32 (partie 2)

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Léo

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Je ne dois pas avoir l'air très intelligent à cet instant précis, les yeux écarquillés et ainsi rivés sur la silhouette se dessinant lentement dans l'encadrement de la porte. Des jambes longues et fines, un torse tout aussi fin, le tout dans une taille moyenne mais tellement différente de celle représentée dans mes souvenirs.

Un pas, deux pas, et le corps apparaît enfin à la lumière, sous mon regard ébahi.

La même peau mâte, des yeux océan identiques à mes souvenirs, et une tignasse ébène ondulée dans une tenue précaire.

  • Lou ?

Il relève la tête vers moi, me laissant ainsi profiter de son petit sourire en coin ; je ne saurais décrire son expression, entre l'étonnement et le blasement total. Sa tenue, inhabituelle à mes yeux, ainsi portée par mon ami d'enfance, me surprend assez : une sorte de salopette-short, assortie d'un tee-shirt de rock, et de hautes chaussettes remontant au-dessus de ses genoux. Mon dieu mais il est déguisé en quoi là ?

  • Lou, je répète en m'avançant sous le regard amusé de monsieur Nodem.

Pourquoi ne réagit-il pas ? Il semble me regarder sans me voir, ses pupilles perdues au travers de mon corps, comme si j'étais transparent.

Je marche jusqu'à lui, et attrape son poignet, sous un geste de recul de sa part.

  • Eh, Lou ? Tu te sens bien ?

Il me décroche un grand sourire transpirant la fausseté avant de se dégager de ma prise pour docilement se rendre aux côtés de mon hôte, sans même me répondre d'un signe de tête.

La joie immense qui s'était emparée de moi en le voyant, se dissipe peu à peu, laissant place à une terreur grandissante de seconde en seconde, car le garçon que je viens de voir, ce n'est pas Lou.

  • Pourquoi il est comme ça ?
  • Comme quoi ? s'interroge monsieur Nodem en posant une main sur l'épaule de mon ami.
  • Et bien... comme ça !

Je ne sais pas comment exprimer ce que je ressens, comment mettre des mots sur ce sentiment de constater le manque ahurissant de réaction chez mon ami. Même face à mon effarement, il ne bouge pas, préférant pencher la tête sur le côté dans un geste enfantin qui me donne la nausée.

  • Lou, c'est Léo. Tu te souviens de moi tout de même ? Hein, ''sale loup de mes deux'' ? Tu t'en rappelles ? T'as pas le droit de me dire que tu ne me reconnais pas.

Ses sourcils se froncent, mais rien dans son regard ne semble m'indiquer qu'il comprend ce que je lui dis. Non, il a l'air simplement... vidé, à deux doigts de dormir, ainsi retenu par le bras de mon hôte autour de ses épaules qui me semblent plus minces que dans mon souvenir.

  • Lou ! je m'époumone en sentant la terreur augmenter, sentiment sous-jacent de déjà savoir de quoi il retourne.
  • Oui ?

Sa voix est infiniment faible, et ne semble pas avoir perdu de ses tonalités enfantines qui lui étaient déjà propres il y a deux ans. Elle résonne à mes oreilles comme un coup de feu, comme une explosion qui brises les tympans.

  • C'est moi, Lou.
  • Il n'a qu'un vague souvenir de toi, Léo Pogbal.

Je darde à nouveau mon regard dans celui de monsieur Nodem, lequel a perdu toute sa jovialité et sa candeur pour enfin tomber le masque et révéler un rictus amusé de la situation qui m’échappe, et de mon visage que je devine traître de mes émotions et de mon ressenti.

  • On se connaît depuis le CP, je gronde en avançant dangereusement dans sa direction. Il ne peut pas m'avoir oublié !
  • Tu crois ça ?

Non, je ne crois pas un traître mot qui franchit mes lèvres. Pas avec ce garçon en face de moi, me fixant comme si j'étais un véritable cinglé, les yeux exprimant toute l'interrogation, j'imagine, de voir un parfait inconnu hausser le ton face à l'homme qui semble lui être plus familier que moi.

Lou lève la tête pour quémander l'attention de Nodem, qui lui murmure quelque chose, avant que mon ami ne revienne à moi, en se mordant la lèvre.

