Chapitre 45: Face à la mort et aux dieux

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Pierre d’Ambroise

Mardi 9 du mois de Juin de l’an de grâce 1205 AE.

Domaine de Villeurves ; après la prière des Complies

Royaume du Corvin

Quand Pierre ouvrit les yeux, son regard se porta sur un monde bien sombre. La nuit avait dû s’abattre sur le domaine de Villeurves. La lune pleine et haute dans le ciel éclairait la forêt sauvage de sa lumière blanche et Pierre, immobile sur le sol, pouvait entendre le courant d’eau de la rivière proche de lui. La rivière dans laquelle son corps reposait, immobile. Incapable de bouger sur lui-même, il sentait cette même eau contre le côté de son visage posé sur le lit de la rivière. Son corps qui s’était fait absent lors de son réveil revint à lui petit à petit, comme si son esprit s’était éveillé prématurément face au reste de son corps. Il commença alors à sentir une douleur diffuse et sa respiration saccadée fit des remous dans la fine couche d’eau proche de son visage, créant des ronds et ondulations sur la surface de l’eau.

Après avoir pris le temps de se remettre de son réveil, Pierre sentit comme une sensation pesante. Son corps, son esprit lui dictait de se laisser aller. De s’endormir et d’oublier la douleur que son corps lui faisait endurer.

Mais avec son vécu récent, son esprit s’était endurci. Il était aguerri et bien différent du jeune homme qui avait quitté le domaine d’Ambroise il y a quelques mois de ça. Faisant appel à toute sa force et à toute sa détermination, il resta éveillé et tenta alors de faire bouger son corps inerte.

Regardant son bras gauche, il tenta de l’actionner en se concentrant. Il fixa son membre et essaya de redonner vie à son bras, son corps. Au prix d’un effort surhumain qui lui valut un souffle bien saccadé, il réussit à bouger sa main et bientôt le reste de son bras. Il passa ensuite un long moment à répéter la chose et quand il put enfin bouger la totalité de son corps endolori, il se mit péniblement à genoux sur la berge. Les jambes dans le courant d’eau de la rivière.

Il resta ainsi un moment immobile, fixant son reflet, son visage dans l’eau claire et limpide de la rivière. Il fut tiré de cet état par une voix étrange, comme inopportune parmi le cadre sauvage et nocturne de la forêt avoisinante.

— Pierre, fit une voix presque féminine mais surnaturelle par son intonation calme qui donnait une sensation de quiétude.

Quand ce dernier releva la tête vers cette voix, il fut d’abord comme ébloui par une lumière vive. Une lumière vive et blanche qui aurait pu être confondue avec la lune ou toute autre source de lumière aussi pure dans le cadre sombre de la nuit.

Son regard qui s’adapta petit à petit à cette lumière vit bientôt une forme se dessiner. Le regard du jeune homme s’attarda alors sur le visage, d’abord sur les lèvres de l’apparition, de la forme, puis sur ses yeux bleus.

Une femme se tenait là devant lui. Les traits du visage jeune mais au regard pourtant bien assuré. Les cheveux de cette femme, blonds, descendaient sur l’une de ses épaules et sur la robe blanche qu’elle portait. Cet habit fin et rehaussé de liserés d’or était balloté par la légère brise qui sortait de la forêt bordant le cours d’eau.

— Ton royaume a besoin de toi, debout chevalier. Là n’est pas la fin de ton voyage, mais bien le début. Beaucoup de choses sont à venir. Mais peu auront le courage d’agir, finit la femme en tendant son bras pour encourager le jeune homme à se relever.

Pierre ainsi aidé, se leva, le regard embêté et perdu face à ce qui se passait. Bien vite cette personne disparut, s’évapora en une myriade de fragments blancs et dorés emportés par la brise du vent. La main qui avait aidé Pierre, qu’il serrait encore, fit place à une branche d’arbre. La forme féminine s’était volatilisée dans un faisceau d’énergie blanc qui avait alors laissé place à toute autre chose. Un arbre était apparu à la place de la forme féminine, à l’emplacement même occupé par cette dernière.

Pierre debout, seul dans la nuit, était alors immobile et tentait de comprendre ce qui venait de se passer. Garçon intelligent et pourvu d’une bonne éducation, il connaissait par cœur les représentations des Sauveurs. D’un naturel bien rationnel, ses dernières expériences l’avaient mené à reconsidérer le monde qui l’entourait et le champ des possibles. Le surnaturel qui entourait l’homme et le monde.

— Dalia !? réussit à articuler le jeune homme qui se souvenait par cœur des noms des Sauveurs et de la première née d’entre eux.

