33 (partie 1)

12 minutes de lecture

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Elio

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La porte de l'appartement claque, et je me redresse dans un réflexe défensif, toutes griffes dehors, prêt à me défendre. Or, lorsqu'une main s'écrase sur mes lèvres, coupant court à mon cri surpris, je me détends quelque peu. J'ai comme qui dirait l'habitude de cette peau tendre de paume étouffant mes paroles ou mes cris de surprise lors des missions.

  • Wow, du calme, c'est moi.

La voix de Mia, comme une caresse rassurante, termine de me détendre, tandis qu'elle retire doucement sa main de mes lèvres.

  • Mais t'es malade ? je grince avec un restant de peur dans la voix. J'aurais pu te mettre un coup de poings !
  • Et alors ? Au pire j'aurais eu une dent de cassée, rien de bien méchant.

Encore désorienté de par mon sommeil brutalement arraché, je tâtonne pour allumer la lampe de chevet, et avise ma petite amie, tout sourire, un sac en papier entre les mains.

  • J'ai acheté des mini-brioches.
  • Et tu crois que ça va excuser le fait que tu m'ais laissé sans nouvelles depuis hier soir ?

Je vois à son air se décomposant que mes paroles font mouche, et en profite pour m'attarder sur le réveil affichant pas loin de sept heure du matin.

  • Non mais t'as vu l'heure en plus ? Mia bordel !
  • Je voulais pas te réveiller pour te prévenir qu'on faisait une pause sur une aire d'autoroute pour que Andres puisse dormir. Excuse-moi de m'inquiéter de la qualité de ton sommeil.

J'hallucine. Elle est en train de retourner la situation contre moi.

Dans un geste rageur, elle jette le sac de la boulangerie sur le lit, avant de tourner les talons pour repartir en direction de la pièce à vivre. Le claquement de ses talons m'affole – elle va finir par réveiller le surveillant ou pire, Jeremy.

  • Tu vas quand même pas me faire la gueule alors que c'est toi qui est en faute ?

Elle ne me réponds pas, aggrave mon état de contrariété, me contraignant donc à sortir de sous les draps pour la poursuivre au son de ses chaussures à travers l'appartement. En sortant de sous les draps, je trébuche sur son sac à main abandonné au pied du lit, et jure entre mes dents avant de la voir réapparaître, les mains sur les hanches.

  • Léo est vivant, au cas où ça pourrais t'intéresser.

Et elle repars, les pas encore plus lourds, la respiration encore plus bruyante.

Léo... ?

L'objectif premier de son escapade nocturne me revient soudainement en tête, et je me décompose face à mon comportement.

Léo est vivant. Ce qui veut dire que par déduction, il doit être un participant des Jeux.

  • Il va bien ? je lance à travers l'appartement.
  • Oui super, on a tapé la bavette, il te passe le bonjour d'ailleurs, gronde t-elle. Bien sûr que non il ne va pas bien Elio, il participe aux Jeux, merde ! Je l'ai vu butter trois types à la seule force de ses poings !

Sa colère n'est pas dirigée contre moi, mais contre le monde en général. C'est ce que je comprends alors que j'entends un bruit de chute dans la cuisine, et qu'en arrivant sur les lieux, je trouve Mia à genoux, le visage entre les mains.

  • Il était là Elio, à quelques mètres. Je l'ai vu, il a regardé dans ma direction mais...

Elle ne pleure pas non, se contentant de trembler en tirant par à-coup sur ses cheveux. Sa robe de cocktail est froissée, et l'une de ses chaussure est partie au loin, sûrement retirée sans qu'elle ne s'en aperçoive au moment de sa chute.

  • Mais je suis sûre qu'il ne m'a pas vue ! Il est couvert de cicatrices, et s'est battu contre ces autres joueurs... ! Des gens ont parié sur sa mort putain ! Ils ont parié sur le fait qu'il mourrait sous les coups...

Sa voix craque, et rapidement, je m'agenouille à mon tour sur le carrelage pour la prendre contre moi, ses épaules commençant à se secouer un peu trop violemment. Ses mains sur son visage raclent sa peau, se crispent, et je remarque au loin, un léger bruissement de draps.

Notre chat, Pascal, accourt en trébuchant quelques peu, pour venir se blottir contre sa maîtresse, tous miaulements dehors.

L'ironie de la situation me paraît presque exagérée : elle devrait être heureuse, de savoir son meilleur ami vivant mais au contraire, je ne l'ai jamais vu dans un tel état depuis deux ans. Le revoir semble avoir déclenché en elle une multitude de sentiments contradictoires que je ne parviens pas à comprendre, ni à gérer.

