Chapitre 9 : Le château des gardes

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Le roi salua la dragonne et se dirigea vers le château, les deux enfants sur les talons. Tous ceux qu'ils croisaient s'arrêtaient pour faire la révérence, s'incliner ou dire bonjour. Aymeric remarqua qu'ils étaient de toutes les couleurs de peau mais aussi des deux sexes. Il ne savait pas que les femmes pouvaient devenir soldat ! Voilà une nouvelle qui aurait plu à Héliza, sa petite sœur forte tête qui adorait manier des épées en bois et se battre avec les garçons.
L'intérieur de la bâtisse était aussi somptueux que l'extérieur, sans pour autant faire un étalage du luxe. Des tapisseries retraçant des légendes à propos des dragons primordiaux couvraient les murs. Ils montèrent un grand escalier en pierre et s'arrêtèrent au deuxième étage. De chaque côté s'étendait un couloir percé de portes identiques. Le monarque tourna à droite et s'arrêta face à la troisième. Il tourna la poignée et dit à Aymeric :
- Après toi.
L'enfant entra dans une grande chambre. Elle comportait un lit double, un bureau poussé contre le mur accompagné d'une chaise, une large étagère vide et une commode. Une fenêtre laissait entrer le soleil et la pièce sentait les fleurs et le savon.
- Voici ta chambre, déclara le roi.
- Ma chambre ? Rien qu'à moi ?
- Oui.
- Et Hydronoé ? Où est-ce qu'il va dormir ?
- Dans celle d'en face. Durant tout votre apprentissage ici, considérez ces chambres comme les vôtres. Vous pouvez ajouter des meubles, en retirer, peindre les murs...Elles sont toute à vous !
- Quel apprentissage ? demanda Aymeric. Nous allons apprendre un métier ? Comme forgeron ?
- Mieux que ça. Désormais tu as un dragon. C'est une chance rare et un allié puissant qu'il faut mettre au service des autres. Tu as sans doute compris que c'est ici que sont formés les soldats d'Alembras mais il existe plusieurs catégories qui ont des rôles précis. Et toi, j'aimerais que tu deviennes un chevalier dragon.
Le terme donna un frisson à l'enfant.
- Un chevalier dragon....répéta t-il avec vénération.
- Oui, comme ceux de la légende des premiers Hommes. Tu la connais ?
- En partie.
- Quand tu sauras lire tu pourras trouver un recueil qui la raconte, parmi tant d'autres, dans la bibliothèque.
- Je vais apprendre à lire ?!
- Je l'espère bien. A compter, à écrire, à manier l'épée et l'arc, à monter à cheval.
- Mais...Ce n'est pas ce que vous faisiez durant votre enfance ?
- Si. J'ai suivi un entraînement de chevalier dragon bien que je n'ai pas de dragon.
- Je vais vraiment faire tout ça ?
- Ne sois pas si étonné. Tu es intelligent et tu possèdes déjà de bonnes bases dans l'art du combat. Dans quelques années tu sera devenu un excellent chevalier dragon.
- Vous le pensez vraiment ?
- Ai-je pour réputation d'être un menteur ?
Aymeric secoua négativement la tête, le sourire aux lèvres.
- Je vais vous laisser visiter : j'ai à faire, déclara le roi. Vous devez seulement savoir que vous n'avez pas le droit d'entrer dans les autres chambres, que le premier étage est dédié à l'apprentissage et que le rez-de-chaussé contient plutôt des pièces pour satisfaire les besoins basiques comme la cuisine, la salle de banquet, les bains ou les latrines. Ne chahutez pas trop !
Il quitta la chambre. Aymeric et Hydronoé échangèrent un regard complice et bondirent sur le lit dans un même élan.
- Cet endroit est fantastique ! clama le dragon.
- Nous allons devenir chevaliers ! ajouta Aymeric.
- Quelle bande de demeurés ! s'écria une voix en provenance de l'entrée.
Les deux enfants se tournèrent vers l'intrus comme un seul homme. Un garçon de leur âge se tenait adossé contre l'encadrement de la porte, les mains dans les poches de son pantalon. Ses yeux sombres scrutaient Hydronoé et Aymeric avec arrogance et ses lèvres fines retroussées dans un sourire moqueur n'arrangeaient rien. Sa peau était pâle comme la neige et ses cheveux roux vif lui arrivaient aux épaules. Ce qui étonnait le plus était les traits noirs et fins sous ses pommettes. Deux sur chacune, celui du haut plus épais que celui du dessous. Ils se prolongeaient jusqu'à ses oreilles, comme des marques de griffures.
- Qu'est-ce que vous regardez ? demanda t-il d'un ton agressif.
- Tes...commença Hydronoé en indiquant sa joue.
- Ferme la ! hurla le rouquin en flanquant un coup de pied dans la porte.
Le dragon se recroquevilla sur lui-même mais Aymeric ne se laissa pas impressionner. Ce n'était pas le premier petit dur qu'il rencontrait et celui-là était le moins effrayant de tous. Il bondit du lit et marcha vers lui d'un pas vif. Ils se plantèrent l'un en face de l'autre et se foudroyèrent du regard.