Mais rien ne répondit face au nom qu’il venait d’évoquer, rien à part le vide, le bruissement des arbres de la forêt et le vent qui emportait ses mots.

Tournant son regard de droite à gauche, il aperçut une autre source de lumière vers la lisière de la forêt non loin de l’endroit où il se tenait.

Cette nouvelle lumière orangée était encore plus étrange que la lumière blanche de l’apparition qui venait d’avoir lieu. Secouant la tête comme pour être sûr d’être lui-même et bien conscient, il se dirigea vers le halo de lumière qui se dessinait à travers les branchages de la forêt. Il marchait lentement du fait de ses blessures et marques. Le jeune homme avançait en poussant branches et feuilles qui se dressaient sur son chemin.

Il fit alors apparition dans une trouée de la forêt et face à lui se dessina un feu de camp. Deux hommes étaient autour d'un feu. L’un des deux était assis, tournant le dos à Pierre. L’autre à l’opposé du jeune homme était quant à lui encapuchonné. Malgré la lumière du foyer contre la forme de l’homme, son visage était invisible, dissimulé sous une longue cape noire, une cape qui d’ailleurs le recouvrait entièrement. Cette forme était ainsi posé là, en train d’affuter une lame d’un geste lent et répété. La pierre à aiguiser fermement tenue d’une main et la longue épée pointe dans le sol, qui laissait quelques étincelles s’échapper à chaque passage de la pierre.

Amenant sa tête et son regard vers la figure qui lui tournait le dos, celle qui lui était le plus proche, le jeune Ambroise s’avança. Pierre arriva bientôt aux abords du camp composé d’un petit brasier et de tronc d’arbre couché et s’arrêta aux côtés de la première figure. L’homme alors à mis hauteur se tourna quelque peu vers l’arrivant, le regard de Pierre fut attiré par la face de l’homme. Les traits d’un homme âgé mais vigoureux faisaient leurs apparitions et à mesure que Pierre observait, une sensation bien étrange le prit à nouveau. Le visage était bien celui d’un de ses proches. C’était celui de son père, Durand.

— Père !? dit alors le jeune Ambroise d’une voix tremblante et peu assurée.

L’homme installé et souriant invita Pierre à s'asseoir proche de lui d’un signe de main.

Ne perdant pas plus de temps, le jeune homme s’exécuta et se placa sur le même tronc d’arbre que son père, le serrant dans ses bras. Mais au lieu d’une chaleur humaine réconfortante, il ne sentit rien. Rien à part le froid.

Desserrant son père, il regarda Durand dans les yeux mais n’arrivait pas à décerner quelques réactions ou traces de vies. Le regard de l’ancien seigneur d’Ambroise était à présent vide.

— Père, que fais-tu ici ? Tu n’es plus censé être mort… Suis-je mort moi aussi ? articula Pierre d’une voix tremblante.

Mais aucune réponse ne parvient au jeune seigneur qui ne comprenait plus rien à ce qui lui arrivait. Son père, si tant est que ce soit bien lui, se contentait de rester assis là, les yeux vert le lointain laissant Pierre sans réponse, sans interlocuteur et plus perdu que jamais.

Il devait rêver, ou bien être mort, c'est ce que se disait Pierre intérieurement. La première hypothèse était celle qui le rassurait le plus mais pourtant la seconde semblait bien réelle face à ce qui se déroulait.

Le crissement de la lame et de la pierre du second occupant du camp, qui avait accompagné toute la scène depuis le début, cessa petit à petit. Le jeune homme qui était en prise avec ses pensées remarqua la chose et se tourna alors vers la figure encapuchoné qui s’était fait bien discret jusqu’à maintenant.

Alors qu'il se tenait là, immobile, le sentiment de vide oppressant qu’il avait ressenti aux côtés de son père se fit de plus en plus présent. Regardant fixement la forme, l’homme encapuchonné, Pierre vit alors ces yeux. Des yeux vifs presque orangés. Comparable aux feux crépitant non loin.

Leurs regards se croisant, l’homme se leva l’épée à la main et cette dernière s’enflamma dans une gerbe de flamme. L’homme semblait à présent bien grand, imposant face au jeune homme assis en face de lui.

Il fit quelques pas en direction du seigneur d’Ambroise et planta son épée dans le sol.

— Là n’est pas ta place, pas encore, fit l’homme d’une voix puissante presque oppressante qui fit se recroqueviller Pierre, se bouchant les oreilles par la même occasion. Ton destin n’est pas de t’arrêter ici, VA ! finit l’homme encapuchonné.

