Chapitre 21: L’arrivée à Cologneux

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Pierre d’Ambroise, village de Cologneux, en direction du sud

Les deux voyageurs arrivèrent au village de Cologneux en fin de journée. Le soleil déjà peu présent jusqu'ici avait commencé à s'éclipser. L’aspect du village n’avait rien à envier à la triste et morne route royale. Cologneux ne débordait pas d’activités et les quelques locaux rencontrés en chemin se contentaient d’observer à distance, d’un air méfiant. Arrivant à un carrefour qui devait servir de grande place pour le village, les deux voyageurs firent halte. Tous deux gagnèrent l’auberge du village nommée “le Renégat”. L’aspect sinistre de l'extérieur fit place à la lumière et à des bruits conviviaux lorsque Lise poussa la lourde porte d’entrée. Pour Pierre l'établissement était comme un phare dans le triste paysage qu’il avait arpenté depuis leur départ.

L’entrée de l’auberge était un petit passage agencé pour permettre à seulement quelques personnes de passer. Un comptoir se tenait à son extrémité et le tenancier des lieux accueillit Pierre et Lise. Après avoir refermé la porte, ils se dirigèrent vers l’homme. Lise s'adressa à l’aubergiste et, s’accordant sur une chambre pour la nuit, tendit de quoi payer. Pierre, mal à l'aise, aurait payé en temps normal mais il n’avait presque rien sur lui. Hormis ses habits, il ne disposait que de l'épée. quelques pièces recupérés sur les morts de la rivière ainsi que d'une cape trouvée. Une doublure avait été faite dans son veston. Elle y avait toujours abrité quelques pièces mais avec la route qu’il devait faire, chaque économie allait compter.

Après avoir récupéré une clef pour leur chambre, le tenancier les invita à rejoindre une salle pour souper.

Le Renégat faisait partie des auberges et relais qui pullulaient sur les routes du royaume. La pièce commune était animée, les fermiers et autres gens du cru se rassemblaient ici pour échanger nouvelles et ragots avec les marchands coutumiers de l’étape. Lise et Pierre s'installèrent à l'une des seules tables encore disponible. La pluie battante rebondissait contre les épais carreaux de verre. Les deux voyageurs se tenaient à présent sur leurs chaises, enveloppés dans leurs capes. En pleine effervescence par le temps qui sévissait au dehors, les occupants emplissaient la salle d'un brouhaha inaudible. Le tenancier des lieux avait fort à faire. D'une bonne carrure et aussi large que haut, il dirigeait ses employés d'une main de maître. De sa voix bourrue, il guidait les serveuses et accueillait chaleureusement les arrivants, comme il l’avait fait avec Pierre et Lise.

La salle principale du Renégat était bien large et d'une hauteur de deux étages, un lustre imposant trônait en son centre. Les quelques bougies qui ne s'étaient pas éteintes inondaient la salle d'une lumière vacillante. La clarté de la pièce trouvait son salut dans la large cheminée qui chauffait les lieux. Elle se trouvait à la gauche de la table de Pierre, œuvre taillée de mains de maître, la cheminée était composée de pierres brillamment agencées. Des babioles et autres colifichets offerts par d'augustes voyageurs égayaient les lieux. Ces trésors étaient, pour certains, accrochés en ordre disparate sur la longue hotte en pierre. Une grande broche tournait au-dessus de l'âtre, les braises qui s'élevaient des bûches à moitié consumées venaient fouetter la carcasse d'un porc qui tournait. La peau de l'animal, luisante, était travaillée avec soin par une des servantes. La dame d'une petite carrure arrivait par une force presque insondable à tourner le lourd animal.

Au bout de quelques minutes, une personne apporta à la table de Pierre deux verres remplis ainsi que leur repas. Des plats composés d’une bouillie de céréales agrémentée d'une part de porc. Les deux voyageurs, exténués par leur périple, ne se firent pas prier et mangèrent sans dialoguer ou dire le bénédicité . Pierre, après avoir ingurgité une bonne partie du repas et de l’eau, prit congé de Lise.