- Alaman ? Alaman, où es-tu ? gronda une voix de femme dans le couloir. Viens ici immédiatement ! Le dénommé Alaman jura entre ses dents et fit demi-tour en lançant :
- On se reverra bientôt, débile.
Aymeric ne lui fit pas le plaisir de répondre à ce sale petit provocateur, agacé.
- Il faisait peur, murmura Hydronoé quand le rouquin eut déguerpi.
- Il veut seulement nous intimider, ne rentre pas dans son jeu. Tu n'as rien à craindre de quelqu'un comme lui, tu es un dragon après tout.
- C'est vrai, admit son frère. Et si nous allions visiter le reste du château ? J'ai envie de voir à quoi il ressemble !
Le petit garçon approuva et se fit la réflexion qu'Hydronoé s'exprimait de mieux en mieux. Le roi l'avait prévenu mais cela ne l'empêcha pas d'être admiratif : il apprenait si vite ! Ils quittèrent la chambre et descendirent l'escalier au pas de course, impatients d'arpenter toutes les pièces. Deviner où se trouvait la cuisine n'avait rien de compliqué : il suffisait de suivre les odeurs de nourriture. Ils glissèrent la tête à l'intérieur pour regarder les cuisiniers couper les légumes, surveiller la cuisson d'une viande ou touiller le contenu d'une marmite. Une cuisinière qui pétrissait du pain les aperçut et leur offrit à chacun un biscuit. Ils la remercièrent et s'éclipsèrent pour découvrir la salle de banquet.
Des serviteurs dressaient de longues tables de bois alignées les une contre les autres et les deux enfants ne restèrent pas longtemps pour ne pas les gêner dans leur travail. A cette heure-ci les bains étaient vides et ils admirèrent dans ceux des hommes les larges bassins creusés dans la roche et les systèmes de cabines cloisonnées par des rideaux où l'on pouvait pendre des sceaux d'eau chaude attachés à une corde en hauteur et tirer sur celle-ci pour que le contenu du récipient cascade sur le corps. Quant aux latrines...Que dire sinon qu'elles étaient heureusement propres ?
Ils montèrent à l'étage et la première porte qu'ils poussèrent révéla une bibliothèque gigantesque. Aymeric ouvrit des yeux émerveillés en découvrant les rangées de livres sur les hautes étagères qui montaient jusqu'au plafond ! Des échelles en bois adossées aux meubles colossaux chargés d'ouvrages permettaient d'accéder aux plus hauts. Deux tables au centre de la pièce permettaient de consulter les livres en silence. Il en restait d'ailleurs un ouvert à côté d'une bougie à moitié fondue. Il flottait dans cette salle une odeur toute particulière, celle du vieux papier. Aymeric contempla les couvertures en cuir coloré et les titres écrits à l'or. Il n'arrivait pas à déchiffrer les lettres mais décida de placer sa frustration de côté. Bientôt il apprendrait et alors il reviendrait et lirait tout. Ils s'attardèrent longuement puis Hydronoé manifesta son envie de voir la suite et le petit garçon quitta l'endroit à regret.
Cependant la pièce suivante ne manquait pas d'intérêt : il s'agissait de la salle d'entraînement aux armes. Elle était inoccupée lorsqu'ils entrèrent. De vieilles armes accrochées aux murs témoignaient de la fonction guerrière de la salle. Étonnamment, il découvrit qu'il était capable de toutes les nommer et d'expliquer précisément comment s'en servir. Il évita pourtant de faire un exposé complet à Hydronoé, de peur de l'ennuyer ou de se tromper dans ses propos. Des armures s'alignaient aussi le long d'un mur, anciennes elles aussi. Aymeric sentit une décharge caractéristique le traverser des pieds à la tête. Une douce chaleur se répandit dans ses doigts et il sut qu'il viendrait dans cette salle aussi souvent que dans la bibliothèque.
- Regarde le vitrail ! s'exclama Hydronoé.
Le petit garçon leva les yeux et resta pétrifié de stupéfaction. Entre deux fenêtres étroites et tout en longueur s'en trouvait une troisième en forme de losange dont les morceaux de verre colorés représentaient un dragon aux ailes ouvertes, le cou tendu vers le ciel et la gueule ouverte comme pour rugir. C'était un travail de maître où chaque écaille était représentée. Elles étaient rouge foncé en partant du ventre de l'animal et s'assombrissaient peu à peu jusqu'à devenir noir d'encre au niveau de la queue et de la tête. Une aura rouge vive auréolait le reptile ailé. Le tout était d'une précision poussée à l'extrême et Aymeric imaginait presque le dragon s'animer et quitter le vitrail.
- Qui est-ce ? s'entendit-il demander à Hydronoé.
- On dirait Praeslia, la dragonne primordiale de la guerre.
- Praeslia...murmura Aymeric, incapable d'en détacher le regard.
