30 (partie 2)

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Mia

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Lorsque la voiture rutilante de Andres – le chef de Redhead – se gare sur le parking déjà bien rempli entourant la salle des Jeux, je sens un frisson remonter le long de ma colonne. Bien assise sur le siège passager, mes mains recroquevillées sur mes cuisses nues, je commence doucement à ressentir une sorte d'atmosphère pesante autour de moi, comme un air lourd et oppressant, ressemblant à celui qui régnait au centre, il y a deux ans. Le bruit de ma déglutition me surprend moi-même, et m'attire un regard en coin de mon amant pour la soirée.

Il est revêtu d'un costume deux pièces blanc, contrastant avec l'aspect tanné de sa peau, et le sombre de ses cheveux éparses. À son bras gauche une montre énorme et tape à l’œil, que je devine comme simple objet de décoration plus que comme un véritable repère.

  • Bon, pas de vagues, me répète t-il une nouvelle fois en me coulant un regard préventif.
  • Bien sûr que non, je me tiendrai à carreaux.
  • J'espère bien, car pour ce soir, tu es ma petite amie. Tâche de faire bonne impression.

Je hoche la tête, remarque son regard insistant sur ma robe écarlate, avant qu'il n'ouvre enfin la porte de l'habitacle pour en sortir sous les exclamations des quelques autres hommes déjà présents sur le parking. Au son de leurs voix, je comprends que sa présence ici ce soir, relève de l'étonnement général.

Andres est un homme de trente-cinq ans au plus, mais déjà aussi influent dans le domaine de la pègre qu'un ancien truand confirmé. Sa singularité est, de ce que j'ai pu remarquer, dans sa facilité à entourlouper les gens avec qui il travaille, à grands coups de belles paroles et de sourires charmeurs. J'ai d'ailleurs remarqué, que durant notre premier entretien, il a mesuré ma capacité à rebondir sur certaines de ses propositions plus ou moins fiables : son objectif était clairement d'évaluer ma naïveté en ce qui concerne la négociation. Bien sûr, je ne suis pas la meilleure dans le domaine mais j’arrive tout de même à me défendre, sachant reconnaître le bluff et la sincérité. Une qualité non négligeable, lorsque votre quotidien est rythmé par un travail où vos supérieurs se trouvent être les pires escrocs que le monde ait porté.

Des supposés défenseurs de la justice dont le paradoxe est les Jeux, combats clandestins qu'ils organisent au nez et à la barbe de leur idée d’une prétendue société purifiée du mal.

À mon tour, je descends de la voiture en tremblant légèrement sur mes hauts talons que je n'ai plus tellement l'habitude de porter en dehors des missions d'infiltration. Presque aussitôt, une myriade de regards se braquent sur moi, tandis que Andres se rapproche pour me prendre le bras à la façon d'un gentleman, non sans hausser un sourcil satisfait à la vue de l'attention que je convoite. Son étreinte est puissante autour de moi, de telle sorte qu'un léger sourire crispé étire mes lèvres au moment où il commence à marcher, m‘entraînant à sa suite. Je titube un instant, me reprends avec rapidité, ne désirant aucunement passer pour la godiche ne sachant même pas marcher correctement avec une ridicule paire de talons de douze centimètres.

Le soleil est sur le point de disparaître à l'horizon, derrière les quelques immeubles visibles au loin. Les hommes et femmes présents sur le parking semblent être des habitués de l'endroit et de son ambiance. Tous en tenues des grands soirs, costumes cravates pour les hommes, robes de cocktail pour les femmes. Une sorte de hiérarchie se dégage du petit groupe attendant visiblement notre arrivée, et je ne peux m'empêcher, en les voyant, de me demander dans quelle sorte de milieu trempent tous ces gens. Drogue, prostitution, trafic d'humains, meurtres ? Impossible de le dire à la seule vue de leurs visages.

  • Bonsoir, sourit Andres avec un petit signe de la main.
  • Andres, quel plaisir de te revoir. Nous pensions tous que tu ne reviendrais pas de si tôt. Ou bien que tu étais mort.

