Chapitre 7 : L'attaque

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Le soleil se couchait lorsqu'un village se profila devant eux. Aymeric poussa un soupir de soulagement : ses cuisses le brûlaient à force de frotter contre la selle et il avait le bas du dos en compote. Ils mirent pied à terre à l'entrée du petit village, dévisagés avec curiosité par les habitants. Le dragon se cacha à demi derrière Aymeric, intimidé par tant d'inconnus. Cet endroit était très différent de la capitale. Les maisons étaient plus petites et espacées avec des jardins pleins de légumes et d'arbres fruitiers. Les rues étaient en terre battue et il ne régnait pas une effervescence comparable à celle d'Ondre.
Les adultes les conduisirent à l'auberge annoncée par un panneau de bois accroché au-dessus de la porte et représentant grossièrement un lit. En entrant les rires, l'odeur de viande rôtie et d'alcool rance ainsi que le brouhaha des conversations les submergèrent. Le roi et Roland restèrent en leur compagnie tandis que Welson s'adressait au tavernier pour obtenir une chambre et un repas. Il ne tarda pas à revenir en arborant un air satisfait.
- Nous avons trois chambres pour la nuit, les chevaux seront choyés et le repas sera servi dès que nous nous mettrons à table, dit-il.
- Dans ce cas ne perdons pas de temps : nous avons besoin de repos, décréta le roi.
Ils s'installèrent au fond de la salle, à côté d'une table ou quatre hommes jouaient aux cartes, une chope de bière à la main. Une femme, sans doute celle de l'aubergiste, vint déposer devant eux des assiettes fumantes. Elles contenaient une tranche de cochon rôti au feu de bois et une potée de légumes recouverte de sauce épaisse et brune. Ils mangèrent rapidement et en silence. Si le roi était tranquille, ce n'était pas le cas des gardes qui scrutaient avec attention la salle enfumée par le feu qui brûlait dans la cheminée, comme si un danger pouvait survenir à tout moment. Aymeric remarqua qu'Hydronoé délaissait ses légumes.
- Tu ne les manges pas ? s'enquit-il.
- Pas bons, déclara le dragon avec une grimace de dégoût.
- Mais si, c'est excellent pour la santé. Si tu fais la fine bouche tu resteras petit toute ta vie.
C'était bien entendu un mensonge mais il fit son petit effet car Hydronoé les avala à grandes bouchées avec un air torturé.
- Un dragon qui mange des courgettes et de l'aubergine, j'aurais tout vu ! se moqua Welson.
- C'est bien de faire des efforts, l'encouragea Roland.
L'hybride repoussa son assiette vide avec un soupir de soulagement et le roi se leva en déclarant :
- Tous au lit.
Aymeric ne se fit pas prier : il était fourbu. Il ne pensait pas que chevaucher était si épuisant ! En arrivant dans sa chambre il se coucha sur son lit sans même enlever ses bottes. Le sommier grinça sous son poids et les draps sentaient le moisi. Il vit aussi un insecte détaler sur le plancher. Il ne s'en plaignit pas pour autant : il avait un lit et un toit au-dessus de la tête. C'était mieux que rien ! En dépit de ses muscles endoloris il fit l'effort de se dévêtir avant de se glisser sous les couettes. Hydronoé prit exemple sur lui puis s'enveloppa dans ses ailes comme la fois précédente. Aymeric souffla la bougie allumée à côté de son lit et souhaita bonne nuit à Hydronoé. Le dragon ne répondit pas, déjà assoupi. Le petit garçon serra le pendentif de Zolan entre ses doigts et s'endormit en pensant à sa famille.
C'est le soleil levant filtrant à travers la petite fenêtre crasseuse qui le tira de son sommeil. Il s'étira et s'habilla tandis qu'Hydronoé sommeillait encore paisiblement. Aymeric attendit qu'on vienne le chercher en observant le lever de l'astre brûlant. Lorsqu'on frappa à la porte, il alla ouvrir. Roland se tenait sur le seuil, lui aussi habillé.
- Déjà debout ? s'étonna le garde.
- Je suis un lève-tôt.
- Alors réveille Hydronoé et viens déjeuner. Nous sommes déjà un peu en retard.
