Chapitre 34: Sorcellerie et royauté

12 minutes de lecture

Pierre d’Ambroise, palais de Périssier

Pierre mit du temps à se réveiller. Il se trouvait dans un lit de qualité respectable pour une fois. Les nuits à la belle étoile et les auberges miteuses avaient impacté son moral plus qu’il ne l’aurait pensé. La lumière du soleil se déversait dans la chambre depuis les grandes fenêtres du bord de la pièce. Le jeune seigneur se redressa et s’assit sur le coin du lit tout en se frottant les yeux, avant de réprimer un bâillement. Durant ce moment de vide, les souvenirs du voyage lui revenaient à l'esprit. Les épreuves, les rencontres, beaucoup de choses avaient eu lieu en peu de temps. En quelques semaines, sa vie avait été irrémédiablement bouleversée. Tandis qu’il enfilait le reste de ses vêtements étendus sur la table bordant le lit, Pierre entendit du bruit dans la salle d'à côté. Remettant le drap sur le lit, il se résigna à sortir. Pierre remua sa masse de cheveux maintenant bien longue, comme si cela allait le rendre plus présentable. À mi-chemin de la porte, il enfila ensuite ses bottes et sortit de la pièce.

La salle dans laquelle il entra était grande. Il avait pris quartier dans ces appartements durant le début de soirée et n’avait pu observer précisément les lieux. Maintenant pleinement éclairée, la riche décoration des lieux se montrait à lui. La pièce centrale était ainsi bordée par deux chambres où Lise et Pierre avaient pris respectivement place. Cette salle était assez spacieuse. De hautes colonnes étaient présentes sur les murs et soutenaient le plafond qui formait presque un dôme. Les piliers de pierre étaient eux-mêmes décorés, un motif fleuri finissait leur chapiteau rappelant ceux des anciens temples impériaux. Comme pour la chambre de Pierre, des fenêtres étaient présentes sur le côté. Or, ici, elles étaient de taille importante et pouvaient s'ouvrir en grand, comme c'était le cas présentement, permettant à la brise matinale de s'engouffrer dans les lieux, les fins rideaux soulevés périodiquement par le courant d’air.

Le regard de Pierre se porta alors sur le mobilier non loin des fenêtres. Lise était assise là, regardant le paysage de la ville en contrebas. Le soleil éclairait la ville côtière de tous ses feux. L'agitation grouillante avait déjà gagné la cité et son imposant port. Pierre, qui referma la porte de ses quartiers derrière lui, se dirigea alors vers la table où se trouvait Lise. La sorcière avait pris place sur l’un des sièges. Le mobilier de bois était richement ouvragé. Assortis à la décoration des murs, les pieds et surfaces plates en bois étaient recouverts de gravures et motifs floraux. Ici et là apparaissaient les armoiries royales du Corvin. La table, elle, comprenait des corbeilles et autres récipients. Certains contenaient de la nourriture et autres plats locaux, froids et inconnus du jeune seigneur. Des verres en cristal étincelants, des couverts en argent parfaitement astiqués brillaient sur la table. L’une de ces coupes, proche de Lise, était d'ailleurs rempli. Les cheveux roux de Lise en bon ordre tranchaient avec l’aspect aventurier qu’elle arborait depuis leurs péripéties. Elle les avait tressé en une longue natte, comme lors de leur première rencontre. Sa robe verte était impeccable et son regard, toujours aussi intriguant

— Bonjour, dit simplement Pierre qui doutait la surprendre.

— Bonjour.

Lise était tournée vers lui et affichait un sourire, que Pierre. Ainsi assise, elle semblait être une femme comme une autre. Assise posément, Lise semblait ne pas avoir été ébranlée par les récents évènement, ce qui n'était pas le cas de Pierre, qui se sentait, quant à lui, confus et désorienté. Il était maintenant pleinement conscient de qui elle était et de ce qu'elle pouvait faire, enfin il le pensait. Le jeune homme couvra alors l’espace qui le séparait de la table. Il tira une des chaises face à Lise et prit place. Puis saisit ensuite l’une des cruches de la table et se servit à boire.

— Bien dormi ? fit-elle.

— Hum... ça va, j’ai presque regretté le lit de mon ancienne cabane, répondit Lise en riant légèrement.

— Qu’est-ce qu’on ne ferait pas pour un toit solide et un bon lit, dit-il en prenant une gorgée d’eau.

