Chapitre 5 : Le repaire

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C'était toujours la même minuscule cabane bancale faite de planches, de paille et de boue séchée. De la lumière filtrait sous le tissu élimé qui faisait office de porte et, par-dessus tout, Zolan l'attendait. Fidèle à lui même il affichait cette éternelle expression lasse et pourtant observatrice, comme un chat à l'affût d'une proie qui feint de paresser. Ses yeux noirs cernés mais vifs balayaient les ténèbres environnantes avec attention. Il triturait sa longue mèche de cheveux châtains foncés finement tressée qui pendait de sa tempe gauche à son menton, signe de son anxiété. Aymeric se précipita vers lui en l'enlaça en criant son prénom. Le garçon sursauta, surpris.
- Aymeric ?
- Présent ! répondit l'intéressé avec un sourire.
- Mais où étais-tu ? Nous étions inquiets ! s'écria Zolan.
Il faisait toujours peur lorsqu'il haussait la voix à cause de la cicatrice sur sa joue droite qui lui donnait un air de brigand. Elle était heureusement adoucie par un grain de beauté juste au-dessus.
- J'étais...dans un endroit sûr.
- Vraiment ? Et qu'est-ce que c'est que cet accoutrement ? Où est-ce que tu as volé ça ?
- Je n'ai rien pris sans permission : on me les a donné.
- Ah oui et qui ça ? ricana Zolan. Le roi ?
Comme Aymeric ne riait pas à sa plaisanterie, il perdit son sourire et demanda avec sérieux :
- Tu étais au palais royal ?
- C'est une histoire compliquée. Tout ce qu'il faut que tu saches c'est que je vais bien.
Des petites voix se mirent à crier dans la cabane et une horde d'enfants en déferla bientôt. Le plus jeune avait deux ans et la plus âgée huit. Ils se jetèrent sur Aymeric en criant, manquant de le renverser. Il les serra dans ses bras à tour de rôle, heureux de les revoir une dernière fois. C'est alors qu'il nota leurs nouveaux vêtements, presque d'aussi bonne qualité que les siens.
- Aymeric est rentré ! s'enthousiasma Ella.
- Regarde, nous avons de nouvelles affaires ! ajouta Jill.
- C'est les soldats du roi qui sont venus nous faire des cadeaux ! Il y a aussi à manger et des couvertures bien chaudes ! expliqua Karlice en bondissant sur place.
- Il y a même des jouets !
Chacun y allait de son petit commentaire et Aymeric les écouta sous le regard soucieux de Zolan.
- Les enfants, il est temps de rentrer vous mettre au chaud, finit par dire leur aîné. Je dois discuter de certaines choses avec Aymeric en privé.
Les petits protestèrent pour la forme mais n'opposèrent aucune résistance. Les oreilles indiscrètes enfin écartées, Zolan saisit Aymeric par les épaules :
- Dis-moi que ce n'est pas toi le bâtard !
- Le bâtard ? répéta Aymeric.
Pour une raison étrange, il avait toujours détesté ce mot. Il était dur et le heurtait.
- J'ai entendu des rumeurs en ville. On raconte qu'un garçon de notre âge est arrivé dans le palais et que le roi prend extrêmement soin de lui. Un peu trop si tu vois ce que je veux dire.
Aymeric grimaça. Lui, le fils du roi ? Il n'avait pas un seul trait en commun ! Si le régent lui offrait son attention et sa protection, c'est surtout parce qu'il avait donné naissance à Hydronoé et qu'il ne pouvait pas être séparé du dragon. Cela n'avait rien d'une quelconque histoire d'enfant illégitime. Il s'empressa de rassurer Zolan :
- J'ai une tête à être l'enfant d'un roi ? S'il a bel et bien un enfant d'une autre femme que la reine, ce n'est pas moi.
Son aîné passa une main dans ses cheveux coupés courts en soupirant :
- Alors pourquoi est-ce que tu portes une tenue digne d'un noble ? Et pourquoi des soldats royaux sont descendus jusqu'ici pour nous offrir de quoi vivre au moins deux mois sans un mot ?
- C'est parce que...j'ai trouvé une sorte de travail.
- Quel genre de travail ? s'inquiéta son frère. Pour qui ? Qu'est-ce que tu dois faire ?
- Pour un riche : je dois simplement obéir, éluda t-il.