Aymeric secoua Hydronoé qui grogna en essayant de le repousser. Il s'acharna cinq bonnes minutes avant que le dragon daigne ouvrir les yeux.
- Dépêche-toi d'enfiler tes vêtements : on nous attend en bas. Et surtout n'oublie pas de porter ta cape !
Le dragon s'activa en baillant et ils descendirent dès qu'il fut présentable et bien camouflé. Le monarque et les gardes terminaient de manger quand les deux petits garçons arrivèrent. Aymeric mangea un morceau de pain qu'il trempa dans du lait frais tandis que Welson alla préparer les montures. Contrairement à la soirée précédente, il n'y avait pas un chat dans la salle. Sans doute parce qu'il était tôt et que les clients dormaient encore. Ils se sustentèrent rapidement et quittèrent l'établissement après un bref salut aux propriétaires. Aymeric se massa les jambes avant de monter à cheval, encore courbaturé de la veille.
Welson l'aida encore une fois à se mettre en selle et ils reprirent le chemin au galop, profitant de la fraîcheur matinale. Il se sentit plus à l'aise sur la monture et même s'il se tenait toujours au garde il n'avait plus peur de chuter. Pourtant en début d'après-midi alors qu'ils galopaient sur une route, leur cheval dérapa vers l'avant. Déséquilibré, Aymeric glissa de la selle et percuta rudement le sol. Hydronoé hurla son prénom et sauta de sa monture pour vérifier si tout allait bien. En dehors de ses paumes égratignés il n'était pas blessé ce qui n'était pas le cas de l'animal. Son sabot s'était posé sur une pierre émergée du sol et avait glissé dessus. Welson examina sa patte et dit d'un ton grave :
- Elle est foulée. Vous allez devoir continuer sans moi. Aymeric, monte sur le cheval du roi.
- Hors de question, le contredit le suzerain. Nous ne laissons personne derrière. Faisons le nécessaire pour soulager un peu la douleur de cette pauvre bête et continuons d'avancer.
Le garde se plia à la volonté du roi et fit un bandage et une attelle à sa monture pour maintenir la patte droite. Il la prit par les rênes et marcha à ses côtés en lui flattant l'encolure. Quant à Aymeric, il monta en compagnie du monarque. Ils avancèrent bien plus doucement et ne firent donc aucune pause, mangeant ou buvant tout en chevauchant. La tension se renforça avec la tombée de la nuit, suite à plusieurs longues heures au pas. Ils avancèrent jusqu'à ne plus rien voir devant eux et là seulement le roi ordonna de quitter la route et d'établir un campement.
Welson se chargea de sortir des couvertures d'un sac tandis que Roland attachait leurs montures à un arbre et les pansait. Le roi examinait les ombres épaisses de la nuit avec inquiétude. Aymeric n'était pas dupe : on les suivait. Depuis qu'ils avaient quitté Ondre, les trois hommes se méfiaient. Cette nuit ils seraient vulnérables et une attaque était à craindre. Le petit garçon s'approcha d'Hydronoé et souffla :
- Tu dors à côté de moi ce soir. Si tu entends le moindre bruit, n'hésite pas à me réveiller.
- Pourquoi ?
- Fais-moi juste confiance.
Le dragon pencha la tête sur le côté mais finit par acquiescer. Welson vint vers eux et leur tendit des couvertures. Aymeric accepta machinalement la sienne, les sens aux aguets. Son instinct lui criait que le danger approchait. Il sentit une pointe d'excitation monter en lui et une chaleur ardente lui brûler les mains. Il prit une grande inspiration pour garder les idées claires. Déjà quand il vivait dans les rues il était le premier à percevoir les dangers et à les éviter. Il était aussi le premier à s'élancer vers les brigands armés qui voulaient détrousser les siens du peu de biens qu'ils possédaient. Zolan lui assignait souvent le rôle de sentinelle durant l'hiver car non seulement Aymeric était endurant mais il savait flairer les ennuis. En revanche il lui interdisait toujours de se battre sauf en cas d'extrême urgence. Il n'avait le droit que de se défendre et avec modération.
