Chapitre 8 : L'arrivée

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Il se tourna vers Hydronoé qui tremblait comme une feuille.
- Arrête Aymeric. Arrête, supplia t-il.
Le petit garçon essoufflé regarda autour de lui. Roland maîtrisait le dernier voleur et les autres gisaient inconscients sur le sol. Il se redressa et demanda à Hydronoé :
- Tu vas bien ?
Le dragon fit oui de la tête. Le roi marcha droit sur lui à grandes enjambées énervées et s'écria :
- Mais qu'est-ce qui t'as pris bon sang ?! Ces hommes sont dangereux Aymeric ! Tu n'aurais jamais dû te jeter dans la mêlée comme ça !
- Nous étions en infériorité numérique et j'en ai envoyé trois au sol, se défendit-il. Sans moi vous, Welson ou Roland seriez peut-être blessé, voir pire. Sans parler d'Hydronoé. Même si je n'ai aucune expérience du combat, mon aide vous a été précieuse cette nuit.
Les traits du monarque s'adoucirent et il soupira.
- Merci pour ton intervention Aymeric. Maintenant laisse-moi examiner la blessure que tu as au bras. - C'est inutile. Elle sera presque guérie demain matin.
- Jeune homme cette plaie est peut-être peu profonde mais elle prendra tout de même plus d'une semaine avant de se refermer complètement ! insista le régent.
- Très bien, obtempéra Aymeric en retirant sa tunique.
Le roi fronça les sourcils en voyant l'entaille.
- C'est peut-être un peu moins profond que ce que j'avais pensé au premier abord...marmonna t-il. Pendant qu'il allait chercher de quoi la nettoyer puis la bander, Hydronoé dit :
- Merci Aymeric.
- Ce n'est rien.
- Elle te fait mal ? l'interrogea le dragon en pointant sa blessure.
Aymeric haussa les épaules. Le brasier qui consumait son corps se retirait progressivement et la douleur devenait de plus en plus nette mais ce n'était rien d'insupportable. Demain, comme il avait tenté de le faire comprendre au roi, il ne resterait rien.
- Ça pique mais j'ai connu pire, répondit-il.
- Désolé, je n'ai pas été capable de me battre...
- Ne t'inquiète pas Hydronoé. Moi je suis content que tu ais été là pour m'arrêter.
Le roi interrompit leur discussion en revenant avec un gourde et un morceau de tissu. Il nettoya la plaie aussi précautionneusement que possible et Aymeric fit de son mieux pour ne pas broncher. En posant le bandage le suzerain remarqua :
- Tu as de la chance, le saignement s'est déjà tari.
Welson et Roland vinrent les rejoindre avec les chevaux et des torches de fortune qui diffusaient une lueur rassurante.
- Nous allons poursuivre le voyage de nuit, nous n'avons pas le choix si nous voulons mettre de la distance entre ces voleurs et nous, expliqua le dirigent d'Alembras.
Il hissa le petit garçon derrière Welson qui brandissait sa torche à bout de bras tout en tenant les rênes dans son autre main. Hydronoé monta avec le roi et Roland ouvrit le chemin en tirant le cheval blessé derrière lui. Le pas lent de l'animal et sa récente dépense d'énergie firent bailler le petit garçon. Comme après chaque affrontement, il se sentait vidé. Plus il faisait d'efforts plus le contre-coup était violent. Une fois, il s'était écroulé en retournant au repaire avec Zolan. Il lui fallait un long repos pour s'en remettre ainsi qu'un repas conséquent. C'était souvent une raison que son aîné avait avancé pour l'empêcher de se battre. Ils ne pouvaient pas se permettre de le laisser engloutir leur maigre réserve pour reprendre du poil de la bête !
Peu à peu ses paupières devinrent lourdes. Il lutta pour ne pas s'endormir, de peur de tomber du cheval. Welson remarqua qu'il dodelinait et marqua une courte pause pour l'installer devant lui. Maintenu de chaque côté par les bras du garde et la tête soutenue par son torse il se sentit beaucoup plus en sûreté.
- Tu peux dormir petit. Je ne vais pas te laisser tomber.
La promesse de Welson fut efficace : en quelques secondes Aymeric sombra dans un sommeil sans rêve, accablé par la fatigue. C'est la faim qui le tira du sommeil. Son ventre grondait, réclamant un repas. Il se frotta les yeux alors que son estomac émettait une nouvelle protestation bruyante. Il faisait déjà jour et il était toujours juché sur sa monture. Hydronoé s'écria :
- Aymeric se réveille !
Le roi et Roland se tournèrent vers lui. Leurs traits étaient tirés par la fatigue mais ils souriaient.
- Je pensais que tu ne reviendrais plus jamais parmi nous, plaisanta le monarque. Si j'en juge par les grognements de ton ventre tu dois être affamé.
Aymeric acquiesça. Il avait aussi la bouche pâteuse et des courbatures dans tout le corps.
- Nous arriverons dans quelques heures. Regarde, nous apercevons déjà la forêt ! positiva Roland. L'enfant vit en effet une rangée d'arbres hauts se profiler à l'horizon. Ils avaient quitté la route et marchaient vers elle en coupant par la prairie.