— On doit s’y faire bien vite, à la vie de château.

— Tu sais, après tout ce temps passé à voyager, même la grange aurait été luxueuse.

— Pour un seigneur sans terre et une sorcière, c’est généreux, luxueux, je trouve. En plus, il y a un grand espace libre qui donne sur le port. Regarde, dit Lise en désignant les grandes vitres ouvertes. On aurait pu tomber sur bien pire. Après, si tu préfères dormir dans la grange, libre à toi, je ne te jugerais pas, ajouta-t-elle.

Les deux jeunes gens furent s'esclaffèrent. Si Lise souriait encore, Pierre, lui, en avait perdu l'habitude. Les épreuves récentes les avaient marqués. Ce moment de calme face à un paysage ensoleillé était le bienvenu, pour tous deux.

— On n’a jamais parlé de ce qui s’était passé lors du Sabbat ou même de la nuit au monastère.

— Qu'y a-t-il à dire, je t’effraie à présent ? répondit Lise un sourire aux lèvres.

— Je pense en avoir vu assez récemment pour ne pas être effrayé par quelqu’un qui combat à mes côtés. Je voulais plutôt parler de tes pouvoirs… ne me dis pas que tu as une puissance commune. J'étais là au Sabbat, j'ai vu de nombreuses sorcières lancer des sorts. Mais toi, tu fais partie de celles dont la puissance m’a laissé sans voix.

— Bon, après tout tu m’as défendu alors que tu n’y étais pas obligé. Pour être franche, j’ai plus d’une fois pensé que tu me laisserais à l'inquisition...

Pierre laissa paraitre un léger rictus.

— Tu te rappelles quand je t’ai parlé de ma famille ? En fait, ma tante m’a expliqué le sort rencontré par mes parents. Ils, enfin surtout ma mère, se sont dressés face aux manigances de certaines meneuses des covens. À l'époque, elles prévoyaient de libérer un démon retenu captif. S'en sont suivies des machinations et actions douteuses entre les clans. Mes parents ont fini assassinés ainsi que plusieurs autres familles réticentes au plan prévu. Mes parents ont été brûlés vifs dans leur maison durant leur sommeil. Les “dames” des clans ont cru que je me trouvais avec eux ; or ma tante était venue quelques jours auparavant pour m'emmener loin. La situation était devenue dangereuse et elle a eu raison en soi, vu altournure qu'on prit les choses.

— Alors tes parents ont été tués pour ne pas s'être alignés avec les meneuses ?

— En partie. Pour dire vrai, ma mère était une sorcière très puissante, comme la plupart des ancêtres de notre famille. En fait, mes parents m'ont transmis le sang ancien. Un sang descendant en ligne directe des utilisateurs de magie durant l’ère des luttes. Tu sais, cette époque sombre suivant la chute du créateur et la disparition de ses enfants, les sauveurs.

— Donc tu connais tes origines avant l’avènement de l'Empire, ou même ,de l'Église. Si je suis bien, tu es une sorcière au sang et au pouvoir rares. Et les sorcières des clans ont cru que tu étais morte en même temps que tes parents.

— C'est ça, dans les grandes lignes en tout cas.

— Je… Je ne m’attendais pas à ça. Que faisais-tu seule en forêt du coup ?

— Je vivais isolée pour ne pas attirer l’attention, ma tante s’était déjà mise en danger pour moi et les covens semblaient la tenir à l’œil.

— Je vois, tu ne t’attendais pas à tomber sur un noble prenant… son bain nocturne…

— On peut dire ça, répondit Lise en souriant à moitié à la métaphore du jeune seigneur.

— Que comptes-tu faire à présent, tu vas rester? ?

— Tu veux que je parte ?

— Non.

— Alors je pense te suivre, enfin si tu es d’accord. Après tout, je n’ai plus de famille ou d’attaches et repêcher un noble m’a entraînée sur un chemin bien étrange.

— Le destin joue bien des tours, si tu souhaites suivre un noble sans terre ni ressource, libre à toi.

Ils avaient pu avoir une discussion qui avait tardé à venir, mais tous deux étaient à présent au clair concernant leur avenir. Ils restèrent assis à table un bon moment, savourant le paysage et la tranquillité des lieux. Celle-ci fut cependant de courte durée car une personne frappa à la porte. Pierre se leva alors pour rejoindre la personne qui requérait sa présence ; sa rencontre avec la reine allait peut-être avoir enfin lieu. Il ouvrit la porte, mais ce qu'il découvrit devant lui ne le laissa pas de marbre.

