30 (partie 1)

8 minutes de lecture

.

Léo

.

Le matin du fameux combat au prix si alléchant pour chacun des détenus des Jeux, je me réveille bien tôt, n'arrivant plus à trouver le sommeil. Étendu sur mon couchage de fortune, je fixe le plafond humide de ma cellule, les yeux piquant, les paupières lourdes.

Cette nuit, je n'ai pas réussi à obtenir de mon sommeil, un quelconque repos : dans ma tête s'est rejouée encore et encore ce jour où Lou, Mia et moi, avons été séparés. J'ai revu Javier, mourir de l'arme de Elio, j'ai revu Lou animé d'une démence qui était arrivée à son paroxysme, puis les hommes se jetant sur lui, moi me ruant dans la mêlée.

Puis le noir.

Mes doigts se crispent sur la maigre couverture me recouvrant, et je tourne violemment la tête, nauséeux de voir ce plafond poisseux tournoyer au-dessus de moi. J'ai envie de sortir de cette cellule microscopique, d'être déjà ce soir, de terrasser mes adversaires et de repartir gagnant de ce fichu repas avec le grand directeur. De pouvoir lui faire part de mon point de vue quant à la situation et à ce que lui comme moi, pourrions faire pour l'améliorer. Il me doit bien ça : deux ans que je pourris dans ses cellules pour participer à ses Jeux aussi stupides que violents.

Je me retourne, sur le ventre, puis à nouveau sur le flanc, le dos, encore.

Aucune position ne fonctionne : rien ne marche, à croire que le sommeil me fuit comme un pestiféré.

Lentement, je me redresse en position assise, et saute de mon lit pour commencer une série de pompe rapide qui je l'espère, pourra me fatiguer, m'épuiser assez pour que j'arrive à me rendormir.

Une pompe, deux, trois, six, douze, vingt. Mes bras ne me brûlent pas, ou plutôt, ne me brûlent plus : avec l'entraînement intensif que nous force à pratiquer les surveillants de cette section peu connue de la révolution Reborn, mon corps a appris à ne plus souffrir de la douleur physique. Il n'en a plus le luxe. J'étais déjà fort il y a deux ans, lors de notre séparation, aujourd'hui, je suis incassable. Unbreakable.

Bien sûr, je reste en partie humain, et les muscles bien que conditionnés finissent parfois par s'user et me le rappeler en me provoquant des douleurs lancinantes dans les bras, les jambes. Mais qu'importe : grâce à cette douleur, je suis au moins rassuré sur le fait de savoir que d'une certaine façon, je suis encore en vie. Que mon corps m'appartient encore.

Dans le couloir, le ''tic tac'' assourdissant de l'horloge me fait froncer les sourcils. Même avec un repère auditif, le temps me semble flou : quel jour sommes-nous exactement ? En quel mois ? Au fond de moi je le sais, mais n'arrive pas à bannir le doute. Lorsque l'on prive un homme de tous repères, il finit par se perdre dans le temps est l'espace.

Et manque de bol, mes repères à moi, étaient Mia et Lou.

À leur simple pensée, j'accélère le rythme de ma série de sport nocturne, les doigts crispés sur le sol sale et humide de mon ''chez moi''.

Lorsque je m'autorise à repenser à eux deux, je revois systématiquement Javier, je revois Lou en larmes, Mia empêchée de nous rejoindre par les militaires, mon impuissance, tout remonte à la surface, et j'ai juste envie de me fracasser la tête contre les murs pour ce Léo si faible que j'ai été, et que je suis sûrement toujours aujourd'hui, incapable de protéger qui que ce soit.

Un râle de fatigue et de colère franchit mes lèvres, et je m'écroule sur le flanc, avant de me recroqueviller, et de rester ainsi quelques minutes, le temps qu'un sommeil sans rêve ne s'empare à nouveau de moi, m'emmenant loin de tout ça, au moins jusqu'à mon réveil.

