Chapitre 5: En route pour la capitale

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Pierre d’Ambroise, périphérie de la Capitale Fressons

Les mouvements du cheval de Pierre étaient devenus machinaux, son animal était pour lui comme un prolongement de sa personne. Les journées de voyage jusqu'à la capitale avaient été longues. Le trajet plus qu'éprouvant n’avait pas épargné les bêtes et hommes du convoi. L'impressionnante colonne de chariots était variée. De nombreux hommes d’armes voyageaient autour de ceux-ci à cheval ou parfois à pied. Les carioles en grand nombre étaient chargés d'objets ou bien même de servants et domestiques de la famille. Durand ouvrait fièrement la marche avec ses hommes de confiance, les étendards aux couleurs d’Ambroise flottaient le long du convoi. Pierre quant à lui fermait la colonne avec son ami Charles et quelques hommes.

Le froid qui persistait au Nord dans les terres du domaine avait fait place peu à peu à une chaleur. Avec l'avancée du convoi, Pierre qui n'était pas habitué à de telles températures, éprouvait un certain inconfort. Il s’était déjà séparé de sa longue cape en peau de loup et portait maintenant des vêtements légers. Il pouvait remercier les servants de la famille qui avaient emporté avec eux un assortiment d'habits plus que conséquent.

Délaissant sa chemise de laine, il pouvait observer les hommes qui fermaient la marche avec lui. Charles chevauchait à sa gauche et n’était pas plus à son aise que lui. Ayant gardé sa longue tenue familiale, son front perlait maintenant à grosses gouttes. Et ce n’était pas le seul, les hommes d’armes qui se trouvaient avec lui ne pouvaient pas enlever leurs équipements et souffraient dans leurs gambisons et cottes de mailles. Le sergent qui se trouvait proche de Pierre n’avait pas fière allure, n'ayant plus une seule goutte d’eau, il avait demandé la gourde de Pierre qui la lui avait alors tendue amicalement.

Pierre, malgré le soleil qui ne cessait de grimper jusqu'à son zénith, se réconforta dans un sens. Les paysans et badauds avec lesquels il avait pu échanger lui avaient bien confirmé que cette fin de printemps était d’une rare chaleur.

Le jeune homme qui ne s'était jamais aventuré si loin de ses terres n’était pas accoutumé à un changement de temps si radical. Les paysages avaient été variés ainsi que la population en elle-même. Pierre avait étudié les longues routes du royaume sur des cartes et les parcourir lui donna une force permettant de relativiser ses propres souffrances. Depuis quelques heures déjà, la troupe de Pierre s'était extirpée des imposantes forêts du Corvin et s'aventurait à présent dans des villages de plus en plus peuplés. Pierre le savait, leur périple touchait à sa fin. Les bourgs qu’ils avaient traversés arboraient tous des panneaux pointant la direction prise par le convoi. La pancarte affichait de grandes lettres que Pierre n'eut aucune difficulté à déchiffrer ; Fressons.

La capitale du Royaume était enfin à portée. Pierre ne pouvait maintenant plus cacher son excitation. Il fut alors interpellé par le sergent qui se rapprochait de lui sur son destrier. L’homme lui tendit sa gourde. S'éclaircissant la voix, ce dernier s’adressa à l'héritier de son seigneur.

— M’sieur, tenez vot'gourde, je vous la rends avant d’la finir totalement.

Pierre, à cette annonce, lui sourit d’un air amusé et répliqua :

— Vous savez sergent, ou plutôt devrais-je dire Otton, vous pouviez la finir je ne me serais point courroucé.

Le sergent, gêné, lui sourit de même.

— Je ne me s'rais pas permis de vous laisser assoiffé, M’sieur. En plus je dois vous avouer que ce n’est pas mon plus gros problème ; le sergent qui commençait à se remuer sur sa selle continua. Le vrai problème M’sieur, c’est cette vieille selle qui commence à me labourer l’arrière-train.

À cette déclaration, Pierre et Charles furent pris d’un fou rire bientôt suivi par Otton et ses hommes. Une certaine légèreté avait pris le groupe d’arrière-garde. Pierre, qui n’y était pas opposé, était heureux.

La forme colorée que Pierre ne pouvait qu’entrapercevoir auparavant était de plus en plus claire. Véritable mirage au loin, le jeune homme pouvait maintenant distinguer de hauts murs en pierres.

