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Elio

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La petite maisonnette que nous occupons avec Mia, Lou et Léo, n'est pas très grande, ni très confortable, mais elle fait largement l'affaire. Deux chambres, une salle de bain, une cuisine et un salon. Un tout qui rendra notre séjour ici correct, sans pour autant nous donner envie d'y rester pour toujours.

Le maire de la bourgade, nous a expliqué que ces petites maisons viennent à peine d'être construites, et étaient à la base destinés à devenir un quartier pour les personnes âgées. Ainsi, leur proximité entre eux et avec le centre du village, leur rendrait la vie bien plus facile et surtout, plus sécurisée.

J'ai ri, en nous imaginant avec de la barbe blanche et des cannes, avant de rapidement être rappelé à l'ordre par un Jeremy toujours aussi optimiste « Si on passe les trente ans, on aura déjà de la chance ».

Quelle joie.

Je me retourne sur le flanc dans le lit que je partage avec ma petite amie, les sourcils froncés, le nez retroussé.

Dans la chambre voisine, le lit grince encore, et bien que je respecte la vie sexuelle de chacun, j'aimerais tout de même pouvoir au moins un soir, m'endormir sans avoir à subir les bruitages live de Derrière la porte verte de Artie James.

Par chance, la chambre étant minuscule, le lit ne se trouve qu'à un mètre et demie du mur. C'est pourquoi, il me suffit de tendre la jambe et de donner un grand coup de pied contre la paroi pour faire réaliser à nos colocataires qu'il serait bien de baisser le volume.

Un grondement sonore de Léo répond à ma vaine tentative de rétablir un calme précaire dans la chambre, avant qu'à son tour il ne donne un grand coup contre le mur, encore plus fort que le mien.

  • Vous êtes vraiment en train de vous parler en frappant le mur... ? murmure Mia.
  • Dis-leur de se calmer où j'y vais.
  • Qui serai-je pour te priver du plaisir de voir mes deux amis d'enfance coucher ensemble.

Elle se fiche de moi en plus.

  • Si tu penses à autre chose, tu ne les entendra plus.
  • Je vois pas comment, je grince. Même un couple de bovins en rûte est plus discret.
  • Si Léo apprend que tu viens de le comparer à un bœuf en chaleur, il te tuera, tu le sais ça ?
  • C'est pourquoi tu vas garder le secret.

Un instant, j'imagine Léo en train de m'étrangler, et toute envie de es rabrouer pour leur volume sonore disparaît.

Néaanmoins, je me redresse dans le lit, attrape mes chaussures que j'enfile avant de me retourner vers Mia lorsque celle-ci m'attrape le bras.

  • Tu vas où ?
  • Dehors. Le temps qu'ils terminent et que je me rafraîchisse les idées.

Elle sourit, avant d'à son tour enfiler ses baskets et un gros pull pour me suivre à travers le couloir menant au rez-de-chaussé.

Enfin dehors, j'inspire à pleins poumons, et suis presque surpris en rouvrant les yeux, de tomber sur Tim, de l'autre côté de la rue, lui-même sorti pour prendre l'air.

  • Hé Tim, qu'est-ce que tu fais dehors ?

Il relève la tête du journal qu'il est en train de lire pour m'offrir un sourire en coin, avant de désigner notre maison.

  • Et vous ?

Mia, aussi réveillé que si il était quatorze heure, traverse la rue en courant pour aller rejoindre Tim sur les marches de son perron, et se pelotonner contre son épaule.

  • El Jueves vraiment ? À bientôt une heure du mat ?
  • Il n'est jamais trop tard pour lire ce journal. Et pour un café d'ailleurs.

Il lève sa tasse fumante dans sa direction, avant d'en boire une longue gorgée.

Je les rejoins à mon tour, avec une allure moins soutenue que celle de Mia, pour finalement m'adosser au chambranle du perron.

