Chapitre 14 : Le départ

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Il s'assit à côté du souverain qui demanda en lui servant de l'eau :
- Alors, comment était cette première journée ?
- Elle commençait mal mais tout s'est arrangé après.
Les yeux du dirigeant d'Alembras brillèrent d'amusement.
- Qu'est-ce qui a redressé la situation ?
- La confiscation d'une flasque et une promesse portant sur l'alcool, expliqua brièvement Aymeric.
- Gordon a accepté aussi facilement ? s'étonna le roi.
- Non mais je l'ai battu à l'épée alors il n'avait pas le choix.
Le souverain éclata de rire et dit :
- Je savais que vous ferriez des étincelles tous les deux mais de là à imaginer que tu parviendrais à le priver de la boisson grâce à une victoire à l'épée, je suis impressionné !
Il reprit son sérieux et déclara en plantant ses yeux gris acier dans ceux d'Aymeric :
- On dirait bien que je ne me suis pas trompé sur ton compte et que tu deviendras même meilleur que ce que j'espérais.
L'apprenti inclina humblement la tête pour remercier le roi de son compliment. Le monarque continua :
- Je vais bientôt te laisser rejoindre Alaman qui doit se demander quand est-ce que je vais te relâcher mais il faut que tu saches que je repars demain.
- Demain ? Déjà ?! s'écria Aymeric.
- Oui. Ondre a besoin de son roi et des affaires urgentes m'attendent. Mon inspection ici est terminée et, bien que j'adore l'atmosphère qui règne en ces lieux, il est temps pour moi de regagner la capitale. La nouvelle attrista étrangement Aymeric. Ces derniers jours, il s'était attaché au roi. Ce n'était pas le dirigeant arrogant, insensible aux malheurs de son peuple et vautré dans le luxe qu'il imaginait. Cet homme l'avait protégé, soutenu et offert une nouvelle vie. Il prendrait même soin de ses frères et sœurs ! C'était la première fois qu'un adulte était si bon avec lui et lui donnait le sentiment d'être entre de bonne mains. Mais demain son bienfaiteur partirait. Le petit garçon prit sur lui et dit avec un sourire :
- Je viendrais vous dire au revoir.
Le monarque lui ébouriffa les cheveux et déclara :
- Allez, va rejoindre Alaman ! Il va finir par te chercher de force.
L'apprenti acquiesça et alla retrouver l'autre apprenti, un peu peiné. Alaman déclara :
- On dirait que le roi t'aime bien. Il n'était pas aussi familier avec moi.
- Toi aussi tu l'as rencontré personnellement ? demanda Aymeric.
- Oui, à Ondre. J'étais avec un groupe de riches marchands qui revenaient d'une expédition aux frontières du désert pour ramener des pierres précieuses et des métaux. Là-bas nous avons découvert une sorte de gros rocher parfaitement lisse et ovale, à demi enseveli dans une dune. Les marchands l'ont pris sans un mot et nous sommes rapidement partis. Ils m'ont juste dit que c'était une marchandise d'une valeur inestimable et que le roi en donnerait un bon prix car il en recherchait à travers tout le royaume, de quoi les rendre riche pour une vie. Mais alors que nous revenions, notre convoi a été attaqué. J'ai été blessé en défendant cette énorme pierre et mon sang est tombé à la surface. C'est comme ça que Firenza est venue au monde. Les marchands étaient surpris et moi encore plus ! Non seulement nous avions perdu notre marchandise la plus précieuse mais en plus nous nous retrouvions avec une gamine étrange sur les bras ! Elle ne me lâchait pas d'une semelle et, à cause de ses ailes et ses cornes, nous avons cru à l'incarnation d'un dieu dragon. Ils ont tout de même décidé de l’amener à la capitale afin de la présenter au roi et je suis resté avec elle comme elle refusait catégoriquement de me laisser reprendre la route, raconta son ami.
- Et comment tu as réagi quand le roi t'as annoncé la vérité ?
- Je n'étais pas étonné. Elle ressemblait tellement à un dragon que ça n'avait rien de surprenant ! Je dirais même que c'était rassurant pour moi d'apprendre qu'elle n'était pas l'incarnation vivante du dragon primordial du feu Ignaïré !
- Pourquoi ? s'étonna Aymeric.
- Tu ne connais pas les légendes ? Ce n'est jamais bon quand un dieu dragon s'attache à un humain. Le pauvre bougre finit souvent par mourir et moi je tiens à la vie !
- Moi aussi j'y tiens et je ne laisserais jamais un de mes semblables te faire du mal, déclara Firenza en s'asseyant à côté de son frère.
- Te voilà enfin ! Ce que tu es longue pour te laver !
- C'est toi qui ne profite pas assez des bains, rétorqua la dragonne. Où est Hydronoé ?
- Sans doute encore en train de barboter, déclara Aymeric.
- Gardons-lui de quoi manger, proposa sa sœur en voyant les plats arriver.
Ils remplirent leur assiette en papotant. Alaman racontait une blague quand Hydronoé refit surface. Ses longs cheveux bleus étaient encore humides. Il s'installa à table en les remerciant pour la nourriture et mangea avec appétit.
