55 (partie 2)

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Elio

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J'ai mal à la tête. Terriblement mal à la tête, un peu comme si quelqu'un était en train de me rouer de coups de batte de base-ball. C'est singulier comme sensation. Un mélange de sang qui bat durement à mes tempes, d'oreilles qui sifflent et de dents qui grincent. Mais, rien n'est aussi puissant que ce mal de crâne qui me scie la tête en deux.

D'une main, je tâtonne tout autour de moi, tente de me situer, mais n'arrive qu'à me heurter un peu plus à ce fait : je ne sais ni où je me trouve, ni ce qu'il vient de se passer. Il me faut ouvrir les yeux, c'est la seule solution.

Je frissonne, secouer d'une quinte de toux qui me brûle la gorge, exhale avant d'enfin parvenir à soulever mes paupières qui me paraissent bien peser une tonne chacune.

… pourquoi ai-je fais ça ?

À peine mes yeux sont-ils ouverts que je remarque l'immense colonne de fumée noire, s'élevant dans un mouvement infernal au milieu du champs de bataille. Le ciel, d'une couleur oscillant entre le noir et le rouge, me donne la nausée. Et, en un clin d’œil, tout me reviens. Au moment même où la lumière du jour rencontre mes pupilles, mes souvenirs me reviennent par vague étouffantes.

Mes yeux n'arrivent pas à quitter cette immense colonne de fumée noire qui danse, semblant vouloir me narguer, à quelques centaines de mètres de moi. Elle s'agite, ondule, et s'élève toujours plus haut dans le ciel carmin. En moi, tout est bloqué, mortifié : de ma respiration à mes muscles, je me sens comme extérieur à mon propre corps.

En tremblant, je me redresse du mieux que je le peux en prenant appuie sur mes coudes. Entre mes lèvres, passe son prénom, encore et encore, bien trop bas pour que quiconque autre que moi ne puisse l'entendre. Puis, ce sont les larmes, le torrent qui déborde de mes yeux et dévale mon visage jusqu'à mon menton, qui irritent encore un peu plus mes yeux brûlants.

Mes yeux balayent mon environnement, du champs de bataille en ruine aux alentours massacrés. Les immeubles et les maisons environnantes de la zone de l'usine, e sont plus qu'un amas de pierres et de béton explosé. Les trottoirs sont fissurés. Les enseignes de magasin, les panneaux de signalisation, plus rien ne tient debout. Mais, quelque chose en moi m'empêche d'être touché par ce spectacle immonde, par ces hurlements de douleur tout autour de moi. Mes yeux font abstractions des dizaines de cadavres au sol, des membres éparpillés un peu partout. Plus rien ne parvient, ni même l'absence de sirènes de police, qui il y a quelques dizaines de minutes encore, me donnaient la nausée.

Je m'en fiche de tous ces morts et de tout ce carnage. Moi, tout ce que je veux à cet instant, c'est elle.

Mes yeux se plissent, et je tente de la localiser, malgré mes larmes et mon mal de tête. Parmi les corps au sol, je recherche le sien, espère pouvoir la localiser, malgré la distance.

Et ce n'est que lorsque mon regard localise un morceau de son uniforme, que mon cœur se met à battre plus vite. La silhouette que je perçois, ne ressemble plus du tout à ce que j'ai connu d'elle jusqu'ici.

Avec toutes les peines du monde, je me redresse, en prenant appuie tout autour de moi sur le petits tas de gravas. Ne pas penser à la douelur, surtout pas.

Sauf qu'à peine debout, se joignent à mes larmes de tristesse, des perles d'agonie, tant la souffrance me paralyse. J'ai envie de me laisser retomber au sol.

J'ai envie de me laisser retomber ici, et d'y mourir. Sauf que je n'en ai pas le droit. Il faut que j'avance, que je la rejoigne, coûte que coûte, et malgré mon intégrité physique mise à mal.

Enfin debout, je soulève ma jambe droite, tente d’amorcer un pas, avant de retomber au sol. Ma cheville brisée s'est dérobée sous moi. Le choc, lorsque je heurte à nouveau le sol rendu irrégulier, ne me fait pas plus mal que ça. À dire vrai, je crois bien que mon corps tout entier est anesthésié.

Ma tête elle aussi, semble être en mode off. Mon cerveau stoppé net dans toute réflexion au moment même où mon cœur s'est brisé lorsque j'ai repris connaissance.

Mes coupures, mes contusions, me déchirent à chaque mouvement. À chaque fois que les blessures s'étirent, mon corps est parcouru d'une décharge électrique qui me tétanise.

Avec mes toutes dernières ressources, je prends de l'élan, tend les bras, et prend appui pour ramper. Si je ne tiens plus debout, il me faudra bien la rejoindre par un autre moyen. À chaque pression, mon corps se déchire un peu plus, mais je m'en fiche. Mes yeux ne la quittent pas, jamais, à aucun moment.

Je crois que je suis en état de choc. Mais, qui ne le serais pas à ma place ? Après tout ce que je viens de vivre, il me semble normal de ressentir cette étrange sensation de paralysie cérébrale. Mon cerveau refuse de se prononcer, encore.

J'y arrive enfin. Après une bonne vingtaine de minute à pousser avec acharnement sur mes bras écorchés et mes jambes brisées, je la rejoins enfin. Et je n'arrive pas vraiment à statuer sur le fait de savoir si j'en suis satisfait ou non.

Je n'ai définitivement plus de force. Et pourtant, je trouve encore l'énergie de pivoter sur le côté, pour me retrouver face à elle. Et là...

