41 (partie 2)

9 minutes de lecture

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Léo

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Je n'arrive pas à réaliser ce qu'il est en train de m'arriver. Debout au milieu de notre cellule de verre, je fixe mes mains avec un profond sentiment de vide, une sorte d'amertume envers moi-même, ainsi qu'envers la vie en général.

Si je fais un rapide débriefing, je me suis fait abattre dans un attentat meurtrier dans mon internat, pour ensuite être ramené à la vie, exploité, malmené, pour au final manquer de peu de croiser le chemin de la folie, emprisonné aux Jeux, racheté par le Chef suprême de toute cette mascarade, puis à nouveau transporté et traité comme un animal, pour désormais me retrouver face à la suite de ma vie, s'annonçant ponctuée de tirs de et de dégâts humains.

Je pars à la guerre putain.

Mes yeux vont et viennent de mes mains crispées le long de mes cuisses, jusqu'aux différentes couchettes où mes amis me fixent avec des yeux à mi-chemin entre la nervosité et la fatigue.

  • Léo, murmure Elio. Il faut aller se coucher, on part tôt demain.
  • Parce que tu vas dormir toi peut-être ?
  • Je vais essayer. Si on part combattre en étant crevés, on ne réussira qu'à mourir par manque de réflexe, ou un truc du genre. Tu as vraiment envie qu'on finisse comme ça ?

Je grogne, et recommence à faire les cent pas dans notre petite cellule. Mia, sagement assise aux côtés de son petit ami, me fixe avec un drôle d'air : elle aussi doit être en train de réaliser la dureté de la vie à poursuivre. Je pense même, qu'elle doit intimement se sentir coupable de la situation, découlant du mouvement engendré par ses soins.

Quant à Lou...

Recroquevillé sur lui-même vers le bord de son couchage, il a replié ses jambes sous son menton, et me scrute avec des yeux chargés d'une tristesse qui me noue la gorge.

  • Qu'est-ce qui te tracasse tant, Léo ? Ça fait deux ans que tu participais aux Jeux, tu ne devrais pas...
  • C'est pas la peur de mourir qui me les brise. C'est juste d'être aussi impuissant face à tout ça. Durant deux ans, j'ai toujours espéré me sortir du pétrin dans lequel j'étais fourré jusqu'au cou, par un coup de chance, ou un cataclysme mondial, j'aurais pu m'enfuir. Vous retrouver, et laisser tout ça derrière nous. Sauf qu'aujourd'hui, on a ces fichues bombes à retardement dans la nuque ou je ne sais où, et ça me tue. Parce que, quoi qu'on fasse, on est voué à mourir. Sauf si on se plie à leurs règles et leurs demandes, ce que je refuse. Ce n'est pas une vie, vous comprenez ça ?
  • Bien sûr qu'on comprend, répond Elio avec un haussement de sourcil. Mais qu'est-ce que tu veux qu'on fasse sérieusement ? Comme tu l'as si bien dit, on est tous menacés par les gestes des autres. Moi je pense, et c'est triste à dire, qu'il nous faut simplement accepter ce qui nous arrive, et puis basta.

J'ai envie de lui écraser la tête contre les barreaux du lit.

Il me regarde avec ce froncement de sourcil si énervant de ceux qui pensent avoir raison de se résigner, et cela me hérisse les poils. Ainsi enfermé, prit au piège comme une bête sauvage mise en cage, je n'ai plus assez d'air, assez de place, pour voir clair dans tout ça et pour pouvoir espérer calmer les battements de mon cœur. C'est pourquoi, sans vraiment réfléchir, je m'approche de lui pour le saisir au collet, et le redresser face à moi dans un geste brusque. Il a peut-être pris en taille et en muscle, mais il ne me fait toujours pas peur : il va falloir qu'il change de mentalité, car il est hors de question que je me batte aux côtés d'un homme ayant renoncé à la liberté.

  • Peut-être que tu t'en branles de finir ta vie comme un putain d'esclave, mais est-ce que c'est ce que tu souhaites à Mia ? De la voir évoluer ici, jusqu'à mourir de fatigue ou de mauvais traitements ? Moi personnellement, je n'aspire pas à ça, ni pour moi, ni pour Lou.
  • On ne peut pas faire autrement, grince mon interlocuteur avec froideur. On a un système destructeur dans l'organisme, une myriade de militaires toujours prêts à nous fusiller, on est bloqués, tu comprends ça ? Même lorsque nous étions agents avec Mia, nous étions toujours surveillés. Du fait que nous sommes morts à Liberty, le pouvoir de choisir nous a été retiré. Grandis, et vois la réalité en face. Et puis arrête de tenir ce genre de propos ici, tu vas nous attirer des problèmes.
  • C'est bon les garçons, ça suffit maintenant. Arrêtez de vous comporter comme des enfants.