Son frère le scruta avec intérêt et il s'arracha à la contemplation de l’œuvre, conscient d'en faire trop pour un simple vitrail.
- Allons voir la suite, décida t-il en tournant le dos à la représentation de Praeslia à contre-coeur.
La pièce d'après était plus petite. Elle comportait quelques étagères sur lesquelles reposaient des rouleaux de papier, une énorme carte du continent peinte au mur avec des mots dont Aymeric ignorait la signification et surtout une table octogonale en marbre sur laquelle la même carte, en version papier, était déployée.
- Tu crois que c'est une salle de géographie ? l'interrogea Hydronoé.
- Je l'ignore : il faudra poser la question au roi.
- Où est-ce que nous sommes sur la carte ?
- Ça non plus je ne sais pas. Plutôt dans le nord que dans le sud, c'est tout ce que je peux te dire. Et pas à proximité de la mer.
Le dragon se contenta de cette réponse approximative et ils passèrent à la suite qui ne représentait pas un très grand intérêt à leurs yeux. C'était une salle avec une longue table en bois encadrée par des fauteuils confortables. Aymeric en compta six. Et en dehors de cela, rien. Un peu déçus, ils ouvrirent la porte suivante en espérant trouver quelque chose de plus palpitant.
Une odeur épicée et âcre leur piqua le nez. Cette pièce semblait consacrée aux plantes car il y avait des herbes séchées accrochées au mur, des bocaux en argile posés sur les étagères débordants de graines ou de racines et des baies flétries dans une caisse en bois. Des mortiers, des cruches, des bougies, des planches à découper et des livres envahissaient plusieurs plans de travail. Tout au fond une armée de fioles de toutes les couleurs étaient posées dans une cavité en hauteur.
- Tu crois qu'elles contiennent du poison ? demanda Hydronoé avec méfiance.
- Ou peut-être juste un médicament pour faire baisser la fièvre ou apaiser les maux de ventre, le rassura Aymeric.
Le dragon eut une moue dubitative sans quitter les flacons brillants des yeux. La visite s'arrêta ici car le tour de l'étage était achevé. Ils décidèrent de sortir prendre l'air. Aerine n'était plus près de la fontaine mais la cour était toujours en effervescence. Ils firent le tour des petits bâtiments qui l'entouraient. Outre les écuries ils virent une forge, un pigeonnier, une sorte de petit hôpital, un grenier à blé, une caserne pour les soldats et une basse-cour clôturée.
- J'aime beaucoup cet endroit, déclara Hydronoé en essayant de caresser une poule.
- Oui, j'ai hâte de commencer l'entraînement ! Tu nous imagines en chevalier ? Avec une armure et une épée comme ceux qu'on voit pendant la parade de l'été à Ondre !
- La parade de l'été ?
- Oui. C'est une fête où tous les habitants d'Alembras sont invités à la capitale pour fêter la belle saison. Il y a de la distribution de nourriture tous les jours pendant une semaine, de la musique et des danseurs ! Le dernier jour une gigantesque procession est organisée en l'honneur du roi et il est accompagné par ces chevaliers ! Peut-être qu'un jour nous en ferrons partie !
- Toi oui mais moi pas, corrigea son frère. Je dois rester discret.
- Peut-être qu'avec une cape comme pour voyager les gens ne remarqueront rien !
- J'en doute. En grandissant mes cornes et mes ailes vont croître aussi. Elles se verront même avec une cape !
- Et tu ne peux pas les faire disparaître ? Même avec de la magie ? insista Aymeric.
- Je demanderais à mes aînés. J'ignore encore ce qui entre dans mon domaine de compétence ou non.
- Le roi m'a dit que tu pourras créer des tsunamis.
- J'en suis encore très loin ! Pour le moment je sais respirer sous l'eau et prévoir la météo.
- Vraiment ?!
- Oui. En parlant de ça il va pleuvoir demain.
Aymeric observa le ciel bleu et sans nuages avec un léger doute. Si Hydronoé le disait, ça devait être vrai... Ils flânèrent dehors le reste de la journée en bavardant de tout et n'importe quoi. Aymeric raconta son enfance à Hydronoé qui écouta avec attention puis ils firent la course jusqu'à la lisière de la forêt. Là, s'armant de bâtons, ils s'imaginèrent en chevaliers et se battirent amicalement. Pour une fois Aymeric ne s'enflamma pas, contrairement aux fois où ils jouaient avec ses frères et sœurs. Il contra calmement toutes les attaques du dragon et attaqua sans virulence. Ils s'amusèrent jusqu'à la tombée du jour, quand un garde les apostropha :
- Les enfants, le dîner va être servi dans la salle de banquet.
Ils regagnèrent le château en courant, affamés. Aymeric arriva un peu avant Hydronoé et découvrit la salle bondée. Il repéra le roi tout au bout, en tête de table. Le monarque leur fit signe de venir et ils approchèrent en se frayant un chemin dans la foule bavarde.

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