J'observe, silencieux, Tim expliquer à Mia par A plus B pourquoi El Jueves est, selon lui, le meilleur journal en ces temps. En effet, ce dernier étant une satire politique, il se moque ouvertement de Nodem et de ses récentes parutions aux informations pour demander aux citoyens de le renseigner quant à notre localisation, ou celle de tout autre personne étant liée de près ou de loin, à la ''révolte''. Quel imbécile.

Je ne sais pas si il réalise qu'à part lui et la Haute, plus personne ne croit en son projet. Bien sûr, les gens importants, riches, aiment Reborn car ils se sentent protégés. Mais les gens moins riches, moins influents,q u'ont-ils à perdre eux ? Rien, définitivement rien. C'est pourquoi ils sont avec nous : la vie avant l'argent et la protection.

Tim sourit, en montrant une illustration du journal, et je note un réel éclat de joie dans ses yeux : depuis bientôt cinq jours que nous sommes ici, et presque autant de temps que Jelena nous a quitté, je m'inquiétais de le voir se noyer dans son chagrin. Et, bien que Jeremy ai tenté de le soutenir du mieux qu'il le pouvait, lui aussi restait très affecté par la perte de leur amie, et ne pouvait donc pas remonter le moral de Tim, en sachant que le sien était au plus bas.

  • Tu laisse repousser tes cheveux ? je demande distraitement en notant les boucles noires qui commencent à revenir.
  • Oui. Au final, je m'aime mieux avec des cheveux.

Ce gamin, me fait vraiment de la peine.

Mia, Lou et Léo, ont encore leurs parents. Tim lui, est comme moi : il n'a plus personne. Bien sûr, il me reste ma mère, mais plongée dans un profond coma. Lui, n'a réellement plus personne. Parents et frère tués le soir de sa propre mort, et violemment de surcroît. Un gamin normal, aurait déjà été traumatisé de voir sa famille mourir sous ses yeux. Alors lorsqu'en plus, on se réveille dans un hôpital pour apprendre que l'on vit à nouveau, et que de fait, on devra continuer d'avancer avec le souvenir de ses proches disparus en tête, quelle horreur.

Je m'assois à mon tour sur les marches du perron, et lève la tête pour observer le ciel parcourut d'une myriade d'étoiles qui brillent ce soir avec un éclat étonnant.

  • Comment tu vas, Tim ?

Ma question semble le surprendre, car il hausse un sourcil, avant de laisser un léger tremblement agiter sa lèvre supérieure.

  • Comme un Reborn en fuite et ayant à nouveau perdu quelqu'un. Autant dire, pas top.
  • Tu veux en parler ?
  • … non. J'en ai déjà discuté avec Jeremy, j'ai pas envie de...

Mia pose sa main sur son genoux pour l'agiter doucement, avant de lui offrir un sourire rassurant.

  • Hé, pas de soucis. Si tu en as parlé à Jerem, c'est le principal. Par contre, il devrait faire attention à tes fuites nocturnes. Tu ressembles à un panda Timmy. Va te coucher.

Il ouvre la bouche pour répliquer, mais n'arrive qu'à bâiller pour ne pas arranger son cas. C'est pourquoi au bout de quelques secondes à peser le pour et le contre, il se redresse, vide sa tasse de café dans le carré d'herbe devant les marches, et se retourne après nous avoir salués.

  • Ok, vous avez gagnés. Mais tardez pas non plus, demain on a encore réunion pour préparer le plan d'extermination de Nodem.

Nous hochons la tête en parfaite synchronie, avant qu'il ne disparaisse dans l'habitation en refermant doucement al porte derrière lui.

Quelques secondes s'écoulent avant que Mia ne rompe le silence.

  • Il en a pas parlé à Jeremy, chuchote t-elle.
  • Définitivement pas. C'est Tim aussi, tu t'attendais à quoi ?
  • J'en sais rien. Je sais pas quoi faire avec ce gamin. Il avait confiance en Jelena, et seulement en elle. Flash info, Jelena est morte et nous on est là, à pas savoir quoi faire.

