37  (partie 1)

6 minutes de lecture

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Léo

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C'est un léger ballottement, une sorte de ronron sous moi me berçant avec un rythme régulier, qui me tire de mes songes. Ouvrant les yeux je ne distingue rien autour de moi, baigné dans un brouillard obscur et puant l'huile de moteur. Avec une lenteur témoignant de mon état corporel, je me redresse pour me retrouver assis, quittant ainsi la surface métallique et froide sur laquelle j'étais jusqu'alors étendu. Mes mains tâtonnent tout autour de moi, recherchant un appui, un indice avec lequel je pourrais enfin me situer dans l'espace et le temps.

Finalement, la seule chose sur laquelle je tombe, est une jambe pliée, fine et frissonnante sous mon touché.

Un petit cri de surprise me surprend moi-même, et me fait reculer de quelques centimètres.

  • Wouah, du calme. Qui est là ?
  • … Lou, susurre l'intéressé en se mouvant sous mon touché.

Étourdi, par la situation plus que par la réaction de Lou, je recule jusqu'à me retrouver dos à un mur en métal, qui émet un bruit sourd lorsque je le heurte. Ainsi adossé, mes muscles dorsaux cessent de me lancer et de rendre tout mouvement plus que douloureux.

  • On est où là ?
  • Je sais pas, je marmonne en ramenant mes jambes contre moi, la voix blanche. Tu as mal quelque part ?
  • Un peu derrière l'oreille, mais je sais pas si ça pourra t'aider de savoir ça.

Je fronce les sourcils, réalisant à mon tour qu'une légère douleur, une sorte de lancement, pulse derrière mon oreille. Du bout des doigts, j'effleure la zone concernée, avant de grimacer.

  • Tu te rappelles de quoi ?
  • Qu'on parlait de Liberty, et qu'on s'est endormis, rien d'autre.

Encore plus abasourdi par la compréhension qui vient de s'imposer à moi, je cherche à nouveau à rentrer en contact avec lui par le toucher, mes doigts se promenant sur le sol en métal jusqu'à effleurer les siens. Une quinte de toux rauque me plie en deux, quelques instants, durant lesquels je sens comme une myriade de flamme remonter le long de ma gorge.

  • Je pense que ça s'est bien gâté pour Nodem, et qu'il est en train de fuir. Avec nous.
  • Tu crois ? s'étrangle Lou en comprimant mes doigts entre les siens.
  • Tu vois une autre explication petit génie ? On doit être dans un camion de bétail, vu l'odeur.
  • Animaux jusqu'au bout.
  • Et comment.

Notre cynisme commun me fait sourire : je n'ai aucun souvenir de Lou adhérant de la sorte à mon humour plus que particulier. Maintenant, il semble plus à même de réagir à mes blagues et à mon sarcasme, peut-être plus pessimiste depuis sa ''guérison'', ou juste plus mature, plus grand dans sa tête, bien que je ne suis pas certain que cela soit une bonne chose.

Sa candeur naturelle me manque assez, à vrai dire. Avant, lorsque je déblatérais sur notre monde pourri et ses devenirs lugubres, il était là pour me contredire et ramener de la lumière dans ma vision obscure de notre société. Désormais, il semble avoir en tête qu'il n'y a plus rien à sauver, que le monde en est à un stade de décomposition avancé.

  • Léo, me lance t-il en se rapprochant. Tu as promis qu'on s'en sortirait, ça tient toujours ?
  • Bah ouais, évidemment. Tu m'a pris pour qui ?
  • J'en sais rien, je suis désolé.
  • Ne le sois pas, tu ne l'étais jamais avant.

Malgré l'obscurité et l'absence de visuel, je devine son sourire nostalgique teinté de tristesse, et me mords la lèvre : je ne sais absolument pas, comment nous sortir d'ici.

Finalement, au bout de quelques longues secondes passées à écouter le silence, il vient se blottir contre mon épaule, pour y reposer sa tête, et finalement, se laisser porter à nouveau dans un sommeil que j'imagine sans rêve.

Je suis aveuglé par la lumière, lorsque la porte latérale de notre moyen de transport s'ouvre brutalement, après que l'arrêt m'ait réveillé en sursaut. Dans le contre-jour, je remarque deux silhouettes toutes armes braquées sur nous, qui s'avancent d'un pas bourrin pour nous tirer Lou et moi, en dehors de notre prison de métal.

