42 (partie 1)

9 minutes de lecture

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Mia

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Après le départ de Léo et Elio, je n'ai pas eu la force d'interroger Lou sur sa... nouvelle relation avec mon meilleur ami. La nuit ayant été plutôt courte et peu reposante, je me suis assoupie presque aussitôt la porte coulissante refermée. Un lit froid, un sommeil glacial, un rêve neigeux : absent depuis quelques heures à peine, et pourtant un vide pareil ? Si un jour j'avais imaginé pouvoir autant m'attacher à une personne.

Sur les deux heures me restant à dormir, je songe à peine, alternant des périodes de sommeil profond avec quelques flash, quelques bribes de souvenirs qui pour la plupart, ne sont pas les bienvenus. Comme par exemple, mon père nous immobilisant, Elio et moi. À la simple remémoration de ce funeste moment, mes muscles se tendent, et je gronde de réprobation.

Je n'en ai presque pas reparlé, ni avec Elio, ni avec Léo ou Lou. Qu'en auraient-ils pensé ? Que mon père, au même titre que Criada, était une ordure. Ce qui objectivement, est le cas, mais l'admettre est une autre histoire. Et puis, si il n'avait pas agit de la sorte, nous serions peut-êtr etous libre à l'heure qu'il est. À la place, Elio et Léo sont en route pour une zone d'affrontement de manifestants, pour prêter main forte à l'armée et à la police, contre des gens voulant notre peau, car ‘’non réceptifs’’ à l’aide qu’ils s’entêtent à nous apporter. Victimes de répression et d’ignorance, cocktail mortel.

Le retour de flamme. Si à la base, la population était de notre côté, maintenant que Reborn a lancé sa politique de répression, j'imagine que défendre les enfants et adolescents victimes d'ignobles expérimentations scientifiques n'ai plus leur priorité. En soi, l'humain est solidaire avec les autres membres de son espèce, un peu à la façon d'un troupeau de bétail ou d'une meute de loup. Sauf que das les deux cas susnommés, l'individu préférera toujours mettre sa propre sécurité avant la défense d'autrui. C'est comme ça, c'est naturel.

Je tourne la tête pour aviser le couloir venant de s'allumer, et constate que Lou ne dort plus, ses yeux grands ouverts perdus dans la contemplation du plafond.

  • Hé beau gosse, tu dors plus ?
  • Je me suis pas rendormi. J'ai pas réussi.

Avec toutes les peines du monde, j'émerge de sous mes couvertures pour aller le rejoindre, m'asseyant sur le rebord de son couchage pour passer une main dans ses cheveux.

  • Ils vont revenir, je souris avec assurance. Ils en ont vu d'autres.
  • J'admire ton optimisme.
  • Attends, tu crois sincèrement qu'après avoir attendu tout ce temps pour mettre ses sentiments sur table, l'autre cruche va se faire plomber sur le champs de bataille ? Moi je peux t'assurer le contraire.

Un furieux rougissement s'étale sur son visage, lui donnant un air passablement échauffé, avant que les hauts-parleurs ne nous ordonnent de nous préparer. La voix rauque du militaire m'arrache une grimace, et je me redresse en roulant des yeux, laissant un Lou encore sous l'hébétement de mon intervention en faire de même.

Environ cinq minutes plus tard, enfin apprêtés et ''motivés'' pour la journée s'annonçant sous le signe de l'attente et l'incertitude, nous quittons notre petite cellule pour rejoindre les autres Reborn dans le long couloir menant au réfectoire.

Rapidement, je repère Jelena et Jeremy, et me hâte de les rejoindre en traînant Lou à ma suite, lequel peste tout ce qu'il peut contre sa veste je cite ''impossible à fermer''.

  • Hé, Jelena, Jeremy ! Attendez !

Ma meilleure amie se retourne dans ma direction, et je note immédiatement les lourdes cernes sous ses yeux limpides. Ses traits sont tirés, et à dire vrai, elle n'a pas du tout bonne mine. Le constat est le même du côté de Jeremy, à ceci prêt qu'en plus des marques de fatigue, il arbore un bel œil au beurre noir.

Quelque chose ne s'est pas bien passé cette nuit, et je crois déjà avoir ma petite idée sur le sujet.