Le convoi cheminait à présent dans ce qui semblait être la périphérie. L’endroit était couvert de petites masures en bois. L’activité marchande de la ville était déjà visible à ce stade. Pierre se prit d'intérêt pour un grand groupe de personnes. Ceux-ci se dirigeaient vers une vaste place aménagée à côté de la route. Les nombreuses personnes déjà présentes s’agitaient autour de hauts fours. Il s’agissait à première vue de l’activité principale du quartier, des dessins de briques étaient peints sur les murs et des enseignes travaillées renseignaient sur l’activité des lieux. La briqueterie qui tournait à plein régime crachait d’épaisses volutes de fumée noire. Les nombreuses scieries que Pierre avait vues les jours auparavant devaient servir à faire tourner ces impressionnantes installations.

Les chariots qui déversaient leur matière première, étaient réceptionnés par des groupes d’enfants. Ces derniers étaient en piteux état, étant sûrement envoyés par leur famille pour les plus chanceux. Les autres orphelins devaient vivre à même le sol des installations. Les groupes d’enfants qui se saisissaient des morceaux bruts les pétrissaient à la force de leurs pieds dans de grands bacs d’eau. Leurs mouvements rappelaient à Pierre les fêtes d’hivers où la population du domaine d’Ambroise dansait dans de grandes places aménagées dans les villages. L’argile ainsi préparée par cette main d'oeuvre infantile était acheminée et entreposée pour son étape suivante.

Des hommes endurcis par une longue vie de labeur s’agitaient autour des fours et passaient à l’étape finale. La cuisson s'opérait quand le nombre de briques sèches était suffisant. Elles étaient alors empilées selon le même principe à l'intérieur du four, par une étroite ouverture verticale aménagée dans un des côtés. Ce genre de spectacle que proposait la fabrique était rare pour Pierre, voire inexistant dans les terres qu’il avait arpentées jusque-là. À présent que le convoi quittait le quartier de briquetier, Pierre pouvait admirer les murailles de la ville. Si le château d’Ambroise paraissait aux yeux de certains comme un chef-d’oeuvre de défense militaire, il n'arrivait pas à égaler la structure défensive de Fressons. Les murs étaient assemblés par de grandes pierres de taille et comprenaient des renforcements sur tout son long.

Des infrastructures de plusieurs étages parcouraient le haut des murailles. Des drapeaux flottaient le long de celles-ci dans un va-et-vient presque rythmique. Le convoi se trouva rapidement serré parmi la masse de personnes agglutinées sur la route. Une cacophonie régnait sur les lieux. Le convoi avançait lentement à travers la marée humaine qui l’entourait. Les gardes d’Ambroise, sur le qui-vive, essayaient de maintenir une distance entre les chariots et la populace des alentours. Le bruit était tel que Pierre n’arrivait pas à entendre les phrases prononcées par les hommes autour de lui. Le flux était drainé par une largeur de route de plus en plus petite. L’ombre de la Porte enveloppait à présent la portion de route où se trouvait Pierre. Bien qu’il ait été émerveillé par la majesté des murs, il l’était encore plus par l’imposante entrée de la capitale. Celle-ci était en fait composée d'un grand battant central et de deux plus petits qui la bordaient. Des étages successifs de pierre s'élevaient au-dessus des portes. Arrivé à mi-hauteur commençait alors une infrastructure complexe en bois et pierre avant de se finir par un haut toit dont Pierre n’arrivait plus à voir la fin à présent. À portée de l’entrée de la ville, il apercevait les premiers hommes en armes des lieux. S’agissant de gardes, ils étaient armés de longues lances, et tentaient de trier la foule à l’entrée. Les gardes étaient drapés dans un long mantel. Ils arboraient un casque en chapelle de fer décoré des couleurs royales. Pierre fut extirpé de ces observations quand le convoi s'arrêta.

Au loin, le seigneur Durand tendait un objet aux gardes devant lui. À cette distance, Pierre ne pouvait voir avec précision ce dont il s’agissait. Il se rappela alors la missive royale et du sauf-conduit qu’il contenait. Un messager appointé par la couronne était venu apporter ces effets au château d’Ambroise il y a quelques semaines déjà.

Il ne fallut que quelques secondes aux gardes pour réagir à la missive, celui qui s’était saisi de la lettre cria des ordres et, en peu de temps, les nombreux soldats s'exécutèrent.

Les hommes s'exerçant de concert, libérèrent le passage. Poussant la populace, ils créèrent un chemin pour le convoi. Voyant cela, Durand fit avancer sa monture d’un léger coup d'éperons et la troupe se remit en branle.

