Chapitre 24 : Ourania et Lysange

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Le dragon d'eau avait si bien mangé qu'il ne barbota que très peu dans l'eau et s'endormit aussitôt allongé et enroulé dans ses ailes. Aymeric ne se coucha pas tout de suite. Assis au bureau, il examinait une à une les figurines taillées par Zolan et peintes par ses frères et sœurs. Ils s'étaient vraiment appliqués !
Il s'attarda sur celle de Praeslia et décida de lui accorder une prière de remerciement pour cette journée. La dragonne de la guerre n'était peut-être pas celle à remercier pour ce genre de situations selon nombre de gens mais pour Aymeric elle déclenchait les guerres tout comme elle faisait durer la paix, alors pourquoi pas ?
Il lu un ou deux chapitres du livre offert par le roi et apprécia que les légendes soient décrites avec tous les détails et que l'auteur présentent toutes les versions, pas uniquement la plus connue. La fatigue le rattrapa et il alla se mettre au lit. Demain serait encore une longue journée et probablement la dernière. Gordon le lui confirma au petit-déjeuner :
- Nous rentrons demain.
- Déjà ?
- L'entraînement nous attend petit.
L'apprenti hocha la tête. Il savait et il ne voulait pas abuser de la générosité du roi et se rendit sans tarder chez sa famille d'adoption. Une chance pour lui : les enfants n'avaient pas école aujourd'hui. Il passa sa journée à jouer en leur compagnie. Les petits ne manquaient pas d'imagination et Zolan et lui s'amusèrent volontiers avec eux, ne les laissant que pour préparer à manger. Ils commencèrent à se plaindre et à gémir quand Aymeric leur annonça qu'il rentrait le lendemain et qu'ils ne se reverraient pas avant un an.
- Ce n'est pas juste !
- Pourquoi tu ne peux pas rester ?
- Un an c'est trop long !
Zolan l'aida à les raisonner et les adieux furent longs. Il finit cependant par franchir le seuil.
- Reviens l'année prochaine sans faute, lui lança son frère aîné avant de le serrer contre lui.
- Sans faute, jura l'enfant.
Ils échangèrent un regard confiant et il regagna le palais le cœur lourd. Il se réconforta en se disant qu'un an ce n'était pas si long. Hydronoé l'attendait dans le hall du palais et lui frotta le dos en sentant sa tristesse. Aymeric se sentit touché par la prévenance de son jumeau.
- Viens, je dois te présenter des personnes, dit le dragon d'eau.
Le petit garçon se laissa guider dans les couloirs, momentanément détourné de sa peine. Qui était donc ces inconnus avec qui Hydronoé et le roi tenaient à ce qu'il fasse connaissance ? Le dragon s'arrêtait devant une porte non loin de leur propre chambre et frappa. Aymeric écarquilla les yeux en découvrant celle qui vint lui ouvrir. C'était une jeune fille de leur âge, du moins lui semblait-il car si une partie de son physique était humain l'autre était typiquement dragon.
Comme Hydronoé, elle possédait des cornes torsadées, une paire d'ailes et une queue de reptile mais d'un bleu très clair qui tirait sur le blanc. Ses yeux jaunes les fixaient avec perplexité et ses traits doux et fins étaient caractéristiques de son espèce. Sa peau laiteuse s'accordait avec ses longs cheveux encore plus clairs que ses cornes qui descendaient jusqu'en bas de son dos et bouclaient aux pointes. Aymeric se fit la réflexion qu'ils ressemblaient à un nuage. Sans doute à cause de leur couleur blanche aux reflets bleutés, de leur épaisseur et de leur aspect cotonneux.
- Ourania, je te présente mon frère Aymeric ! Aymeric voici Ourania. C'est une dragonne d'air qui est née il y a quelques jours.
Ourania s'approcha du petit garçon et tourna autour de lui pour l'inspecter avec de déclarer :
- Je crois que je l'aime bien. Il a l'air gentil.
- Tu peux nous laisser entrer ? Je veux le présenter à ta sœur. Elle acceptera peut-être de lui parler, à lui.
- D'accord. Elle n'a pas mangé ou dit un mot aujourd'hui. Je m'inquiète.
La dragonne leur livra le passage et alla s'asseoir sur le lit. Hydronoé la rejoignit et ils parlèrent ensemble sans plus se préoccuper d'Aymeric. La chambre était plongée dans la pénombre à l'exception d'une bougie qui tremblait face aux ténèbres de la nuit qui s'épaississaient. Une petite fille de son âge était assise sous la fenêtre, la tête entre les bras.
