42 (partie 2)

9 minutes de lecture

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Elio

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Il est à peine midi lorsque nous arrivons enfin à la base militaire nomade aménagée pour accueillir les troupes venues en renfort et les forces de l'ordre séjournant sur place. Le bus nous transportant, loin de passer inaperçu, a même la particularité d'attirer la majorité des regards sur nous, lorsque nous en descendons, nos sacs à dos à la main, nos mines déconfites de nous retrouver ici bien malgré nous. Un petit coup d’œil me permet de me familiariser avec mon environnement pour les prochains jours, et je constate quelques hauts barnums servant sans doute de cantine ou de point de ralliement, ainsi que quelques toiles de tentes individuels disposées de chaque côté d'un large axe laissé vide, me rappelant étrangement la forme d'une longue avenue résidentielle.

Je manque trébucher sur la dernière marche du bus, et me rattrape avec maladresse au sac à dos de la fille juste devant moi, sous ses vives protestations.

  • Tu peux pas faire attention ?
  • Excuse-moi, on a pas tous la chance d'être assez en forme pour marcher droit.

Elle retrousse sa lèvre supérieure, et grogne tel un animal sauvage avant de me tourner le dos our partir rejoindre le petit groupe que forment mes camarades, tout autour d'un militaire visiblement haut gradé. Il est plutôt petit, malgré sa carrure épaisse et musclée, à l'étroit dans son uniforme. Ses yeux, d'un noir de jaie, nous jauge un à un, avant que sa voix ne résonne dans le silence crispé de l'endroit. Son visage semble plutôt juvénile, malgré son âge devant largement dépassé les vingt-cinq ans.

  • Jeunes gens, bienvenu. Je suis le colonel Rivet.

Je rejoins rapidement Léo et Tim, un peu à l'écart du groupe pour pouvoir suivre le discours du colonel sans plus me faire remarquer.

  • Vous avez été rapatriés à nos côtés afin de pouvoir assurer un renfort auprès des forces armés. Votre force, votre condition d'humains évolués, nous sera grandement utile ici. La situation : des manifestations de plus en plus violentes, contre les dernières vagues de répression ayant eus lieux de cela quelques dizaines de jours afin de calmer l'agitation générale. Aujourd'hui, notre but est avant tout de disperser les foules de manifestants, et de rétablir le calme. Vous comprenez ?

J'avise du coin de l’œil Léo commencer à ouvrir la bouche, avant de lui donner u grand coup de coude dans les côtes afin de le faire avorter de ses paroles qui auraient pu nous porter préjudice pour la suite.

  • Notre but, reprend t-il, est également de minimiser les violences. Je suis militaire, mon devoir est de servir ma nation, pas de lui faire du mal. Cependant, cette caractéristique de notre métier semble avoir été légèrement mise à l'écart depuis le début de cette vague de révolte mondiale. Vous en connaissez tous la cause : les révélations de Gloria Kampa au sujet de l'existence de Reborn, et des dramatiques conditions de vie qui vous ont été imposées à tous.

Je laisse un sourire étirer la commissure de mes lèvres tandis que je jubile face à ses paroles, mais surtout son air véritablement affecté par notre sort. J'ai envie de rire, tellement cela me semble impensable : un militaire se souciant du sort des civils, mais surtout... du nôtre ? Quelle fait exceptionnel, compte tenu de la froideur et de la méchanceté gratuite de ses paris au centre de formation en Espagne, et de la base militaire en France.