.

Elio

.

  • Tu vas me prendre pour un gros lourd, mais je persiste dans le fait que je ne pense vraiment pas que ce soit une bonne idée de faire ça, Mia.

Elle ne se retourne pas, dos à moi face à son placard de vêtements, et se contente de me couler un petit coup d’œil par-dessus son épaule dénudée.

  • Ça va faire trois jours Elio. Il va falloir que tu t'y fasses, car le jour J, c'est ce soir.
  • Est-ce que tu comprends au moins ce que j'essaie de te dire ?
  • Oui, tu t'inquiètes pour moi, tu trouves ce plan risqué, et blablabla...

Son insolence commence vraiment à me hérisser les poils. Depuis ce matin que j'essaye d'avoir une conversation constructive avec elle, elle m'ignore, et pire, me contredit.

Après notre altercation avec Redhead, il y a trois jours, elle est partie rencontrer leur chef, et je n'ai rien dit. Je n'ai pas riposté non plus, lorsqu'elle m'a expliqué avoir conclu un pacte avec lui. Cependant, il me semble avoir le droit de m'inquiéter du fait que ce soir, elle va assister en tant que spectatrice, aux Jeux organisés par Reborn, au bras d'un baron de la pègre locale.

  • Je ne risque rien. C'est une mission de repérage, rien de plus.
  • Ah parce que tu vas peut-être me dire que si tu vois Léo dans l'arène, tu ne prendras aucun risque inconsidéré et reviendras bien sagement à Cristal sans rien tenter ?
  • Tout à fait.

Elle se retourne enfin pour me faire face, une robe rouge plutôt longue et fendue sur le côté entre les mains.

  • Tu crois que ça ira cette robe ?
  • Parce que tu veux en plus que je te conseille sur ta tenue ? J'en sais rien, c'est quoi les goûts du type au bras duquel tu vas faire ta potiche ce soir ?

Je ferme précipitamment la bouche, me rendant compte trop tard que j'ai peut-être été un peu loin, et considère son visage se voiler d'une ombre colérique. Ses sourcils se froncent lentement, pour que ses yeux perçants puissent en plus de m'intimider, me retranscrire toute la colère qu'elle éprouve envers moi, à cet instant.

  • Tu sais quoi ? Je vais aller demander conseil à Jelena.
  • Mia attends, je voulais pas di...

Elle me coupe dans ma vaine tentative de me faire pardonner en me jetant le cintre de sa robe à la figure, avant de quitter l'appartement en claquant la porte, non sans un cinglant « Je reviens ».

Désormais seul dans notre chambre à coucher, je fixe les portes du placard encore grandes ouvertes, pensif. Je ne voulais pas la blesser, mais mon inquiétude me fait parfois agir ou parler, sans que je ne puisse filtrer mon attitude. Comme il y a quelques instants avec ma petite-amie, qui je m'en doute, n'a pas dû apprécier du tout, que je la traite ainsi.

Certes, je suis mort d'inquiétude, et crains du déroulé de son plan dans le sens où ce soir, aux Jeux, elle pourrait bien se retrouver nez à nez avec Léo, si tant est qu'il soit encore en vie. Et à l'inverse, elle pourrait également ne pas le voir, ni lui, ni Lou, et en revenir encore plus brisée qu'aujourd'hui, car son dernier espoir de les savoir encore en vie se sera envolé. Bien sûr, ils pourraient être partout ailleurs, pas seulement dans l'arène des Jeux, mais comment le lui faire comprendre ?

Dépité, je me laisse tomber en arrière pour me retrouver allongé sur notre lit, en soupirant. Je suis vraiment un piètre copain, un imbécile névrosé de première. Peut-être qu'elle ne tentera rien de stupide, si elle tombe sur Lou ou Léo. Peut-être qu'elle saura s'en tenir au plan.

Ou alors, peut-être qu'elle se fera abattre avant même d'avoir atteint les gradins de l'arène, repérée par de anciens surveillants de l'époque où nous étions élèves à Reborn.

