborait, comme armoiries, un écu parti d'azur et d'argent avec une tête de loup en son centre. À son côté se trouvait le représentant de la famille Roncheron affichant comme emblème une tête de bouc sur fond crénelé aux couleurs du royaume lui aussi. Enfin, tout à droite à côté de Pierre, se trouvait le combattant de la famille Vistel aux armoiries de trois renards sur fond d'azur. Les quatre cavaliers se tenaient immobiles sur leurs montures, véritables statues d'acier.

La foule de servants derrière eux était quant à elle bien vivante, beaucoup parlaient et lançaient des encouragements au représentant de leur seigneur. Pierre, se tenait ainsi sur sa monture et observait la lice royale. Les lieux ne s'étaient pas vidés depuis la première visite de Pierre. C'était son frère qui était à cheval et lui sur le côté. Maintenant que les rôles étaient changés, un poids lourd pesait sur ses épaules. Il savait que ses responsabilités importantes disparaîtraient lorsqu'il se serait élancé avec sa monture. L'attention du jeune seigneur fut alors happée par des écuyers se dirigeant devant les cavaliers. Chacun portait un étendard aux armoiries de leur maison. Les combats allaient bientôt avoir lieu. La foule grondante criait tandis que le héraut royal annonçait les combattants tour à tour. L'orchestre de la lice agissait comme un élément électrisant pour les spectateurs qui, galvanisés par le son, se faisaient remarquer plus encore par leurs clameurs. Les cors se firent alors entendre et, comme d'un seul homme, les étendards des familles entrèrent dans la lice, suivis par les cavaliers. Saluant la foule pour certains, les combattants étaient équipés entièrement et avaient une certaine prestance ainsi appareillés.

Ils faisaient un tour d'honneur sur la lice, les cavaliers pouvaient goûter à la liesse qui émanait des spectateurs. Chacun d'eux n'avait qu'une envie, voir un vainqueur entre ces quatre jeunes seigneurs. Outre le respect du petit peuple et d'une somme sonnante et trébuchante, le gagnant se verrait honoré par la famille royale. Ce qui s'apparentait à un spectacle se révèlerait bientôt être un affrontement acharné entre les familles nobles du royaume. Les cavaliers, après leur tour d'honneur, vinrent protocolairement se placer devant la tribune royale. Cette fois, point de rubans, la princesse prit la parole. Après un nouveau son de cor, la foule se tut comme un seul homme et la princesse put s'adresser aux participants. Ne l'ayant jamais approché, la princesse fit bonne impression à Pierre. Dans son heaume il ne put cependant entendre distinctement le discours. Sa forte respiration résonnait dans les parois d'acier. Au bout d'un discours bref mais intense, les cavaliers saluèrent la princesse et se dirigèrent vers les stands pour le premier combat. Les deux hommes qui marqueraient le plus de points entre les quatre participants se verraient accéder à la grande finale. Les juges tirèrent alors au sort les adversaires avant de placer leurs écus sur le mur derrière eux. Bien qu'il eut été intéressant de combattre Charles, Pierre désirait l'éviter pour cette phase éliminatoire. S'ils devaient s'affronter, l'un d'eux perdrait la face devant les nobles du royaume et leur amitié se retrouverait impactée par cela.

Priant alors Beorth pour un vote favorable, il attendait la décision des juges. Homme peu porté sur les divinités, Pierre priait rarement, lors d'occasions particulières. Cette fois, il avait besoin de l'aide des Sauveurs pour ne pas affronter son ami. Pierre connaissait les qualités martiales de Charles, de plus il avait peur de ne pas se donner entièrement dans le combat s'il devait l'affronter. Retenant son souffle comme la quasi-totalité des personnes de la lice, il vit les juges accrocher les blasons sur le mur pour les deux derniers combats qui afficheraient les finalistes parmi le meilleur des quatre jeunes hommes. Le combat de blason à gauche du tableau montrait la famille Roncheron et Gaillot, le blason de Pierre fut donc placé à droite avec celui de la famille Vistel. Laissant s'échapper un souffle de répit, il se dirigea vers la barricade pour attendre son combat et observer celui de son ami, qu'heureusement il n'affrontait pas, du moins pour le moment.