- Je ne vois pas Zacharie et Gébald, marmonna le rouquin.
- Ils sont en mission avec leurs maîtres, lui rappela Firenza.
- Ah oui ? J'avais complètement oublié ! Quand est-ce qu'ils rentrent ?
- Demain ou après-demain.
- Génial, je veux les présenter à Aymeric et Hydronoé ! On pourra manger et s'entraîner tous ensemble une fois qu'ils seront amis ! s'enthousiasma Alaman.
- C'est bien d'être optimiste, soupira sa sœur.
- Pourquoi je ne le serais pas ?
- Oublie et sers moi un verre d'eau s'il te plaît.
Alaman ne lâchait pas l'affaire et Aymeric le laissa tenter de tirer les vers du nez à sa dragonne pour demander à Hydronoé :
- Qu'est-ce que tu fabriquais dans les bains ?
- Je suis resté sous l'eau.
- Ça te plaît tant que ça ?
- Oui. Sous l'eau, tout est si calme. Les sons sont atténués, j'ai l'impression d'être enroulé dans une grosse couverture et de retrouver une part de moi.
Aymeric essayait d'imaginer ce qu'il ressentait sans vraiment y parvenir. Il aimait bien nager mais sans plus. L'eau avait pour lui un côté menaçant et prédateur, comme un monstre prêt à vous avaler dès que vous lâcheriez prise. Son frère sentit sa perplexité et dit :
- Un jour, lorsque notre lien sera plus fort, je te montrerais.
Aymeric allait répondre qu'il aimerait bien quand une grosse main calleuse lui ébouriffa les cheveux. Il leva la tête vers Gordon et remarqua qu'il tenait un verre.
- J'espère que c'est de l'eau.
Son maître lui tendit son gobelet et le petit garçon renifla le contenu. Pas de sale odeur d'alcool. Parfait ! Il hocha la tête et Gordon ricana.
- Tu es pire qu'une bonne femme. Couche-toi tôt ce soir, je te réveille à l'aube demain.
Sur ce, il rejoignit Alaric et ils s'engagèrent dans une conversation animée. L'apprenti se demanda ce qu'ils racontaient mais son attention fut rapidement détournée par Alaman. Il se laissa distraire par son nouvel ami jusqu'à ce qu'Hydronoé baille et se frotte les yeux.
- Tu es fatigué ?
- Oui, répondit le dragon d'une petite voix.
- Nous ferrions mieux d'aller dormir sinon nous ne pourrons pas nous lever demain, décréta l'enfant.
- Nous venons avec vous, dit Alaman. Si nous restons trop tard j'aurais moins de lecture. Pas vrai Firenza ?
- Oui et Venerika ne sera pas contente de te voir épuisé demain, ajouta la dragonne.
Ils quittèrent la salle et montèrent au deuxième étage en chahutant joyeusement. Alaman faisait des grimaces et imitait des animaux pour essayer de faire rire sa sœur, insensible à ses pitreries. En revanche Hydronoé riait franchement, rouge à cause du manque de souffle. Ils se dirent au revoir dans le couloir. Aymeric remarqua que son frère le suivait.
- Tu ne vas pas dormir dans ta chambre ? l'interrogea t-il.
- Je n'aime pas être tout seul...
Le petit garçon n'essaya pas de le chasser. Lui aussi s'était souvent réfugié aux côtés de Zolan au début, effrayé par les bruits de la ville et l'obscurité. Et c'était vrai qu'il se sentait en sécurité en compagnie du dragon. Il remarqua une pile de vêtements propres sur son lit et les compta en écarquillant les yeux. Cinq tenues différentes ! C'était plus qu'il n'en avait jamais rêvé ! Deux longues tuniques en tissu blanc en guise de vêtement de nuit complétaient cette nouvelle garde-robe. Aymeric se dévêtit pour en enfiler une et tendit la seconde à Hydronoé. Ils se glissèrent sous les draps et Hydronoé s'endormit dès qu'il eut souhaité bonne nuit à Aymeric. Par sa part l'apprenti demeura éveillé encore un peu, les yeux ouverts dans le noir.
La journée avait été longue. Il sentait qu'il allait apprécié la vie ici et sombra dans le sommeil en s'imaginant chevaucher en armure. Ce n'est pas Gordon qui le tira du sommeil mais le soleil levant. Il colorait l'horizon de nuances rose et or. Aymeric se leva le plus délicatement possible pour ne pas déranger son frère et se posta devant la fenêtre pour admirer la vue. Il observait toujours la montée de l'astre aveuglant dans les cieux rosés quand son mentor entra dans la chambre. Il ne fit aucun commentaire en le voyant déjà debout et se contenta de lancer :
- Réveille Hydronoé, habillez-vous et venez déjeuner.
Aymeric obéit et secoua son frère. Celui-ci remua en agitant les ailes et sa queue battit avec agacement, repoussant le drap.
- Allez Hydronoé, debout ! Sandor va te gronder sinon !
- Sommeil, grommela le dragon.
- On se couchera plus tôt ce soir, promis ! Mais là il faut que tu sortes du lit.