  • Léo, je te croyais moins niais que ça, murmure Nodem avec mépris. Ne t'es-tu jamais posé de question quant à ce que les meurtres de trois dirigeants haut placés de Reborn pouvaient entraîner ?
  • ... qu'est ce que vous lui avez fait ?

Ma voix n'est qu'un souffle glacé, toute braise de colère ayant été étouffée par le visage que Lou vient d'enfouir contre mon torse.

Dans ma cellule, lorsque je ne participais pas aux Jeux, je pensais souvent à Lou, et à ce qui lui était arrivé. J'imaginais notamment, une variante plus violente de la nuit correctionnelle ou de la privation d'eau et de nourriture. À dire vrai, j'espérais juste qu'il soit encore en vie. Qu'il n'ait pas été assassiné directement après ces trois maudits coups de feu.

Et maintenant, face à ce fantôme qui se blottit contre moi, je me demande si au final, il n'est pas vraiment mort, une nouvelle fois, entre les mains des agents de Reborn, et au sein de leurs horreurs.

  • Lou...

Je passe un bras autour de son corps bien trop frêle, de sa peau bien trop tremblante, avant que Nodem ne nous rejoigne, les mains dans les poches. Il porte sur son visage toute la satisfaction qui me révulse, qui me scie en deux tant elle n'est pas adaptée à la situation. À quoi pense t-il en ce moment, pour afficher un air aussi épanoui quant à ses actions ?

  • N'est-ce pas mignon ?
  • Qu'est ce que vous lui avez fait ? j'aboie à nouveau.
  • Tu veux vraiment le savoir ?

J'ouvre la bouche pour répondre, mais sens alors une douleur, lancinante, atroce, au niveau de mon ventre. Un peu comme un impacte de balle, mais décuplé, démultiplié, et me paralysant sur place. Un instant, je n'y crois pas, pensant imaginer cette douleur aussi farouche que soudaine, mais dois bien me rendre à l'évidence, au bout de quelques secondes, que je suis loin, bien loin de rêver.

Lentement, je baisse les yeux, pour croiser le regard de Lou, et avise son bras droit, disparu dans ma chair, dans mon ventre, jusqu'à son poignet. Sa main, portée disparue, a visiblement trouver refuge en moi, sans que je n'aie pu l'en empêcher.

Il ne vient pas de...

  • Lou, est à nous désormais. À moi.

J'inspire à fond, et me dégage du poings empalé dans mon abdomen en reculant de quelques pas, titubant. La présence du poings de Lou, empêchait jusqu'à maintenant, le sang de couler à outrance. Maintenant que je m'en suis délogé, me voici à la merci de l'hémorragie, et de tout ce qu'elle entraîne. En baissant les yeux je constate la plaie béante, énorme, et affreusement concrète : Lou vient véritablement de me blesser, de l'une des pire façons qui soit, sans arme, et surtout, sans remords.

  • Tu ne mourras pas, me rassure Nodem en s'approchant de moi alors que je tombe à genoux.Tu risques juste d'être pas mal sonné.
  • Lou..., putain...
  • Ne sois pas vulgaire, voyons. Il n'a fait qu'agir comme nous le lui avons appris : si un individu se montre violent envers ses maîtres, il attaque, voilà tout. N'as-tu donc jamais eu de chien de garde ?
  • Ses... quoi ?
  • Savais-tu que les Russes étaient les pionniers en ce qui concerne le ''lavage de cerveau'' ? Je n'aime pas vraiment ce terme, mais vois-tu, après son petit coup d'éclat, il a fallut rappeler à Lou, qui commandait. Et, figure-toi, que nous avons découvert en lui un potentiel, immense, restait juste à savoir comment l'exploiter... à notre avantage.

Qu'est ce qu'ils t'ont fait... ?

Je suffoque, tente de retenir le sang s'écoulant de ma blessure en la compressant entre mes doigts tremblants, mais ne parviens qu'à augmenter l'hémorragie. Ça goûte entres mes mains aux phalanges blanches, et un instant, j'ai envie de ne pas me relever de ce coup, qui m'a été porté par l'une de personnes les plus chères à mes yeux. De ne pas survivre à ce coup porté par Lou, mon Lou, qui ne semble pas le moins du monde concerné par ma panique, ni par le fait que je sois à même le sol, pataugeant dans mon propre sang. Carmin, rouge, écarlate, partout, autour de moi, sur mes mains, sans que je ne comprenne réellement pourquoi tout ça a si mal tourné. Mes idées s'embrouillent, s'entremêlent, se chevauchent, et se fusillent. Elles s'entre-tuent en se contredisant, se mitraillent car incorrectes, incompréhensibles, me donnant en plus du reste, un mal de tête grandissant de seconde en seconde.

