36 ( partie 2)

9 minutes de lecture

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Mia

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Assise dans un canapé en cuir du salon privatisé de la base de Redhead, j'observe l'écran du poste de télévision, blottie entre les bras de Elio.

On a vraiment tout foiré.

Partout, c'est l'horreur. Suite à la déclaration de Gloria, il y a de cela une dizaine de jours, les esprits se sont échauffés. En tout sens, les hommes et femmes perdues, en insécurité, commencent à voir le mal de partout. Les parents, les pires victimes, s'insurgent et demandent à vérifier le contenu du cercueils de leurs défunts enfants. Dans le cas où ce dernier se trouve vide, des actes de violence éclatent, en demandes de compte, autour de la folie grandissante et dévastatrice. Dans les petits villages touchés par ce fléau, les tons montent, les corps se chahutent, la haine grandie.

La peur, le dégoût et l'anxiété, sont partout. Dans plusieurs pays, les préfectures, les postes de police, les résidences présidentielles, sont attaquées, assiégées, puis brûlées. Le Monde est en train de connaître une véritable révolution, une vague de rébellion d'un peuple trop longtemps muselé dans le mensonge et la soumission. La population ne comprend pas, que l’État ait pu s'en prendre à leurs plus grandes merveilles. De la manipulation de masse, des expériences scientifiques, passent encore. Mais le tout combiné à d'ignobles machinations incluant des enfants, des innocents, il n'en fallait pas plus pour mettre le feu aux poudres. En quelques jours, notre pays, jusqu'alors libre et relativement calme, a mué en un champ de bataille étendu jusqu'aux campagnes. Chez nos voisins italiens, portugais, le résultat a été du pareil au même : l'interview de Gloria ayant été retransmise dans le monde, dans plusieurs dizaines de langues, des enquêtes gouvernementales ont été lancées, et des branches de la firme Reborn, débusquées un peu partout. Jusqu'au fin fond de l'Afrique, en passant par les États-Unis, personne n'a échappé au scandale. Interrogation, peur, colère, mouvement de foule, panique... violence.

À Londres, les citoyens en colère s'en sont pris au Palais Royal. À Paris, les français ont mené une opération nationale, et ont fait preuve d'une violence aussi brutale que précise, en s'attaquant à l’image du pays : depuis hier soir, la Tour Eiffel n'est plus. Sur les images à la télévision, un restant de pancarte attire mon attention : « Vous vous en êtes pris à nos enfants, on s’en prend au symbole de votre puissance ».

C'est la Guerre. Les politiciens, les députés, tous ceux touchant de près ou de loin au scandale, face à une véritable armée constituée par peuple, et menée par une armée répugnée d'avoir été affilié à de jeunes enfants soldats non consentant, pour un projet national aussi odieux qu’immoral. La police, dans plusieurs grands pays, a cessé de réprimer les mouvements de foule, dépassée par les événements, et en sous-effectif : le manque d'armes, le manque de défense, a fini par avoir raison de sa résistance. Bien sûr, quelques unités demeurrent encore dans le but de calmer la foule, ne serait-ce qu’un peu, face à tout cela, mais ce n’est pas suffisant.

La révolte de l'armée, porte un visage, celui de Jevero Dina qui, arme au poing a fait plusieurs appels au calme, a plusieurs fois tenté d'apaiser les choses, en ne faisant qu'aggraver la situation. Finalement, emporté par le mouvement de masse, il nous a rejoint hier pour se mettre à l'abri d'une foule n'ayant plus rien à faire des actes de chacun dans ce brouhaha d'injures et de répulsion. Mon père, pourtant de grade inférieur, a dû s’efforcer de contrer les attaques contre son ancien chef de section. L’armée espagnole, est en plein déclin.

C'est terrible car, personne n'est plus en sécurité nulle part : les voisins se soupçonnent entre eux d'avoir été au courant de cette folie, ou pire, d'y avoir participé. D'autres motifs de crises, associés à celui de Reborn, ne font qu'aggraver les faits, les rendant dangereusement inflammables.

Les responsables tentent de s'enfuir, de s'échapper, de se soustraire à l'étau se refermant autour de leurs personnes mises à mal. Le peuple sait, connaît leurs visages, et va tôt ou tard les retrouver et leur faire payer l'affront d'avoir violé le dernier sommeil de tous ces jeunes, dont nous faisons partie.

