Chapitre 37: La seigneurie de Praveen

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Pierre d’Ambroise

Lundi 8 du mois de Juin de l’an de grâce 1205 AE.

Route de l’est ; après la prière de None

Royaume du Corvin

Pierre et Lise avaient quitté la capitale depuis maintenant plus de dix jours. Bien que court, le passage à Périssier avait été bien apprécié après les nombreuses semaines agitées qu’ils avaient tous deux connues. Le confort des chambres du palais avait à nouveau fait place aux auberges et campements à la belle étoile. À ceci près qu’il n’était plus pressé par quelques impératifs ou missions. Ils n’étaient plus pressés par la menace des covens, par l’inquisition ou par une rencontre avec la reine. Si Lise ne laissait rien paraître, la ville manquait bien sûr à Pierre. Pas les rues bondées ou le nombre impressionnant de soldats quadrillant les rues mais bien l’air iodée de la mer et les plats colorés typiques du Bas Corvin. Les deux jeunes gens voyageaient à présent en direction des nouvelles terres de Pierre, des terres octroyées par la fille de feu le roi en personne. Tous deux étaient originaires du Haut-Corvin, la partie haute des terres du royaume. Leur passage au sud avait été dépaysant. Mais à présent ils voyageaient vers l’est, vers les terres de Praveen. Composé d’une chaîne de montagnes sauvages qui bordait le royaume, l’une des plus importantes du continent central. On colportait d’étranges légendes sur ces contrées, peuplées par des hommes peu accueillants. En soi, Praveen était composé de terre au passif lourd, de terres dures forgeant des hommes qui l’étaient tout autant.

Voyager en direction de régions qui lui étaient inconnues rappelait au jeune homme les leçons suivies auprès de son vieux précepteur Corbius. Ils avaient passé de nombreuses journées à parler du royaume, des différentes régions et de leurs histoires.

Il y a six ans

La pluie recouvrait le domaine d’Ambroise d’un voile de bruine. Les gouttes tapaient contre les épais carreaux des vitres de la bibliothèque occupée par Pierre. L’enfant de treize ans s'était assis sur sa chaise qui le faisait à peine tenir droit. L’endroit spacieux accueillait nombres de manuscrits glanés par les diverses générations de la maison d’Ambroise. Les différents religieux qui avaient officié auprès de la famille avaient consciencieusement classifié les écrits dans les imposantes étagères des lieux. Éclairée par les bougies présentes, les reliures des différents livres coloraient les allées de la bibliothèque. La journée avait été longue, Pierre venait tout juste de participer à sa première chasse aux côtés de son père et la lecture était maintenant bien fade, comparée à l'aventure qu’il venait de vivre. Ce ne fut pas une simple chasse au gibier, mais une chasse au monstre. Durand avait reçu il y a une semaine de ça des nouvelles inquiétantes des domaines fermiers du nord-est. Ceux bordant les landes désolées. Des créatures identifiées comme lycanthropes par les officiels des lieux n’avaient fait qu’une bouché d’une des plus importantes familles de propriétaires terriens. La nouvelle avait alors été prestement envoyée au seigneur d’Ambroise, Durand.

Ce dernier n’avait pas perdu de temps et avait assemblé une troupe en arme. Il avait alors jugé le temps venu pour son fils aîné de se frotter aux impératifs seigneuriaux. Ce genre de créature ne s'aventurait guère aussi proche du domaine d’Ambroise, en temps normal, elles erraient dans les landes du nord. Une telle chose se devait d'être rapidement réglée. Durand étant un des douze grands seigneurs du royaume, il était contraint de faire honneur à son titre en protégeant ses gens. La troupe en armes qu’il avait réunie était alors partie à la chasse « aux monstres » qui avait bien duré six jours.

À présent rentré, Pierre se devait de reprendre son instruction. Le père Corbius avait d’ailleurs accueilli la troupe la matinée de leur arrivée. Se réjouissant du retour de son seigneur, le prêtre avait alors fait remarquer le retard de Pierre et Durand ne put qu'acquiescer au dire de l’homme insistant. Ainsi Pierre s’était vu séquestré par le prêtre dans la bibliothèque du château pour le restant de la journée. Les heures avaient alors oscillé entre les cours de liturgie, géographie et autres connaissances générales. La journée intense de travail s’était vue coupée uniquement lorsque les cloches annoncèrent la prière de Sexte. Leurs repas avaient alors été amenés par les domestiques et les cours avaient repris de plus belle. L’intention maintenant faiblissante du seigneur en vue de l’heure tardive commençait à le faire décrocher des discours de Corbius qui pourtant commençait à expliquer l’histoire de Praveen, la région de l’est. Commençant à faiblir et fermer les yeux, le jeune homme fut réveillé par l’un des livres portés par Corbius. Ce dernier l’avait lâché lourdement sur la table réveillant d’un coup Pierre.

- Un peu de courage Pierre, tu as presque rattrapé ton retard de la semaine. Je sais que tu aimes les contes et histoires sur les régions du royaume c'est pourquoi je te réservais celle concernant Praveen pour finir la journée. Courage !

S'étirant le jeune homme se frotta les yeux pour affronter la dernière séance de la journée tandis que Corbius, éclaircissant sa voix, reprit son discours.