Charles ne fit preuve d'aucune pitié dans son combat, le représentant des Roncheron parvint au début à tenir la distance et lui répondit avec force. Au fur et à mesure des passes, Charles put faire étalage de ses talents martiaux. Il mit à terre son adversaire à la cinquième passe. Le Roncheron fut arraché de ses étriers avec une brutalité encore rarement atteinte dans le tournoi. Gisant à terre il était emporté par des soignants et Charles, acclamé, fit un tour d'honneur. Sa passe d'armes plus que convaincante lui assurait la victoire du tournoi en cas d'égalité en finale, il en était conscient ainsi que les spectateurs des lieux. Quittant la place de la lice, il fit un signe d'encouragement à Pierre et s'en alla retirer son armure à sa tente. Pierre et son adversaire s'avancèrent donc à la vue de tout le monde. Il était conscient de la qualité de son adversaire, ses feintes ne sauraient lui décrocher la victoire. Cependant, il désirait vendre chèrement sa peau. Les deux cavaliers saluèrent la foule et la tribune royale. Se faisant à présent face, ils attendaient donc l'ordre de départ tandis que leurs servants respectifs les armaient.

Pierre serra fermement sa lance, un certain stress montait en lui. Il tourna son regard vers la tribune royale puis vers les juges. Le drapeau se baissa et les deux cavaliers s'élancèrent. Pierre fut pris dans un sentiment qu'il connaissait à présent plus que bien. Il était comme en suspension, son cheval le transportait machinalement vers le cavalier adverse. Sa lance lourde lui pesait de plus en plus, les combats précédents avaient laissé leurs traces sur son corps. Il avait laissé son esprit s'égarer pendant un court moment, mais il redirigea complètement son attention sur l'adversaire et, en une microseconde, les deux hommes furent à portée. Pierre puisa dans toute sa lucidité pour diriger sa lance vers son adversaire. Les deux cavaliers rentrèrent en contact et les deux lances touchèrent leur cible mais glissèrent sur les protections. La foule tonitruante saluait la passe. Ne sachant pas si la chance ou si le talent avait joué, Pierre se remit en position sans avoir un moment pour réfléchir à son prochain coup. Son adversaire était réputé, cependant Pierre semblait être à la hauteur. L'expérience engrangée depuis le début du tournoi lui avait peut-être permis de devenir un bon compétiteur après tout. Il se mit même à espérer une victoire.

Le drapeau du juge tomba et les deux cavaliers s'élancèrent à nouveau.

Les passes se succédèrent et aucun des adversaires ne laissa l'autre prendre l'avantage, Vistel se battait avec une force presque surhumaine. Pierre quant à lui se battait avec son coeur. De toutes ses forces, il opposait à Vistel un combat acharné.

Les deux cavaliers s'élancèrent pour un nouvel assaut. Pierre, qui avait étudié le jeu de son adversaire au fil des passes, avait cru déceler une faille. Vistel tenait son écu un tout petit peu haut. Si Pierre s'avançait assez il pouvait baisser sa lance pour l'atteindre sous son écu. Un tel mouvement pourrait même le mettre à égalité avec Charles. Après le contact avec son adversaire, Pierre tenta sa nouvelle approche. La faille de Vistel s'avérait être toujours présente et la lance de Pierre se dirigeait dessus. Un battement de cil avant le contact, Pierre plaça sa lance en direction de l'interstice, cependant il vit au dernier moment son adversaire s'avancer. L'ouverture de Vistel s'avérait être une feinte, Pierre ne pouvait cependant pas changer son angle d'approche. Il serra les flancs de sa monture pour amortir l'impact et redressa son arme pour se diriger au dernier moment vers l'écu de Vistel.

Les deux lances trouvèrent leur cible, mais contrairement aux espérances des concurrents, elles firent vider les étriers aux deux cavaliers.