Hydronoé et lui s'enroulèrent dans leur couverture et se couchèrent à même le sol. Roland et le roi les rejoignirent en conservant leur épée à portée de main tandis que Welson montait la garde. Aymeric ne parvint pas à fermer l’œil. Quelque chose approchait et il pressentait que c'était dangereux. Sans doute une bande très organisée de plus de cinq et armée. Sa peau le picota et se força à rester bien sagement allongé. La menace fondrait bientôt sur eux, il devait juste se montrer patient. Aujourd'hui Zolan ne sera pas là pour l'empêcher d'attaquer. Il aimait énormément son frère de cœur mais s'il l'avait laissé faire étalage de sa force, par exemple dans les combats clandestins, leur famille aurait mieux vécu. Mais son aîné avait toujours catégoriquement refusé qu'il participe à ces petits jeux dont raffolaient certains nobles qui entretenaient très bien leurs champions. Car Zolan avait peur, non pas pour lui, mais pour ses adversaires.
Aymeric surent qu'ils étaient là quand les chevaux piétinèrent le sol et hennirent discrètement. Il se leva sans perdre une seconde en tendant l'oreille. Tout semblait calme et rien ne sortait de l'ordinaire mais il capta le son d'une feuille morte qui craqua non loin.
- Pourquoi est-ce que tu es levé toi ? chuchota Welson. Retourne dormir.
- Ils sont là.
- Qui est là ?
- Ceux qui nous suivent depuis Ondre, répondit l'enfant.
- Comment est-ce que tu as su que nous étions pourchassés ?
- A cause de votre attitude. Maintenant il faut réveiller le roi : ils sont ici et ils nous encerclent.
Sans remettre sa parole en doute, Welson se précipita sur le suzerain et le secoua sans ménagement. Celui-ci se tira aussitôt du sommeil et empoigna son arme, prêt à l'affrontement. Comme le campement était calme il demanda d'un ton irrité :
- Qu'est-ce qui se passe ?
- Aymeric dit que ceux qui nous suivent depuis la capitale sont ici.
- Et comment le sait-il ?
- Je l'ignore mais il est très sérieux.
- Ils sont à moins de cent mètres, annonça Aymeric en tournant sur lui-même. Ils ne vont pas tarder à donner l'assaut. J'en dénombre sept.
Le roi se redressa tandis que le garde réveillait son camarade et Hydronoé.
- Qu'est-ce qui te fais dire ça ? l'interrogea le roi.
- Je le sais, c'est tout. Oh, ça va commencer !
Son impatience atteignit son paroxysme et un tressaillement nerveux l'agita de la tête aux pieds. La chaleur de ses mains se propagea à ses bras, son torse et s'étendit progressivement à tout son corps. Il brûlait de l'intérieur. L'affrontement était proche. Il se prépara mais ne demanda pas au roi s'il avait la permission d'attaquer, sachant qu'il dirait non. Un cri de chouette strident retentit dans le silence de la nuit et Aymeric comprit que l'offensive était lancée. Il les entendit se précipiter sur leur groupe bien avant de les voir et fonça.
- Aymeric, non ! hurla le roi.
Trop tard : il n'écoutait déjà plus. Il filait à toute vitesse sur les deux hommes qui surgissaient de la forêt en brandissant des lames. Elles étaient de mauvaises qualités et leur armure de cuir. Ce n'était que des bandits avides de détrousser des voyageurs moins nombreux qu'eux et handicapés par deux enfants. Malheureusement pour eux, Aymeric était d'une autre trempe. Si les deux hommes ralentirent en voyant un enfant foncer dans leur direction, lui accéléra.
Il saisit le poignet du plus proche et le lui tordit dans le dos d'un mouvement fluide et puissant. Son adversaire beugla et lâcha son arme. Facile. Aymeric la ramassa sans perdre une seconde et enfonça brutalement son genou dans le ventre de l'homme. Le brigand se plia en deux, privé d'oxygène, et l'enfant lui asséna un violent coup sur le crâne avec la garde de l'épée. Son ennemi s'effondra, sonné. L'autre en profita pour attaquer mais il s'y attendait déjà et bloqua son coup.