La voix rocailleuse d'une femme plutôt âgée résonne à mes oreilles, et me surprend : elle me paraîtrait presque... méprisante. Sa voix est abîmée, sûrement à cause de son tabagisme avancé comme l‘indique notamment une cigarette perdue au coin de ses lèvres refaites. Une robe courte et moulante, peu adaptée à son âge, à la couleur flashy mais légèrement passée, signe de l'ancienneté de l'habit. Un maquillage tape à l’œil, peu discret : en somme, une harmonie absente en ce qui concerne le visu du personnage que semble s'être imposé cette femme.

Une prostituée, sans aucun doute.

L'étreinte autour de mon bras se resserre, et d'un sourire confiant, je me présente à mon tour, balayant la petite assemblée du regard.

  • Tu fais dans l'adolescente maintenant ? Plutôt risible, Andres.
  • Merci du compliment, mais j'ai dépassé l'âge adolescent, je rétorque à la femme en face de moi. J'ai fêté mon vingtième anniversaire en mai dernier.
  • C'est bien ce que je dis ; une enfant. Sans vouloir vous vexer très chère.

Mon sourire se crispe, mais je n'ajoute rien, préférant lancer un regard passionné à mon escorte, sous les sourcils arqués de notre interlocutrice. Jouer le jeu est primordial : pour la soirée, je suis la petite amie de Andres, sa future femme, et dois porter ce rôle avec une précision qui me dépasse assez. Il m'a briffée dans la voiture, sur le comportement de ses dernières conquêtes, de leur dévouement et de leur amour incontrôlé pour lui, ou plutôt pour la fortune colossale qu'il représente. Je dois passer pour la petite amie un peu vénale sur les bords, mais dont l'amour pour mon homme n'a aucune limite : aucun problème, le théâtre et la comédie sont mes spécialités.

  • Je vais vous laisser, chers amis, lance t-il à la cantonade. Si nous voulons pouvoir être bien placés, je me dois d'aller me présenter à l'intérieur. Peut-être à tout à l'heure.

À nouveau tirée en avant par sa prise, je reprends mon équilibre pour ensuite adopter une démarche légèrement ondulée pour suivre mon ''petit ami''.

Quelques commentaires fusent derrière nous, mais ni lui ni moi, n'y faisons attention. Notre objectif est devant nous, pas derrière.

Le bâtiment des Jeux est une sorte de théâtre grossier à la devanture rappelant celle des salles de spectacles parisiennes, avec un affichage étrange et mensonger, ponctué d'une photographie de cabaret.

  • Ces Jeux sont équivalant à des combats clandestins, m'explique Andres. Les affrontements se déroulent en sous-sol, car la réelle utilité de ce bâtiment est une salle de cabaret. C'est pourquoi tu vas sûrement croiser des gens qui n'ont rien à voir avec le milieu des Reborn et des paris.
  • Ils ne se doutent de rien face à... tout ça ?

Comprenant que je fais référence aux voitures fortunées et aux luxueuses tenues de ses ''amis'' sur le parking, Andres hausse les épaules.

  • Le cabaret aussi coûte un bras. Les publics sont à priori les mêmes, sauf que le sous-sol est plutôt réservé aux gens... aux principes discutables, qu'en dis-tu ?

Pour toute réponse, je hoche la tête, et le laisse m'ouvrir la porte d'entrée du théâtre dans un courant d'air chaud. À l'intérieur, se presse une foule à l'âge plutôt avancé, discutant à voix plus que haute, et rigolant avec une hypocrisie qui me percute de plein fouet. J'ai l'impression de pénétrer dans la quatrième dimension où le réel fait place à la simple apparence et au superflu. Plus de place pour la vraie personne lorsque le rang et la fortune doivent être défendus bec et ongles.

Toujours avec ce rythme lent et sensuel, nous arrivons à hauteur du guichet, où je vois Andres glisser une petite carte noire au jeune homme venant de nous saluer, avant que ce dernier n'échange un sourire avec mon escorte, tout en me désignant du menton.

  • Ma petite amie, Katalina. Elle est avec moi. Je prends en charge les frais de son spectacle.
  • Je m'en doute, monsieur. Mais, euh...