  • Il était déjà fou, lorsque nous l'avons sorti de force du gymnase. Il nous a simplement suffit de terminer le travail, tu comprends ?
  • Bandes de salauds..., connards... enculés..., je vous..., je...
  • Il suffit. Tu n'es plus en état d'aligner trois mots.

Je le vois, à travers le brouillard qui m'entoure désormais, frapper dans ses mains, avant de distinguer Lou, tout près de moi, le visage stoïque. Ses yeux ne cillent pas, ses lèvres ne tremblent pas.

Visage stoïque sur lequel roulent, rapides et discrètes, deux minces larmes, que je prends comme une brèche, un espoir, une erreur à tout ce que vient de raconter Nodem. Comme deux étoiles filantes, scintillantes avant de s'échouer dans leur dernier soupir, elles seules, bien que d'ordinaire porteuses de douleur, arrivent à me redonner confiance en une éventuelle possibilité d'agir.

Ses mains se referment sur mes épaules, et me soulèvent sans aucun mal, tandis qu'autour de moi le monde s'est mis à tourner, à s'effacer, à se teindre de nuances carmines. Ma respiration se tarit, mes forces m'abandonnent. Mon ventre hurle toujours à la mort, mais je n'en tiens plus compte.

Plus rien ne semble important, jusqu'à ce que le noir ne m'emporte.

À en juger par le fait que je sente encore mes doigts, mes orteils, ma langue sèche et ma gorge brûlante, je suis encore vivant. Ou alors, autre possibilité, nous gardons nos corps, une fois au Paradis. Ou en Enfer. Dans mon cas, la seconde option me semble la plus logique, au vu du nombre de personnes que j'ai déjà rayées de la carte à la seule force de mes poings.

Le fait est que, même si je me retrouve en Enfer, mon corps me retient toujours prisonnier. Entravé dans cette prison de chair et d'os qui m'insupporte et me rend malade, complètement fou.

En un battement de cils, je réapprends à voir, tout autour de moi, à considérer le béton sous mes doigts rendus humides par la sueur que je sécrète à gros flots, à entendre à nouveau une sorte de souffle, non loin de moi. Comme un courant d'air s'infiltrant par la fenêtre mal isolée d'une chambre sous les combles.

Lentement, pour ne pas me brusquer plus que de raison, je me redresse, m'assois, et porte instinctivement mes doigts à mon ventre, pour constater que la plaie à disparu, ne laissant derrière son passage qu'une épaisse croûte de sang séché. Je tords du nez en sentant l'odeur métallique remonter jusqu'à mes narines, mais me retiens du mieux que je peux : ce n'est pas le moment de vomir.

Depuis combien de temps suis-je ici ? Et d'ailleurs, où suis-je ?

Balayant mon environnement d'un regard éperdu, je constate les barreaux de fer tout autour de moi, ainsi que la localisation de la cage me retenant, en plein centre d'une pièce totalement vide, sûrement un sous-sol. Je renifle, face à l'humidité et l'odeur putride que dégage cet endroit, mais aussi face à ma situation plus que critique ; je suis enfermé chez monsieur Nodem, sous le même toit qu'un Lou totalement dépossédé de lui-même, sans aucun moyen de m'en sortir sinon de me plier aux ordres de mon geôlier.

Une quinte de toux m'arrache un juron, après avoir remarqué un dernier reste de sang dans ma salive, sur le sol froid et dure de ma cage.

Qu'importe ce que Lou a subi, il ne m'a pas loupé, et a sacrément pris en force. Quand j'y repense, cela me semble même étrange, qu'une puissance pareille lui soit apparue en deux ans seulement. Je n'en mettrais pas ma main au feu, mais au vu des dernières déclarations de Nodem, il ne serait pas étonnant qu'ils lui aient administrés une nouvelle dose de Reboot, ou un autre dopant quelconque. Ce serait bien dans leur genre de faire de nouveaux tests scientifiques sur nous. Ils l'ont déjà fait par le passé, pourquoi ne pas réitéré ?

  • Tu es réveillé ?

