Chapitre 17 : Le revenant

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Il s'éloigna sur ces mots et l'apprenti se sentit rassuré. Le dragon de terre savait de quoi il parlait et il semblait avoir bien cerné Alaman : il pouvait avoir confiance en son jugement.
Il chercha Zacharie du regard en finissant son dîner mais comme il ne le trouvait pas il regagna sa chambre. Hydronoé n'était pas là et il décida d'enfiler sa tunique de nuit et de se coucher tôt. Il se glissait sous ses couettes quand son frère entra. Il avait les yeux gonflés et renifla à plusieurs reprises. Aymeric s'alarma.
- Qu'est-ce qui t'arrive ? Il s'est passé quelque chose avec Firenza ?
Son frère ne répondit pas à sa question et dit d'une petite voix :
- Je vais dormir dans ma chambre ce soir...
L'apprenti s'étonna de cette décision mais après tout, son jumeau avait peut-être besoin d'être seul.
- D'accord. Ma porte est ouverte si tu as besoin de quoique ce soit.
Hydronoé acquiesça et s'en alla sans même dire bonne nuit. Aymeric fronça les sourcils, surpris par ce comportement. Son frère semblait vraiment abattu... Il commençait à s'endormir quand la porte s'ouvrit lentement. Hydronoé vint se glisser à ses côtés et murmura :
- Firenza est très triste. Elle n'a pas voulu manger et elle m'a dit des choses horribles.
Aymeric se tourna face à lui, même s'il ne le voyait pas dans le noir, et demanda :
- Quelles choses ?
Le dragon ne répondit pas immédiatement et il l'entendit s'agiter. Il finit tout de même par dire :
- Elle m'a expliqué que tu étais comme Alaman. Sans racines, indépendant et entêté. Et elle a ajouté que je devais me méfier parce que toi aussi tu risquerais de me laisser un jour...Parce que tu es comme lui.
- C'est faux, répondit Aymeric. Je ne suis pas Alaman et il n'est pas moi. Ce n'est pas parce que nous avons des ressemblances que nous agirons pareils. Firenza raconte des bêtises à cause de l'émotion : elle ne peut pas savoir de quoi sera fait demain.
- Toi non plus.
- Pourquoi est-ce que je partirais ? Pourquoi est-ce que je voudrais t'abandonner ?
- Je l'ignore. Mais ça me fait peur. Je ne veux pas être tout seul...
- Tu vois bien que je suis là. Et puis Sandor pense qu'Alaman va revenir. Je suis de son avis : il aime trop sa sœur pour la laisser.
- Il fallait qu'il y songe avant...grogna Hydronoé.
- Ça arrive à tout le monde d'agir sur un coup de tête.
Son frère n'ajouta rien et bientôt il l'entendit respirer de manière plus régulière.
Un cliquetis insistant contre sa fenêtre le réveilla à l'aube. Il se dirigea vers celle-ci et vit un gravillon heurter le carreau. Il se pencha pour voir qui était le plaisantin qui s'amusait à faire des blagues de si bon matin et étouffa un cri de surprise en voyant Alaman au milieu de la cour, débraillé et fatigué. Aymeric ne prit pas le temps et s'habiller et quitta sa chambre pour dévaler les escaliers à toute allure. Personne ne traînait dans les couloirs à cette heure, en dehors des gardes en patrouille et des cuisiniers qui commençaient à préparer les repas de la journée. Alaman attendait dehors, un air coupable sur le visage. Le petit garçon se précipita vers lui en s'écriant :
- Mais où est-ce que tu étais passé ?! Nous nous sommes inquiétés ! Firenza est morte de chagrin, elle pensait que tu ne reviendrais jamais !
Le rouquin passa une main dans ses cheveux emmêlés et dit :
- C'est pour elle que j'ai fait demi-tour. Je comptais rentrer avant la tombée de la nuit mais je n'ai pas réussi à retrouver mon chemin et après il faisait si sombre que je ne voyais pas où je posais les pieds...Désolé.
