Chapitre 3 : La proposition

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Des coups frappés contre la porte le réveillèrent le lendemain. Au début il se demanda depuis quand le repaire possédait une porte. Puis il se souvint qu'il n'était pas chez lui mais dans une chambre du palais royal.
- Sire Aymeric, êtes-vous réveillé ?
Il se frotta les yeux en grommelant un oui. Une vieille femme entra dans la chambre avec une bassine d'eau fumante entre les mains, accompagnée de deux autres servantes qui portaient respectivement un plateau chargé de nourriture et des vêtements.
- Debout sire Aymeric, vous devez vous lavez et vous habillez avant de rencontrer le roi.
Les deux plus jeunes déposèrent leur fardeau et s'en allèrent sans prononcer une parole tandis qu'il se glissait hors du lit. La vieille servante ouvrit les rideaux d'un geste brusque et il se protégea les yeux à cause de la lumière vive.
- Venez, nous allons vous décrassez.
- Je peux le faire tout seul.
- Eh bien dépêchez-vous ! Nous n'avons pas toute la matinée. Je vous laisse quinze minutes et pas une de plus.
Elle quitta la chambre en murmurant «les enfants de nos jours !». Aymeric plongea un linge dans l'eau chaude et se frotta activement le corps en rinçant souvent le tissu. Se laver lui fit un bien fou. Son dernier bain remontait à une semaine, dans un lac à une heure de la ville. Il avait aussi fait une toilette rapide en profitant de la pluie deux jours auparavant. Il se félicita de voir que l'eau n'était pas si sale. Il n'épargna aucune partie de son corps et insista longuement, pour être certain de bien déloger la saleté. Il s'épongea dans une serviette moelleuse et parfumée qu'il enroula autour de sa taille. La servante entra à ce moment-là et tiqua en découvrant sa maigreur.
- Par les dragons primordiaux, vous n'avez que la peau sur les os mon petit !
Aymeric ne répondit pas, trop attiré par le plateau de nourriture. La vieille femme attrapa les vêtements propres et saisit le petit garçon par l'épaule. Celui-ci se dégagea brusquement, peu habitué à être toucher par des inconnus. Sa tortionnaire n'abandonna pas et le poursuivit sans relâche dans toute la pièce.
- Mais lâchez-moi à la fin ! hurla Aymeric en s'éloignant de la servante qui essayait de l'habiller.
- Voyons mon enfant, tu ne peux pas te présenter au roi nu comme un vers ou avec tes guenilles !
- Eh bien si ! Il m'a déjà vu avec hier et aujourd'hui ce sera pareil !
- Vous n'êtes pas raisonnable ! Approchez donc et laissez-moi vous enfiler des vêtements décents ! s'exclama la vieille femme.
- Je suis assez grand pour le faire tout seul !
La domestique déposa les habits sur le grand lit en signe de reddition et quitta la pièce avec un soupir. Aymeric observa et palpa le tissu doux et épais. Il y avait une tunique de couleur rouge à sa taille, un pantalon en toile marron, une ceinture et une paire de bottes en cuir neuves. Il avisa les siennes posées à côté du lit, trouées et dont les semelles se décollaient. Il enfila les vêtements en savourant leur douceur et l'odeur de propre qu'ils dégageaient. Cela faisait longtemps qu'il n'avait pas eu de nouvelle tenue. Celle-ci était de bonne qualité, la meilleure qu'il ait jamais porté. Elle durerait plus d'un an ou deux s'il en prenait soin. A cause de sa maigreur il nageait un peu dedans mais il n'allait pas s'en plaindre ! Il plia néanmoins soigneusement les anciens : hors de question de jeter ce qui peut encore être utile ! C'est du moins ce que Zolan répétait toujours. Il ne conserva que son collier que ne le quittait jamais : pas même pour se laver ou dormir ! Il bouclait sa ceinture lorsque la servante revint.
- Vous voilà plus présentable ! déclara t-elle d'un ton appréciateur.