Je vois rouge. Moi, grandir ? J'ai pris quarante ans d'âge mental durant ces deux années enfermés dans les cellules des Jeux, à devoir combattre et tuer pour ma survie. Tout ça parce que Lou avait pété une durite suite à la mort de Javier. S‘il n'avait pas pressé cette détente, on n’en serait pas là. On aurait simplement tous obtenus nos diplômes de façon ''traditionnelle'', on serait devenu agents, et fin de l'histoire. Certes, nous aurions toujours été au compte de Reborn, mais au moins, nous aurions été libre de nos gestes et de la plupart de nos déplacements. Cette échappatoire aurait été la meilleure, bien que la finalité eut toujours été de servir Reborn. Alors que maintenant, nous voilà condamner à subir les pires vices de nos geôliers, à combattre les foules militant pour nos droits, à tuer des gens pour une fois,de notre côté.

Je grince des dents, en le tenant toujours fermement, avant de le pousser sur le côté, de façon à ce que son crâne heurte la paroi vitrée de la chambre. Un craquement du verre s'élève dans la chambre, et je gronde entre mes lèvres serrées – Mia a déjà fissuré une partie de la vitre tout à l'heure, et voilà que je m'y mets également.

  • Léo ! C'est bon, ça suffit maintenant !

Mia s'est redressée pour s'interposer entre Elio et moi, les bras tendus en croix, m'obstruant le passage. Elle a les yeux écarquillés par la stupeur et ses lèvres tremblent légèrement. Visiblement, elle ne s'attendait pas un tel excès de violence de ma part, et surtout pas contre Elio.

  • Tu vas pas me dire que tu es d'accord avec lui ?
  • Mon chat, ça me tue de l'admettre, mais il a raison.

Je m'apprête à ajouter quelque chose, lorsque je sens les bras de Lou s'enrouler autour de ma taille, et son visage se perdre dans ma nuque.

  • Lou qu'est-ce que tu...
  • Arrêtez de vous battre. Il faut que vous vous aidiez demain, sur la zone des manifestations. Vous battre à propos de ça ne servira à rien, pas maintenant en tout cas. On trouvera une solution, en temps voulu. Pour le moment, ce qui compte c'est que demain, vous allez tous les deux partir pour vous battre contre des civils. Et que Mia et moi, on a pas envie de finir comme deux cons si jamais vous veniez à mourir.

Mes mains se décontractent, et lentement je les pose sur celles que mon petit ami à nouer autour de ma taille. Avec une infinie douceur, j'enroule mes doigts aux siens en sentant ma respiration s'apaiser, avant de le laisser me guider jusqu'à un couchage, loin de Elio, tentant de stopper son saignement de nez.

  • Vous avez pas le droit de mourir en nous laissant ici, complète Mia en redressant son compagnon. C'est compris ? Mettez vos différents de côté, juste le temps de cette intervention. Ok ?

J'échange un regard avec Elio, tandis que Lou et Mia nous scrutent avec une supplication à peine dissimulée dans les yeux. Elio, à nouveau debout, pince l'arrête de son nez avec un regard brumeux perdu dans ma direction.

Je n'ai pas envie de clore cette conversation de la sorte, tellement de sujets n'ayant pas encore été abordés, mais suis bien obligé de me plier à la demande de Lou et Mia, mon cœur ayant reprit le dessus sur ma colère. Les doigts de Lou se serrent un peu plus entre le miens, et je soupire pour évacuer les restants de colère, me vider de toute envie de poursuivre cet affrontement d'idées, de principes, et de points de vue.

  • … ok, je marmonne en lui tendant la main.
  • Idem.

Sa main ensanglantée serre la mienne, et j'inspire par le nez : l'appréhension de demain commence vraiment à me faire disjoncter les neurones. Aurais-je autant vu rouge si l'épée de Damoclès ne tournoyait pas autant au-dessus de ma tête ? Sûrement pas. Juste, maintenant que j'ai retrouvé ma meilleure amie, et que Lou est officiellement mien, il me semble difficile de repartir en ne sachant pas si je pourrais revenir. Si je survivrais sur le champs d'affrontement. Et que se passera t-il si Elio décède ? Où si nous mourrons tous les deux ? Qu'adviendra t-il de Mia et Lou ? Qui les protégera ?