Un homme en tenue de prêtre se tenait devant l’entrée. L’arrivant âgé arborait une barbe de trois jours et des cheveux coupés court. Pierre connaissait parfaitement ce visage.

— Corbius…!?

Les deux hommes souriant se serrèrent alors dans les bras longuement. Ce qui ne manqua pas d'étonner Lise, qui observait la scène.

— Mais que faites-vous, ici, vieil homme ?

— Voyons, un peu de respect pour tes aînés, jeune impertinent.

Les hommes riaient, ils riaient de joie.

— Hum, je vois que tu as rencontré une personne en cours de route.

— En effet. Père Corbius, voici Lise. Lise, Père Corbius.

— Enchanté, répondit Corbius. Sans vouloir être pressant, la reine m’a envoyé te chercher.

— La reine... vous êtes à son service maintenant ?

— Eh oui, on va dire qu’après ce qui s’est passé à la capitale, je n’ai pas fait de vieux os au domaine.

— Vous m’en direz tant, j’ai rencontré l’une de vos anciennes connaissances, l’inquisiteur Kreisth. On a pas mal discuté et il m’a appris plein de choses.

— Je vois, je pense comprendre ce qu’il a dû te dévoiler. Nous parlerons de tout ça plus tard. Bon ne perdons pas plus de temps, suis moi. Jeune fille, au plaisir.

Tous deux quittèrent alors les chambres d’invités et partirent en direction des appartements de la reine. Ils avancèrent dans les couloirs aux ornementations plus opulentes grâces à de superbes fresques et du mobilier somptueux. Mais également à la garde renforcée, les regards perçants, plus attentifs, suivaient leur passage derrière les armures d’un acier poli impeccable au liseré d’or. Bientôt les arrivants furent face à une double porte. Les gardes présents saluèrent le Père Corbius avant que ce dernier ne se retourne pour parler à Pierre.

— Bon, je vais te laisser à présent, nous aurons tout le plaisir de converser plus tard. Je suis heureux de te voir, Pierre.

— Moi aussi, Corbius, moi aussi. Un conseil avant que je ne parle à Sa Majesté ?

— Hum… non, aucun, à part de rester naturel, de rester toi. Elle est intelligente, tu n’auras pas besoin de jouer un rôle ou de prétendre être quelqu’un face à elle. Allez, va.

— Merci Corbius, merci pour tout. Vous êtes comme un père pour moi.

— Je sais, je sais, répondit l'interessé en essayant de ne pas verser une larme.

Le jeune Ambroise passa donc la porte que les gardes tenaient. Cette dernière se referma derrière lui.

La pièce dans laquelle il entra était spacieuse et très longue. Sur son côté gauche, elle était bordée par un balcon avec une bonne vue sur la ville et la mer avoisinante. L’architecture de l'endroit était hautement décorée avec un style en accord avec la pièce qu’il occupait lui-même. Tandis qu’il progressait, Pierre observait au loin une table à laquelle la reine Anaïs était assise, travaillant sur quelques manuscrits. Sa plume d’oie glissait sur le parchemin dans un geste expérimenté et rapide.

— Ha, seigneur d’Ambroise, je suis à vous dans un instant, commença la reine en posant sa plume.

Un serviteur vint alors apporter de la cire chaude et la reine cacheta de sa bague la lettre qu’elle venait d'écrire. Le serviteur fut ensuite congédié, emmenant la précieuse missive. La reine se leva de sa chaise et Pierre put l'observer de près. Elle était comme dans ses souvenirs. Son visage d’une grande beauté arborait des cheveux châtains noués. Son visage juvénile tranchait avec sa nouvelle fonction en étonnant le jeune seigneur. Pierre avait pu l'apercevoir durant les joutes mais à présent sa beauté était plus que visible. Elle fit signe au jeune seigneur et tous deux prirent place à une table située sur le balcon. Un serviteur apporta des coupes. Tandis qu’ils s’asseyaient de chaque côté, Pierre observait le jeu d'échecs central.