Il tourne la tête, cherchant visiblement un soutien d'un éventuel collègue, avant de finalement se pencher en avant, pour nous parler plus bas, et plus discrètement.

  • Les bornes à l'entrée ont détectés une puce, ma chère.
  • Oui, je trouve ça exotique de sortir avec une ''non-humaine'', cela pose t-il un problème ?
  • Et bien les combats sont... enfin ils opposent...
  • Des Reborn, je sais, je rétorque avec assurance. Et alors ? Vous pensez que je ne suis pas assez forte pour assister à cela ? Arrêtez de penser que les Reborn forment une famille, car ce n'est pas le cas : les participants de ces Jeux, sont de parfaits inconnus pour moi. Au même titre que vous ne vous sentez pas concernés par le sort de l'humanité toute entière, ces participants m'importent peu tant que le divertissement est au rendez-vous. Bien sûr, si ma présence dans ce sous-sol pose un réel problème, je peux m'entretenir avec votre supérieur, qui ne sera cependant sûrement pas enchanté que vous refusiez l'accès à l'une de ses meilleures recrue.

Il se recule rapidement, non sans avoir dégluti, et nous désigne la porte d'accès aux Jeux, au fond du couloir, sans rien ajouter. Sûrement ma petite tirade l'aura incité à ne pas tant faire de manières pour une simple Reborn.

Après un échange de formules de politesse superflues, Andres m'entraîne de nouveau en me tenant fermement contre lui, après m'avoir gratifié d'un sourire admiratif.

  • Exotique hein ? je ricane tandis qu'il ouvre la porte.
  • Une puce d'identification ? J'ai du improviser figure-toi.
  • Je ne pensais pas qu'elle serait détectée dés notre entrée.
  • Au moins maintenant, on sait que ta présence ici n'est plus un secret. Au fait, plutôt convainquant ton petit discours lorsque l'on connaît ta réelle motivation à te trouver ici ce soir.

Je roule des épaules, hésitante quant à ma réponse, avant d'emprunter résoluement les longs escaliers menant au sous-sol de l'endroit, éclairés par de minuscules spots au plafond. Plusieurs fois, j'ai peur de glisser, ainsi percher sur mes escarpins instables, mais ai le bon sens de me retenir à la main de Andres perdue sur ma taille, derrière moi.

Enfin, en bas des escaliers, se présente face à nous une porte en métal noir mate, que Andres pousse sans ménagement pour m’ouvrir la vue sur une salle plutôt grande, divisée en plusieurs parties : un bar dans un coin, un accès aux gradins dans une autre section, et enfin, tout au fond, l'arène. Je ne la vois que très peu pour le moment, mais perçois tout de même au-dessus d’elle, une sorte de cube numérique sur les faces duquel s'affichent des publicités, des horaires pour les prochains combats, et encore beaucoup d'autres choses.

  • Tu veux boire quelque chose ?

Je me mords la lèvre, avant de me retourner vers Andres pour lui répondre.

  • Un double whisky s'il te plaît.

Sur le cube, vient de s'afficher le nom de Léo Pogbal, en tant que favori des spectateurs.

Une fois assise dans les gradins, au troisième rang, mon verre entre les mains, je parviens enfin à reprendre mes esprits, suite à la vue du nom de mon meilleur ami sur ce fichu panneau d'affichage.

Première conclusion : il est en vie. Ce qui est un soulagement immense, une joie explosive dans mon ventre et dans mon cœur. Sauf que cela nous amène à la conclusion numéro deux : il est vivant certes, mais visiblement participant assidu aux Jeux organisés par les dirigeants de Reborn. Quel Léo va se présenter dans cette arène ce soir ?

À côté de moi Andres sirote lentement son cocktail, tout en me fixant depuis environ cinq bonnes minutes, lorsqu'enfin, il brise le silence en m'apostrophant avec un sourire.

  • Tout va bien ma chérie ?

Son appellation me heurte, avant que je ne me rappelle de mon rôle présumé ce soir. C'est pourquoi, tout naturellement, je réponds à son mot doux avec une œillade passionnée et en entralaçant mes doigts aux siens.

