53 (partie 1)

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Lou

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Assis en face de Gerulf, je le fixe se tortiller sur sa chaise en marmonnant des paroles en allemand qu'il me démange de comprendre. Cependant, je suis aussi doué en langue allemande que Léo l'est en diplomatie : autant dire que je suis nul à chier.

— Vous parlez anglais quand même ? je demande avec un accent parfait.

— Gamin, je suis scientifique, et diplômé de la meilleure université d'Allemagne. Alors oui, je parle anglais, et pas qu'un peu.

— Elio avait l'air de dire que vous ne le maîtrisiez pas.

— J'étais ivre. Tu parles bien anglais quad tu es ivre toi ?

Il a un flegme et une arrogance adolescente qui me perturbe. À l'entendre, on dirait qu'il énnonce des faits aussi simples que ''la terre est ronde'' ou ''les poules n'ont pas de dents''.

J'aimerais comprendre. Les motivations de Nodem, son but exact, pourquoi il est si... ignoble. Et peut-être que son père pourra m'aider. De toute façon, je n'ai rien de mieux à faire : à côté, ils sont en train de délibérer sur si oui ou non, nous devrions attaquer demain. Je suis contre l'idée, et au même titre que Mia s'est sauvée de la salle, j'estime avoir le droit de me soustraire à leurs discussions.

— Dites Gerulf, votre idée de créer du Reboot, elle vous est venue comment ? Peut-être que je me trompe mais personnellement, je me vois mal me lever un matin avec l'idée lumineuse de créer une substance capable de ramener à la vie.

Il tourne la tête en tout sens pour s'étirer les muscles de la nuque, tout en frappant les accoudoirs de ses doigts maigres et longs. Ses poignets sont solidement attachés à la chaise, aucun risque qu'il ne se sauve.

— Pourquoi je te le dirais ?

— Pourquoi vous vous tairiez alors que notre but est le même ?

— Mon but ultime n'est pas de tuer mon fils.

— Mais de faire cesser les affrontements. Expliquez-moi, 'il vous plaît. Je suis le résultat de la folie meurtrière de votre fils, j'ai le droit de savoir ce qui vous a poussé à créer la substance responsable de tous nos maux à moi et aux autres.

Il darde ses petits yeux dans les miens, tout en soupirant, visiblement résigné.

— Ma femme. Lorsque Philippe était enfant, elle s'est faite abattre sur le quai d'une gare alors qu'elle refusait de donner son sac à une petite frappe du quartier. Mon fils était avec elle. Il avait huit ans, mais il se rappelle encore aujourd'hui, de chaque détail, de l'agression à la balle tirée. J'ai créé le Reboot, pour avoir une solution de repli si jamais... il arrivait la même chose à mon enfant.

J'ai un pincement au cœur, mais me reprends vite : certes c'est tragique, mais Nodem nous a fait bien pire.

— Cependant, chemin faisant, Philippe a grandi et a appris pour l'existence du Reboot. Dés lors, il n'a plus été le même avec moi, et m'a subtilisé la’ 'recette'' si je puis dire. Son objectif à lui, il est très simple : éliminer la vermine, de celle qui a tué sa mère pour une histoire de sac à main, d'une qui abat des étudiants dans un internant pour une pseudo cause idéologique. Sa cause n'est pas noble.

— C'est de la profanation.

— … je le sais bien. C'est pourquoi je ne suis pas partisan de sa cause. Pour moi, ce qu'il accompli n'est rien d'autre qu'un nouveau crime contre l'humanité. Surtout que... tout ce manège ne s'arrête pas à l'Europe. Partout dans le monde, Philippe a réussi à trouver des personnes aussi folles et cassées que lui pour étendre Reborn. J'aurais aimé pouvoir tout arrêter avant que tout cela ne prenne une si grande ampleur, mais qu'aurais-je pu faire ? J'étais seul, et il reste mon fils.

Non, ce n'est pas pour Nodem que j'ai de la peine, mais pour son père.

Pour cet homme assis en face de moi et mis face à une réalité ignoble : son fils est fou, et il ne pourra pas le sauver. Personne ne le pourra plus maintenant. Pas alors que Reborn est au même niveau que l'armée, par alors que nous passons pour les méchants, pas alors que les seules voix que nous sommes seront peut-être mortes demain.

— Que comptez-vous faire contre lui ?

— Le tuer. Si c'est effectivement lui qui tire toutes les ficelles, c'est la seule chose à faire.

— Et que ferez-vous de ses disciples en Asie, en Amérique, en Afrique ? Ils pourront très bien reprendre le flambeau.

— … pas si ils se font descendre eux aussi.

