32 (partie 1)

9 minutes de lecture

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Mia

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« Totalement paniquée, je fixe le paysage défilé par la fenêtre arrière de la petite voiture familiale de mes parents. Assise au fond de mon siège, mon sac sur les genoux, je n'ai de cesse de changer les musique défilant au poste grâce au téléphone de ma mère, entre mes mains.

  • Mia, calme-toi s'il te plaît.
  • Pardon maman.
  • Mets donc Teenager de My Chemicale Romance.

J'obtempère, recherchant le single dans l'immense liste de morceaux présents dans le portable, avant que dans les enceintes, la musique ne se mette à pulser.

Aujourd'hui, ma mère, et celle de Lou ont décidé de nous emmener à la danse. À notre tout premier cours. Les parents de Léo ont vaguement accepté, lorsque mon père leur a téléphoné, la semaine dernière, d'où sa présence dans notre voiture. Lui, n'est pas stressé, même plutôt calme, s'amusant avec le cordon de son sac de sport.

Il est assis à côté de moi, au milieu des trois places arrières, la dernière étant occupé par Lou, lequel la joue collée à la vitre, fredonne l'air de la chanson que ma mère vient de me demander.

  • Vous allez voir, vous allez adorer ! s'exclame Gloria en se tournant vers nous.

Je n'en suis pas si sûre, mais ne lui dis rien, préférant me murer dans mon silence rassurant et réconfortant.

À la base, cette initiative de la part de nos parents partait d'une bonne intention : nous trouver une activité en commun, qui pourrait ainsi nous rapprocher, Lou, Léo et moi. Maintenant que Lou a pris ses marques au sein de notre tout nouveau trio, il aurait été bien peu avisé de ne pas solidifier nos liens à l'aide d'une activité extrascolaire que nous partagerions tous ensemble. Une très bonne idée en soi.

Sauf que...

  • Moi je danse pas, mon père dit que la danse, c'est pour les pédés.

Je manque de m'étouffer avec ma salive sous la détermination et les paroles de Léo, me rappelant soudainement pourquoi je suis si stressée depuis notre départ de la maison.

  • Léo, ton langage, rouspète ma mère. Et ton père dit des bêtises, tu entends ?
  • Non. Il a raison. Je veux pas danser, point final.
  • Tu ne sais même pas ce que ça veut dire.
  • Si, c'est être un monsieur-monsieur.

Gloria et ma mère échangent un regard consterné, à l'avant, avant que Lou ne prenne soudainement la relève, de sa toute petite voix.

  • Tu diras à ton père que les homophobes sont souvent des ''pédés'' refoulés.

Oh mon Dieu.

Nous arrivons enfin sur le parking du club de danse, où je m'empresse de sortir de l'habitacle, les injures fusant entre Lou et Léo devenues bien trop lourdes à supporter. Ils me suivent pourtant de près tous les deux, leur sac sur les épaules, nos mères derrières eux, hilares.

  • Aller les enfants, on y va. Et Lou, cesse d'embêter Léo.
  • C'est lui qui a commencé !
  • Non tu mens ! s'écrie mon meilleur ami en le désignant d'un doigt accusateur.

Sous le porche de la salle de danse, un homme en tenue de sport nous observe d'un œil amusé, tandis que notre petit groupe s'approche de la porte d'entrée dans un brouhaha de cris et de réprimandes qui commencent vraiment à me faire mal à la tête.

Dans la main de l'homme, une sorte de feuille d'appel, qu'il balaie du regard avant de sourire avec malice. Il semble plutôt jeune malgré ses petites rides aux coins des yeux, et nous accueille d'un grand geste des bras.

  • Bienvenue les jeunes, vous devez être Mia Dos, Lou Kampa et Léo Pogbal ?
  • Oui, grogne Léo avec mauvaise humeur. Et toi t'es qui ?

Notre interlocuteur lance un regard étonné à nos mères, avant de s'accroupir à la hauteur de Léo, pour lui donner une pichenette sur le front.

  • Première règle ici bonhomme, on surveille son langage. Mais pour répondre à ta question, je m'appelle Adrien, et serais ton professeur pour les mois à venir. Cool non ?