  • Mia, je suis là..., je susurre contre sa tempe. Et maintenant que tu sais qu'il est en vie, on va pouvoir débuter la seconde partie de ton plan, hein ?
  • Je n'ai pas vu Lou, je ne sais pas où il est. Je...
  • Arrête de stresser. Il doit être au centre, lui aussi. En récupérant Léo, on le récupérera aussi, et ferons d'une pierre deux coups.

Elle renifle, redressant enfin la tête vers moi pour m'offrir un visage décomposé, mais souriant. Ses yeux brillent légèrement d'une petite lueur triste et de larmes contenues, mais au-delà de ça, ses sourcils sont arqués avec une détermination incommensurable et un sourire confiant.

  • Le plus tôt sera le mieux, souligne t-elle en se redressant, Pascal dans les bras.

Je la suis dans son mouvement, l'observe retirer sa deuxième chaussure ainsi que sa robe pour finalement ne rester qu'en culotte et aller s'enfouir sous les draps. Docilement, je l'y rejoins et m'attarde sur son visage reflétant une concentration étrangement calme, avant que brusquement, elle ne m'expose la résolution aux divers problèmes soulevés je l'imagine, au sein même de son esprit :

  • Demain. Oui demain, phase deux.

...

Debout au côté de Mia, je fixe devant nous le paysage rendu sinistre par la présence des nombreuses pierres tombales, émergeant de la terre comme toute une armée de missiles en direction du ciel. Elles sont d'un gris sombre pour la plupart, d'un noir de marbre pour d'autres. L'herbe est plutôt bien coupée, malgré les quelques débordements ci et là, signes d'un entretien au petit bonheur.

Le cimetière de Sera, la ville natale de Léo, Mia, et Lou.

Je me gratte l'arrière du crâne, mal à l'aise, hésitant quant à ce qu'il serait le mieux de faire. Mes yeux se plissent, analysent les allées désertes de par l'heure matinale, lorsque à ma droite, Mia bouge enfin, saisissant la poignée du portail en fer forgê pour la pousser dans un grincement. Le bruit me fait grincer des dents, mais je me reprends vivement, pour suivre ma petite amie sans un mot, sans une question.

Au-dessus de nous, le ciel est gris clair, presque blanc. Un temps adéquat avec notre actuelle activité. Un léger vent, tout autour de nous, me fait frissonner, et je soupire sans bruit, déjà las de cette journée s'annonçant plus que maussade.

  • Elio, viens.

Elle me prend le bras, et me tire à sa suite à travers les allées du cimetière, s'appliquant à bien lire chaque épitaphe que nous croisons, afin de trouver le sien.

Je n'étais pas du tout d'accord, lorsque ce matin, elle m'a demandé si avant notre activité principale de la journée, nous pouvions passer au cimetière, afin qu'elle puisse voir ce qu'était devenu sa sépulture. Je n'ai pas été hypocrite, et lui ai dit d'entrée de jeu, que ce n'étit pas une très bonne idée, étant donné ce que nous avions à faire par la suite. Mais elle a insisté, encore et encore, alors j'ai finis par accepter. Et nous voici donc, tous les deux au cimetière de Sera, à la recherche de la tombe de Mia, pourtant en pleine forme à quelques mètres devant moi.

Mes yeux se promènent sur les tombes, lorsque je remarque un nom qui m'ait familier.

  • Mia, regarde.

Elle s'arrête, pour constater la présence des trois tombes en marbre blanc, au bout d'une allée, couvertes de fleurs.

Bien sûr, nous sommes au fait que leurs noms, tout comme le mien, sont inscrits sur le monument en mémoire des ''disparus de Liberty''. Cependant, Mia m'a assuré que connaissant ses parents, ils avaient dû faire le nécessaire pour ériger une stèle en sa mémoire au cimetière du village qui l'avait vu grandir. Et visiblement, elle avait raison, car face à nous se dressent non pas une, mais trois petites stèle en mémoire de Mia Dos, Lou Kampa, et Léo Pogbal.

  • Tu as vu comme elles sont fleuries, murmure t-elle en s'approchant.
  • Vos parents sans doute.
  • … oui. Évidemment.

Ses mots se meurent dans le vent soufflant de plus en plus fort, et je décide de m'approcher à mon tour, pour m'accroupir face aux trois stèles.