- Ce n'est pas à moi qu'il faudra dire ça mais à Venerika et Firenza ! Moi je savais que tu ne nous laisserais pas tomber.
- C'est vrai ?
- Oui. Même si tu n'es revenu que pour ta sœur, tu es là quand même et c'est tout ce qui m'importe.
- J'espère qu'elle sera contente de me retrouver...
Contente, elle ne l'était pas. Ils prenaient le petit-déjeuner lorsqu'elle entra dans la salle de banquet. Ses longs cheveux rouges voltigeaient derrière elle comme un brasier ardent et ses yeux brûlaient d'une flamme colérique. Alaman délaissa le pain qu'il dégustait avec appétit et se leva pour la saluer. Elle se planta devant lui, les traits déformés par une colère noire. Son frère lança doucement :
- Je suis rentré...
- Idiot ! hurla t-elle en le repoussant alors qu'il voulait la serrer dans ses bras. Tu crois que je vais faire comme si de rien n'était alors que tu m'as abandonné ?
Elle insista sur le dernier mot en jetant un regard noir à Alaman. Celui-ci s'approcha encore et murmura :
- Je suis désolé. J'étais en colère et je n'ai pensé qu'à moi...
- Non, je me fiche de tes excuses ! Je te déteste !
Elle fendit l'air de ses griffes pour le forcer à reculer et déchira la chemise d'Alaman. Ce dernier observa les marques rouges sur son torse et le sang qui commençait à perler et à imbiber ses vêtements avec une grimace de douleur. Il ne cria pas. Firenza écarquilla les yeux, le souffle court.
- Je...je...bafouilla t-elle.
- Je suppose que je l'ai mérité, dit calmement son frère avec un ton désolé.
Il tomba à genoux et s'effondra sur les dalles, livide. Sa soeur se précipita à ses côtés en hurlant son prénom, les joues baignées de larmes. Leurs cris avertirent les adultes qui se précipitèrent. Pendant que l'un d'entre eux portait Alaman vers l'hôpital avec Firenza, un autre interrogea Aymeric sur ce qui venait de se produire. Le petit garçon lui expliqua aussi précisément que possible puis se lança à la suite du trio.
Ils étaient déjà entré dans le bâtiment réservé aux soins, dans la cour du château. L'intérieur était accueillant pour un lieu de ce genre. Outre les grands lits à baldaquin assez espacés, il y avait des fauteuils et une étagère pleine à craquer de livres. Un odeur d'herbes flottait dans l'air et le soleil levant entrait par les fenêtres, baignant la pièce dans une lumière chaleureuse et rassurante. Repérer Alaman n'était pas une tâche difficile : il suffisait de suivre les pleurs de Firenza. La dragonne se tenait au bord du lit où son frère était allongé, examiné par un vieil homme qui devait être médecin. Les griffures sur son torse n'était pas profondes mais saignaient encore. Le vieillard appliquait une sorte de pommade odorante et verte dessus puis banda la parcelle de peau blessée. Une fois son travail achevé, il déclara au garde qui avait amené Alaman :
- La blessure n'est pas grave. Il faudra la recoudre une fois qu'elle sera propre. J'ai appliqué un baume dessus pour endormir la peau et nettoyer la plaie. S'il est tombé c'est sans doute à cause de la fatigue. On dirait qu'il n'a pas fermé l’œil de la nuit. Après une bonne journée de repos, il sera de nouveau sur pieds.
Firenza soupira de soulagement et l'adulte à ses côtés déclara :
- Très bien. Je le laisse entre vos mains.
Aymeric s'approcha de la dragonne tandis que le médecin allait s'activer auprès d'un autre patient. Celle-ci reniflait en pressant la main d'Alaman dans la sienne.
- Ne t'inquiète pas pour lui : il est solide.
- C'est de ma faute s'il est allongé ici...
- Bien sûr que non : tu as entendu le médecin comme moi. Il est juste un peu fatigué.
- Tu crois qu'il sera en colère contre moi en se réveillant ?
- Je ne pense pas. Il s'en voulait pour sa fugue et il m'a avoué n'être revenu que pour toi.