Sortant dans la cour, il fit alors ses besoins. Il n’aimait guère cette région, il avait promis à Lise de l’attendre deux jours mais l'ambiance pesante des lieux jouait avec la patience du jeune seigneur. Il s'apprêta à retourner voir la sorcière lorsqu'il entendit un corbeau. La bête siégeait sur le toit d’un bâtiment opposé à l'auberge. Pierre, qui avait le sentiment d'être observé depuis son arrivée, était amusé par l’oiseau qui le fixait presque dans les yeux.

Il rentra à nouveau dans l’auberge et rejoignit la salle commune. Se dirigeant vers sa table, il fut arrêté net quand un homme l'interpella et il se retourna donc pour le voir.

— Jeune homme, dit-il d’un air sympathique, me feriez-vous l’amabilité de me rejoindre ?

Pierre, étonné par la facilité avec laquelle l’inconnue s’était adressé à lui, répondit sèchement.

— Je suis désolé, je dois retrouver ma camarade.

— Je pensais qu’un jeune seigneur aurait plus de manières, dit-il en souriant.

Comment savait-il que Pierre était noble? Il était camouflé dans sa cape et s’était gardé de parler depuis leur arrivée avec Lise.

— Mais qui êtes-vous ?

— Alors vous êtes intrigué, pour parler courtoisement, ne devriez-vous pas répondre à mon invitation ?

Les yeux sur Lise, au loin, Pierre obtempéra et s'assit en face de l’homme. L'inconnu était habillé assez simplement. Comme la plupart des personnes présentes, il avait une cape qui recouvrait en grande partie ses habits. La chose qui étonna le plus Pierre fut l'accent avec lequel l’homme parlait. Le jeune seigneur avait pu voyager un peu mais surtout, il avait rencontré nombre de visiteurs éminents au domaine. L'accent avec lequel l’homme parlait était incontestablement des Duchés du Sud. D’un faciès typique de la région concernée, il arborait un air amical.

— Bien, je suis étonné qu’un voyageur tel que vous soit sur les routes durant des périodes aussi troublées, annonça l’homme en avalant une gorgée de son verre de vin.

— Je ne suis pas sur les routes par choix. Vous avez l’air de me connaître ou du moins de connaître mes origines, comment cela se fait-il?

— Voyons, à force de poser tant de questions, vous allez vous perdre, prenez donc un verre.

Obéissant, Pierre fixa l’homme du regard.

— Bien, pour commencer, dites-vous que présentement je ne suis qu’un humble voyageur sur routes. Mon trajet m’a mené dans cette triste région comme vous.

— Qui êtes-vous ?

— On va dire que je dispose d’une très bonne mémoire, contrairement à certains, dit-il en fixant à son tour Pierre. On s’est déjà croisé à quelques occasions. Et plus récemment à la capitale.

En réaction à cette dernière annonce, Pierre mit la main sur le pommeau de son épée.

— Voyons jeune homme, en voilà des manières. Si j’avais voulu vous attaquer, ça serait déjà fait. Regardez donc autour de vous, ne voyez-vous pas mes hommes ?

Observant furtivement autour de lui, il put sentir des regards peser sur lui. Des hommes dissimulés sous de lourdes capes étaient répartis dans la salle. Pierre lâcha alors son épée.

— Bien, pour tout vous dire, j'étais à la capitale pour affaires et la tournure des choses a plutôt été surprenante, autant pour vous que moi, jeune Ambroise.

— Donc vous êtes seulement commerçant ?

— C’est l’une de mes activités. J'étais présent pour servir les intérêts de ma famille. Tout comme vous. Mais passons. J’ai voulu vous retenir pour vous prévenir.

— Me... prévenir ?

— Les hommes de l'Eidhöle sont à vos trousses, à n’en point douter. Mais ce n’est pas votre priorité, je pense.

— Comment…

— Nous nous trouvons dans une région très étrange, selon mes informations, un inquisiteur serait dans les parages et votre camarade de route m'a l’air tout à fait son genre de gibier, une femme jeune...

Regardant Lise à leur table, Pierre continua.

— Vous pensez qu’il pourrait s’en prendre à nous ?

— Possible, dit-il, souriant. Je tenais seulement à vous mettre en garde. Votre père m'a été d’une grande aide par le passé. Ce n’est qu'un juste retour des choses vous prévenir du danger. Entre les sorcières de la région, vos poursuivants et l'inquisition, je peux dire que vous naviguez en eau trouble.