Pierre traversa enfin la porte, le choc qu’il avait eu en regardant la devanture de celle-ci n’était rien en comparaison de la capitale qui se dévoilait alors devant lui.

La ville, couverte de pierres et de briques, présentait un pavement décoré à certains endroits. Relevant la tête il étudia les maisons. La plupart étaient à colombage. Le bruit qui s’était fait oppressant à la porte commençait enfin à être supportable. La rue se peuplait d’une animation incroyable. Pour Pierre le convoi semblait être un bateau voguant à travers le flot de badauds. Le jeune homme, au fur et à mesure de la progression du convoi, entendait des langues inconnues.

Après pas moins d’une demi-heure qui s'avérait être interminable, le convoi s’engouffra dans une muraille intérieure de la ville. Gravissant une montée, il pénétra dans la ville haute. L’endroit regorgeait d’échoppes, d'ambassades et de palais. S’étant aventuré plus en avant dans le quartier, le convoi s’approchait de sa destination. Depuis sa position, Pierre voyait enfin ce qui faisait la fierté de Fressons, le palais royal et le palais de l’Eclésiarchie se tenaient fièrement au loin.

Ne lui laissant pas plus de temps pour admirer ces monuments, le convoi entra dans un des grands manoirs que la garde de la ville maintenait ouverts. Un à un, les chariots et cavaliers disparurent de la rue pour s'agglutiner dans une imposante cour intérieure.

Pierre, voyant l'arrêt complet du convoi, dirigea son cheval vers ce qui s'apparentait à des écuries. Posant enfin pied à terre, ses longues journées de route se rappelèrent à lui douloureusement. Il attacha les rênes de sa monture, posa une main contre une des poutres de la structure et s'étira comme il le pouvait. Ses muscles étaient tous endoloris. Souriant, il se rappela la phrase du sergent plus tôt et était heureux de quitter lui aussi sa maudite selle.

Enlevant ses gants, il les posa sur une des barrières de l'écurie, Charles qui s'était approché fit de même. Ce dernier sortit sa gourde et but une rasade d’eau avant de la tendre à son ami qui ne se priva pas de la finir.

— Sacrée ville, hein Charles, commença Pierre.

— Sacré bazar oui, tu as vu le temps qu’on a mis pour la traverser ? Ce n’est pas un endroit où vivre, on dirait un poulailler. Et les rues, tu as vu la propreté ? Hum, le vrai nord me manque déjà, répliqua Charles d’un air dépité.

— Tu vas rejoindre ta famille, Charles, je pense qu’ils ont dû arriver bien avant nous, continua Pierre en rendant sa gourde à son ami.

— Oui, je vais d’abord essayer de trouver ton père et le remercier. Après je me sauve.

Pierre regarda alors par-dessus l’épaule de Charles et vit Durand se diriger droit sur eux. Le jeune Ambroise dit alors à voix basse.

— Je crois bien que tu n’auras même pas à faire d’effort regarde, dit-il en montrant son père en approche.

Durand, comme à son habitude, arborait un air plutôt content mais sérieux.

— Alors fils, que penses-tu de la capitale, comprends-tu pourquoi je l'évite à présent ?

Pierre n’eut pas le temps de répondre et fut doublé par Charles.

— Votre fils que voici est plutôt intéressé par la ville, ceci dit, entre nous, je trouve cet endroit plutôt sale et surpeuplé. Je vais rejoindre ma famille qui doit être logée dans les environs. J’aimerais donc avant de vous quitter vous remercier personnellement, mon seigneur, pour votre générosité ce dernier mois.

Après ses mots, Charles baissa respectueusement la tête avant que Durand ne répondît d'emblée.

— Ce n’est rien, Charles ; ta présence sera toujours la bienvenue sous mon toit. Va donc rejoindre ta famille, il doit te tarder de les voir à présent (Durand émit alors une légère pause avant de continuer en s’adressant à Pierre) Quant à toi, mon fils, j’espère que tu te sens d’attaque, demain commence le tournoi des jeunes nobles et tu vas devoir y participer si ton frère ne se montre pas à la hauteur. J’ai décidé qu’Eudric représenterait notre famille pour le début des festivités. Je te garde sous la main pour le reste du tournoi si besoin.

Durand se tourna alors prestement vers la cour en ébullition. Il se mit d’une voix impérieuse à lancer des ordres et Pierre regardait Charles.

— Je suppose que l’on se reverra demain.

— À demain, dit Charles en s'éloignant. Il se retourna alors pour s’adresser une dernière fois à son ami. Demain sera peut-être le jour où tu arriveras à me battre, mon cher Pierre.

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