Car notre place n'est pas là-bas, elle est à Cristal. Et si ce soir, elle tente un coup risqué en sortant de notre périmètre autorisé, je doute qu'elle pourra réitérer l'opération indéfiniment. La puce de localisation injectée sous notre peau à la sortie du centre, et dont nous ignorons la localisation exacte, prévient immédiatement nos référents lorsque nous sortons de notre zone dédiée.

Elle a une parade pour ce soir, mais seulement pour ce soir : que fera t-elle si elle se voit contrainte de ressortir de Cristal dans les prochains jours, prochains mois, pour une opération similaire ?

Je ne peux pas me permettre de la perdre, comme j'ai perdu ma mère, et comme je me suis perdu moi-même, en un certain sens.

Bien décidé à aller m'excuser, je me redresse, et attrape mon portable avant de quitter l'appartement pour rejoindre celui de Jelena, deux étages plus bas.

À l'intérieur de ce dernier, s'élève un air de musique latine qui me braque, me rappelant durement ceux que mon père passait, à l'époque, lorsque mes cris se faisaient trop forts.

Je secoue la tête, inspire par le nez, et pousse la porte pour tomber sur Mia, debout au milieu du salon, en train de tournoyer sur elle-même dans sa robe de soirée saillante à en faire pâlir les icônes de la mode actuelle. Elle a légèrement bouclé sa chevelure, et je remarque immédiatement que Jelena a du user de ses talents en maquillage pour souligner son regard d'un trait de highliner noir, et sculpter ses lèvres d'un rouge assorti à sa robe.

Jelena, assise dans le canapé, est la première à me remarquer, pour ensuite l'indiquer à Mia, qui s'immobilise avant de me fusiller du regard.

  • Alors, elle te plaît la potiche ?
  • Mes mots ont dépassé ma pensée.
  • Mais bien sûr.

Son mépris me fait du mal, bien que je n'en montre rien : son côté têtu, ressemblant trait pour trait à celui de Léo, m'agace assez. Pourrait-elle juste écouter ce que je m'efforce de lui dire ? Depuis quelques temps, mes reproches bien que constructifs quant à son comportement de plus en plus dangereux pour elle-même et les autres, semblent se heurter à un mur. Elle n'écoute plus rien, plus personne, guidée par sa seule idée de la réussite à court terme.

  • Je suis stressé d'accord ? je marmonne en m'avançant vers elle.
  • Tu n'as aucune raison de l'être. Si tu avais confiance en moi, tu ne t'inquiéterais pas.
  • Pardon ?
  • Tu me crois capable de sauter à la gorge des militaires présents sur place si jamais j'aperçois ne serait-ce qu'une mèche de cheveux de Léo ou Lou. J'appelle pas ça de la confiance, désolée.
  • Tu ne veux donc pas parler posément ?

Je lève les mains, en signe de capitulation, et tourne les talons, mon inquiétude ayant mué en colère. Son regard incisif, sa façon de claquer sa langue avant de parler et ses mimiques hautaines commencent vraiment à me taper sur le système. De même que l'attitude de Jelena, clairement de son côté, me fixant depuis mon entrée avec un mélange d'agacement et de retenue.

  • Et bien tu sais quoi débrouille-toi. J'abandonne pour aujourd'hui : fais ce que tu veux. Mais juste une chose, si jamais tu te fais prendre, blesser ou même tuer, tu vas m'entendre pigé ?

N'arrivant pas à me contenir, je me retourne à nouveau face à elle, presse le pas pour l'étreindre brièvement, avant de quitter l'appartement pour de bon, non sans avoir marqué mon départ d'un léger « Fais attention à toi », presque inaudible.

Si jamais elle ne revient pas, je n'aurais plus aucune raison de continuer à tenter d'avancer sans flancher.

Mon équilibre, c'est elle.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Cirya6 ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0