Une fois l'échauffement terminé, Adrien nous demande de nous répartir par duo pour apprendre un enchaînement simple qui pourra selon lui, évaluer notre potentiel pour ''la suite des opérations''.

Instinctivement, je me précipite vers Léo, qui avec les nombreuses sollicitations de nos mères à Lou et moi, ainsi que les encouragements d'Adrien, a tout de même enfiler sa tenue pour ''essayer''.

Cependant, au moment où ma petite main attrape la sienne, Adrien s'approche pour nous séparer, et indique à Léo d'aller se mettre en binôme... avec Lou.

  • Quoi ? C'est hors de question ! Avec tout le monde mais pas avec lui !
  • Est-ce que tu contredis ton maître ou ta maîtresse à l'école ? Non ? Et bien avec moi, c'estpareil, alors maintenant arrête de grogner et va avec Lou. Mia, avec moi pour l'exemple.

J'écarquille les yeux en voyant Léo baisser la tête pour s'exécuter, et me hâte de rejoindre Adrien devant les miroirs.

La salle est plutôt grande, avec des miroirs recouvrant tous les murs, et de très nombreux placards débordants de costumes de scène. Des barres pour nos échauffements qui longent les murs, et aux quatre coins de la pièce, d'énormes enceintes pulsant depuis notre arrivée.

Une fois à la hauteur de Adrien, je le vois appuyer sur sa télécommande pour contrôler les enceintes, et les premières notes de On the Floor de Jennyfer Lopez résonne à mes oreilles. Le rythme est souple et rapide, un de ceux qui m'a toujours plu dans les chorégraphies aux allures latines. Cette chanson me fait sourire car, il s'agit d'un remix de la lambada, que ma mère a l'habitude de danser lors des fêtes de famille.

Comme quoi, beaucoup de choses peuvent être liées ».

J'émerge de mon rêve en inspirant à plein poumons, rouvrant les yeux dans un battement de cils brusque et violent. Face à moi, l'autoroute défilant toujours à vive allure sous les faibles éclairages des bas côtés. Dans l'habitacle règne une odeur d'alcool et de cigarette, à laquelle je ne fais plus attention depuis longtemps, mais remarque tout de même un véritable nuage de fumée tout autour de Andres, lequel un cigare à la main, n'a même pas eu le bon sens d'entrouvrir la fenêtre.

  • Bien dormi ?
  • Non, je marmonne en me redressant dans mon siège.
  • Pourtant vu ton ronflement, on aurait pu penser le contraire.
  • Je n'ai pas ''mal dormi'' à proprement parlé juste, je n'aime pas ce dont j'ai rêvé.

Il hoche la tête en ponctuant son geste d'un grognement compréhensif, avant de baisser le volume de l'autoradio pour me couler un regard inquisiteur.

  • Je suis tout ouï.
  • Ce n'est pas intéressant. Et de toute manière, le soirée étant finie, tu peux cesser de jouer les petits amis attentionnés.
  • Oh parce que maintenant je n'ai plus le droit de choisir si je j e peux être attentionné ou pas ? Aller, raconte qu'on en finisse, il reste encore une heure de route jusqu'à Cristal.

Son petit ton condescendant m'agace, mais il est vrai que je ne suis pas dans mon droit en lui interdisant de vouloir s'aviser de mon état. Et puis, il a été irréprochable ce soir, en allant toujours dans mon sens, même lorsque je suis sortie en trombe de la salle des Jeux, l'estomac au bord des lèvres, après avoir vu Léo disparaître dans les coulisses, blessé et tremblant. Je me suis détestée pour ça car, tous les amis de Andres ont pu constater à quel point la nouvelle prétendante du chef de Redhead était pathétique, voir bizarre. Andres ne m'a pourtant rien dit, se contentant de me suivre à l'extérieur pour s'assurer que je ne tombe pas dans les pommes, ou que j'agisse d'une quelconque façon avant d'avoir peser les risques de mes actes.

  • J'ai rêvé de notre première séance de danse, à Lou, Léo et moi.
  • Vous faisiez de la danse ? Le type que j'ai vu dans l'arène a fait de la danse ? Difficile à croire.
  • Oui c'est vrai qu'après le spectacle auquel tu as eu droit, imaginer Léo faire des grands écarts et des sauts de main doit être difficile.
  • Je ne sais même pas ce qu'est un saut de main !