- Mais tu es complètement fou ! cria Zolan. Combien de fois t'ai-je dit de fuir les nobles comme la peste ?! Ces gens mentent comme ils respirent et se fichent des pouilleux comme nous. Tu n'es qu'un jouet entre leurs mains, je te l'ai répété des dizaines de fois ! Pourquoi est-ce que tu ne m'as pas écouté ? Qu'est-ce qu'on t'a promit ?
- Que vous serez heureux, répondit tranquillement Aymeric. J'ai confiance en cet homme : il m'a prouvé qu'il était bon.
Son ami eut un rictus méprisant :
- Ils sont toujours doux comme des agneaux au début puis quand ils sont lassés ils te jettent. Reviens à nos côtés Aymeric, je t'en prie. Nous pouvons survivre sans l'aide de ces gens, comme nous l'avons toujours fait. Pense aux petits, que vont-ils dire quand je leur apprendrais que tu ne reviendras sans doute jamais ?
Le petit garçon prit une grande inspiration pour retenir ses larmes et annoncer la nouvelle fatidique :
- C'est vrai, je ne reviendrais pas. Je pars demain.
Zolan devint livide :
- Où ?
- Je l'ignore. Je pars et c'est tout. N'essaie pas de m'en empêcher : j'ai donné ma parole et je ne peux pas revenir dessus.
Son aîné le tira à lui et le serra dans ses bras comme un véritable frère. Aymeric lui rendit son étreinte, au bord des larmes. C'était plus dur qu'il ne le pensait. Ils étaient comme sa famille, même s'ils n'étaient unis que par les liens du cœur. Zolan lui caressa la tête avec un sourire triste. Ils étaient plus proches qu'avec aucun des autres, unis comme les deux doigts de la main. C'est lui qui avait tout appris à Aymeric et qui l'avait accepté dans le repaire lors de son arrivée à Ondre, petit, affamé et ignorant de tout. Ensemble ils avaient volé, sauvé d'autres orphelins, protégé les leur des bandes mal intentionnées.
Mais aujourd'hui tout cela prenait fin. Aymeric se sentit coupable de le laisser seul. Allait-il s'en sortir ? Il était son aîné de quatre ans mais le petit garçon s'inquiétait.
- Attends moi ici, j'ai quelque chose pour toi, dit son frère en le lâchant.
Zolan entra dans le repaire et Aymeric résista à grand peine à l'envie de le suivre. Seul dans le noir il se demanda s'il avait fait le bon choix. Le visage d'Hydronoé s'imposa à lui. Il ne pouvait pas abandonner le dragon. Son aîné revint et lui tendit une bourse de toile crasseuse :
- Tiens, je voulais te l'offrir pour ton dixième anniversaire. Ouvre-le.
Les doigts tremblants, Aymeric déballa le paquet pour découvrir, niché au creux du tissu, un pendentif en bois sombre taillé en forme de corbeau et enfilé sur une cordelette grâce à un petit trou percé dans la tête de la sculpture. C'était l'animal favori de Zolan, un oiseau de mauvais augure et rejeté par tous. Comme eux.
- Je l'ai taillé moi-même. Et regarde j'en ai fabriqué un pour moi qui ressemble à un dragon !
Il dégagea un collier de sous ses vêtements et Aymeric admira le reptile aux ailes déployées. Zolan avait un vrai talent pour la sculpture mais il ne l'exploitait pas, faute de temps. Trouver de quoi vêtir et nourrir les enfants était plus important que s'adonner à sa passion.
- Il te plaît ?
- Je l'adore ! affirma Aymeric en le passant autour de son cou.
- Garde-le toujours sur toi : il te portera bonheur. Si nous te manquons trop tu n'auras qu'à le serrer contre toi et te souvenir que nous sommes liés à travers lui. D'accord ?
Le petit garçon fit oui de la tête et son aîné lui ébouriffa la tête.
- Allez, file ! Pars avant que je te retienne et n'oublie jamais que cet endroit est ton foyer et que tu peux revenir quand tu le désires.
Ils s'étreignirent une dernière fois et il s'en alla à toute vitesse pour que son frère ne voit pas les larmes qui roulaient sur ses joues. Il regagna le palais en pleurant mais sans cesser de courir. Il bouscula des gens qui regagnaient leur logis et trébucha une bonne dizaine de fois. Il franchit les portes sans être arrêté et erra longuement dans les couloirs en sanglotant. Il parvint à retrouver sa chambre et alla s'effondrer sur son lit. Il serra le pendentif entre ces mains, blessé de les avoir abandonné.