Je remonte mes genoux contre mon torse, me sentant terriblement inutile face à ce gamin nageant en pleine souffrance, sans que ni Mia ni moi ne puissions l'aider à remonter à la surface sous peine de le voir se noyer encore plus.

Quitte ou double : forcer sa barrière émotionnelle pourrait le sauver, comme le condamner.

Que faire alors ? Rien, en définitive. Attendre, et aviser, selon le changement et le futur. On ne peut que réellement prescrire une ordonnance à un malade, lorsque l'on connaît sa maladie sous toutes les formes. Pour Tim, c'est la même chose. Tant que nous ne saurons pas exactement comment aborder ses maux, on ne pourra rien faire.

  • J'en parlerai à Jerem demain, conclut Mia en se relevant.

Je l'imite, mes gestes moins hardis, et la suis jusqu'à notre propre maison de fortune.

Arrivée devant le perron, elle hésite, se mord la lèvre, avant de soupirer.

  • Je déteste me sentir impuissante comme ça. Comme pour Lou lorsqu'on l'a retrouvé.
  • Tu n'y pouvais rien, et là non plus. Ce qui atteint les autres n'est pas toujours de ton fait.
  • Même. C'est horrible comme sentiment.

Elle laisse son visage se déformer en ne moue embêtée, tandis que soudainement, une idée me vient. Elle m'avait déjà effleurée l'esprit, il y a quelques jours.

Mais maintenant, alors que je vois Mi aussi mal, et que moi-même j'ai besoin de totalement sortir la tête de l'eau, je pense à quelque chose.

  • Mia, je murmure. Je comptais aller voir ma mère demain. Tu veux m'accompagner ?

Ses sourcils se froncent, à l'entente du mot ''mère'' sortant de ma bouche, mais finit par accepter, d'un hochement de tête muet.

  • Tu es sûr de toi ? Ça pourrait s'avérer... compliqué, non ?
  • Si je n'y vais pas avant que tout ne reparte en steak, je m'en voudrais toute ma vie.
  • Si tu es sûr, alors moi aussi. Par contre, pas un mot aux autres. À la base, on pas le droit de quitter le village. Et arrête d'être pessimiste : tout se passera pour le mieux, c'est ce qu'il faut se dire.

À mon tour d'acquiescer, tout en l'attirant à moi pour l'embrasser. Lorsqu'elle passe ses mains derrière ma nuque, je remarque l'éclat de la bague que je lui ai offerte, et je souris avec calme : pour le moment, tout va bien.

Le parking de l'hôpital, est moins rempli que la dernière fois où je suis venu. Ce qui est plutôt paradoxal, vu les récents événements. Sur le chemin, j'ai fait par à Mia de ma peur d'être confronté à une foule grouillante de gens blessés par les affrontements entre les forces de l'ordre et les manifestants. Mais rien.

Une affluence plutôt normale, si on oublie le contexte actuel.

Je retire mon casque, secoue ma tête pour arranger mes cheveux en désordre, et descend de la moto à la suite de ma petite amie. Nous l'avons emprunté à un concessionnaire ce matin, avec la garantie de la lui rapporter en un seul morceau. Il a juste répondu « Pour les visages de la révolution, je pourrais donner mon magasin ». Homme de confiance donc.

  • Tu es sûr, vraiment ?

Pour la énième fois depuis le début de matinée, elle me repose la question, à laquelle je réponds par la positive. Bien sûr que je suis certain de vouloir revoir ma mère. Évidemment que je suis décidé, sinon je ne l'aurais pas emmené avec moi au risque de nous faire méchamment houspiller par Andres notre retour.

  • Allons-y alors, se contente t-elle de répondre face à mon regard décidé. Mais n'oublie pas ce qu'on a dit si jamais ça se compliquait pour toi. On insiste pas, et on rentre.