… la tête cesse de tourner, le soleil de briller. Mes larmes débordent à nouveau, mais cette fois-ci, je n'essaye même pas de les contrôler. Elles débordent de mes yeux rivés sur elle, et ont se perdre un peu partout autour de moi.

Pantelant, j'observe les restes carbonisés de celle qui m'a ressuscité, il y a quelques années déjà. Comme si je regardais une scène de film d'horreur en réalité virtuelle. Sans le son, sans la distance.

Ma première amie.

La première à se soucier de moi, à pleurer à mes côtés.

La première à hausser le ton face à mon père.

La première à e demander de vivre et de e plus baisser les bras.

Mon premier baiser.

Ma première petite-amie.

Ma première fois ;

Ma première héroïne.

Ma première... fiancée.

Entre mes bras tremblants, le visage déformé, les mains en cendre, le corps à moitié carbonisé, je tiens la dépouille de Mia Dos.

Et, sans vraiment que je ne comprenne, je me mets à hurler, encore et encore, de plus en plus fort. Je me déchire la gorge, à la façon d'un animal blessé qui appelle à l'aide. Au fond de mon cœur, une plaie béante vient de se rouvrir, et cette fois-ci, personne ne pourra plus a refermer. On peut recoller une assiette brisée une fois, mais pas deux. Au bout d'un moment, tenter de recoller des miettes ne sert plus à rien.

Mon corps est parcourut de longs frissons, de spasmes incontrôlables. Je ne veux pas croire ce que je vois. Et pourtant, son corps inanimé entre mes bras est bien la preuve qu'elle ne reviendra pas.

Je ferme les yeux, et me remémore quelques bribes de souvenirs, de notre rencontre à ce jour, où tout a totalement dérapé.

Nous n'avons jamais vraiment atteins l'usine. Au moment même où nous sommes arrivés aux abords de la zone de production, nous avons été assaillis par des troupes entières de Reborn confirmés et de civils en accord avec Nodem. Tous armés jusqu'aux dents, ils nous ont encerclés, et nous avons pu lire dans leurs regards, toute la haine et le dégoût qu'ils entretenaient à notre égard.

Qu'importe comment, mais Nodem était au courant de notre intervention. Sûrement apr le biais de son père, qui sait ? Nous ne le saurons jamais.

Nous avons commencé à nous battre. De toutes nos forces, avec toute notre détermination. À ce moment-là, il n'était plus tellement question d'atteindre l'usine, mais de réussir à repartir du champs de bataille en vie. Sauf que, supériorité numérique et armement supérieur au nôtre, nous avons rapidement été dépassés. Ils nous ont épuisés, nous ont blessés, et ne nous laissaient aucun répit. Chaque homme a un point d'échéance, et le nôtre a été atteins après une heure de lutte acharné. Plus de forces, des coups mous, un cerveau tournant au ralenti. À moins d'une idée de génie où de l'arrivée des renforts, nous ne repartirions pas vivant. Andres, était injoignable. Sûrement abattu à peine arrivé aux abords de l'aile nord. Nos équipes, introuvables. Nous étions dos au mur.

Et, alors que j'étais réellement en train de perdre espoir, j'ai senti Mi me contourner à la hâte, et m'embrasser, avant de me souffler « Elio, je t'aime, ne l'oublie jamais ».

Je n'ai pas comprs, pourquoi elle prenait ce risque au milieu de la mêlée générale. Quel imbécile j'ai été.

Elle m'a ensuite sourit, et j'ai eu le malheur de croiser son regard : un mélange de regrets, d'amour intense, et de... résignation.

J'ai voulu lui demander ce qui se passait, mais avant que je n'ai pu parler, elle a enfilé un générateur de déflagration autour de ses mains, et les a pressé contre mon torse.

  • Pardonne-moi.

Et elle a pressé la détente de ce petit appareil que nous avait donné Andres en cas d'urgence. Ce petit bracelet capable de créer une explosion d'air assez puissante pour éloigner une personne sur plusieurs centaines de mètres. Bien sûr, ce n'était pas sans conséquences. Sous l'impact, mes côtes se sont brisés, et ma cheville déjà mal en point, en atterrissant, a cédée.

Je n'avais pourtant pas mal.

Durant mon vol, j'avais réalisé la portée de son geste. Elle m'éloignait d'elle, du champs de bataille, afin de mettre un terme à tout ça. Sa philosophie je m'en souviens, était que plutôt de mourir à deux, il valait mieux réussir à sauver l'autre.

Et c'est ce qu'elle avait fait.

À peine atterris, je l'ai vue enfiler la ceinture d'explosif qui se trouvait dans nos sacs à dos, et me sourire une dernière fois ; c'est pourquoi, j'ai hurlé son nom, une ultime fois, de toutes mes forces, avec l'infime espoir de la voir changer d'avis. Peine perdue.

  • MIA !

Ses yeux se sont fermés, et ce fut le moment de la lumière, de cette simple lumière. Aveuglante, éblouissante et terrifiante, suivie quelques secondes plus tard d'un son tonitruant. Un peu comme lors d'un orage, où le tonnerre arrive après l'éclair. Et enfin, l'onde de choc, qui m'a balayé, et m'a laissé tomber dans l'inconscience.

Je sais, qu'avant de mourir, les étoiles brillent d'une manière si intense, qu'elle effacent tout autour d'elle. Et je sais aussi que cette lumière qui a suivi le geste de Mia, restera à jamais gravée dans ma mémoire. Et, maintenant qu'elle n'est plus, tout est noir autour de moi.

Sauf que, bien que je ne le sache pas encore, ce jour-là, ce n'est pas une mais trois de mes étoiles qui s'éteignirent dans le ciel.

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