- Si vous le dites...
- Mangez, sa majesté veut vous voir au plus vite. Je vous attendrais à l'extérieur, pour vous mener jusqu'à la salle du trône.
Elle le quitta à nouveau et il se jeta sur la nourriture. Il mordit dans le pain et les fruits à pleines dents, les engloutissant en quelques minutes. Il bu du lait à même le pichet, dédaignant le bol et les bonnes manières. Le ventre plein à craquer, il se laissa tomber sur le lit. Il n'en revenait toujours pas de se retrouver ici : au palais royal, dans une chambre si luxueuse. Et cette histoire de dragon...il se demanda s'il ne rêvait pas et se pinça le bras. Évidemment rien ne changea : il était dans la réalité et non dans un songe.
Il sortit et la domestique le guida aussitôt dans les couloirs en restant à son niveau pour garder un œil sur lui. Aymeric tâcha de mémoriser le chemin, au cas où. Tous les habitants du palais qu'ils croisaient leur jetaient des regards curieux. Le petit garçon tira sur ses manches, mal-à-l'aise : il ne se sentait pas à sa place.
Son malaise s'aggrava lorsqu'ils pénétrèrent dans la salle du trône, en pleine audience. Les hauts dignitaires, nobles, négociateurs étrangers et riches marchands se tournèrent vers lui. Le roi lui-même se leva avec un sourire et l'invita à approcher. Il obéit après une légère hésitation, dévisagé par l'assemblée avec insistance. Le souverain avait plus d'allure que la veille avec son épais manteau pourpre, sa ceinture en cuir incrustée de pierre précieuses et ses hautes bottes qui s'arrêtaient au niveau du genou.
- Messieurs, veuillez nous laisser s'il vous plaît. Je dois m'entretenir d'une affaire urgente avec ce jeune homme.
La cour s'exécuta sans protester et la salle se retrouva vide à l'exception d'Aymeric et du monarque. - Comment te sens-tu ? demanda celui-ci.
- Bien.
- La nuit ne t'a pas rendu plus bavard. Tes vêtements te plaisent ?
- Oui. Je peux les garder ?
- Bien entendu.
- Quand est-ce que je pourrais rentrer chez moi ?
Le visage du roi se crispa et il vint vers Aymeric à grandes enjambées. Le petit garçon sursauta quand il posa les mains sur ses épaules et plongea ses yeux gris dans les siens.
- Jamais : tu ne peux plus.
Même s'il vivait dans la misère, qu'il manquait de tout, qu'il se battait jour après jour pour conquérir sa survie, cette nouvelle le glaça. Comment se débrouilleraient les plus jeunes sans lui ? Zolan ne pourrait pas pourvoir à leurs besoins seul ! Son désespoir se lisait sur son visage et toucha le roi qui demanda :
- Que se passe t-il ? Une place plus enviable ne t'intéresse pas ?
Aymeric se dégagea de la poigne de l'homme et recula d'un pas.
- Ce n'est pas une question d'intérêt : j'ai des responsabilités.
Le souverain eut un sourire amusé qui l'agaça. Tout ça n'avait rien de drôle ! Sa famille mourait à petit feu dans l'ombre des rues et tout le monde s'en fichait, on faisait mine de ne pas les remarquer !
- Tu es bien sérieux pour ton âge. Dis-moi ce qui te tracasse tant.
Il hésita à parler des siens à cet homme qu'il connaissait à peine, roi ou pas. Celui-ci était le plus riche et le plus puissant du royaume, qu'en avait-il à faire d'une bande d'enfants crasseux ? D'un autre côté si quelqu'un pouvait les aider, c'était lui. Le suzerain semblait l'apprécier, pourquoi ne pas en profiter pour obtenir des avantages en faveur de ses frères et sœurs ? Après tout il s'était introduit dans le palais pour ça. Il expliqua timidement la situation. Pas une fois le roi ne rit ou ne se désintéressa de ce qu'il disait. Une ride soucieuse barrait son front quand Aymeric acheva son discours. Le monarque demanda :
- Si je fais en sorte que tes amis ne manquent plus de rien, tu devras me promettre de m'obéir.