« Mia Dos

2000 – 2017

''Si je ne reviens pas physiquement, rappelle-toi que chaque fois que tu sentiras la brise caresser ta joue, ce sera moi qui serai revenu t'embrasser'' »

Je me redresse après avoir lu l'inscription gravée dans la pierre, pour m'attarder sur celles de Lou et Léo :

« Léo Pogbal

2000 – 2017

''Dehors ! Les derniers mots sont pour les imbéciles qui n'ont rien dit de leur vivant !'' »

« Lou Kampa

2000 – 2017

'' Dites-leurs que j'ai eu une vie merveilleuse, mais trop courte'' »

  • C'est vous qui avez choisi ces citations, où vos parents ?
  • À ton avis ? grommelle t-elle. Personnellement, je n'avais pas prévu de mourir à dix-sept ans.
  • C'est drôle je trouve, ces épitaphes vous représentent bien.
  • … merci. Nos parents nous connaissaient bien, finalement.

Elle part d'un rire triste, avant de se redresser, et de venir se nicher contre moi, pour inspirer mon odeur au creux de mon cou.

  • Dis Mia, ça fait quelle sensation de voir sa pierre tombale alors qu'on respire toujours ?
  • J'en sais rien. Ça fait une drôle de sensation. Du coup, on se demande si, enfin moi je me demande, si ma nouvelle vie est bien légitime, alors que mes proches semblent m'avoir honoré avec tant de respect. J'ai un peu l'impression de les trahir, en respirant encore.
  • Tu ne devrais pas voir les choses comme ça. Et puis, la gravure qu'ils t'ont attribuée, indique bien qu'ils attendent ton retour avec impatience.
  • Et bien ils vont être servis, tiens.

Elle se retire de mon étreinte, caresse une dernière fois du bout des doigts, la roche lissée par le temps et le climat, avant de tourner les talons, et de s'éloigner, sans un seul regard en arrière. Je jette un œil à la stèle de ma petite amie, avise encore une fois son nom gravé à jamais dans la pierre, et le caresse du bout des doigts : j'aurais aimé connaître mieux la Mia vivante, et non entravée par le destin tragique réservé aux Reborn.

Je coupe le moteur de ma moto dans un dernier vrombissement du moteur, et laisse Mia en descendre la première, avec comme d'habitude une agilité qui m'échappe. J'ai beau être excellent en gym, il me semble indispensable de souligner le fait qu‘elle aussi, aurait largement pu avoir sa place en sport étude gymnastique à Liberty.

Le soleil est au zénith, et malgré la température ambiante plus que confortable, je frissonne de tout mon long.

  • C'est bien ici ?
  • Si ils n'ont pas déménagé, oui.

Mon estomac fait un salto, tandis que mes yeux relisant une énième fois les noms et prénoms présents sur la boîte au lettre.

Sur le trottoir, juste devant nous, une voiture est garée devant le portail du pavillon que nous nous apprêtons à franchir. Un jardin, plutôt grand s'étend tout autour de la petite habitation : dans le fond de ce dernier, une balançoire aux assises abîmées.

Je coule un regard à Mia, qui semble bien décidée à aller jusqu'au bout de la phase deux de son plan, et la suis lorsque d'une main tremblante, elle abaisse la poignée du portail pour l'ouvrir, et pénétrer à l'intérieur de la propriété.

Connaissant l'endroit, elle remonte l'allée pavée menant au porche, et monte les quelques marches nous séparant de la porte d'entrée, sans même les voir. Comme un automate, elle avance, ne distingue rien, se contentant de marcher droit jusqu'à un objectif fixe.

  • Elle doit avoir de la compagnie, murmure t-elle en se retournant vers moi. Si jamais ça se gatte, tu me forces à partir ok ? Me connaissant, je pourrais pas franchir cette porte en sens inverse si elle..., enfin tu vois quoi.

J'acquiesce, et prends sa main au creux de la mienne avant de déposer un baiser contre sa nuque, et d'appuyer sur la sonnette.

Nous attendons quelques instants, avant que de l'autre côté du panneau de bois, des pas ne retentissent enfin avant de s'arrêter face à la porte.

  • Une seconde, chantonne une voix. Mais où sont mes clefs...

Un cliquetis, puis le bruit de la clef tournant dans la serrure, avant qu'enfin, la porte ne s'ouvre.

Le temps se fige, Mia se paralyse, et en face d'elle, sa mère semble elle aussi, s'être déconnectée.

Petite de taille, avec de courts cheveux bruns en brosse et une taille fine, elle ne me semble pas avoir plus de quarante-cinq ans. Habillée d'un jean large et d'un pull en laine jaune, elle ne ressemble pas du tout à ma mère, ou du moins, de ce que j'en ai dans mes souvenirs. Dans ma tête, ma mère porte souvent un tablier taché, ou bien est habillée d'un simple jogging large et d'un haut informe, pour que personne d’autre que mon paternel ne puisse profiter de ses courbes.