Pierre fut projeté par un impact violent porté à sa gauche. Bien que préparé au choc, il fut arraché à son cheval. Il entra en contact avec le sol de la lice dans un grand bruit d'écrasement. Le choc lui coupa le souffle et, sa tête cognant le sol, lui fit tourner de l'oeil. Haletant au sol, il gisait sans mouvement. Un voile noir s'était emparé de sa vision. Sa tête lui fit éprouver une intense douleur. Reprenant son souffle, il grognait à terre en tentant de reprendre pleine possession de ses moyens. Dans un mouvement plus que haché, il parvint à se mettre sur ses genoux avec une grande difficulté des plus grandes. Ses grognements résonnaient à l'intérieur du heaume d'acier, des larmes de douleur lui coulaient sur les joues. Son corps le faisait souffrir en tout lieu.

Reprenant possession de ses pensées et de sa vue, il chercha Vistel du regard. Il put l'apercevoir à l'opposé de lui. Tout comme Pierre, il était à terre dans son armure intégrale. Roulant sur lui même, il tentait de se mettre debout ou du moins de se dresser sur ses genoux. Les pensées fusèrent dans la tête souffrante de Pierre. Avec cette mise à terre, il pouvait dire adieux à la victoire du tournoi, cependant son adversaire était à présent au même niveau. Si Pierre se souvenait bien de ses cours avec son instructeur, il se rappelait que deux chevaliers à terre pouvaient, s'ils le voulaient, éviter l'égalité. Pour ce faire ils devaient s'affronter à pied jusqu'à que l'un d'eux n'abdique. L'idée avait dû passer dans l'esprit de Vistel car il se tenait à présent debout. Faisant de même, Pierre se dressa tant bien que mal sur ses jambes tremblantes .

Les deux colosses d'acier se toisaient à distance. Vistel tendit son bras droit et un serviteur accouru avec une épée. Pierre ne perdant pas un instant, fit de même. Son jeune page accourut comme si le Créateur lui-même était à ses trousses. Il tendit à Pierre une épée dans son fourreau. Pierre dégaina celle-ci et la pointa en direction de son adversaire en signe de défi. Vistel, comme énergisé par ce signe, fit tourner ses épaules et bougea sa tête comme pour s'échauffer. Il se dirigea alors droit sur Pierre comme si les douleurs étaient invisibles à ses sens. Pierre ressentit un pic d'adrénaline et s'avança à son tour sur Vistel en arborant une garde basse. Vistel quant à lui se lança sur Pierre avec une posture d'arme au-dessus de sa tête. Il abattit son épée droit en direction de Pierre, en un coup de taille bien choisi.

Déviant l'épée dans un moulinet Pierre tourna autour de son adversaire. Ce simple mouvement essouffla Pierre et il devait en être de même pour Vistel. Se jetant l'un sur l'autre, les mouvements au début chorégraphiés des deux hommes changèrent. Les coups furent de plus en plus aléatoires et imprécis, les coups d'estoc se changèrent en coups de taille. Les deux hommes en armure se jetaient l'un sur l'autre comme pris par le désespoir de l'instant. Pierre, qui était au contact de Vistel, pouvait entendre sa respiration haletante à travers les ouvertures du casque. L'héritier d'Ambroise n'était pas en reste et se battait avec de plus en plus de difficultés. La douleur se réveillait petit à petit et son corps devenait plus lourd à chaque coup porté. Les deux hommes épuisés se tournaient à présent autour. Dans une posture baissée tant pour la défense que par la fatigue ils s'observaient.

Comme pris d'un élan de désespoir, Pierre chargea en avant de toutes ses forces. Il fit pleuvoir ses coups sur son adversaire. Vistel, parant les coups avec rapidité, laissait Pierre s'aventurer plus en avant jusqu'au moment où il vit une ouverture dans l'attaque. D'un coup rapide et sûr, il frappa le casque de Pierre au niveau de la tempe et c'est alors que le monde autour de Pierre s'évanouit.

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