  • Il y a peu de temps, al foule a également prit connaissance des Jeux : autant vous dire que la réaction n'a pas été des plus sympathiques à ce sujet. C'est d'ailleurs suite à cela qu'a été lancée une vague de répression contre les manifestants ayant bloqués l'économie du pays en demandant une démission du pouvoir établi, responsable selon eux d'un crime abjecte, que vous connaissez déjà tous. Sauf que, nous savons tous que perdre notre gouvernement actuel, n'est tout simplement pas envisageable. Je ne suis pas en accord avec toutes leurs pratiques, mais que ferons-nous sans dirigeants ? Rien du tout, nous nous laisserons couler jusqu'à ne plus exister aux yeux du restant du monde. C'est pourquoi il nous faut résonner les foules, et les obliger en douceur, à reprendre leurs activités.
  • C'est totalement impossible, lance Paulina, quelque part devant nous. La foule est révoltée, et à raison : le gouvernement est coupable, de tout ce qui est arrivé. De tout... ce qui nous est arrivé. Il doit payer, c'est tout.
  • Paulina, la reprend fermement un Reborn confirmé en agitant son arme.
  • Quoi ? Vous savez tous très bien que j'ai raison : la foule ne se calmera pas tant que quelque chose n'aura pas été mis en place contre Reborn et ses dérivés. On parle de violence et d'exploitation mineure, de putain de nécromancie. On parle de tournois de combat à mort entre ces même enfants. Quel homme un minima sensé laisserait passer cela ? Personne, et c'est là le problème. Avec ou sans notre aide, personne n'arrivera à calmer les foules, pas tant que Reborn ne se sera pas éteint.

Deux Reborn bien plus âgés que nous s'avancent rapidement pour saisir Paulina aux avants-bras et la tirer en arrière malgré ses protestations et ses cris enroués de rage.

Personne ne bronche face à cela, chacun restés focalisés sur ses paroles envenimés de vérité.

Comment calmer les foules animés d'un besoin de rédemption national ? Personne, personne, personne. Et surtout pas nous.

Grand geste de la part de Reborn : il nous est possible de choisir avec qui partager nos tentes. Malgré notre légère altercation de la nuit dernière, je choisis de me joindre à Léo afin de garder un semblant d'assurance durant cette épreuve où pour le moment, j'avance à l'aveuglette.

Tim nous a suivi, et ne semble pas décidé à nous lâcher d'une semelle. Le pauvre porte au visage les restes d'une lutte récente, dont je n'ai pas encore demandé la cause.

J'ouvre la fermeture de la tente afin d'y pénétrer, et balance mon sac à dos à l'intérieur, avant de me décaler pour lisser passer mes deux compagnons d'infortune.

  • Il a dit rendez-vous dans... ? me lance Tim.
  • Dix minutes. On va s'attaquer à la zone nord de l'affrontement. La plus virulente.

Il acquiesce, avant de se laisser tomber sur le sol de notre ''habitation'' temporaire. Repliant ses genoux sous son menton, il nous fixe Léo et moi d'un air dépité, avant de soupirer en basculant la tête en arrière.

  • Moi je vous le dis les gars, on va y rester.
  • Mais non. Et puis tu as entendu Rivet ? On y va juste pour calmer les foules.
  • Et qu'est-ce que tu crois qu'elle fera la foule, en voyant débarquer la cause de leur lutte avec pour ferme intention de les faire retourner chez eux ? Moi je pense qu'elle sera pas ravie-ravie.
  • Elles s'y feront. Comme on s'y est fait. Tout le monde doit s'adapter un jour ou l'autre.
  • On parle pas d'adaptation à un climat ou un lieu, mais d'une adaptation quant à la perte de nos idéologies. C'est carrément différent.
  • Dis l'embryon, tu veux pas la fermer ? Non je veux dire, on part casser de la gueule de manifestant dans dix minutes, alors boucle-la histoire qu'on puisse un minimum se ressourcer. Et faire nos prières.

Je secoue la tête dans la direction de Léo, qui affalé par terre, se contente de hausser les sourcils avec une expression comparable à « J'en avais marre de son baratin ».

De mon côté, je me laisse à mon tour tomber au sol, et considère mes options avant le coup de départ de cette nouvelle mission. Je n'en ai pas énormément à vrai dire : agir, ou mourir. Peut-être pas sous les coups des manifestants, mais plutôt de Reborn, si jamais je n'agis pas dans leur sens.

  • Dites les gars, avant qu'on y aille, quelque chose à dire ? J'entends, un truc que vous aimeriez avoir confié si jamais on revenait pas.
  • C'est super glauque Sam.
  • Non, juste... ça pourrait apaiser la peur, vous pensez pas ?

Personne ne me répond durant quelques longues secondes, avant que Tim ne se racle la gorge, pour demander :

  • Commence, comme ça on saura quoi dire exactement.
  • … ok, je murmure. Si je meurs dans les prochaines heures, j'aimerais qu'au moins deux personnes en ce bas monde sachent à quel point je suis fou amoureux de ma petite amie, et à quel point je ne regrette pas de vous avoir rencontré et de vivre avec vous, bien que cela ai été en grande partie possible grâce à l'attentat. En fait, je ne regrette pas ce qui nous arrive, uniquement sur cet aspect-là.