— Heureux de connaître le fils de Durand. Il a toujours été une personne que j'appréciais. Il fut, lors mon enfance, l’un de mes tuteurs. Mon père et lui étaient proches et cela s’est fait tout naturellement. Lorsque j’étais adolescente, j’ai failli mourir à la chasse. Un sanglier était sorti de nulle part et il me fit tomber de selle. Et ce fut votre père et nullement l'un de mes gardes qui s’interposa entre moi et l’animal. Il m’a ainsi sauvé la vie. Il s’est à nouveau tenu entre moi et le danger mais il en a payé le prix fort. Sachez que mes pensées vous accompagnent, Ambroise.

Pierre était touché par la déclaration.

— Ha ! Tant que j’y pense, tenez, dit Pierre en tendant la lettre confiée par Kreisth.

— Ce signe... fort intéressant... vous avez rencontré un membre de l’ordre, conclut la reine après avoir brisé le sceau de la lettre pour la lire. Vous vous êtes fait un allié intéressant. Kreisth ne confie jamais ses lettres, sauf exceptions rares.

Sur ces derniers mots, la reine prit l’une des coupes de la table et la but. Pierre fit de même, le vin qu’il goûta était fruité et typique du sud du continent. Ces saveurs le changeait de l’eau et des boissons douteuses rencontrées sur la route vers le sud.

— Joues-tu aux échecs ? demanda la reine en montrant le centre à damier de la table après avoir rangé la précieuse lettre.

De nombreuses pièces étaient présentes de chaque côté.

— Très peu, malheureusement, répondit Pierre.

— Tu devrais t’exercer plus alors. Les dirigeants de chaque royaume y jouent. Le monde y joue. Chaque manœuvre politique, chaque guerre, chaque traîtrise est planifiée comme un coup. Le plateau peut être un royaume ou même le monde. Une reine peut déplacer un seigneur, un seigneur un serviteur mais souviens-toi que même si un puissant commande tes mouvements, tu es bien le seul gardien de tes actions, de ton âme. Tu ne peux te dédouaner de tes actes ou clamer que la vertu n’avait cours. Souviens-t’en.

Pierre, attentif, répondit d’un hochement de tête.

— Connais-tu la situation actuelle du royaume ? reprit la reine.

— La guerre civile, le chaos.

— Tout à fait, nous n’avons jamais été dans une position aussi dangereuse. Nous sortons d’une guerre avec le royaume d’Elba et le coup d’État de mon cher cousin a fini d’affaiblir nos forces vives. Chacun doit faire ses choix. Les familles et les amitiés sont déchirées... Toi qui es au fait de la situation, que comptes-tu faire ? Pour quelle raison es-tu là ? Que désires-tu, la vengeance, une nouvelle vie ?

— Je désire recouvrer ce qui m’appartient, mes terres et mon titre.

— Alors, pourquoi ne pas t’allier à Léonard ?

— Mon père m’a élevé dans le respect et l’honneur. Il vous suivait, alors je fais de même. Qui voudrait suivre un homme qui assassine sa famille ?

— Je vois… Alors, prête-moi ta lame, sers-moi dans cette guerre et je t’aiderai en retour à récupérer ce qui t’appartient. Il se trouve que nombre de seigneurs du sud sont morts à présent. Leur nombre a fondu comme neige au soleil. Je me retrouve avec soit des personnes nobles trop âgées ou trop jeunes. Voire personne dans certains cas. J’ai une terre vacante à l’esprit, un domaine dans les montagnes de l’est. L’ancien seigneur a trouvé la mort à la capitale ainsi que sa famille au grand complet. Ces terres sont dures, mais pour qui sait s'y prendre, elles pourraient rendre fort son seigneur. Qu'en dis-tu ?

— Je n’ai pas trop de choix actuellement. Je vous remercie de votre offre et l’accepte.

— Parfait, jeune seigneur, l’été approche, mais nos armées respectives sont encore trop éparpillées. Aucun des deux camps ne va tenter de nouveaux combats, ensuite l’hiver viendra. Tu as donc jusqu’au printemps prochain pour prendre pied sur tes nouvelles terres. L’heure venue, je t’enverrai un message et alors il faudra que tu viennes me prêter main forte pour réclamer justice pour tous les morts de la capitale. Le père Corbius est un de mes conseillers à présent, il t’aidera administrativement avant ton départ. Ce fut un plaisir, Ambroise. Que les Sauveurs te guident.

— Ce fut un plaisir, Majesté.

Sur ces mots Pierre prit congé de la reine et quitta la pièce. Il devait à présent expliquer la situation à Lise et régler les détails avec son ancien précepteur.

Annotations

Vous aimez lire Kost . ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0