Elle part devant, et je la suis vivement, ne désirant aucunement la perdre de vue dans ce grand complexe hospitalier.

Plusieurs bâtiments, plusieurs parkings pour hélicoptères, tout un décors qui aujourd'hui encore me met mal à l'aise.

Enfant, je ne suis presque jamais allé à l'hôpital ; trop dangereux, les médecins auraient pu tout découvrir. Dans mes souvenirs, je m'y suis rendu pour une mauvaise grippe que ni ma mère ni mon père n'arrivaient à soigner, ainsi que pour une fracture ouverte du crâne, officiellement faite à vélo.

Pour le reste, je devais me contenter du strict nécessaire que nous possédions à la maison.

Nous passons les portes vitrées du bâtiment consacrés aux patients de longue date, et à cet instant précis, mon cerveau craque une première fois. Comme si je la vivais à nouveau, je revois la scène où, avec mon père, je me rends jusqu'à la chambre de ma mère. Je revois mon père expliqué avec des sanglots dans la voix, à quel point il s'en veut de ne pas avoir pu la rattraper alors qu'elle tombait tête la première dans les escaliers. Et surtout, je revois ce numéro de chambre, la 428.

Une première perle de sueur s'écoule de mon front jusqu'à ma tempe, que j'essuie prestement. C'est insidieux, mais un malaise étouffant commence peu à peu à me saisir à la gorge.

Derrière son bureau, une femme à l'accueil nous hèle et nous demande de bien vouloir venir nous enregistrer.

  • Mia Dos et Elio Criada. Nous venons voir Dolce Criada en 428 si elle n'a pas changé de chambre, je marmonne.
  • Dolce Criada vous dites. Oui bien sûr, elle s'y trouve encore, mais...

Ses yeux suivent les lignes du dossier qu'elle vient de sortir d'un tiroir, avant qu'elle ne pousse un petit cri étouffé, comprenant enfin l'étrangeté de la situation. Elle relève la tête vers moi, me dévisage, avant de feindre la sympathie.

  • … et votre père ? murmure t-elle au bout de quelques minutes de silence atrocement gêné.
  • Mort, et c'est bien fait pour sa gueule. On peut y aller maintenant ?

Qu'elle prenne cet air désolé en me demandant si mon paternel est toujours de ce monde, me révulse. Si ils savaient, tous ces médecins et ces infirmières qui se sont éperdues à le consoler lorsque sa femme ''est tombée dans les escaliers''. Si ils avaient su que c'est lui, qui lui a frappé la tête contre la marche. Si ils avaient su, que de là où je me trouvais lors de leur ultime dispute, je priais pour que ce soit moi à la place de ma mère, car je savais pertinemment que son corps affaibli ne se relèverai pas de ce dernier choc.

Je n'attends pas sa réponse, et pars d'un pas vif en direction des quartiers où se trouve ma mère, sans accorder un regard en arrière à cette femme ne sachant pas de quoi, ni de qui elle parle.

  • Elio, du calme !

Mia me rattrape, prend mon bras, et ralenti ma course. Elle ne cherche cependant pas à m'arrêter, préférant se blottir contre mon épaule tout en avançant avec moi.

Les couloirs sont déserts, pas un chat si ce n'est quelques infirmières déambulant mollement d'une chambre à l'autre.

À droite, puis à gauche. Ascenseur. Niveau quatre, puis à nouveau à gauche, puis à gauche, et à droite.

Et enfin, nous y sommes. Devant cette porte blanche, imposante, marqué de la plaque 428, face à laquelle je commence à trembler.

  • Mon cœur, ça va aller.

Je remercie Mia d'un regard, avant d'abaisser la poignée pour pénétrer dans le petit espace confinée.

Et là, je me fige. Comme bloquée dans le temps, rien ne semble avoir bougé : les même machines, les même couleurs aux murs, la même télévision accrochée en hauteur. Du blanc, du blanc partout, mais au milieu de ce paysage de neige, se trouve une source de chaleur. Ma mère, et ses longs cheveux flamboyants éparpillés tout autour d'elle, ce masque sur le visage continuant de la maintenir en vie à grands coups d'oxygène artificiel.