  • … Tim ? je murmure en saisissant la main de Jelena.
  • Il n'a rien dormi de la nuit, a passé le plus clair de son temps à succéder les crises de panique, et ce matin il a...
  • … il a complètement pété un câble, complète Jeremy. Il s'est agrippé aux barrots de son lit, a tenté de se débattre en hurlant qu'il ne voulait pas y aller... J'ai essayé de m'interposer, mais ils l'ont tout de même emmené. Il a dix-sept ans, merde.

Mon cœur se serre en repensant à la réaction démesurée de Léo hier soir, sûrement en rapport avec cette peur que partagent visiblement tous les Reborn sélectionnés pour partir affronter les manifestants. La peur de mourir, de perdre le peu qu'il nous reste, de flancher après s'être durement battu durant deux longues années.

Tim n'a pas eu d'enfance, elle la lui a été volée. Pas étonnant qu'au bout d'un moment, la corde ne lâche. Reborn a quatorze ans, soldat à dix-sept, et peut-être mort à dix-huit.

Je me mords la lèvre, en me passant une main sur le visage, avant de serrer les doigts de Jelena au creux des miens, et de voir du con de l’œil, Lou étreindre l'avant-bras de Jeremy.

Lorsque nous avons été diplômés, puis tous affectés dans la même résidence, j'ai souvent fait remarquer à Elio que Jelena et Jeremy ressemblaient à de vrais parents avec Tim. De part la différence d'âge et l'instinct protecteur, ils n'ont jamais laissé personne levé la main sur lui plus que de raison. Et à en voir leurs mines effondrées, je comprends que j'avais raison sur toute la ligne : plus qu'un lien d'amitié, ils ont créé un lien parental envers lui, afin de subvenir au manque de notre jeune ami.

  • Ils vont tous revenir, je m’évertue à vous le dire.

Elle papillonne des yeux, et je souris malgré la peur me tenaillant l'estomac : et si jamais ils ne revenaient pas ?

  • Ils vont revenir, je répète avec faiblesse.

...

Mes muscles me font mal. Terriblement mal. J'ai l'impression de me faire rouler sur les jambes à chaque nouvelle foulée que je fais, à chaque nouveau pas me portant un peu plus loin autour de la piste longeant le stade. Douzième tour, douzième kilomètre, essoufflement, douleur, envie de se laisser tomber sur le côté de la piste.

Alexia me rattrape en petite foulées, et me donne un léger coup dans l'épaule, avant de m'offrir un large sourire : pas le droit à la parole durant les entraînements d'endurance, c'est la règle. Je répond à son geste d'un hochement de tête, avant de reprendre de plus bel, mes bras accompagnant mes avancées, mes cheveux se balançant d'un côté et de l'autre de mes épaules au rythme de ma course.

Longeant la piste, des militaires nous menaçant de leurs armes devenus tristement banales, ainsi que quelques Reborn confirmés et hommes de mains de Nodem, nous surveillent avec sur leurs visages, toute la froideur de ceux qui n'hésiteront pas à tirer en cas de pas de côté.

Il me faut terminer mes quinze tours, sans m'arrêter, ou je devrais recommencer.

Alors que je passe la ligne de départ pour entamer mon avant-dernier tour, je remarque sur le côté un mouvement anormal, qui attire mon attention plus qu'il ne l'aurait du.

… je rêve.

Ralentissant progressivement pour ajuster ma vision sur mon point d'intérêt, je finis par me stopper complètement en écarquillant les yeux, pour finalement repartir dans un sprint mémorable jusqu'à ma cible.

  • Tu as le culot d'être ici ? Tu plaisantes ou quoi ?!

Les autres Reborn ont cessés de courir pour m'observer rejoindre le bas côté d'un pas de course, pour finalement saisir l'homme se dressant face à moi au collet et le secouer vivement.

  • Espèce de misérable ordure, qu'est-ce que tu fous ici ?

Mon père, le regard glacial, saisit mes mains pour me repousser sans ménagement, avant de me lancer un terrible « Arrière, monstre ».

Mon sang, battant plus fort à mes tempes, me donne l'impression de vouloir sortir de mes veines pour jaillir tout autour de moi et noyer mon paternel. Lui et ses yeux que je trouvais si rassurant, avant, sa peau brûlée, son rictus désintéressé.

  • Recule, Reborn, me lance un militaire en s'approchant dangereusement de moi.
  • C'est mon père, j'ai le droit de lui parler non ?
  • Ton quoi ? répète l'intéressé avec sarcasme.

Un militaire me saisit aux épaules pour me tirer en arrière, loin de mon père et des hommes avec qui il discutait avant mon intervention, et je pousse un hurlement de rage en tentant de me débattre.