Mon compagnon d'infortune, alors endormi contre moi, la tête sur mon épaule, pousse un cri de surprise lorsque les mains des hommes armées se referment autour de ses bras.

  • Doucement, je gronde. Vous lui faites mal.
  • Coucher le chien, il a déjà vu pire ton petit chéri.

Je grince des dents en me redressant vivement, toutes griffes dehors, prêt à en découdre. Cependant, face à la mine défaite de Lou, entre les mains de nos geôliers, je me calme, préférant ne pas envenimer la situation.

  • Joue pas aux héros, et suis-nous sans faire d'histoire, ok ?
  • Où on est ?
  • Quelque part entre Zaragoza et Huesca. T'en saura pas plus.

J'acquiesce bon gré mal gré, et accepte enfin de suivre l'homme braquant désormais le canon de son arme contre ma tempe. Lou est traîné quelques pas devant moi, sans aucun ménagement, et le voir malmené ainsi me donne une légère nausée, qui s'accentue à la vue du revolver braquant son cou en cas de désobéissance.

  • Nodem est tellement dans la merde qu'on se casse, ça y est ?
  • Ta copine a déclenché une guerre, sale merdeux. On sauve les meubles.

Mia ? Difficile à croire et pourtant, je n'émets aucun commentaire : je suis coupé du monde depuis si longtemps qu'il me serait compliqué de donner mon avis sur un sujet d'actualité.

Un rapide coup d’œil autour de moi me fait remarquer que nous nous trouvons dans une sorte de camp constitué de tentes en toile et de cabanes de fortune, d'autres camions semblables aux nôtre garés ci et là tout autour de nous. Des militaires en quantité se promènent un peu partout, armes à l'épaule, et nous regardent d'un sale œil lorsque nous nous arrêtons à la hauteur de l'un des pelotons les plus compactes.

  • Pogbal et Kampa, le chef les veut en bon état.
  • Pas de soucis, réplique un militaire en prenant le menton de Lou entre ses doigts. Alors sale petite merde, content d'être le rejeton de la salope qui vient de tous nous foutre dans la merde ?
  • Ma mère ?
  • Ouais, grince le militaire. Ta connasse de mère. Quand vous serez tous les deux six pieds sous terre, vous aurez le temps d'en reparler.

Un coup de crosse dans le ventre et une injure plus tard, nous reprenons notre route jusqu'à ce qu'il me semble être une sorte d'ancien train, stationnant sur une voie de chemin de fer jouxtant le camp. L'un des wagons est ouvert, et me laisse percevoir à l'intérieur plusieurs silhouettes enchaînés par de lourds liens métalliques. Lou me lance un regard par-dessus son épaule, avant d'être repris par le militaire qui l’escorte, puis jeté sans aucune douceur dans le wagon ouvert. Je suis le même schéma, à la différence près qu'avant de passer les portes du wagon, je me tourne vers le militaire me tenant fermement, pour lui offrir un sourire goguenard.

  • Si vous croisez Nodem, souhaitez-lui bonne chance, car face à Mia, il n'a aucune chance.

Le coup que l'on me porte à la tête est violent, bien plus que ce à quoi je m'attendais, et me projette directement au sol dans la petite prison roulante. Les militaires entrent ensuite, et nous saisissent poignets et cheveilles pour les entraver de lourdes chaines rendant ainsi tous gestes difficile.

Lorsque Lou et moi sommes solidement attachés, les soldats s'éclipsent enfin, non sans refermer la porte du wagon derrière eux.

  • Ils t'ont fait mal... ? glapit Lou.
  • Non, t'en fais pas. Il en faut plus pour me blesser.

Du bout des doigts, j'effleure tout de même l'entaille qu'a laissé la crosse de l'arme qui m'a frappée, pour y découvrir un léger filet visqueux faisant remonter une bile acide dans ma gorge.

  • Léo, Lou ?

La voix féminine me tirant de mes constatations morbides me laisse perplexe, car bien familière, même après deux ans. Désorienté, je cligne plusieurs fois des yeux, cherche autour de moi, avant de demander, hésitant :

  • Jelena ?

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