39 (partie 2)

5 minutes de lecture

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Mia

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Lorsque je vois enfin disparaître Léo et Elio, partis aux douches, par la paroi vitrée de notre cellule, j'enjambe mon couchage pour me rapprocher de celui de Lou, et m'y asseoir. En équilibre, les fesses sur le rebord de son lit, je l'observe papillonner des yeux, me dévisager, pour enfin se redresser.

  • Hey, je souris avec douceur.

Il me répond d'un petit mouvement des lèvres, un sourire avorté, pour finalement remarquer l'absence de Elio et Léo avec un froncement de sourcils.

  • J'ai même pas remarqué qu'ils étaient partis.
  • Tu étais occupé à jouer avec tes mains, pas étonnant !

Cette fois-ci, il m'offre un petit rire, avant de se rasseoir correctement pour mieux me faire face.

L'espace d'un instant, nostalgique, je grave à nouveau dans ma mémoire la teinte mate de sa peau, le bleu tellement clair de ses yeux, tout en me mordant la lèvre : si on ne voyait que son visage, sans le reste du corps et surtout sans l'ombre d'absence dans ses yeux, on pourrait croire que rien n'a changé. Le problème est juste que moi, je ne vois que ça justement, ce corps amaigri semblant être resté enfantin, ces yeux à la lueur éteinte et ce sourire faux qui me fait mal au cœur à chaque fois que je le vois. À chaque fois que j'imagine mon ami d'enfance, Lou, mon loup, sous les coups et les horreurs que lui a infligés Reborn, pour une prétendue folie qui n'était due qu'à leur propre traitement. Ce sont eux qui nous ont persécutés, qui nous ont battus, blessés, entraînés à devenir ''agents'', qu'ils ne viennent pas s'étonner que quelques séquelles mentales ne viennent s'ajouter au reste.

Du bout des doigts, j'effleure le rebondi de sa joue sous son regard étonné, avant que d'un coup, il ne semble paniquer, les sourcils arqués.

  • Mia, ça ne va pas ?

Je continue de caresser sa joue, ne comprenant pas ce qui lui arrive, et ayant peur de me retrouver face à une crise sans la présence de Léo, visiblement seule personne arrivant encore à le calmer.

Il tend la main vers moi, et du pouce, efface une larmes que je n'ai même pas senti couler, avant d'hésiter quelques instants, pour finalement me prendre dans ses bras.

  • On aurait du voir que tu n'allais pas bien, Lou. Je suis désolée...
  • Arrête de l'être. C'est pas votre faute à Léo et toi.
  • Si. On a promis à ton père de faire attention à toi, de te protéger, et on a échoué.

À l'entente du mot ''père'', je le sens tressaillir contre moi, mais ne répond rien, préférant accentuer sa prise autour de moi.

  • Parfois, je me dis que toi et moi, on aurait vraiment mieux fait de fermer notre gueule à Liberty ce soir-là. Je veux dire, si on avait pas insisté pour aller ''aider'' les autres, on aurait été tués comme tout le monde, et n'aurions absolument pas intéressé Nodem.
  • Léo m'a parlé de cette nuit-là, répond t-il.
  • Si on l'avait écouté, nous n'en serions pas là aujourd'hui.

Il frissonne encore, renforce sa prise autour de ma taille, et inspire mon odeur dans mon cou, avant d'y nicher son nez, penaud.

  • J'aimerais savoir comment rembobiner la vie, susurre-t-il.

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Léo

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  • J'aimerais bien savoir pourquoi c'est toujours pour nos pommes ce genre de corvées de merde !

Je gronde, tape le sol des pieds en tenant entre mes bras l'énorme panière de linge assortie à celle que Lou tient entre les siens, et que nous devons porter jusqu'au brûleur sur le toit. De vieilles tenues d'entraînement irrécupérables, du linge de lit souillé par la sueur et le sang, quelques torchons brûlés. Une véritable réjouissance contenue dans ces deux ballots en osier. J'ai l'impression d'être revenu à l'âge médiéval avec ce genre de panier à linge entre les mains.

Sur le toit du bâtiment administratif se trouve un brûleur, qui permet de se débarrasser du linge et des habits qui ne serviront plus, et permettant de par sa hauteur de ne pas laisser la fumée envahir la base militaire. Une idée ingénieuse, si seulement ils avaient pu installer un quelconque moyen de transport pour monter directement le linge, au lieu d'envoyer de pauvres Reborn fatigués tels que nous pour se taper le sale boulot.

  • T'y arrives Lou, c'est pas trop lourd ?
  • Je suis pas en sucre.
  • Ta gueule, si ma bienveillance te les brise, ais au moins la politesse de ne pas me le faire remarquer.

Il ricane, derrière moi, et je lui jette un regard abasourdi par-dessus mon épaule, avant d'enfin soupirer de soulagement en atteignant la porte donnant sur le toit.

Il nous serait tellement facile de sauter, et de laisser nos crânes exploser tout en bas du bâtiment.

Il nous serait tellement facile de tout abandonner ici.

Sauf qu'en bas, restent Mia et Elio, qui n'ont pas tout sacrifié pour nous voir nous suicider sans leur avoir dit au revoir. Parce qu'en bas, il reste peut-être encore un espoir de s'en sortir, aussi petit soit-il.

  • Aller, approche.

Je m'avance vers la cabine métallique par la cheminée de laquelle s'échappent de grandes bouffées de fumée aussi noire que la nuit, et en ouvre la petite trappe avant d'y jeter mon paquetage. Les morceaux de tissu à peine rentrés en contact avec les flammes, une vague de chaleur me balaye le visage, et de la main, je repousse les quelques mèches me tombant devant les yeux.

D'ici nous pouvons voir l'entièreté de la base, sa forme circulaire, ses trois bâtiments et ses nombreux terrains d'entraînement. L'une des structures sert à la fois à nous loger, et à nous entraîner, avec du matériel sportif et quelques espaces d'affrontement dans une grande pièce centrale. Le second, est celui où se regroupent tout le personnel administratif ainsi que les hauts dirigeants de Reborn. Et enfin, le dernier, celui dont nous sommes sortis après notre entrevue avec Nodem, le bâtiment d'isolation pour les Reborn déficients. Une véritable fourmilière, que nous dominons de quelques étages seulement.

Lou me rejoint en quelques enjambés pour suivre les même étapes, avant de se retourner, et de s'essuyer le front du revers de la main.

  • Une bonne chose de faite, s'exclame t-il en s'éloignant déjà du brûleur.

Je l'observe faire, mais quelque chose m’empêche de bouger. Alors que je regardais l'horizon, mes yeux se sont à nouveau posés sur ce petit rebord en béton longeant le bord du toit. Fronçant les sourcils, j'ai l'espace d'un instant, une idée, un éclair de génie, me traversant l'esprit à la façon d'un coup de foudre fulgurant. Ça m'électrifie, me traverse de part en part car un instant, il me semble avoir trouvé la solution, le remède.

  • Léo, tu viens ?

Lou se retourne vers moi, tandis que je m'approche du rebord à grandes enjambées, pour m'y hisser, me retrouvant alors face au vide. Le vent tout autour de moi me paraît brusquement plus violent, et les nombreux étages me séparant du sol me donnant une impression de vertige assez impressionnante.

  • Léo ?

Je me retourne légèrement, pour pouvoir jeter une œillade à Lou par-dessus mon épaule, avant de le voir blêmir, les yeux écarquillés.

  • … Lé... o ?

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