La mère de Mia ouvre la bouche, la referme, et tourne précipitamment les talons pour partir en courant à l'intérieur de a maison.

  • Gloria ! Gloria !

Gloria, la mère de Lou. Sans le vouloir, nous allons faire d'une pierre deux coups, aujourd'hui.

Sans que je ne puisse réagir, Mia s'engouffre à son tour dans la maison, me laissant seul, piqué sous le porche, les mains dans les poches. Je secoue la tête, me penchant légèrement pour aviser l'intérieur de l'habitation, avant d'y pénétrer, lentement, précautionneux. À peine le porche passé, je remarque une décoration moderne et chic, parfaitement en accord avec la personnalité que j'imaginais pour les parents de Mia. Du rouge, du noir, de grandes formes abstraites aux murs. En rentrant à l'intérieur, je passe par un petit couloir menant de l'entrée à la pièce à vivre sur laquelle s'ouvre une petite cuisine ouverte munie d'un bar sur lequel brûle une bougie senteur marine. Et dans cette pièce à vivre se confrontent désormais Mia, sa mère, et la mère de Lou.

J'ai longtemps hésité, lorsque Mia m'a parlé de son plan, qu'elle mijotait depuis déjà quelques temps sans en avoir parlé à personne, et qu'elle n'a mis à nu qu'au moment de notre rencontre avec les membres de Redhead dans la pharmacie de Lydia. Elle m'a longuement parlé, après être revenue de sa première entrevue avec Andres, m'expliquant en détail les tenants et aboutissants de sa théorie, de son plan, qui réussirait peut-être, et elle a insisté sur le ''peut-être'', à nous sortir de cette vie qui ne nous convient définitivement pas. Sauf que dans ce plan miracle, libérateur, rentrent en compte les facteurs Gloria Kampa, Sophie et Hector Dos, ainsi que Lena et Andrea Pogbal. D'où notre présence ici, aujourd'hui, au domicile des Dos.

D'où la surprise terrifiée dans les yeux de Sophie, la mère de Mia, dévisageant l'évidente ''usurpatrice'' de sa fille décédée.

  • Recule ! Reculez ! s'époumone Sophie en tremblant de plus en plus fort.
  • Maman, je sais que tu vas avoir du mal à me croire m...
  • Ne m'appelle pas comme ça !

Mia semble totalement démunie, face à sa propre mère au bord de la crise de panique, et venant de se saisir d'une télécommande pour la pointer sur nous, bien décidée à nous faire comprendre que nous ne sommes pas les bienvenus dans son habitation.

  • Tu n'es pas mon enfant ! Qui es-tu ? Réponds !

D'un pas lent, je rejoins ma petite amie pour passer une main autour de ses épaules, protecteur, compte tenu de la situation montant petit à petit dans les sommets.

La mère de Lou, sagement assise sur le sofa, les jambes croisées, semble bien plus calme que son homologue, toujours occupée à nous menacer de sa petite télécommande en plastique.

  • Ma fille, grince t-elle, est morte dans un attentat à Liberty, il y a deux ans ! J'ai vu sa dépouille, et ai été obligée de l'identifier ! Toi, je ne sais pas qui tu es, mais tu n'es pas ma f...

Je réagis trop tard, n'arrivant pas à intercepter Mia, avant qu'elle ne retire veste et tee-shirt dans un mouvement vif, pour exhiber son épaule gauche à sa mère, qui à la simple vue du tatouage de Reborn, se statufie. Je remarque que sa peau nue tremble légèrement, ainsi exposer à l'air libre, et que son visage, invisible au regard de Sophie est décomposé.

  • Ta fille, répète Mia avec un trémolo dans la voix, est effectivement morte. Puis revenue à lavie, contre son gré. Alors...

Elle se retourne brutalement, fait quelques pas en avant, arrache la télécommande des mains de Sophie avant de la jeter au loin, et de bousculer sa mère, sous les yeux écarquillés de cette dernière.

  • ... ne t'avise pas de jouer l'unique victime de l'histoire, car tu es loin d'imaginer à quel point mourir aurait été préférable à cette seconde vie de merde !

Je déglutis, et échange un regard avec Gloria, qui se lève tranquillement, avant de se diriger vers la cuisine, un léger sourire au coin des lèvres.

  • Je vais faire du café, car il me semble bien, que nous avons des choses à nous dire.

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