  • Bien sûr mi amor je suis impatiente c'est tout.
  • Évidemment.

Il serre mes doigts entre les siens, tout en portant à nouveau son verre d'alcool à ses lèvres.

  • Cette femme dehors, qui étais-ce ? Si ce n'est pas trop indiscret ?
  • Une ancienne compagne. J'ai rompu avec elle lorsque j'ai appris qu'elle détournait mes fonds pour ouvrir un bordel, sans même m'en avoir parlé. J'aurais accepté de financer son commerce, c'est juste la façon de faire qui m'a fortement déplue.

Je hoche la tête, satisfaite de constater que mes prévisions sur cette femme étaient justes, lorsqu'un grésillement me surprend, coupant court à toute nouvelle conversation avec Andres.

  • Mesdames et messieurs, bonsoir !

La voix du speaker m'est désagréablement familière, mais je n'en tiens pas compte, préférant me concentrer sur l'arène désormais éclairée par plusieurs spots lumineux renvoyant des fantômes colorés sur le sol de terre.

  • Ce soir, comme toutes les semaines, un combat dantesque opposant nos plus grands combattants, que nous allons accueillir dans un instant ! Mais avant tout, je vous rappelle que les paris sont d'ores et déjà ouverts au bar, et que toute consommation sera offerte au plus grand parieur de la soirée. N'hésitez pas non plus à...

Je décroche, laissant mes yeux se perdre sur l'arène, où je remarque ci et là, quelques traces d'affrontements anciens qui ont réellement dû être d'une violence titanesque.

  • Un petit rappel du principe ! Huit combattants, sept match ! Et vous connaissez la règle ?

Je hausse les yeux vers le cube numérique, où une image du speaker vient d'apparaître.

  • La victoire, ou la mort !

L'exclamation de la foule assortie à celle du speaker me donne des frissons : ces gens sont vraiment abjects. Ils se fichent pas mal de savoir que les combattant de ces Jeux aient pour la plupart moins de vingt-cinq ans, et qu'une partie d'eux soit encore humaine. Pour eux, nous sommes des animaux, des attractions juste bonne à faire étalage de nos différences pour les divertir.

Quelles têtes feraient-ils si leurs enfants étaient Reborn ? Si c'était eux qui devaient sortir victorieux, ou morts, de cette arène ?

Mes dents grincent, m'attirant un regard soucieux de Andres.

  • Du calme.
  • Je suis parfaitement calme.
  • Bien sûr, un modèle de zen attitude.

Le speaker, tonitruant, annonce l'entrée sur le ring des huit combattants au titre de champion : les noms défilent, de filles, de garçons, jusqu'à ce que le favori ne soit enfin annoncé, sous les exclamations surexcités d'un public survolté par l'affrontement à venir.

  • Léo... Pogbal !!

Je fronce les sourcils, attendant de voir apparaître mon meilleur ami par les portes grandes ouvertes donnant sûrement sur l'endroit où patientaient les combattants. Et d'un coup, d'un seul, une tignasse blonde, presque blanche, ébouriffée et mal entretenue, apparaît. Un corps au torse dénudé, et au bas en mauvais état, couvert de terre. Un visage, des yeux obsidiennes voilés d'une habitude qui me scie en deux.

Il ne fait pas le show, comme les autres candidats, sa renommé le précédant, le public arrive à enflammer la salle sans son aide. Ils hurlent, se déchaînent, scandent un nom dont ils ne connaissent pas l'histoire ; leur attitude me hérisse, mais pour me fondre dans la masse, il ne vaut mieux pas faire de vagues inutiles.

J'hésite à crier son nom, à la manière de la gente féminine présent dans le public, mais me retient, muette et terrifiée face à ce que ma présence ici pourrait lui causer comme tort.

Lentement, je me penche en avant, et laisse mes lèvres murmurer son prénom, juste une fois, tandis que ma gorge nouée, ne me permet plus de parler convenablement. Sa simple vue, sa seule présence, a réussi à briser toute la belle assurance que je me suis forgée depuis deux ans. Son regard sombre me tétanise plus que de raison, mais il me faut tout d'abord relativiser, avant de penser au pire.

Il est vivant.

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