Mon estomac me semble tout à coup plus léger, et le poids sur mes épaules, amoindri. Cette action peut paraître toute bête, mais en réalité, elle est tellement libératrice. Pas que cela représente un immense secret, une lourde charge à porter au fond de moi, mais cela je trouve, marque une marque de confiance, un pas vers l'autre, un lien dont j'ai besoin pour la suite. Une sorte de reprise de force par la parole et la sincérité, par l'émotion. Un coup de boost, un dopage.

  • C'est super cool de savoir que tout ce merdier aura au moins servi à ça, sourit Tim en croisant ses bras derrière sa tête.
  • Vas-y l'embryon, à toi.
  • Si vous voulez. Ok alors moi...

Il marque une pause, semble chercher ses mots, avant de reprendre, les yeux toujours fixés sur le plafond de la tente.

  • Si jamais on revient pas, j'aimerais au moins que vous sachiez que je n'en veux pas à mes parents d'être morts en m'abandonnant à cette nouvelle vie dont je ne voulais pas. Et aussi..., que si jamais on ne revient pas à la base militaire en vie, je m'en voudrais atrocement de ne jamais avoir dit à Alexa à quel point elle comptait pour moi.
  • Sérieux ? T'en pince pour elle gamin ? Ok, t'as pas le droit de clamser sans lui avoir dit.

Tim rougit, de la racine des cheveux jusqu'aux cou, avant qu'un rire collectif ne nous agite, pour revenir dans le calme, et dans l'attente de voir la langue du dernier d'entre nous, se délier.

Constatant que nos deux paires d'yeux sont braqués sur lui, Léo inspire par le nez, avant de soupirer, pour enfin ouvrir la bouche, et lâcher un abrupte.

  • Si jamais je meurs aujourd'hui, j'aimerais que le monde sache quelques trucs. Le premier, c'est qu‘Elio, malgré tout ce que j'ai pu dire hier, enfin... cette nuit, je soutiens que tu es un type bien. Et que si je crève, tas plutôt intérêt de bien prendre soin de Mia. La seconde, c'est que même si je fais le malin et que je vous charrie, je vous aime bien au fond. Et enfin...

Je sourcille au ton de sa voix ayant changé du tout au tout, passant de l'imposition au réel besoin de parler.

  • … qu'il m'aura fallut attendre de voir ma vie changer de bout en bout, de participer aux Jeux, de manquer perdre le peu qu'il me restait, pour enfin m'assumer. C'est grave con à dire, mais...
  • C'est pas con, je le coupe.
  • Ouais 'fin, quel connard sérieux. Attendre tout ce temps juste pour dire à l'autre buse que...
  • … que tu étais amoureux de lui depuis le début ? Et alors, il est où le problème ? Au moins maintenant il est au courant, c'est le plus important.
  • Ok, alors si je crève, que le monde entier sache que putain, je suis vraiment fou amoureux de Lou, et ce depuis un baille ! Autant dire les mecs, qu'on a plutôt pas intérêt à mourir dans les prochains jours, si on veut pas que nos snacks se retrouvent veufs et veuves à vingt piges.

Un nouvel éclat de rire nous ébranle, et je me surprend à apprécier ce moment de légèreté avant l'orage, ce court instant de répit, de retour vers une adolescence que nous n'avons pas totalement exploitée.

Deux minutes plus tard, nous sommes sortis de la tente par les exclamations pressantes du colonel Rivet, quelque part au bout du campement nomade. M'extirpant de sus la toile de tente tout en boutonnant ma veste, j'avise les différentes expressions parant les visages de mes camarades d'infortune. La major partie d'entre eux, semblent passablement endormis, anesthésiés face à la situation, tandis que d'autre oscillent entre la rage et la peur viscérale, celle de ne pas savoir ce qui nous attend exactement.

  • Ok les jeunes, lance le colonel en ajustant sa veste. On y va.

J'inspire par le nez, me racle la gorge pour intimer à Léo et Tim de me suivre, et emboîte le pas au colonel dans un mimétisme déconcertant.

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