Il ne pouvait distinguer que ses cheveux d'un blanc éclatant qui s'arrêtait au niveau des épaules. Il n'avait jamais vu cette couleur que chez les vieilles personnes, pas chez les enfants comme lui ! Il s'approcha et se racla la gorge pour faire savoir qu'il était là avant de remarquer que la fille pleurait. Il s'assit à côté d'elle et elle releva la tête, surprise. Ses grands yeux bleu ciel légèrement en amande et encadrés de cils aussi blancs que sa chevelure débordaient de larmes qui cascadaient sur sa peau claire. Elle renifla et demanda en essuyant son nez :
- Qui es-tu ?
- Je m'appelle Aymeric. Et toi ?
Elle hésita avant de répondre. Ses lèvres rosées tremblaient mais elle finit par dire :
- Lysange. Pourquoi Ourania t'a laissé entrer ?
- Je suis le frère d'Hydronoé.
Elle fronça ses sourcils presque inexistants à cause de leur blancheur qui se confondait avec sa peau et répéta :
- Son frère ? Mais c'est un dragon.
- Oui mais je suis son jumeau humain.
Elle sembla de plus en plus perdue.
- Mais...les dragons ne naissent pas dans des œufs ? Ils ne peuvent pas avoir de jumeau et encore moins humain.
- Je me suis lié à Hydronoé par le sang quand celui-ci a touché sa coquille. Mais sinon, nous sommes essentiellement unis par le cœur. Tu ne ressens pas cette sensation avec Ourania ?
- Si, je l'aime beaucoup mais...
Elle commença à trembler puis pleura. Aymeric ne comprenait pas la raison de son chagrin mais il attendit patiemment qu'elle s'apaise. Lysange essaya ses yeux et s'excusa :
- Pardon, je suis une vraie pleurnicharde. Depuis que je suis ici je n'arrête pas de...de...
Avant qu'elle n'éclate de nouveau en sanglots, le petit garçon lui dit :
- Ça fait du bien de pleurer. On se sent mieux après.
Elle hocha la tête et de nouvelles larmes s'échappèrent de ses yeux sans qu'elle puisse les contenir. Aymeric se leva et avisa un pichet d'eau accompagné d'une verre sur un table basse. Il se servit et offrit le verre à Lysange. Elle accepta avec un faible sourire et le but d'une traite. Il s'assit mais face à elle cette fois.
- Qu'est-ce qui ne va pas ? demanda t-il.
- J'ai peur, répondit la petit fille en faisant rouler son verre entre ses paumes.
- De quoi ?
- De tout. Je ne connais rien ici. Je viens du mont verdoyant.
- Le royaume dans la montagne sur le territoire d'Hangaï ? s'étonna Aymeric. Donc tu es une sylphe ?
Elle fit oui de la tête en baissant les yeux sur ses pieds.
- Comment est-ce que tu es arrivé ici ? Le mont verdoyant est loin !
En voyant que sa question allait la faire pleurer une nouvelle fois, le petit garçon s'empressa d'ajouter :
- N'en parle pas si tu ne veux pas. En tous cas tu devrais manger.
- Je n'ai pas faim. Toi mange si tu veux.
Il grimaça en constatant que sa stratégie pour faire diversion avait échoué. Dommage ! Pendant qu'il s'interrogeait sur la meilleure façon de lui rendre le sourire ou au moins de l'écarter de ses pensées moroses, les deux dragons s'amusaient très bien. Il eu alors une idée.
- Attends-moi une minute ! dit-il à Lysange.
Il regagna sa chambre et attrapa le livre offert par le roi avant de retourne auprès de la petite fille. Il se laissa glissa et ses côtés et l'interrogea en tapotant l'ouvrage :
- Tu connais la légende des premiers Hommes ?
- Non. Elle parle de quoi ?
- Je vais te la lire et tu vas comprendre.
Il ouvrit et feuilleta rapidement les pages pour la trouver avant de commencer la lecture à voix haute. Hydronoé et Ourania les rejoignirent, attirés par la perspective d'entendre une histoire. Aymeric raconta ce passage de la mythologie des dragons primordiaux avec une émotion particulière : c'était la première légende qu'il avait lu de lui-même, sur les conseils de Gordon.
Voilà ce qu'elle apprenait sur les temps anciens : comme les dragons primordiaux ne pouvaient pas avoir d'enfants par reproduction mais désiraient créer quelque chose. Ainsi ils unirent leurs compétences et façonnèrent les premiers Hommes. L'eau devint sang, la terre devint chair, le feu devint énergie et l'air devint souffle vitale.