Malgré les oreilles bouchées de ses mains, le jeune seigneur d’Ambroise continuait d’entendre la voix de l’étranger qui résonna bientôt en lui. La figure le pointa alors du doigt et tout devint noir autour du jeune homme qui fut alors entrainé dans l’obscurité et la peur.

Mais une autre voix se mêla au tout déjà bien difficile à supporter.

— Pierre, Pierre ! fit la nouvelle voix. Pierre !

À chaque énonciation de son prénom, le jeune homme arrivait à reconnaître la voix mais ne se rappelait pas le nom de son possesseur et bientôt tout autour de Pierre tourna. Tout tournait tout l’agressait et c'est alors que le regard du jeune seigneur s’ouvrit dans un endroit bien différent mais pourtant identique au lieu qu’il venait de quitter.

La nuit s’était là aussi abattue sur le monde qui l’entourait. À nouveau immobile il sentait quelqu’un le remuer, le bouger pour le réveiller. Le regard du jeune homme était face au ciel sombre et étoilé, éclairé par la pleine lune, tournant son regard il vit alors Cothyard agenouillé proche de lui.

Se redressant comme il le pouvait malgré la douleur qu’il ressentait, il put voir la rivière non loin. La même rivière qu’il avait vue plus tôt, qu’il avait cru voir et sentir. Mais cette fois des traces étaient marquées au sol depuis le lit d’eau de la rivière jusqu’à la place occupée par le jeune homme.

Cothyard avait dû le traîner pour le sortir de l’eau. Mais que venait-il de se passer ? Avait-il simplement rêvé ou avait-il vu un autre espace pendant le temps qu’il avait passé inconscient. Avait-il vraiment vu la grande Dalia et le puissant Beorth, deux des Sauveurs.

Il n’était sûr de rien mais pendant qu'il se remît enfin de ce qu’il venait de lui arriver. Cothyard prit à nouveau la parole.

— Eh bien, tu t’accrochais comme une tique ! J’ai peiné à te sortir de la rivière. Je ne pensais pas que tu étais aussi lourd, fit l’homme dans un grand sourire, sûrement rassuré par Pierre qui avait repris connaissance. Un peu plus et « ce grand-duc » aurait pris la vie de notre nouveau seigneur.

— Et quel chagrin ça t’aurait causé, reprit Pierre d’une voix faible mais d’un regard et sourire amical.

— Tu sais, je me fais enfin à ta présence, et tu n’es pas une mauvaise personne au final.

— Par contre toi tu es bien pire que ce que je me figurais. Quelle idée d’attaquer seul la bête à pied ?

— Et quelle idée de foncer sur ce pont à cheval !

Bien que le ton montait, les deux hommes étaient à présent rassurés, l’un comme l’autre. Cothyard aida Pierre à se redresser, toujours plié sur lui-même par la douleur.

— On dirait que tu as eu plus de chance que moi dans la chute, Cothyard.

— Il faut uniquement remercier la bête. Son corps a ralenti ma chute. Par contre toi, tu as filé à pic dans le vide avec ton foutu canasson.

Voyant le regard du jeune seigneur perdu quant au rappel du cheval, Cothyard reprit.

— Il n’a pas dû souffrir mais plutôt mourir sur le coup tu sais, je t’ai retrouvé grâce à lui et j’ai bien eu peur de te retrouver dans le même état.

— Remercions les Sauveurs que ce ne soit pas le cas, répondit Pierre d’une façon bien ironique après ce qu’il venait de vivre. À en juger par la lune, on a dû rester longtemps inconscients.

— On dirait, le reste du groupe de chasse a dû rentrer alerter le village pour lancer une battue.

Mais Cothyard n’avait pas fini sa phrase que des jappements se firent entendre au loin. Pas les jappements des chiens de chasse, mais de bêtes bien plus imposantes au vue de leurs aboiements.

Pierre, perplexe face à ces bruits, regarda Cothyard qui lui, tout sourire, continuait d’écouter les jappements.

— Tu reconnais ces chiens ? demanda le jeune homme.

— Pour sûr, ce sont les chiens des deux jumeaux, comme si l’évidence de la chose sautait aux yeux de Pierre.

— Les jumeaux ?

— Oui, des cousins éloignés. Ils étaient en voyage dans l’est pour escorter une caravane de la guilde du bois. Je ne pensais pas les revoir si tôt. On dirait que dans nos malheurs, la chance nous sourit un peu.

— Parfait, encore plus de Praviens comme toi, répondit le jeune seigneur d’Ambroise ironiquement.

— Ho non, détrompe-toi. Je suis plutôt ordinaire comparés à eux deux. Avec des amis comme ça, pas besoin d’ennemis !

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