- Pour toujours ?
- Pour toujours.
La décision n'était pas difficile à prendre : d'un côté lui, de l'autre sa famille adoptive. Le roi ne semblait pas être un mauvais personnage et on le prétendait honnête envers ses sujets. Il resterait prisonnier du souverain toute sa vie mais il vivrait dans un palais, il n'aurait pas à se plaindre. Si c'était pour le bonheur des siens il s'agissait d'un maigre sacrifice. Comme les marchands qui concluaient une bonne affaire avec un client ou un acheteur, il tendit sa petite main au roi et déclara :
- Marché conclu.
Un sourire fendit le visage du régent qui entra dans son jeu et serra ces petits doigts dans la large paume calleuse. Quel était le mot qui convenait à cette situation déjà ? Otage ou prisonnier ? Aymeric ne savait pas vraiment : il ne connaissait pas la distinction entre les deux. Zolan le saurait peut-être car il était plus âgé et plus instruit. Il eut un pincement au cœur en comprenant qu'il ne le verrait plus. Le régent le tira de ses pensées en demandant :
- Est-ce que tu veux voir ton dragon ?
Il se souvint de la bête engluée, pas vraiment humaine ou animale. Désirait-il la voir ? L'idée ne l'enchantait pas mais après leur discussion de la veille, il était curieux. Il hocha la tête et le roi le guida hors de la salle. Le souverain tenta de le rassurer pendant qu'ils cheminaient dans le dédale de couloirs du palais :
- On m'a dit qu'il était très gentil et très attentif à son environnement. Même s'il ne ressemble pas à un humain ordinaire il en a l'intelligence alors ne soit pas effrayé s'il te parle.
- Vous avez l'air habitué...
- Oui, tu n'es pas le premier à faire éclore un œuf de dragon de cette manière.
- Alors où sont les autres ? l'interrogea Aymeric.
- Dans un lieu secret et protégé, loin des regards indiscrets.
- Pourquoi ? Ils sont dangereux ?
- Non : c'est le monde qui est dangereux pour eux. Certains humains voudraient les tuer pour de l'argent, les capturer ou simplement les détruire par crainte de leur puissance. Il ne faut pas oublier que les dragons sont vénérés dans la plupart des royaumes et je ne désire pas que des curieux ou des fanatiques viennent les déranger non plus. Mais tu rencontreras les autres bien assez tôt.
Ils s'arrêtèrent devant des portes épaisses peintes de dragons de toutes les couleurs, dans les airs ou les eaux, chassant ou crachant du feu, seul ou en groupe. Deux d'entre eux, un blanc et un noir, étaient plus haut que leurs congénères dans le ciel étoilé. Le roi frappa à la porte et une jeune femme en blanc vint ouvrir. Elle fit la révérence en découvrant l'illustre personnage avant de s'écarter pour les laisser passer. La salle était toute en longueur, percée de hautes fenêtres qui laissaient entrevoir le ciel bleu. Des lits alignés le long des murs attendaient des occupants et un seul avait les rideaux tirés.
- Nous sommes dans l'hôpital du château. Il a été construit à l'époque où nous étions en guerre contre Hangaï, pour soigner les soldats qui revenaient du champ de bataille. Depuis elle n'a plus grande utilité et je songe à l'ouvrir au peuple, pour donner les premiers soins. Qu'en penses-tu ?
- Ce serait bien : les médicaments coûtent chers et les médecins sont tous des charlatans.
Le souverain acquiesça. Une fois face au lit dont les rideaux immaculés dissimulaient l'occupant Aymeric se balança d'avant en arrière, incertain.
- N'ai pas peur, l'encouragea le roi. Il ne te fera aucun mal.
Le petit garçon prit une grande inspiration et écarta un pan de tissu.

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