Le voleur se dégagea et leva sa lame, prêt à l'abattre sur Aymeric. Mais il n'était déjà plus là. Il se tenait derrière l'homme et d'un coup brutal et précis dans le creux du genou il le déstabilisa. Son opposant tomba en avant. Aymeric donna un coup de pied dans son arme pour l'éloigner puis passa un bras autour du cou de son adversaire et, bloquant son poignet avec son autre main, il serra. En comprenant qu'il essayait de l'étrangler, l'homme se débattit et Aymeric accentua la pression. Son adversaire avait plus de forces et parvint à se libérer mais le petit garçon avait eu ce qu'il voulait : son ennemi était sonné.
Il donna le coup de grâce en visant la partie sensible de l'anatomie. L'homme articula un cri de douleur muet en portant les mains à son entre-jambe et tomba à genoux. Aymeric le frappa dans la tempe de toutes ses forces et le brigand tomba sur le côté. L'enfant frissonna. Cela faisait longtemps qu'il ne s'était pas battu mais ce brasier qui animait son corps lui commandait de continuer, que le combat était loin d'être fini.
- Rendez-vous ! hurla l'un des hommes.
Aymeric fit volte-face, pressentant le pire. Il ne se trompait pas : un brigand tenait fermement Hydronoé par le cou, juste à côté des chevaux, une lame pointée vers son cœur. Même sans voir le visage de son frère, il sut à quel point la situation le terrifiait. L'ardeur d'Aymeric redoubla et la frénésie guerrière qui l'habitait engloutit son cœur. De quel droit cette ordure se permettait-il de menacer Hydronoé ? De quel droit se permettait-il de le toucher ? Le roi et les gardes rendirent les armes sans résistance.
Il ne restait plus que deux voleurs encore debout, dont celui qui tenait son frère. Personne ne fit attention à lui et il contourna lentement le campement pour prendre son nouvel ennemi à revers. Il analysa le terrain et comprit comment il allait frapper pour que cette raclure mange la poussière. Il s'approcha à pas de félins pendant que l'homme beuglait :
- Donnez-nous tous ce que vous possédez sinon je tranche la gorge du gosse !
- Prenez tout, dit le roi d'une voix calme. Mais ne lui faites aucun mal.
- Je n'ai pas d'ordre à recevoir de toi, ferme la si tu veux pas que je saigne le gosse comme un porc !
Le second brigand en état de se battre gifla le souverain d'un puissant revers de la main. Aymeric vit rouge et passa à l'action. Il s'élança avec une rapidité surprenante, prit appui sur le tronc d'arbre auquel étaient attachés les chevaux et se propulsa vers celui qui menaçait Hydronoé en donnant une puissante impulsion.
Il percuta l'homme qui lâcha son frère et ils roulèrent au sol. Le voleur l'empoigna par les cheveux et Aymeric visa son nez. Un craquement sinistre lui indiqua qu'il venait de le casser et son adversaire hurla tandis que du sang en dégoulinait. Il voulut frapper l'enfant mais celui-ci esquiva sans problème et attrapa le bras tendu de son adversaire entre ses mains. Il le tordit violemment et désira même le briser pour le punir d'avoir agressé Hydronoé. Il se ravisa au dernier moment. Ce court laps de temps laissa au voleur le l'opportunité de sortir un poignard glissée à sa ceinture avec sa main valide.
Aymeric sentit le danger mais s'écarta de la trajectoire de la lame trop tard. Le fer lui ouvrit une large entaille à l'épaule et le sang s'en échappa à flot, teintant ses vêtements de rouge foncé. La douleur renforça sa rage et il bondit sur le brigand. Celui-ci essaya une nouvelle fois de le toucher avec son poignard mais Aymeric ne se fit pas avoir. L'enfant donna un grand coup de front dans le nez cassé de son ennemi qui cria de douleur en pleurnichant. Il le força à se taire en le frappant sous le menton du plat de la paume. Les dents de son adversaire s'entrechoquèrent et il s'effondra vers l'arrière. Aymeric brandit le poing pour lui offrir le coup de grâce mais des doigts tremblants s'enroulèrent autour de son poignet pour le retenir.

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