Il se roula en boule sans le lâcher et s'endormit en sanglotant. Le son de la porte qui se refermait le réveilla et il se redressa brusquement. Il découvrit Hydronoé qui tenait deux petites assiettes contenant du gâteau au chocolat. Le dragon escalada le lit et lui offrit l'une d'elle avec un sourire contrit :
- Contre les larmes.
Aymeric accepta, touché par l'attention du dragon mais aussi affamé. Il dévora sa part et savoura le goût onctueux du chocolat fondant sur sa langue. Il se recoucha dès qu'il eut terminé son repas. Il était loin d'être repu mais cela lui suffisait. Hydronoé l'imita et demanda :
- Je peux dormir avec toi ?
Il acquiesça. Avoir quelqu'un à ses côtés lui rappelait la proximité avec ses frères et sœurs durant la nuit pour lutter contre le froid. Le dragon s'installa sur les couvertures et s'enroula dans ses ailes. Il ferma les yeux et en quelques minutes il s'endormit. Aymeric l'envia : il était si paisible, ne se souciait de rien. Lui n'arriva pas à trouver le sommeil. Il tourna et se retourna dans le grand lit. Parfois Hydronoé grognait ou soupirait dans son sommeil, habitant le silence nocturne. La fatigue finit néanmoins par avoir raison de lui. Cette nuit-là, il cauchemarda. Il rêva que ses frères et sœurs partaient sans lui sur une grande route lumineuse et Zolan, qui portait les vêtements du roi, lui lança :
- Garde bien la maison pour nous Aymeric sinon le dragon va se fâcher.
A ces mots le repaire explosa et une gigantesque créature écailleuse et bleue en émergea en crachant du feu. Les flammes touchèrent sa famille qui s'évapora en tendant des bras suppliants dans sa direction. Le monstre ouvrit sa gueule garnie de crocs longs et tranchants comme des poignards, assez grande pour avaler un bœuf sans difficulté. Ce gouffre monstrueux avide de chair se tourna vers Aymeric et fondit sur lui. Au moment où les mâchoires se refermaient autour de son corps, il se réveilla en sursaut. Il était couvert d'une sueur moite qui collait ses vêtements à sa peau fiévreuse et respirait fort, les doigts crispés sur les draps. Hydronoé était déjà levé, le nez collé à la fenêtre.
- Il va faire beau, dit-il tranquillement.
- Comment tu le sais ?
Le dragon tapota son nez comme si cela expliquait tout puis le rejoignit et tira sur la manche de sa tunique.
- J'ai faim.
- Il faut appeler une servante dans ce cas.
Aymeric ouvrit la porte et sursauta en découvrant le roi sur le seuil. Il avait troqué sa tenue royale contre des vêtements de voyage plus modestes et discrets dans les tons blanc et taupe. Il portait une longue cape de voyage couleur sable, une chemise blanche et un pantalon d'équitation, prêt à prendre la route.
- Déjà réveillé ? s'étonna le monarque.
- Oui.
- Parfait. Vous avez trente minutes pour vous habiller, manger et me rejoindre dans la cour du palais.
Il livra le passage à une horde de servantes chargées d'habits, de nourriture mais aussi d'une bassine d'eau chaude et de sacs en cuir de bonne facture. Hydronoé bondit sur celui brodé d'un H en fil d'or et le pressa contre son cœur. Il en vérifia le contenu avant de le refermer avec satisfaction.
- Qu'est-ce que c'est ? l'interrogea Aymeric.
- Mon trésor.
- Je peux voir ?
- Non, pas encore. Plus tard.
Le petit garçon n'insista pas. Les domestiques déposèrent leur chargement et quittèrent la pièce. Aymeric entreprit de faire rapidement sa toilette. Il n'était pas pudique, pas alors qu'il avait vécu dans une minuscule chaumière avec des dizaines d'enfants durant des années. Hydronoé ne se gêna pas non plus et ils s'habillèrent tout en grignotant du pain et du fromage. Aymeric glissa le restant des vivres dans son sac et le passa sur son dos. Lui et son nouveau frère s'empressèrent de rejoindre le roi qui parlait avec deux gardes à l'extérieur. Aymeric reconnut ceux qui l'avaient coincé dans la salle des œufs.
- Vous êtes dans les temps, les félicita le souverain. Maintenant en selle.

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