Chapitre 15: La fin de toutes choses...

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Pierre d’Ambroise, Palais royal de la famille Corvinus, hauteurs de la ville de Fressons

La chute se passa au ralenti. Suspendu dans le vide, Pierre se dirigeait inexorablement vers le sol. Des guirlandes et fils étaient tendus entre les bâtiments et son corps les arracha sur son passage. S'emmêlant comme un insecte pris dans des toiles d'araignées, il fut freiné dans sa chute. Arrachant les obstacles, il se retrouva à traverser les toits des échoppes marchandes dans un bruit de tissu se déchirant. Sa rencontre finale au sol fut tout de même rude, son corps heurta les pavés et une douleur diffuse le parcourut. Ses muscles étaient endoloris et sous cette sensation, Pierre se contorsionna de douleur. Son souffle coupé par l'atterrissage brusque lui revenait peu à peu. Durant une fraction de seconde, Pierre regarda le ciel étoilé au-dessus et se prit à sourire. S’aidant du comptoir de l'échoppe où il avait fini, il se redressa comme il le pouvait. Passant sa main sur son bassin, il sentait des pics de douleur à chaque toucher. Boitillant au début, il se mit donc en mouvement dans la rue.

Il se trouvait dans l’allée des tisserands. Les longues cordes et guirlandes qui l'avaient retenu étaient le travail des artisans qui allaient retrouver leur oeuvre saccagée le lendemain, mais Pierre n’y pouvait rien. Connaissant enfin un moment de répit, il put poser ses pensées et réfléchir à la tournure des événements. Durant le voyage à la capitale, il avait parlé avec son père, conscient des manigances qui entouraient la cour. Jamais il n’aurait pu imaginer qu’une tragédie pareille se tramait en coulisse. Ses parents avaient été tués et bien que ne prenant pas encore la mesure de cette triste réalité, il ne pouvait prendre plus de temps pour les pleurer comme ils le méritaient. De nombreuses questions fusaient dans sa tête. Où était Eudric ? Charles avait-il connaissance des événements et la princesse était-elle en vie?

Pierre devait trouver un abri, il ne pouvait rester au milieu de la rue. Les combats qui avaient débuté au château commençaient à se répandre dans la ville haute à présent. Les suites des familles nobles réveillées par le chaos du palais devaient rejoindre le combat ou s'enfuir. Pierre devait se dépêcher de quitter la ville car sa sécurité n’était plus assurée. Tout en espérant la survie de ses derniers proches, il se mit en marche.

Longeant les murs d'une démarche lancinante, il souffrait à chaque pas. À présent qu’il quittait le quartier des tisserands, il parcourait les rues de la ville haute. Secoué, mais alerte, il réagit à chaque bruit suspect en chemin. Toujours armé de l’épée du banquet, il n'avait pas pris le risque de la laisser après sa chute. La cachant comme il pouvait, il avançait, résigné, dans la pénombre de la nuit. Les rues encore désertes commençaient à prendre vie à certains endroits. Les citoyens, alertés par les bruits du combat, ouvraient leur fenêtre d’un air hagard. Certains voyant Pierre marcher bizarrement lui lançaient des regards hébétés. Comme étranger aux habitants, Pierre ne prit le temps de les regarder plus ou de leur parler, il ne pouvait perdre plus de temps. Les quelques jours passés à la capitale ne pouvaient permettre à Pierre de se situer précisément dans la ville. Encore moins dans de telles circonstances. Il avait semé ses poursuivants durant sa chute et continuait son chemin à l'aveugle, la peur au ventre

Posant sa main sur les murs de temps en temps pour reprendre son souffle, il se laissa aller à pleurer. Homme peu enclin à laisser paraître ses faiblesses, Pierre ne pouvait, cette fois, garder toutes ses émotions. Les événements étaient trop forts, trop récents. Se protégeant sous un toit qui couvrait une partie de la rue, il se mit à l'abri. La pluie qui s’était abattue sur la ville durant le début de la soirée avait cessé durant un court instant. Reprenant de plus belle, les gouttes atteignaient Pierre, pareilles à de milliers de petites lames, le harcelant comme pour alourdir son mal-être déjà immense.