Le monde, borderline, n'a pas eu le temps d'être traité : la maladie, la gangrène, a prit le dessus.

À l'écran, je fixe la Sagrada Familia, taguée d'un message de haine, de violence, à l'adresse de notre actuel président, porté disparu depuis ce matin.

  • On a vraiment foutu la merde, je susurre en enfouissant mon visage dans le torse d‘Elio.
  • Je crois que, nous n'avons fait que mettre la lumière sur quelque chose que tout le monde redoutait depuis longtemps. Je ne veux pas être pessimiste mais, tant que chacun n'aura pas reçu de réponses à ses questionnements, il sera impossible de calmer les foules.
  • Si on n’avait pas demandé à Gloria de parler, on en serait pas là.

Il soupire, et m'étreint un peu plus, son nez dans mes cheveux.

J'ai toujours été la grande gueule du groupe : Léo criait des injures, Lou tempérait, et moi, je disais simplement la vérité, bonne ou mauvaise. J'ai voulu faire la même chose, en mettant à mal ceux nous ayant tout pris, et désormais, le monde est en train de s'autodétruire.

Un seul grain de riz, peut faire pencher la balance.

Dans notre dos, la porte s'ouvre en un claquement sonore, et Andres apparaît, suivi de près par ma mère, et Juan. Mon père, lui aussi dans le peloton, referme la porte derrière lui, avant de rejoindre le restant du groupe, face à nous. Ainsi coupés de la vision de l'écran, je sens la crispation dans mon estomac s'intensifier, ma culpabilité grandir : j'ai l'impression de fermer les yeux sur mes actes.

  • Le centre où vous avez subi votre formation, a été attaqué cette nuit, murmure Juan. Il ne restait presque plus personne. Quelques adolescents blessés, rien de plus. Vos amis, et tous les autres Reborn, n'étaient plus là-bas.
  • Génial, je couine en sentant la lassitude me nouer la gorge.
  • Cependant, j'ai une bonne nouvelle : on a localisé Nodem.

Soudainement plus attentive à ses dires, je me redresse en me défaisant de l'emprise des bras de Elio, pour faire face à mon interlocuteur. En me voyant revenir à moi de la sorte, un petit sourire a étiré ses lèvres, et il me fixe désormais avec un rictus satisfait.

  • Un hôtel particulier, à quelques kilomètres de Sera. Une de ses résidences secondaires, selon mes sources. Pas sûr qu'il soit encore là-bas, mais on peut toujours allé vérifier, des fois qu'ils aient eu la brillante idée de transférer les Reborn dans un lieu plus discret. Vous en êtes ?

La question de Andres me surprend, mais d'un certain côté je comprends la raison de cette demande : il sait, qu‘Elio et moi sommes activement recherchés par les différents membres fidèles aux Reborn, ainsi que leurs agents les plus performants. Maintenant que le mal est fait, on aurait pu penser qu'ils abandonneraient notre traque, mais au contraire : la colère, les a rendu encore plus déterminés. La seule consolation qu'ils pourraient concevoir face à leur échec, serait nos têtes, à Elio et moi, servis sur un plateau d'argent.

  • Évidemment que nous en sommes, je grogne en quittant le canapé. On part quand ?

Andres roule des yeux en soupirant, avant de considérer les mines défaites de mes parents et de Elio, visiblement tous contre l'idée de me voir me jeter à corps perdu aux côtés de Andres et ses hommes, à l'assaut de l'hôtel particulier de Nodem. Cependant, je n'en ai cure, portée par le seul espoir de retrouver mes amis en vie, et de pouvoir les ramener à nous, avant d'envisager la suite des opérations.

  • Mia, il faudrait peut-être laisser Andres et...
  • Hors de question, je rétorque en défiant ma mère de poursuivre. Mon plan a foutu la merde, alors autant allé jusqu'au bout, histoire qu'on ait pas déclenché une nouvelle Grande Guerre pour rien. Je ne laisserai plus personne mourir par ma faute.

Sans attendre de réponse, je quitte le salon, partant au pas de course rejoindre mes quartiers, pour me changer et me préparer à la visite surprise que nous préparons à Nodem.