  • Mia arrête, pense à... à tu sais quoi, me supplie Lou en me réceptionnant après que les militaires ne m'aient jetée au sol sur la piste de course.

Je sens mes muscles s'agiter sous ma peau, ma respiration se hacher à mesure que le regard de mon père fuit le mien, et je finis par enfoncer mes ongles dans le sable humide pour le racler, folle de rage.

Il m'a trahi. Il nous a trahi Elio et moi, nous a livrés à Nodem et maintenant il a encore le toupet de se présenter face à moi et de me renier ?

  • Il nous a balancé, je murmure à Lou alors qu'il m'intime de me taire.
  • Je sais, Elio me l'a dit. Laisse tomber, il en vaut pas la peine.

Mes doigts s'enfoncent un peu plus dans le sable, et je sens la prise de Lou se raffermir sous mes impulsions pour me redresser.

  • J'espère que tu as eu droit à une bonne pipe en échange de livrer ta propre fille ! Connard !!

Ma remarque cette fois-ci, ne me vaut pas un simple avertissement, mais un coup de perche électrique dans le dos.

Mon père m'ignore, et s'éloigne finalement avec les autres militaires pour ne laisser que les Reborn confirmés avec nous, lesquels se passent de commentaire, se contentant de nous escorter jusqu'à la salle d'entraînement. Tout le long du trajet, je tente de me raisonner, de me rassurer en me disant que Nodem lui a simplement lavé le cerveau, comme il l'a en quelques sortes fait avec Lou. Sauf que... je ne sais pas, quelque chose ne colle pas.

On nous enferme en salle d'entraînement, avec la formelle interdiction d'en sortir, et je peux enfin laisser court à mes vives protestations contre le monde entier, et plus précisément mon père et ses coups contre moi, contre ce que je suis devenu, et ce pourquoi je ne pourrais jamais rien y changer.

  • Mia, il faut te calmer, s'épuise à me répéter Lou avec toute la volonté du monde. Tu pourrais t'attirer des ennuis. Et sincèrement, je supporterais pas d'être seul dans la cellule si ils t'enferment en l'absence de Léo et Elio.
  • Comment veux-tu que je me calmes ? Si on crève, ce sera de sa faute !
  • Je t'interdis de dire des choses pareilles tu entends ?

Le ton monte lentement, et je sens la culpabilité me nouer le ventre et me faire voir trouble : il a raison, alors pourquoi lui hurler dessus de la sorte... ?

Je nous revoie en pleine dispute, devant l'internat du centre de formation après que je sois rentré en conflit avec le père de Elio. Les mimiques de Lou sont les même qu'à l'époque.

  • Lou, il va falloir que tu te fasses à l'idée, que vu la situation, on finira par mourir ici.
  • Merci d'appuyer le fait que nous n'avons pas d'avenir, c'est sympa, grince t-il pour toute réponse.
  • Calmez-vous maintenant, c'est bon.

Jeremy, les poings sur les hanches, vient de s'interposer entre Lou et moi, ses yeux acier nous scrutant l'un à l'autre avec exaspération.

  • Vos mecs respectifs sont partis depuis même pas six heures et vous vous engueulez déjà ? Faîte-nous plaisir et épargnez-nous vos enfantillages. Battez-vous dans votre cellule.
  • Comment tu..., murmure Lou.
  • Quoi ? Il y a bien que toi qui était assez aveugle pour pas le voir. Mais bref, ce n'est pas le sujet : contrôlez vos montées d'adrénaline respectives, et tout ses passera très bien, ok ?

Jeremy s'écarte, et je réalise soudainement une chose qui ne m'avait pourtant pas semblé si importante de prime abord : pour la première fois depuis longtemps, je me retrouve éloigné de Elio pour une durée, indéterminée. Bien sûr, je ne peux pas tout mettre sur le dos de cette séparation aussi brutale qu'inattendue, mais... En soi, chaque humain a besoin d'un repère, d'un modèle, d'une source de lumière dans un paysage obscur. Mon pilier à moi, c'est Elio. Et même si nous ne sommes pas toujours en accord, ou que parfois, ses idées vont en contradiction avec les miennes, je crois que je l'aime vraiment, et que de le savoir prêt à se battre pour Reborn, prêt à mettre sa vie en danger, m'affecte bien plus que je ne voudrais le laisser penser.

Qu'adviendra t-il si il ne revient pas ?

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