Le jeune seigneur, qui tentait de réfléchir, ne se souvenait que de quelques lieux dans la ville. Se trouvant dans le côté sud-ouest de la capitale, il devait se frayer un chemin vers les portes d'enceinte et s'enfuir avant d’y laisser sa vie. L’auberge la plus proche de la porte sud se tenait non loin de celle où il avait passé une soirée avec Eudric : Le Dragon d'Elba. Il devait rejoindre la position de cette taverne pour se situer au mieux par rapport à sa porte de fuite. Pressant le pas comme il le pouvait, il restait à l'affût des écritures et autres panneaux d’indications. Malgré l’heure déjà avancée de la soirée, Pierre pouvait encore lire à une distance qui lui permettait de déchiffrer les grandes lettres des écriteaux bordant la rue.

Se cachant de temps à autre, il évitait toutes patrouilles de gardes. Tantôt se glissant entre les interstices des maisons. Tantôt en se cachant derrière des escaliers. Le temps semblait interminable, les secondes paraissaient des minutes et le cœur de Pierre battait la chamade. Il avait, par chance, évité de croiser le chemin des manteaux pourpres. Cependant, l’activité grandissante dans les rues lui faisait craindre une rencontre plus qu'imminente avec l’un d’eux. Se rapprochant de la grande place du marché central, Pierre devait trouver un moyen de la contourner si possible. Des hommes en armes devaient sûrement garder l'endroit. Tandis que cette idée lui traversait l'esprit, il entendit des bruits de combat et des cris diffus. Les traîtres devaient croiser le fer avec les loyalistes de la princesse. Pierre se trouvait tiraillé entre son instinct de survie et les enseignements de son père. Jamais un Ambroise n’avait fui et laissé tomber ses compatriotes au combat. Même mort, il ne pouvait trahir son père, ses idéaux et ses enseignements. Serrant son épée, il chemina vers le marché.

Les bruits d’affrontement remplissaient à présent l’air, les cloches et tocsins de la ville s’étaient réveillés et le chaos du palais s'était pleinement répandu dans la ville. Débouchant d’une petite ruelle, Pierre put prendre connaissance de la situation sur la place centrale. Une petite partie des gardes sans brassard apparent s'étaient massés au centre de la place. En formations, ils tentaient de se défendre face à une horde de manteaux pourpres et de gardes renégats. Un noble qui avait dû être absent au banquet menait les gardes loyalistes face aux séides de l' Eidhöle. Les deux entités guerrières étaient en prise l’une contre l’autre et une mêlée sanglante ravageait les rangs des deux camps. Regardant autour de lui, Pierre pouvait apercevoir de nombreux corps au sol et non loin de lui, un arc. Saisissant l’arme d’un geste aussi rapide que son état le pouvait, il ramassa un carquois avant de reposer son regard sur le combat.

Blessé comme il l'était, Pierre n’allait aider en rien en chargeant les troupes ennemies. Certains toits étaient occupés par des traîtres qui faisaient pleuvoir la mort de leurs arcs et arbalètes. S'agrippant comme il le pouvait, Pierre trouva un passage jusqu’au toit. Prenant appui sur les pierres de taille et sur les poutres, il gravissait les murs des bâtiments. Dépassant les obstacles, il se mouvait avec le peu de grâce que lui accordaient ses blessures. Arrivé sur le toit d’un souffle haletant, il posa son carquois au sol et s’agenouilla. La pluie avait recouvert les tuiles d'une fine couche d’eau et tout geste brusque pouvait le mener à une chute mortelle. Tirant une flèche de son carquois, il situa ses cibles. Le premier groupe de traîtres était posté sur un balcon non loin de lui. Équipés d’arbalètes, ils étaient deux et se relayaient pour permettre un tir soutenu sur leurs ennemis. Le tir à l'arc était une des bases de l’enseignement d’un noble, au même titre que l’escrime et l'équitation. Pierre était très doué pour cette discipline.

Encochant sa première flèche, Pierre voyait des gouttes de pluie couler le long du bois de son arc. La pointe de sa flèche bougeait sous l’effet de son cœur battant. Décochant son projectile, celui-ci partit trop haut et passa au-dessus de ses cibles. Jurant à la vue de la piètre qualité de son premier tir, Pierre ne perdit pas de temps et répéta le processus. Cette fois son projectile fila vers l’homme occupé à recharger les arbalètes de son allié. La flèche vint se loger dans le torse de l’homme. Les yeux grands ouverts, comme surpris par cette mort venue de nulle part, il s'écroula contre le mur. L'autre garde occupé à viser ne vit pas de suite sa mort. Après avoir tiré, il se retourna pour voir la scène d’horreur derrière lui. N’ayant pas le temps d'émettre un son, une flèche vint l'atteindre à l’épaule. Alerté par la tournure des événements, il chercha l'assaillant. Pierre, qui venait de décocher, émit un tic nerveux quand celui-ci se figea dans le bois de l’une des poutres au-dessus du garde.