Il s'esclaffe, en aspirant une bouffée de fumée à l'odeur âcre, avant de revenir à moi, tout en doublant un camion par la droite.

  • Et alors, c'est quoi le souci ? Elle était pas heureuse cette séance de danse ?
  • Si, si bien sûr. C'est juste que..., depuis qu'on a été séparés il y a deux ans, je n'en avais plus rêvé. Ça me brasse un peu, c'est tout.
  • Faut pas être brassé par les souvenirs. Si ils sont là, c'est pas pour nous faire souffrir. Notre cerveau est assez bien conçu pour savoir éliminer ce qui nous fait du mal tu crois pas ?

Je hausse les épaules, tout en attrapant une bouteille d'eau dans le vide poche entre nos deux sièges.

  • C'est marrant, soupire t-il en revenant à sa route. De ce que je savais sur les Reborn, j'étais persuadé que vous ne possédiez aucun sentiment. Un peu comme les robots tu vois ? Alors qu'en fait c'est tout à fait l'inverse, c'est fou.
  • Les sentiments peuvent disparaître, comme être amplifiés. Chez moi, ils ont été amplifiés.
  • C'est des genres de... dérèglement émotionnels ? Un peu comme des sautes d'humeur chez les ados ? De l'hypersensibilité ?
  • Plus ou moins.

Je vois à ses yeux, que notre conversation est loin de le laisser indifférent, et que les questions sur les Reborn lui brûlent les lèvres plus que de raison. Et qui pourrait l'en blâmer ?

Lorsque nous avons rencontré Lydia, elle nous a bombardés de questions, sur nos capacités, notre résistance aux armes, à la mort, sur notre aptitude à ressentir de la peine, de la peur, de l'amour. Chez les humains, la curiosité est véritablement l'un des sentiments dominant, bien que de mon vivant, cela ne me soit pas venu à l’esprit.

  • N’empêche, je me demande bien comment ça fonctionne, le truc qui vous a ramené à la vie.
  • De ce que j'ai pu comprendre, ça accélère la reproduction des cellules, augmente le métabolisme, et tout un tas d'autres trucs encore.
  • Vous êtes fascinants.

Je hausse les sourcils, peu encline à lui donner raison. Pour ma part, je ne nous trouve pas fascinants du tout, mais peut-être que le fait d'être la cible de la fascination d'autrui, nous dégoûte de notre propre différence. C'est vrai que tout nous est tellement arrivé vite, après l'attentat, que personne n'a vraiment pris le temps de s'interroger plus que ça sur nous, sur notre devenir. Sur ce qui avait changé en nous. On nous a balancés dans le grand bain sans brassards pour ensuite tenter de nous maintenir à la surface, voilà tout. Au centre, il n'y avait pas de place pour les interrogations, seulement pour les actes et l'obéissance.

Après dix bonnes minutes passées à écouter la radio, je sens mon portable vibrer dans mon sac, à mes pieds. En me baissant, j'avise le cadavre de bouteille de bière qui a roulé sous mon siège, avant d'attraper mon cellulaire pour constater les messages de Elio et de Jelena, sur mon écran de veille.

  • Pas de problème ?
  • Non, juste mon copain et ma meilleure amie qui se font peur tous seuls.
  • Hum, pas confiance en moi je paris ?
  • Touché. Ils ne comprennent toujours pas ce que j'ai fait, en passant ce deal avec tes hommes et toi.

Une nouvelle fois, il rit en exhalant avec une haleine amère, avant de me donner un léger coup de coude d'apparence complice.

  • Répond-leur que je t'ai kidnappée, ça pourrait être marrant.
  • Ça se voit que tu les connais pas. Ni lui, ni elle n'ont de second degré.

Nouveau rire, que nous partageons de bon cœur dans l'habitacle désormais silencieux.

Et, alors que mon propre éclat de rire me surprend, je me sens atrocement coupable, de m'autoriser ainsi à rire avec un baron de la pègre, alors que Léo, et peut-être Lou, sont encore retenus au centre.

Culpabilité bien vite passée, car maintenant que nous sommes au fait de leur captivité, la seconde partie de mon plan va pouvoir débuter.

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