Je fais un pas, puis deux, puis trois, avant d'attraper une chaise et de me laisser tomber aux côtés de ma première figure d'amour dans ce monde. Son lit est muni de larges barrières métalliques anti-chute, ce qui me donne la désagréable impression de la voir en cage.

  • Salut maman.

Mia, poliment, prend place à mes côtés tout en scrutant ma mère avec attention.

Je retrace les lignes de son visage du bout du doigt, caresse une de ses mèches de cheveux tout en sentant ma gorge se nouer.

Deuxième goutte de sueur, puis troisième. Mon cœur bat déjà plus vite.

  • Ça faisait longtemps.

Mia prend ma main dans la sienne, lorsque ma voix s'étouffe dans un sanglot.

Quel abruti, je m'étais promis de tenir, et voilà que je flanche à la deuxième phrase. C'est juste... plus fort que moi.

  • Je sais pas quoi dire, je chuchote.
  • Réfléchis à quelque chose que tu souhaiterais vraiment lui dire.

Quelque chose qu'elle devrait vraiment entendre ?

La voir ainsi, ne fait pas simplement remonter à la surface les quelques événements précédents son agression, non. Ainsi allongée, les yeux clos et maintenue en vie par une force qui n'est pas la sienne, elle me renvoie des années en arrière, ou chaque coup qu'elle recevait me terrifiait, car à chaque fois, j'avais peur qu'elle ne se relève pas. Je me retrouve à nouveau prisonnier de cette satanée maison de douleur et de peur de laquelle on aurait pu s'enfuir des milliers de fois. Prisonnier de cette vie qu'il aurait tant été facile de briser, de réduire en miette, pour mieux la recoller ailleurs, plus loin, à l'écart du danger.

  • Tu aurais pu partir, je murmure en serrant convulsivement la main de Mia. Des milliers de fois, mais tu es restée, pourquoi hein ?

Ma petite amie me dévisage, visiblement étonnée que la seule chose que je tienne vraiment à lui dire, soit en réalité une reproche acide.

Passé de la tristesse à la colère en une pensée, en une image de valises si souvent prêtes sur le pas de la porte, et finalement défaites à la hâte à la simple vue de la voiture de mon père se garant dans la cour. À la simple pensée de ce nombre incalculable de fois où elle me chuchotait des « Ne t'en fais pas mon chéri, demain, c'est promis », tout en changeant les cotons obstruant mes narines en sang.

  • C'est pas comme si il avait brutalement changé. Il a toujours été comme ça, et pourtant, tu es restée. À prendre, à me laisser prendre, à ne prévenir personne. Alors que, tu avais promis de nous sortir de là.
  • Elio, elle ne t...
  • Bien sûr que si, elle m'entend.

Je grince des dents, réalisant que Mia a sûrement raison, et que son état végétatif la rend sourde au monde autour d'elle, cependant je continue. Aujourd'hui sera ma dernière opportunité de tout lui dire, de mettre un terme à cet affrontement d'opinion à son sujet. Car dans ma tête, se livre un combat : le côté pour cette mère aimante, qui m'a toujours chéri, soigné, aimé, sans jamais se détourner de moi. De l'autre, ce côté contre cette personne trop faible, trop lâche pour partir et pour extirper son enfant de la peine et la douleur, du danger. Contre cette personne naïve qui à chaque fois, croyait mon père lorsqu'il s'excusait en ramenant des croissants, en jurant de ne plus recommencer.

  • C'était simple pourtant : tu me prenais sous le bras, et on se barrait. Pas besoin de valises. On aurait juste pu partir toi et moi, aller porter plainte contre cette ordure, et nous en tirer. Sauf que regarde où on en est aujourd'hui : toi dans le coma, et moi Reborn ! Quelle réussite ! J'ai envie de te dire, c'est déjà un mirale qu'on soit sortis vivants de la Maison de l'horreur, alors...