Les dragons qui n'étaient pas liés aux éléments leur offrir aussi des dons divers comme la fécondité, l'intelligence ou la capacité de se défendre. Ils s'attachèrent à leurs créations et guidèrent les humains vers la civilisation. Les dragons démiurges perçurent cette nouvelle création et alors que Phosphoméra approuva, Noximence les détesta. Il trouvait ces créatures imparfaites, faibles et limitées. Le dragon des ténèbres essaya de les détruire et son pendant lumineux de les protéger. Les démiurges s'opposèrent pour la première fois et leur affrontement manqua d’entraîner la fin du monde et les affaiblit considérablement.
Alors les premiers Hommes s'allièrent aux dragons primordiaux pour les séparer. La lutte fut acharnée mais ils parvinrent à mettre fin au combat entre les dragons démiurges. Le prix fut celui de la vie des premiers Hommes. Les dragons primordiaux les pleurèrent et, touché par cette tristesse, la colère de Noximence s'apaisa et il autorisa ces enfants à donner vie à de nouveaux humains. Lui et Phosphoméra contribuèrent à cette seconde création, instaurant le bon et le mauvais dans les individus. En souvenir de ce jour, les premiers Hommes sont surnommés les chevaliers dragons car ils se sont battus pour la paix en compagnie de leurs créateurs.
Les trois auditeurs écoutèrent attentivement l'histoire et quand Aymeric eut achevé son récit, Lysange déclara :
- C'est une belle légende.
- Tu veux en écouter une autre ?
Elle acquiesça et les deux dragons hochèrent vigoureusement du chef. Aymeric continua donc de lire jusqu'à ce qu'ils soient dérangés par quelqu'un frappant à la porte. Roland entra dans la chambre.
- La table a été dressée pour vous les enfants. Vous mangerez sans adultes pour vous ennuyer ce soir.
Hydronoé poussa un soupir de soulagement et le ventre d'Ourania gronda. Aymeric referma son livre et se redressa. Il tendit une main à Lysange et lança :
- Viens. Ce n'est pas bien de rester le ventre vide.
Elle hésita en se mordillant la lèvres inférieure puis ses doigts pâles agrippèrent ceux de l'enfant. Il la tira doucement pour l'aider à se relever mais elle ne lâcha pas sa main pour autant et resta prudemment caché derrière lui tandis qu'ils se rendaient dans la salle à manger. Cette fois aucun adulte en vue, comme promit par le garde. Si lui et les deux dragons se jetèrent sur la nourriture, Lysange ne fit que grignoter et ne toucha même pas au dessert. Son angoisse semblait de retour et avant de quitter la table, elle dit :
- Je pars demain avec Ourania. Le roi nous envoie dans un lieu secret.
- Je connais : je viens de là-bas, expliqua Aymeric.
Elle redressa la tête, pleine d'espoir.
- Vraiment ? Où est-ce ? Que fait-on là-bas ?
- Je garderais le silence ! Je ne voudrais pas gâcher la surprise. Mais une chose est sûre : tu vas t'y plaire.
- Je ne sais pas. Ça sera certainement très différent de chez moi...
- Tout le monde est très gentil et il y a une grande forêt !
La nouvelle égaya la petit fille qui répéta avec ravissement :
- Une grand forêt ?
- Oui. Je passe beaucoup de temps à la parcourir. J'aime le calme et l'odeur des bois, avoua t-il.
- Moi aussi ! Chez moi il y a des arbres partout et surtout des pins. L'odeur de la sève et des aiguilles est ma préférée.
Ils poursuivirent leur conversation sylvestre pendant qu'Hydronoé et Ourania baillaient aux corneilles. Les deux dragons finirent par regagner leur chambre tandis qu'Aymeric racontait à Lysange comment il avait surpris une biche et son faon en train de boire dans une mare. Ils parlèrent jusqu'à une heure avancée de la nuit et quand les serviteurs vinrent éteindre les bougies du chandelier, ils furent surpris de trouver les deux enfants encore à table.
Le duo comprit qu'il était temps d'aller se coucher et se séparèrent dans le couloir menant aux chambres. Lysange semblait calmé à présent et elle eut un vrai sourire heureux en souhaitant bonne nuit à Aymeric.
Hydronoé dormait déjà quand il rentra sur la pointe des pieds pour ne pas réveiller son frère. Il fit une toilette sommaire et se glissa à côté du dragon d'eau. Même s'il devait quitter la ville, et par conséquent sa famille, il sombra rapidement dans le sommeil.

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