Alors assis, je me redresse et m'éloigne de Gerulf, une nouvelle idée en tête.

Il a raison : si nous tuons seulement Nodem, un autre fou pourra reprendre ses idées et relancer la machine. Nous avons été naïfs de croire qu'un seul suffirait à tout faire partir en vrille. Il faut, que partout dans le monde, les Reborn se révoltent. Que partout autour de nous, les civils et les Reborn s'unissent pour tout faire cesser. Que la recette du Reboot disparaisse, que sa production cesse.

Sans faire de bruit, je pénètre dans la ''réserve'' comme l'appelle Andres, la salle où sont entreposés toutes les armes, toutes les machines qui pourraient nous aider un moment où l'autre. Il ne me faut pas longtemps pour trouver ce que je cherche : un caméscope et une carte SD vide.

Pour le moment, nous sommes les visages de la révolte Reborn en Europe. Il est grand temps que cette révolte ai également une voix. Et une voix qui pourra se propager, qui pourra convaincre.

Avec une certaine difficulté, j'allume la caméra, la pose précairement en face de moi, et allume l'enregistrement.

— Salut à tous, je m'appelle Lou, et je suis Reborn.

...

La décision a été prise il y a vingt minutes : demain, nous partirons pour ce que nous espérons être notre dernière mission. Pour ce que j'espère être, notre dernière mise en danger. Je suis totalement contre, mais bon, comme je ne ferais pas partie des lignes offensives, on se fiche de mon avis.

La nuit est déjà tombée lorsque nous regagnons chacun nos logements. La lune haute dans le ciel, ne laisse présager qu'un laps de temps minime avant le début des opérations. Car demain, nous partirons en deux groupes distinct : l'un ira faire sauter la plus grosse usine de production de Reboot et de X, tandis que l'autre équipe, ira trouver Nodem pour le faire disparaître de la surface du globe . Demain, nous partirons en deux groupes distincts : l'un ira se faire fusiller aux abords de l'usine de production, tandis que l'autre équipe ira se faire assassiner ou pire, capturer, par Nodem.

Quel programme réjouissant au possible.

Je remonte mes genoux sous mon menton pour me retrouver recroqueviller en position de chien de fusil sur notre lit. Léo est resté avec Andres pour discuter des armes à emporter, du matériel à prévoir, et j'ai préféré le laisser baigner seul dans es grandes idées de libération à venir.

Je fais partie de son groupe : celui qui ira trouver Nodem. Celui qui hypothétiquement, pourra se faire prendre par notre fou furieux de ‘'créateur''. Le groupe où peut-être, je verrais mourir mes amis, et mon petit ami.

Je gronde tout en plantant mes ongles dans la peau de mes jambes, et sens mon souffle s'alourdir lorsque la porte de la chambre s'ouvre sur Léo, bras croisés derrière la tête.

— Tu peux m'expliquer pourquoi tu grognes tout seul dans le noir ? Sans vouloir être impoli, tu me fais penser à un putain d'animal sauvage pris dans un piège.

— Tu étais pas censé prévoir l'attaque de demain toi ? je crache.

— Si, mais j'ai vu que tu étais pas bien, donc j'ai préféré revenir te voir.

— Quel grand homme tu fais.

Il s'approche de moi, et s'assoit sur le rebord du lit pour doucement balayer les quelques mèches de cheveux qui me retombent devant les yeux.

— Mon loup, parle-moi au lieu de cracher ta verve comme ça.

— Mais on nage en plein délire là ! C'est toi qui me parle de mettre des mots sur ma colère ? Tu sais très bien ce qui ne va pas en plus ! Je n'ai pas levé la main, je ne suis pas pour cette attaque. On va y rester Léo tu piges ?

Il soupire, avant d'empaumer ma joue, mais je balaye sa main d'un geste brusque.

— Me touche pas.

— Lou, on va réussir d'accord. On est en train de prendre toutes les précautions pour demain et on...

— Arrête de me vendre tes arguments en carton. Je te dis que je le sens pas, tu peux l'entendre non ?!

Je me redresse avec vivacité et sors du lit pour m'éloigner à l'opposé de la chambre. De mon regard blessé, je le scrute se gratter la tête avant de se lever pour me rejoindre. Je recule, encore et encore, jusqu'à être acculé contre le mur.

— Elio non plus n'est pas pour.

— Lou, il faut que tu te calmes d'accord ? Réfléchis cinq minutes : si on prévoit des replis, si on prévoit des armes, des solutions aux principaux problèmes qu'on pourrait croiser, ça va aller. Juan est en train de voir avec un type de Redhead déployé à Barcelone, si il ne peut pas lui avoir les plans de la structure où Nodem a établi ses bureaux officieux. Ça nous permettra d'étudier le terrain et de pas y aller total...