- C'est vrai ? demanda Firenza avec une pointe d'espoir.
- Oui. Allez viens, il faut que tu annonces son retour à Venerika.
Elle hésita et chuchota :
- Je n'ai pas envie de le laisser : il va repartir quand j'aurais le dos tourné.
- Dans son état je ne crois pas qu'il ira bien loin, déclara Aymeric. Tu n'as rien à craindre, il va juste dormir.
- D'accord...
Elle s'éloigna du lit à contre-coeur et suivit le petit garçon en jetant sans cesse un regard par-dessus son épaule, comme si son frère allait se réveiller subitement et prendre la poudre d'escampette en sautant par la fenêtre. Il se montra patient tandis qu'elle traînait des pieds dans la cour en poussant de longs soupirs. Ils arrivaient devant la fontaine quand deux cavaliers firent irruption devant eux. Aymeric se plaça instinctivement face à Firenza puis se détendit en découvrant Gordon et Venerika.
- Déjà debout les enfants ? demanda le chevalier.
L'apprenti allait répondre mais la dragonne lui coupa la parole en s'écriant :
- Alaman est revenu ! Il est à l'hôpital !
Venerika sauta à terre et la saisit par les épaules.
- Quoi ? Il est blessé ?! s’affola t-elle.
- Un peu...Et il a aussi besoin de reprendre des forces.
La chevalière tendit les rênes de sa monture à Aymeric, empoigna Firenza par la main et se rua vers le bâtiment où se trouvait son apprenti. Gordon soupira du haut de son cheval.
- Toujours aussi impulsive. Allez viens petit, descellons ces braves canassons.
Ils entrèrent dans les écuries peu animées en ce début de matinée et Aymeric interrogea son maître tout en débarrassant le cheval de sa selle :
- Que faisiez-vous avec Venerika ? Une promenade ?
- Non. Je l'aidais à chercher Alaman. Elle n'en a pas dormi de la nuit.
- C'est vrai qu'elle avait l'air fatigué...
- Heureusement que cette tête de nœuds est revenue ! Tout le monde va être plus serein maintenant. Comment a réagi Firenza ?
- Elle était en colère puis elle a griffé Alaman par accident, expliqua l'enfant.
Son maître éclata de rire puis brossa pensivement Goinfre. Il marmonna :
- Nous sommes parfois de biens mauvais frères...
- Vous vous en voulez encore d'avoir abandonné Sandor même après toutes ces années ? demanda son apprenti sans mâcher ses mots.
Gordon tressaillit comme s'il venait de le gifler. Une lueur colérique enflamma son regard mais s'éteignit rapidement tandis que le chevalier prenait un air résigné.
- Il te l'a dit, c'est ça ?
- Il l'a vaguement évoqué, sans rentrer dans les détails.
- C'est l'une des plus grosses erreurs de ma vie. Je m'en veux chaque jour en me levant et chaque soir en me couchant et encore plus quand je croise son regard. Quoi qu'il arrive, n'abandonne jamais Hydronoé. C'est bien la meilleure chose que je puisse t'enseigner.
Son mentor ne s'étendit pas sur le sujet et ramena Goinfre dans sa stalle. Aymeric se hâta de brosser la monture de Venerika pour rejoindre Gordon.
- Qu'allons nous faire aujourd'hui ? S'enquit-il, impatient.
- Je vais vérifier si tu as bien suivi ce que je t'ai dit la dernière fois dans la salle de géographie, puis nous irons nous affronter à l'épée avant de t'entraîner à la lecture et l'écriture. Nous ferons une pause pour manger et reprendrons avec un peu d'exercice physique dans les bois. Rien de mieux que la nature pour nous enseigner à quel point l'existence est rude. J'en profiterais pour t'apprendre comment suivre une piste puis nous rentrerons. Qu'est-ce que tu en dis ?
- Est-ce que j'ai mon mot à dire ?
- Non.
- C'est bien ce que je pensais, sourit le petit garçon.
- Assez de bavardages, au travail !

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