- Alors, comme je te disais avant que tu ne fermes les yeux, Praveen est le domaine actuel qui occupe les régions de l’est. Aussi appelé les Marches de l’est. L’histoire de Praveen remonte bien sûr à des temps maintenant bien lointains. Les tribus nomades de jadis avaient jugé les lieux intéressants et s'y étaient établies. L’Empire, lui de son temps, avait fait de même lors de ses conquêtes à l’ouest du continent central. La région était jadis une province impériale à part entière. Véritable passage clé entre les différentes régions alentour. Aujourd’hui, l’héritage impérial est encore bien visible sur ce territoire. La seule grande ville de la région avait été créée durant le règne de l’empereur Laurentius. Depuis lors, elle est restée la seule ville d'importance de toutes les marches de l’est. Praveen est un vaste domaine, mais il l’était bien plus avant les guerres. Ce domaine qui comprend donc les chaînes de montagnes de l’est, frontière naturelle entre les royaumes du Corvin et d'Elba, regroupait jadis les terres alentour. Sa force et sa position en ont fait un endroit convoité. La région en avait d’ailleurs payé le prix à maintes reprises. Les guerres incessantes entre les royaumes ont depuis quelques générations appauvri les populations locales. Mais la région n’a toutefois pas perdu sa force.

- Praveen a donc été impacté par les affrontements des deux guerres Elbiennes ? demanda Pierre en saisissant le moment où Corbius faisait pause dans son récit.

- En effet, je vois que tu as retenu nos récents cours. La région avait jadis été bien plus puissante. Avant la première guerre Elbienne, Praveen était une région aussi puissante que le Haut ou le Bas Corvin.

- Et qu’est-il arrivé, répondit Pierre.

- J’y viens jeune impatient. Le seigneur de l’est représentait un contrepouvoir important pour le roi de l’époque. En soi le Haut et le Bas Corvins est divisé entre plusieurs seigneurs pour limiter toute velléité et rébellion contre la couronne. Mais les marches de l’Est étaient à l'époque dirigées par la famille Malefort dont le seigneur portait le titre de gardiens des marches et seigneur des bannerets de l’est. La famille Malefort disposait d’autant d’hommes que les deux autres régions du royaume. À cette époque, le seigneur se nommait Letho. La guerre, les guerres avec Elba furent l'occasion toute trouvée pour agir contre cette famille au pouvoir trop important.

- Le roi les a... tués?

- Non voyons, enfin pas directement, il y a voilà trois siècles le roi du Corvin Macius second du nom avait déclaré la guerre à Elba. Le casus belli évoqué fut l'embargo imposé sur les marchandises du royaume après le refus du roi Macius de participer au tournoi organisé par Halderic d’Elba.

- Ils ne s’entendaient pas ?

Le prêtre reprit en rigolant.

- C'est peu dire. Les deux hommes dans leur jeunesse s’étaient affrontés lors d’un tournoi et Halderic avait mis à terre le futur roi du Corvin dans une bien triste scène. L’histoire n’avait pas été oubliée.

- Et le roi heu…

- Macius

- Oui voilà, il a utilisé l'embargo sur les produits pour régler deux problèmes à la foi. Se venger de l’homme qui l’avait humilié et se débarrasser du seigneur qui lui faisait de l’ombre.

- Tout à fait, quoique vengeance ne soit pas le terme exact. Mais bon, reprenons. Le royaume d’Elba fit le premier mouvement de la guerre et attaqua les marches avec de forts contingents. La famille Malefort avait bien sûr convoqué le ban de l’est en réaction le temps que le roi Macius n'arrive. Les hommes de l’est ont défendu les cols des montagnes avec abnégation. Mais les mois passaient et le roi n’était toujours pas en vue. Ce dernier ralentissait exprès la marche, attendant la défaite des Maleforts pour évoquer leurs incompétences et prendre part au combat au moment qui lui serait le plus opportun. Finalement, Letho Malefort fut bien dépassé en nombre et repoussé, le roi engagea alors le combat avec ses armées. La guerre dura une année de plus s’achevant sur un statuquo. Mais Letho Malefort fut jugé pour avoir abandonné le terrain face aux troupes Elbiennes. Il fut jugé par le roi et les autres hauts seigneurs pour avoir failli à son devoir. Letho Malefort et sa famille furent dépossédés de leurs terres et titres. Le domaine de Praveen fut alors privé du gardien des marches, et une partie des terres furent morcelées, céder au Haut et au Bas Corvin.

- Et à présent qu’est-ce qui constitue encore les marches, le domaine de Praveen ?

- Pour ainsi dire uniquement la chaîne de montagnes, comme je te l’ai dit les régions autour ont été confiées au Haut et au Bas Corvin.

- Et les Malefort sont ou à présent ?

- Morts, les derniers descendants de cette famille se sont vus périr durant la seconde guerre Elbienne.

Tandis que le jeune homme réfléchissait quant à l'exposé qui lui avait été fait, son professeur reprit.

- Bon, je pense qu’on va s'arrêter là. On a plutôt bien avancé aujourd’hui, allez va retrouver ta chambre Pierre et passe une bonne nuit.

Le jeune homme avait alors quitté la salle envahie par la fatigue.


Aujourd’hui, Pierre souriait en se remémorant ses cours d'antan. Il cheminait à présent sur les terres de l’est. Les chaînes de montagnes s’étaient dévoilées en début de matinée et à présent le ciel radieux éclairait les nombreux pics au loin. Pierre voyageait à côté de Lise et de deux hommes d'armes qui leur avaient été confiés par la reine pour leur sécurité. En soi, ce n’était pas la guerre qui inquiétait le jeune seigneur mais bien les forces qui agissaient dans l’ombre. Le groupe de cavaliers croisa bientôt un panneau où étaient inscrites diverses indications dont les nouvelles terres de Pierre, Villeurves. S’il croyait l'écriteau, ils n’étaient plus qu'à quelques lieues de leur destination finale.

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