Je m'humidifie les lèvres d'un coup de langue, avant de me tourner dans la direction de la voix venant de m'apostropher, pour tomber nez à nez avec Lou, sagement adossé aux barreaux de ma cage.

  • Ouais, ça se voit pas peut-être ?
  • Ne sois pas arrogant. Monsieur m'a autorisé à te calmer, si tu devenais trop violent.
  • Et bien si ''Monsieur'' l'a dit, alors...

Je hausse les sourcils devant sa mimique embêtée face à ma prise de position, celle de lui tenir tête malgré ses menaces. C'est terrible, de devoir me confronter dans un tel rapport de force, face à Lou. Sauf que, je sais bien que si son ''maître'', comme s'est autoproclamé Nodem, l'a autorisé à me refaire le portrait, il ne s'en privera pas une seconde. Bien qu'une partie de Lou, ressortie sous forme de larmes lors de nos retrouvailles, persiste encore en lui, je ne suis pas certain lui donner l’occasion de la manifester à nouveau. La corde sensible, de vieux souvenirs, des coups, qu'en sais-je ?

  • Tu as faim ?
  • Non, juste soif. On a besoin de boire pour refaire du sang, et vu tout celui dont tu m'as privé hier, tu comprendras qu'une bouteille de deux litres ne soit pas de refus ?
  • Ton métabolisme n'a pas besoin d'eau pour recréer du sang, et tu le sais.
  • Non, je n'en savais rien, je raille avec mauvaise humeur. Mais comme tu sembles être au fait de tout ça, j'accepterais volontiers un petit récapitulatif de tout ce que tu peux me faire sans que ma vie ne sois mise en danger, que je puisse me préparer psychologiquement.

Il tilte à ma réplique plus acerbe que prévue, et hausse les yeux au ciel avant de commencer à marcher autour de la cage. Il est plus habillé que hier soir, avec un jogging large noir et un sweat bordeaux. Son corps paraît inexistant, ainsi dissimulé dans des habits bien trop grands pour lui.

  • Et alors racontes, ça te plaît cette vie de chien de garde ?

Peut-être que pour le faire revenir, il va me falloir du temps, cependant, commencer par lui rappeler le début de notre relation – où j'avais de cesse envie de le frapper – me paraît une bonne idée. Tout refaire de manière chronologique, jusqu'à ce lien qui nous unissait avant d'être séparés, au centre.

Lou secoue la tête avec désapprobation, tout en continuant de tourner en rond autour de ma cage : figure intéressante d'inversion car ici, ce n'est pas le captif qui tourne en rond, mais le gardien. Échange de la nervosité et des pouvoirs, cette situation me plaît.

  • Je ne suis pas un chien de garde.
  • Non tu as raison, il te manque le collier et la médaille pour ça.
  • Qu'est ce que tu cherches ? Me provoquer ainsi, ne te servira à rien.
  • Alors pourquoi tu réagis ?

Ses pas cessent, et ses mains, dans un mouvement sec, viennent agripper les barreaux de ma cage, avant qu'il ne les lâche, comme si il s'était brûlé à leur contact.

  • Tu as faim ?
  • Tu me l'as déjà demandé, et j'ai déjà dit non. Tu es sourd ou juste complètement con ?

Lou exhale par le nez avec mauvaise humeur, avant de se diriger vers la porte de la pièce, les mains enfoncées dans la poche de son sweat.

  • Lou, c'est un prénom de fille.

« Lou, c'est un prénom de fille. »

Il fait demi-tour, marche sur quelques pas pour se rapprocher de moi, avant de se figer, les sourcils froncés. À son air, je dirais qu'il ne sait pas trop comment réagir, ce qui doit je l'espère, le mettre en difficulté.

Depuis que nous sommes enfants, le fait que le nom de Lou soit unisexe, mais majoritairement porté par des filles, est l'un de nos principaux sujets de dispute, ou de plaisanterie. Lui s'énerve, car il tient à protéger, défendre le prénom que ses parents lui ont donné, moi je rigole car satisfais de l'humour présent dans mes piques. Mais aujourd'hui, et alors que Lou est censé avoir 'tout oublié'', comment va t-il réagir ?

Et bien, il ne réagit pas, se contentant de m'adresser une grimace colérique avant de quitter la pièce pour de bon, en grommelant des paroles inaudibles.

  • Et pour mon eau ?

La porte claque, sans que je n'ai reçu une quelconque réponse.

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