Mes pas rapides frappent le sol en moquette du couloir dans des chocs mous, me berçant d'un sentiment d'être invisible qui me manque depuis dix jours maintenant. À la télé, des publicité nous demandant de nous rendre, où incitant quiconque ayant des informations sur nous, de nous livrer au gouvernement.

Si un jour quelqu'un m'avait dit que je serais aussi recherchée que Bonnie Parker, je ne l'aurai pas cru.

En passant devant la porte de la chambre de Gloria, je remarque un ton de voix élevée, et me permets, sans me faire remarquer, de laisser une oreille glisser le long du panneau de bois, attirée malgré moi par les exclamations caractéristiques de l'ancienne mannequin.

  • ...rien à faire ! ...cabron ! ...mi hijo !

La voix de Gloria est sèche, et assez basse pour me laisser penser qu'elle ne souhaite pas attirer l'attention sur cette conversation téléphonique. C'est pourquoi, respectant ses affaires avec politesse, je me recule pour m'éloigner, et tomber sur Elio, adossé à a porte de la chambre mise à notre disposition par Andres.

  • Il faut qu'on cause, Mia, grogne t-il en décroisant les bras.
  • On a pas le temps, on part en mission et...

Je m'apprête à ouvrir la porte, lorsque du bras, il me fait reculer contre le mur, avant de m'y acculer en encerclant mon visage de ses mains. Il porte au visage cette expression de colère teintée de peur, qu'il arborait souvent, avant que je ne l'aide à surmonter ses années passées sous les persécutions de son père. Alors, sans vraiment comprendre pourquoi il l'arbore à nouveau, je me laisse à penser que peut-être, j'ai dû faire quelque chose de mal.

  • T'allier à des criminels en passant un marché avec eux, d'accord. Te faire passer pour la petite amie d'un desdits criminels pour pouvoir accéder aux Jeux, soit. Déclencher un conflit mondial avec une simple interview de la part de Gloria, sous tes directives... ok. Mais tes conneries s'arrêtent ici. Moi vivant, tu n'iras pas avec Andres et ses hommes à la rencontre de Nodem, qui doit t'attendre avec un tapis rouge en prévision du sang que tu y versera.
  • Ils ont emmené Jelena, Tim..., Léo ! Et Lou, et...
  • Je sais, que tu espères bien faire, depuis le début. Que tu veux simplement arranger la situation, car tu trouves que ce qui nous arrive est dégueulasse. Et je suis d'accord avec toi, sur le papier. Mais te mettre en danger, mettre en danger les autres, pour au final n'aboutir à rien, ne servira ni à toi ni à personne.

Mon cœur, dans une déchirure douloureuse, me rappelle à quel point je suis sensible aux réprimandes de Elio et dans un froncement de sourcil, je tente de le repousser.

  • Tu n'as pas le droit de m'empêcher d'y aller !
  • Mais arrête un peu, Mia ! Bon sang, mais où est passée ta raison ? La fille dont je suis tombé amoureux au centre, n'aurait pas agi comme ça. Tu es intelligente bordel, vois la réalité en face : si tu y vas, tu mourras. Nodem veut ta peau, et la mienne, alors ne lui donnons pas ce qu'il veut. Laisse Andres y aller, laisse-le déminer le terrain, et ensuite, nous agirons.

Je redresse la tête, avise ses yeux si perçants braqués sur moi, avant de soupirer.

  • Si on ne se rend pas sur les lieux, je veux au moins pouvoir suivre l'opération.
  • Ça doit pouvoir se faire, lance Andres en s'approchant de nous. Ton petit ami a raison, princesa. Votre Nodem là, il a le feu aux fesses, alors crois-moi, il doit vous attendre avec impatience. À mon humble avis, le fait que le centre ai été déserté, n'est pas un hasard : il doit s'attendre à ce que vous vouliez récupérer vos amis, et de ce fait, a du préparer le terrain autour de son hôtel. Dis-toi bien que les animaux blessés sont toujours les plus dangereux, et que votre Nodem, vous l‘avez amputé d’au moins trois pattes.

Dans un grognement sourd, je m'extrais de l'emprise de Elio, et bouscule Andres d'un coup d'épaule, avant de me stopper net, le souffle haché.

  • Caméras embarquées et micros, sinon je viens avec vous.
  • J'ai ça en réserve, laisse-moi juste passer un coup de fil, sourit Andres, dans mon dos.

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