Je réprime un sanglot montant dangereusement le long de ma gorge, et tourne lentement la tête pour perdre mes yeux dans ceux de Lou, espérant intimement trouver réponse à mes questions au fond de ses prunelles azurées.

  • Il va falloir dormir, chuchote t-il contre mon cou.
  • Ouais, j'imagine que toi et le rouquin avez raison : on va essayer de dormir.

Sur les coups de ce que j'imagine être cinq heure du matin, notre cellule s'ouvre dans un battement de l'air, dans un fracas du verre fissuré ne supportant pas la violence de la pression, et j'ouvre les yeux avec brusquerie.

Avisant tout autour de moi, je repère le militaire debout au centre de la pièce, tenant deux sacs à dos ainsi que deux tenues sombres entre les mains.

  • Pogbal, Criada, on se bouge. Dans cinq minutes en salle d'entraînement.

Sa voix est rocailleuse : lui aussi doit sortir du sommeil.

Il nous balance sa charge, avant de quitter la pièce pour passer à la cellule suivante.

Lentement, je déplie mes jambes, sors de sous ma couverture pour laisser le froid m'étreindre, et constate les yeux de Mia et Elio braqués dans ma direction.

  • Ouais ? J'ai une gueule horrible à e point ?

Elio hoche négativement la tête, et me désigne le corps de Lou formant une bosse sous la couverture, encore serré contre moi malgré le fait que j'aie changé de position.

  • Comme si vous étiez pas au courant. Allez Sam, lève-toi, on a que cinq minutes.
  • … ok, capitule Elio, comprenant qu'il n'aura pas plus d'explications pour le moment sur la présence de Lou dans mon lit.

Se redressant avec lenteur, il s'étire, et commence à enfiler sa tenue tandis que moi-même j'attrape la mienne sous le regard papillonnant de Lou, sa petite bouille endormie me faisant doucement sourire.

Une jambe après l'autre, j'enfile el pantalon rêche de ma tenue de mission avant de considérer l'intérieur de mon sac à dos d'un œil critique : un cran d'arrêt, deux armes à feu avec quelques recharges, des barres protéinées et une bouteille d'eau. Espérons ne pas arriver sur le champs de bataille en pleine période de disette.

  • Tu es prêt le rouquin ?
  • Tu es bien pressé Léo je trouve, murmure Mia en me saisissant la main.
  • Plus vite on en aura finis, plus vite cette merde sera derrière nous.
  • Bon raisonnement, Reborn. On y va.

La voix rauque du militaire étant venu nous ouvrir il y a de cela quelques minutes me surprend plus qu'elle ne l'aurait due, et je fais rapidement volte-face pour froncer les sourcils à la vue de son visage raidi par la crispation.

  • On arrive, grogne Elio en attachant sa veste.
  • Je vous attend devant la cellule. Les autres sont déjà prêts.
  • La belle affaire, ils sont juste plus réactifs que nous.

Le militaire grogne, agite son arme en signe d'avertissement, avant de se détourner pour s'éloigner de quelques pas.

Elio rapide, embrasse ma meilleure amie avec une étreinte pressante, et je lui offre moi-même un baiser sur la joue, avant de me tourner vers mon lit, où Lou s'est redressé pour me faire face.

  • Oublie pas ce qu'on a dit hier, t'as intérêt de revenir en un seul morceau.
  • Tu m'as pris pour qui abruti de loup ?
  • Pour celui dont je pourrais plus me passer. Alors reviens-moi en vie.

Il m'attire à lui en me tirant par le col de mon haut, pour me planter un baiser sur les lèvres. Mon ventre se tord d'inquiétude à l'idée que cet échange puisse être le dernier, avant que je ne me recule pour le considérer, ses grands yeux bleus brumeux de pluie.

  • Je t'aime connard, alors essaye de pas crever. Elio, ramène-le en vie.

Mon partenaire de combat hoche la tête, avant de me saisir le poignet pour me tirer hors de la cellule. Mia et Lou nous regardent nous éloigner, avant que la porte coulissante de la cellule ne se referme, et que mon cœur ne cesse de battre, un court instant.

Comment une cellule de prison peut-elle sembler aussi protectrice ?

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