Le voyageur, observant l'un de ses hommes lui faire un signe, regarda ensuite Pierre.

— Bon il se fait tard, jeune homme, dit-il en se levant. Je vais prendre congé, je voyage de nuit. Par les temps qui courent je tiens à rester discret. Vous devriez rejoindre votre amie. Son regard commence à être pesant. Je suis sûr que nous nous reverrons très vite, jeune seigneur.

Voyant l’homme s’éloigner, Pierre l’appela.

— Pourrais-je connaître votre nom ?

— Juliano Petiti, dit l'homme en s'éclipsant, bientôt suivi de quatre de ses hommes.

Ce nom n’était pas étranger à Pierre, loin de là. Les terres au sud du continent regorgeaient de duchés et villes-états indépendantes. Et, s’il y avait bien un nom qui ressortait du lot, c'était celui des Petiti. Une famille à la tête de l’une des plus puissantes cités de cette partie du continent. Pierre s'amusait à l’idée d'être connu par de telles personnes.

Quittant à son tour la table, Pierre rejoignit sa camarade sans un mot. Après avoir fini de manger, les deux voyageurs retournèrent à leur chambre. Ils gravirent un ancien escalier de bois et leurs pas firent grincer les planches sur leur passage. L’auberge était ancienne et cela se ressentait à son architecture. Tournant la clé dans la vieille serrure, Pierre poussa la porte dans un lourd grincement. La chambre était assez spacieuse pour son prix. Deux lits siégeaient en son centre et la fenêtre était fermée par d'épais volets. Tous deux prirent place et Lise souffla la seule bougie de la pièce et la pénombre envahit l’endroit. Pierre sombra alors dans un épais sommeil.

Le jeune homme se réveilla le lendemain, la lumière filtrait des interstices des volets. Regardant à côté de lui, il put remarquer l’absence de sa camarade de route. À présent seul, Pierre chassa de son esprit les idées noires qui l'assaillaient. Il s'étira en se levant, son corps qui le faisait encore souffrir. Il avait dit à Lise qu’il l'attendrait deux jours et il comptait bien tenir son engagement. Pierre ouvrit la vitre, puis les volets. La lumière était vive dehors. Le temps grisâtre qui s’était acharné depuis le début de son voyage avait fait place à une accalmie que Pierre accueillit avec joie. Il referma ensuite la porte et se dirigea dehors pour visiter les lieux, plus pour s'occuper que que par amour du paysage. Le jeune homme arpenta les rues du village, les habitants le regardaient avec ce même air distant que le jour précédent. Le village était restreint, Pierre déboucha bien vite sur la forêt et s'y aventura. La nature locale était sauvage, il n’y avait presque aucune trace de passages. Ne sachant pas durant combien de temps, il déambula dans cette espace de verdure et s'arrêta net quand il vit des espèces de totems d'ossements. Pierre se rappelait de la réalité sinistre qui pesait sur la région, il se remémorait les paroles de Lise et du voyageur. Il ne se fit pas prier pour rebrousser chemin, il retourna au village et passa le restant de la journée à attendre.

Pierre vit la lueur du soleil diminuer drastiquement, le jeune seigneur se résigna à retourner à l’auberge. Il gravit à nouveau les vieux escaliers et s'arrêta devant la porte de sa chambre. Une clé était dans la serrure et ce n'était pas la sienne. le jeune homme poussa de la main la porte qui s'ouvrit dans un long grincement et dévoila un triste spectacle. Les quelques mobiliers de la chambre étaient renversés. Pierre s’aventura dans les lieux avec un mauvais pressentiment. S’approchant des planches du sol, il put voir des traces de sang. Il y avait eu lutte dans la pièce et les différentes informations qui traînaient dans la tête de Pierre s’imbriquèrent. Son amie avait dû finalement revenir à l'auberge mais des personnes l’y avaient attendue. Si c’étaient des sorcières, elles auraient été plus efficaces par le pouvoir et n’auraient pas laissé autant d'indices. La seule piste possible fit frémir le jeune seigneur. L’inquisiteur avait dû tomber sur Lise et la capturer. Pierre ne pouvait la laisser à son sort. Après tout, elle l’avait sauvé et, maintenant, il avait une dette envers elle.

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