- Je pense que nous pouvons nous arrêter un instant, décida le régent. Il faut qu'il mange et que je vérifie sa blessure.
Ils descendirent de cheval et Aymeric vida le contenu de sa gourde à grandes gorgées, assoiffé. Puis il se jeta sur les biscuits secs et les fruits qu'Hydronoé lui offrit. Il prenait à peine le temps de mâcher et engloutissait tout ce qui passait à sa portée.
- C'est un appétit d'ogre, constata Welson avec une expression sidérée.
Le roi attendit patiemment qu'Aymeric termine d'engloutir autant de nourriture que possible puis dénoua son bandage. Il poussa une exclamation surprise et tâta la peau parfaitement lisse, sans même une petite cicatrice.
- Comment est-ce possible ? se demanda t-il.
- Je vous l'avais dit qu'elle guérirait rapidement, dit le petit garçon.
- En effet, c'était rapide. Trop rapide pour être normal...murmura le suzerain.
- Zolan disait ça aussi. Est-ce que c'est mal ?
- Non, plutôt surprenant. Tu n'es vraiment pas ordinaire. Non seulement tu parviens à infiltrer mon palais, à donner naissance à un dragon, à battre des hommes adultes sans difficultés mais en plus tu possèdes des facultés de guérison ! On dirait bien que nous avons là un futur homme exceptionnel.
Exceptionnel ? Lui ? Lui qui avait vécu dans la rue toute son enfance, qui n'avait aucune éducation, qui volait pour survivre ? Il se sentit rougir de gêne. Il ne méritait pas ce compliment.
- Puisque tout va pour le mieux, remettons-nous en route.
Ils exécutèrent l'ordre du roi et reprirent leur lente progression. Welson laissa même Aymeric tenir les rênes et lui expliqua comment diriger le cheval. Il trouva cela amusant et pas aussi difficile qu'il l'imaginait. Il avait l'impression d'être un chevalier en chemin pour accomplir une quête périlleuse. Cette impression se renforça lorsqu'ils pénétrèrent dans la forêt.
Les arbres étendaient leurs branches par-dessus le petit groupe et ne laissaient filtrer que de rares rayons du soleil. Il était facile de se représenter un monstre épiant dans l'obscurité, prêt à bondir sur eux. Comme son instinct n'était pas en alerte Aymeric savait que ce n'était pas vrai mais il s'amusa à faire comme. Ils s'enfoncèrent dans les bois et la végétation devint de plus en plus dense. Leurs montures peinaient à progresser et ils avancèrent avec prudence. Les arbres finirent par se faire plus rares et ils débouchèrent face à une large rivière.
L'eau n'était pas vive mais sa couleur boueuse empêchait de voir le fond. Sur l'autre rive Aymeric vit un pont en bois relevé et gardé par des hommes dont l'armure arborait le blason d'Ondre. Le roi ôta sa capuche et leva le bras en criant d'une voix forte :
- Nous voici ! Abaissez le pont !
Ils s'activèrent et l'imposante construction descendit peu à peu vers les nouveaux venus. Le monarque s'engagea le premier, suivit de Welson puis de Roland qui marchait toujours en compagnie du cheval blessé. Les gardes en faction saluèrent le roi puis s'empressent de remonter le pont une fois qu'ils furent de l'autre côté.
- Nous commencions à nous demander s'il ne vous était pas arrivé malheur sire, dit l'un d'entre eux.
- Nous avons en effet eu de petites complications en chemin mais rien de bien grave.
Les deux hommes les escortèrent sur une route pavée qui avançait dans la forêt. Aymeric sentit qu'ils arrivaient à destination et s'agita sur la selle, impatient de voir où ils se rendaient. Ils quittèrent bientôt les bois et s'engagèrent dans une vaste place pavé. Aymeric resta bouché bée face à l'énorme château qui lui faisait face. A côté celui d'Ondre était minuscule !
Il était tout en pierre jaune, sur cinq étages. Il possédait de larges balcons et, après une volée de marches, deux énormes portes de bois menaient au hall. De grandes fenêtres en ogives perçaient les façades sur lesquelles rampait du lierre. Au centre de la cour se dressait une fontaine où l'eau s'écoulait depuis la bouche d'un gigantesque dragon en pierre aux ailes déployées et plaquées d'or. Des constructions plus petites bordaient le château, en pierre grise.
Des hommes et des femmes s'affairaient ça et là. Ils portaient tous des armures ou au moins une épée. Certains transportaient des provisions, d'autres brossaient des chevaux et Aymeric en vit même un affûter sa lame. Au milieu de cette foule, il repéra deux créatures qui tranchaient avec le décor : de grands reptiles endormis au pied de la fontaine, l'un jaune foncé et l'autre blanc tirant sur le vert clair. Des dragons ! De vrais dragons encore plus imposants que la statue ! Hydronoé aussi les observait avec un sourire ravi. Il sauta d'ailleurs de cheval et se précipita vers eux. Aymeric sentit la peau s'emparer de lui : il allait se faire dévorer !