— Tu essayes de me convaincre avec un argument aussi merdique ? Avec des plans en papier ? Avec des ‘’si’’ ?

Il gronde, et se passe la main sur les yeux avant de reprendre son souffle.

— Je peux pas te garantir à cent pour cent qu'on réussira, mais si tu as confiance en moi, alors crois-moi.

— C'est pas une question de confiance, c'est juste une question de peur, tu peux le comprendre ou pas ? Demain, vous serez tous sur le champs de terrain et moi je ferais quoi ? Je garderais la voiture ? Si vous venez à mourir, je serais seul et...

Sa main passe dans mon dos pour venir me serrer contre son torse.

— Arrête de m'infantiliser comme ça ! Léo putain, si vous mourrez tous, je fais quoi moi ? Je vis ma vie merdique d'infirme mutilé de guerre en espérant mourir vite pour palier le manque affectif ? Je vieillis avec le souvenir de ta gueule en train de m'assurer que tu reviendras en un seul morceau ? Je sais pas si tu es au courant, mais aujourd'hui, il me serait impossible de vivre sans vous.

— Tu vivras.

— Non. Ce sera pas possible.

Je me soustrait à son étreinte, et quitte la chambre tout en l'entendant me courser à travers le couloir. Je ne marche pas très droit, trébuche quelque peu, mais n'ai en aucun point envie de me retourner pour à nouveau croiser son regard bercé d'une assurance factice.

— Lou !

— J'ai besoin d'air, laisse-moi !

Arrivé en haut des marches, je commence à descendre, tout en l'entendant se rapprocher, lorsque mon pied ripe. En un instant, je m'écroule sans pouvoir me rattraper à la rampe. Mes fesses atterrissent sur la marche, et une douleur aiguë me remonte le long du dos. Sous mes doigts, je sens une écharde s'infiltrer sous ma peau, et ma vue se trouble. Je suis tombé tel une poupée de chiffon. Tel un pantin à qui on aurait coupé les fils. Voilà à quoi je me résume aujourd'hui : un jouet défaillant.

Et c'en est trop. Je hurle, en donnant un coup de poing dans la marche sur laquelle je viens de m'affaler, et l'esprit embrumé par la colère et la peur, je je sens même pas les mains de Léo me redresser en me saisissant à la taille.

— JE HAIS CETTE VIE ! je m'époumone en me tordant entre ses bras.

— Du calme c'est bon. Lou, je suis là, on se calme.

— LÂCHE-MOI CONNARD !

Je me rends bien compte que je suis purement et simplement en train de m'emporter. De péter une durite, comme on le dirait vulgairement. Sauf que lorsque le vase est trop plein d'eau, et qu'on y rajoute des fleurs, tout déborde.

En haut des marches, j'entends Mia interroger mon petit ami sur la situation, et mon sang se met à bouillir plus fort au creux de mes veines.

— Ce qui ne va pas ? Ce qui va pas c'est qu'à cause de votre putain d'impulsivité, on risque de tous y rester ! Voilà e qui ne va pas ! Vous êtes vraiment deux gros cons ! L’autre jour vous disiez que le plan n’était pas assez aboutti... et là on en parle ou pas ?! Vous êtes tellement contradictoires, ça en deviendrait presque drôle !

Elle marmonne quelque chose, avant que ses pas ne dévalent les marches pour nous rejoindre.

— Si je ne m'abuse, me lance t-elle, on a encore jamais totalement échoué non ?

Ils se foutent de ma gueule.

Vraiment.

— Je veux juste pas que vous mourriez, je murmure en nichant mon nez dans le cou de Léo. Ce n'est pas à vous que je vais apprendre le fait que j'ai toujours eu besoin de votre présence. Et aujourd'hui encore plus qu'avant.

Mia, sourcils froncés, échange un long regard avec Léo avant de prendre place à nos côtés sur la marche d'escalier.

— C'est la dernière fois qu'on se mettra en danger, je te le promets.

— Tu peux te la mettre au cul ta promesse, je grogne à mon petit ami.

— Sympa.

Mes doigts se crispent sur son haut, et mon nez inspire son odeur avant que je ne ferme les yeux. Si ça se trouve, ce sera le dernier soir que nous passerons ensemble.

Plusieurs fois cette nuit-là, je me réveillais en sueur avec la certitude d'avoir chuter durant mon sommeil. Cette sensation insupportable de tomber sans pouvoir se rattraper à quoi que ce soit.

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