Je lâche la main de Mia pour saisir la rambarde de sécurité en métal me séparant encore de ma mère et la secouer avec virulence. Mes phalanges blanchissent tant je serre fort les morceaux de métal entre mes doigts, et un instant, j'ai peur de les briser.

Il faut que je me calme.

Un instant, je ressens à nouveau cette colère froide, cette fureur tétanisante qui m'aimait lors de mon arrivée à Liberty. Mes veines glacées par la douleur et la tristesse de savoir que même ma propre mère n'a pu me sauver, qu'elle a été trop faible pour oser partir.

C'était quoi le problème ? L'argent ? Le regard des autres ? Les représailles ?

Si on était partis vite et bien, on aurait pu trouver résolution à tous ces ''problèmes''. Sauf que non, on est restés, on a subi, encore et encore. Moi parfois plus qu'elle. Toujours plus qu'elle, car avec le temps j'ai pris les coups à sa place, ainsi que les débordements libidineux d'un père insatisfait.

  • Tu veux que je te dises, au final, tu as peut-être ce que tu mérites.
  • Elio arrête maintenant !
  • Quoi ? J'ai raison et tu le sais. Tu connais l'histoire, tu sais ce qu'il s'est passé, je t'ai tout dis, alors ne viens pas me faire croire que si nous étions partis, rien n'aurais changé !
  • Je ne dis pas ça, je dis jsute...
  • La ferme Mia putain ! Tu peux pas comprendre !

Le calme, le calme, le calme.

Mon corps réagi tout seul. Mon trop plein de remords, de regrets et de plaintes à l'encontre de ma mère, le souvenir de mon père, de tout ce qui a bercé mon enfance refait surface d'un coup. Malgré les longues heures à en parler avec Mia, malgré son soutien, malgré les nombreuses simulations lors de la formation au centre, rien ne semble capable de calmer mes muscles contractés par une adrénaline néfaste, par un souffle de colère erratique.

  • Tu vas te calmer oui ?

Je réalise que je me suis levé, au moment même où je me retourne pour faire face à Mia, qui debout elle aussi, me scrute avec colère.

  • Tu vas pas bien de réagir comme ça ? J'avais dis que c'était une mauvaise idée. On avait dit que si ça n'allait pas, on partait.
  • Oh excuse-moi de pour une fois, t'infliger mes mauvaises idées. Sauf que là, je suis juste en train de dire ses quatre vérités à ma mère, pas de créer un conflit mondial. On est pas au même niveau. Et c'est hors de question de partir maintenant.

Elle blêmit, tandis que je me retourne vers ma mère, toujours étendue, inerte, ne semblant pas du tout concernée par ce qu'il se passe dans sa propre chambre d'hôpital.

  • Tu avais un putain de rôle à tenir ! Une mère, ça protège son enfant ! Ça ferme pas les yeux ! Ça empêche son mari de lui fendre la pommette avec un bout de verre avant de le violer face à la fenêtre du salon, tu entends ça ? ! UN RÔLE, UN !

Ma respiration est trop rapide.

Je me sens comme prisonnier de ma propre conscience, entravé à ma colère et ma rancœur, qui ne me libéreront qu'une fois épuisées. Le Elio calme, celui venu dans le but d'arranger ses problèmes avec calme et sérénité, se retrouve muselé par celui, plus violent et plus dangereux, créé et entretenu par mon père, pis par Reborn. Tout s'embrouille dans ma tête : ce que j'avais à dire, et ce que je dis. Ce qu j'avais à faire, et ce que je fais. Mes pensées et mes gestes n'ont plus rien à voir, tout s'emmêle, s'entortille, fait des nœuds. Où est le vrai du faux dans ce trop plein d'images et de sons que je ne saurais même plus situer ?

Le bip de la pompe à oxygène disparaît.