L'homme, enfin conscient de la position de l'agresseur, tira son carreau dans sa direction. Roulant sur le côté, le jeune seigneur trouva refuge derrière une cheminée. Se relevant, il encocha une des dernières flèches pour viser le garde. Celui-ci tentait désespérément de tendre la corde de son arbalète, il fut récompensé par un trait au travers de sa gorge. Son corps, comme coupé par ce projectile, ses jambes se dérobèrent sous son poids. Le groupe de gardes enfin mort, Pierre regarda en dessous de lui. Les loyalistes en mauvaise posture se faisaient repousser de la place. Pierre pouvait voir un chevalier tenter de diriger le groupe de gardes. Croisant le fer avec le Chef des manteaux pourpre, il essayait de mener la résistance. Le combat perdu d’avance prélevait un lourd tribut dans les rangs des fidèles de Léonard. En mauvaise posture, le chevalier se trouvait à parer les coups d'un colosse pourpre comme il le pouvait. Pierre ne pouvait pas faire grand-chose pour influer sur le combat mais il pouvait tout du moins donner au chevalier un avantage bienvenu. Jetant un oeil vers son carquois, il ne restait que deux flèches. Se trouvant à une distance certaine de l'affrontement, il ne pouvait se permettre de tirer rapidement. Se tournant autour, les deux combattants ne faisaient aucun quartier. Les coups pleuvaient sans interruption. Perdant du terrain face au colosse pourpre, le chevalier se vit acculé vers ses hommes. Quand la distance entre les deux combattants fut assez grande, Pierre choisit de décocher son projectile. Filant à travers la pluie, il ne trouva pas sa cible et ricocha sur les pavés du sol.

Ayant révélé sa position, Pierre encocha son dernier projectile, respirant une grande bouffée d’air il visa le colosse. Hagen, le bras droit de Britius, tenait enfin l’un des chevaliers loyalistes à portée. Exténué par l'échange de coups, l’homme tenait péniblement son épée. Lançant une nouvelle série d'assauts, Hagen tentait de faire plier son adversaire. Lors d’une attaque circulaire, l’épée du chevalier lui échappa et tomba lourdement au sol. Le chevalier, suivant son arme, tomba au sol, à la merci de son adversaire. Avec un sourire carnassier, le manteau pourpre leva sa grande épée en l'air mais fut arrêté dans sa course lorsque le dernier projectile de Pierre se planta dans sa jambe. La flèche, qui avait pénétré assez profondément, cloua Hagen au sol. Dans un cri guttural, il brisa la hampe de celle-ci et se tourna à nouveau vers le chevalier. Ne perdant pas plus de temps, ce dernier avait saisi son épée. Comme résigné à l’impuissance face au colosse pourpre, il tournait les talons pour fuir avec ce qui restait des gardes loyalistes, massacrés pour la plupart sur la place. Criant de frustration, Hagen poussait ses hommes à sa poursuite. Pierre, qui ne voulait pas rester plus longtemps que nécessaire, abandonna son arc et commença à s'éloigner. Il fut surpris quand un carreau vint frapper l’une des tuiles à côté de lui. Des gardes avaient rejoint sa position et n’allaient pas se faire prier pour se venger du tireur. Entendant des hommes grimper, Pierre se mit à courir.

À pas rapides, mais imprudents, il sautillait de tuile en tuile. La fine couche de pluie lui donnait de temps à autre quelques moments de frisson quand le sol se dérobait sous ses pieds. Les poursuivants de Pierre ne lui laissaient aucun répit. Au-delà des injures et autres noms d’oiseaux qu'ils lançaient, des projectiles fusaient proches de lui. Se maudissant d’avoir agi pour satisfaire son honneur en participant au combat de la place, il tentait de distancer ses agresseurs. Longeant à présent la rivière qui traversait la Capitale, il continuait sa course, résolu. Lors d’un saut entre deux bâtiments, une flèche vint se ficher dans son dos. Pierre perdit son élan et tomba du toit. Rebondissant contre les murs des bâtisses, il finit sa course dans la rivière et c'est alors que le monde autour du jeune seigneur s'assombrit, laissant l'étreinte de l’eau froide le saisir, il perdit connaissance dans un certain apaisement...

Fin de la Première Partie

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