Son frère ouvrit des yeux embués par le sommeil et s'étira. Aymeric lui jeta des vêtements en s'habillant en vitesse afin que Gordon ne perde pas patience. Il attendit néanmoins Hydronoé sur le seuil en trépignant. Le dragon arriva en traînant des pieds et Aymeric l'entraîna au rez-de-chaussé. Son maître et Sandor attendaient au pied de l'escalier.
- Pas trop tôt, grogna le chevalier en les voyant.
- Vous avez bien dormi ? demanda son jumeau avec plus d'amabilité.
- Moi oui mais Hydronoé a l'air encore fatigué...
- Il est encore jeune : il a besoin de beaucoup de sommeil. Il se couchera plus tôt ce soir, n'est-ce pas ?
Le dragon d'eau fit oui de la tête en se frottant un œil.
- Assez perdu de temps, allons manger.
Ils entrèrent dans la salle de banquet où de rares gardes mangeaient. La table était pourtant chargée de cruches de lait, de mottes de beurre, de confitures, fruits, tranches de pain et autres mets alléchants. Les deux enfants mangèrent avec gourmandise tandis que leurs maîtres choisissaient plutôt de la charcuterie et des œufs brouillés.
- Le roi part dans une dizaine de minutes alors hâte-toi de manger, conseilla Gordon en s'asseyant face à son apprenti.
Il n'en fallait pas plus à l'enfant pour engloutir son déjeuner en quelques bouchées. Il termina avant le chevalier, impatient de faire ses adieux au monarque. En le voyant s'agiter sur le banc, son maître soupira.
- J'ai dit qu'il allait partir, pas s'envoler.
Aymeric ne répondit rien car il n'avait qu'une envie : se précipiter dehors et chercher le souverain d'Alembras. Son cœur bondit dans sa poitrine quand Gordon se leva enfin. Il fila comme une flèche vers l'extérieur, sans l'attendre plus longtemps. Il vit des chevaux déjà scellés à côté de la fontaine avec des sacs de vivres. Welson et Roland se tenaient non loin des montures et Aymeric se précipita à leur rencontre. Le garde royal grincheux le remarqua en premier et s'écria :
- Tiens, te voilà toi ! Tu veux rentrer avec nous ?
L'enfant ne dit rien et fonça sur lui pour l'enlacer. L'homme parut surpris puis lui tapota la tête.
- Allons mon garçon, ne soit pas triste. Ce n'est qu'un au revoir.
Il acquiesça puis serra ensuite Roland dans ses bras. Le garde l'éteignit en retour avec un sourire.
- Toi aussi tu vas nous manquer bonhomme. Nous reviendrons te voir le jour où tu seras adoubé, d'accord ?
Le petit garçon hocha la tête.
- Tiens, tu es là Aymeric ! s'exclama le roi en venant vers eux avec sa cape de voyage à la main. Tu viens nous dire au revoir ?
- Oui. Je veux vous souhaiter bon voyage.
- C'est vrai que sans toi nous allons nous sentir moins en sécurité ! plaisanta le monarque.
- Sans moi vous n'arriverez jamais à destination en un seul morceau, renchérit Aymeric.
Le roi posa ses mains sur les épaules de l'apprenti et dit avec sérieux :
- Je suis ravi de t'avoir rencontré Aymeric. J'ignorais à quoi m'attendre lorsqu'on m'a appris qu'un enfant vagabond s'était lié avec un dragon. Je ne pensais pas faire la connaissance d'un garçon avec un tel potentiel et je sais que tu deviendras un splendide chevalier dragon. Si tu as besoin de quoi que se soit, n'hésite pas à m'envoyer une lettre. Même si c'est pour me raconter comment se passe l'entraînement, tes doutes, une bonne après-midi, des choses sans importance ! Je te lirais avec plaisir, d'accord ? Rends-moi fier Aymeric.
- Merci. Merci pour tout. Pas seulement pour moi mais aussi pour ma famille.
- C'est le moins que je puisse faire pour un futur chevalier dragon et pour mon peuple. J'ai bien conscience que certains de mes sujets ne possèdent pas la moindre richesse et dorment dans la rue. Et même si je ne peux pas tous les aider, je ne manque jamais une occasion de le faire.
Les gardes se mirent en selle et le monarque ajouta avant de les imiter :
- Je sais que tu as ta place ici. Si quelqu'un pense le contraire ne l'écoute pas et prouve qu'il a tort. Nous nous reverrons.
Il éperonna sa monture qui s'élança en direction de la forêt, suivi par Welson et Roland. Aymeric les regarda s'éloigner jusqu'à ce qu'ils ne soient plus en vue en contenant sa tristesse du mieux qu'il pouvait. Son protecteur venait de s'en aller et il se sentait démuni.
- Ne sois pas triste petit, il n'a pas disparu.
Le petit garçon fit oui de la tête en prenant une grande inspiration pour l'aider à dissiper sa vision brouillée par les larmes.
- Si tu en as gros sur le cœur, je connais l'endroit parfait pour confier tes sentiments et tes doutes. Viens avec moi.

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