La chambre disparaît.

Ne reste que moi, et ma mère. Elle inerte et muette, moi exalté par la colère et les reproches.

Elle ne t'entend ps.

Inspiration, expiration, rythme élevé, approche de la saturation.

Si j'étais un avion, la cabine serait dépressurisé.

Je cligne des yeux, sens les larmes couler à flot le long de mes joues.

Je bats des cils, et réalise que j'ai saisi ma mère aux épaules. Mes doigts crispés sur sa chemise d'hôpital, rendant ma prise plus sûre : elle ne s'échappera pas.

  • Ouvre les yeux et ose me dire que tu as tout fait pour me protéger ! Ose !

Elle n'ouvrira pas les yeux.

Le Elio enchaîné se débat, de toutes ses forces, mais n'arrive qu'à être spectateur de celui venant de rejeté le corps inerte de sa propre mère contre le lit d'hôpital, pour se retourner et...

Les mains de Mia tentent d'attraper mes poignets, et dans un élan de colère, que je ne contrôle pas, plus, je l'écarte de moi. Loin, très loin. Vite, et sans bavure.

D'un coup au visage.

Et alors, alors qu'elle tombe au sol sous l'impulsion de mon coup, trop surprise pour l'esquiver, qu'elle me jette un regard ahuri par la peur, qu'elle recule en s'aidant de ses jambes pour s'éloigner de moi, je sens les chaînes se briser.

Il se libère, revient à la surface, au ralenti.

Tu reproches à ta mère d'avoir laissé ton père te frapper, mais que viens -tu de faire ?

Les larmes redoublent. Le bip régulier de la pompe à oxygène me réveille, mes muscles se décontractent d'un coup, je reprend vie. Les couleurs, bien que ternes, réapparaissent autour de moi, je ressors de ma transe. Tout est flou autour de moi, tout en étant étrangement net. Flou dans le sens où mes larmes, mes fichues larmes, baignent mes yeux. Net dans le sens ou malgré mon état second depuis cinq bonnes minutes – peut-être dix – je sais parfaitement ce qu'il s'est passé.

Les draps du lit arrachés. Le bip rendu irrégulier. Mes épaules secoués par des spasmes musculaires. Ma respiration saccadée et incontrôlable.

Et Mia, adossée au mur opposé, les yeux écarquillés par la peur, tremblante.

« Mon père vient de passer la prote d'entrée. Moi, attablé devant mon bol de céréales pour le quatre heure, je ne remarque pas immédiatement ses muscles se contractant sous sa veste de costume. Ce n''est que lorsque ses pas se rapprochent, que je comprends que j'aurais dû fuir ».

Mes muscles, se contractant au rythme de ma respiration anormalement rapide.

« La voix éraillée par la colère, en bas, me hurle de descendre. Mais je ne descendrai pas, non. Caché dans mon placard, il ne me trouvera pas, il est aveuglé par la colère ».

Ma voix hurlant sur am mère dans le coma, ma vue altéré par ma fureur soudaine.

je suis comme lui.

  • Mia... ?

Elle me dévisage, avant de froncer les sourcils, tout en se relevant maladroitement, ses forces semblant l'avoir abandonnés, au même titre que son regard conciliant. Une vague de froideur me submerge, tandis que je réalise que je n'avais encore jamais vu cette ombre de méfiance teinté de fureur dans les yeux de ma petite amie. Ou du moins, pas tourné contre moi.

  • Je crois que je vais te laisser finir seul, gronde t-elle sourdement.

Je secoue la tête, me débarrasse des larmes qui continuent de me gêner, mais le temps que je réalise mon erreur, ma faute, elle a déjà refermée la porte de la chambre, sans un bruit, dans une colère glaciale.

J'ai... frappé Mia.

Il faut que j'aille la voir, que j'arrange les choses, que je...

Mes yeux se reposent sur ma mère, et les larmes reviennent.

Qu'est-ce que j'ai fais... ?

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