Hydronoé bondit au cou du dragon jaune qui ouvrit un œil. Les bras de l'hybride ne faisait même pas le tour du cou de la bête et Aymeric pâlit en apercevant les griffes de la taille de son avant-bras. Au lieu de s'attaquer à son frère comme il le redoutait, la créature lança d'une voix caverneuse :
- Bonjour petit frère, bienvenue au monde.
- Bienvenue au monde, répéta le second d'un timbre plus féminin et doux.
- Merci, je suis heureux de vous rencontrer enfin !
- Le plaisir est partagé mon frère. Quel est ton nom ?
- Hydronoé !
- C'est un beau nom que nos parents t'ont inspiré, dit le dragon jaune. Je suis Sandor et voici notre sœur, Aerine.
Ils continuèrent les présentations sur un ton joyeux comme si de rien n'était et Aymeric se sentit un peu à part. Alors comme ça son dragon avait une famille ? Pourtant ils ne semblaient pas venir du même dragon primordial. Celui couleur sable devait être un dragon de terre et celle aux écailles presque immaculées un dragon d'air.
- C'est toujours touchant de voir un jeune dragon retrouver ses semblables pour la première fois, déclara le roi en avançant son cheval à sa hauteur.
- Pourquoi se considèrent-ils comme frères et sœurs alors qu'ils n'ont pas les même parents ?
- Ce n'est pas une histoire de sang mais plutôt d'appartenance. Les dragons ne se reproduisent pas, ils n'en ressentent pas le besoin. Tous les œufs proviennent des dragons primordiaux qui les engendrent sans qu'ils aient besoin d'être fécondés. Ensuite ils les déposent sur nos terres et les laissent. Alors pour ceux issus de ces œufs, peu importe de quelle couvée provient un autre membre de leur espèce : ils ne se définissent pas selon leur géniteur. Si je devais prendre un exemple je dirais que c'est comme toi et ta famille d'adoption. Votre sang n'est pas le même mais vous vous considérez pourtant comme une seule et unique fratrie dans laquelle vous admettez parfois un nouvel enfant.
- D'accord...Donc ça veut dire que les dragons primordiaux existent ?
- C'est l'hypothèse la plus plausible. Il faut bien que ces œufs proviennent de quelque part et comme les dragons qui en naissent sont asexués nous en sommes venus à la conclusion que les dragons primordiaux les pondent.
- Mais comment vous savez qu'ils n'ont pas besoin d'être fécondés ?
- Ça aussi c'est une simple spéculation. Comme tu le sais les dragons primordiaux descendent tous des dragons démiurges et chacun représente un élément concret ou abstrait de notre monde. Dans les légendes, il est dit que l'union de dragons primordiaux ne peut rien créer car seuls les dragons démiurges sont en mesure de mettre au monde un nouveau concept.
Aymeric ne comprenait pas tout mais il fit confiance au roi et à son savoir. Hydronoé revint vers eux en courant et cria :
- Aymeric, Aymeric ! Viens dire bonjour à Sandor et Aerine !
Le petit garçon descendit de cheval et suivit timidement son frère dragon. Il n'avait rien à craindre mais la taille des créatures l'impressionnait.
- Ainsi donc tu es le frère de sang d'Hydronoé, dit Sandor en penchant son immense tête au niveau d'Aymeric.
- Oui. Bonjour.
- Tu es bien frêle, même pour un humain, s'étonna la dragonne blanche.
- C'est pour paraître moins appétissant, répondit l'enfant.
Les deux dragons éclatèrent de rire en secouant leur gueule écailleuse.
- Ton frère n'a pas sa langue dans sa poche Hydronoé ! s'exclama le mâle.
- Oui, il a beaucoup d'humour ! admit son frère.
Le roi les rejoignit et salua les deux reptiles ailés.
- Alaric ! s'écria la dragonne. Vous êtes venus nous rendre visite ?
- En effet. Il y a longtemps que je ne suis pas venu et j'ai besoin d'inspecter un peu les lieux pour m'assurer que tout est en ordre. Comment se passe l'entraînement des enfants ?
Aerine soupira avant d'expliquer :
- Alaman n'en fait qu'à sa tête. Venerika à toutes les peines du monde à le canaliser. Heureusement Zacharie est plus discipliné et progresse de jour en jour. Hermas fait du bon travail avec lui.
- Heureux de l'entendre. D'ailleurs Sandor, va prévenir Gordon que j'ai un apprenti pour lui.
Le dragon couleur sable se releva en s'étirant et dit à Aymeric :
- Bonne chance petit.
D'un puissant coup d'aile qui souleva un nuage de poussière, il s'envola. Aymeric se frotta les yeux pour chasser les minuscules saletés qui les piquaient et tenta d'observer le vol du dragon mais il n'était plus qu'un point noir dans les cieux.
- Pourquoi m'a t-il souhaité bonne chance ? demanda t-il au souverain.
- Tu comprendras bientôt. Pour le moment j'ai quelque chose à te montrer.

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