25 (partie 2)

8 minutes de lecture

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Elio

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Mars. Début mars. Il ne nous reste, qu'un mois de formation. Un seule, minuscule et insignifiant mois, avant que notre détention ne se transforme en liberté illusoire, payée de notre stabilité mentale et de nos principes.

Je ne me battrai jamais.

Bien sûr.

Moi, tuer un animal ? Tu es fou ?

Oui.

Lou est assis à côté de moi, et se mord la lèvre à sang. Ses yeux cerclés de noir, ne semblent regarder que le vide. Le long de sa mâchoire, s'étendent une myriade d’ecchymoses violacés qui me donnent la nausée. Pourtant, je ne devrais pas. Oh non, plus de sentiment tels que l'angoisse, la pitié ou la peur. Plus de place pour ça.

Dans un mois vous serez Reborn confirmés.

Je n'ai pas envie d'en être un.

Hier, au moment du coucher, Lou et Léo se sont fait passer à tabac pour une obscur raison qui aujourd'hui encore, reste floue. La version officielle, est qu'ils ont dépassé le couvre-feu de dix minutes. La version officieuse est que depuis un mois maintenant, tout le monde se méfie de nous.

À dire vrai, depuis que Léo est revenu de ses trois jours de désintox forcée, les surveillants, les professeurs, et même notre imbécile de référent, j'ai nommé Charles Aubert, semblent sur la défensive en notre présence. Pourtant, à ce que je sache, nous n'avons rien fait de si révolutionnaire que ça. Je dirais même, que depuis ce jour, nous sommes plutôt calmes, à ne plus rechigner en cours, à ne plus nous faire remarquer outre mesure. Nous sommes sages, vraiment.

Alors pourquoi ce sentiment, dans leurs yeux en nous croisant ? De la peur, de l'anxiété.

Pourquoi ?

Mes doigts tapent au rythme d'un air ancien dans ma tête, sur le bureau blanc en face de moi.

Cours de détachement, encore. Peur au ventre d'à nouveau devoir tuer sous peine d'être battu, toujours.

J'en ai vraiment marre, de vivre dans cette atmosphère de peur constante. Un peu comme ce que l'on ressent dans un cauchemar qui n'en finit pas, sauf qu'ici, nous ne rêvons pas, non. Depuis novembre, tout est bien réel, très réel, trop réel peut-être.

La science fiction n'est plus une fiction, mais une science réelle, et défiante.

Plus les jours passent, et plus je déteste notre monde.

  • Bien, les jeunes, s'exclame monsieur Yersen. Aujourd'hui, dernier cours de détachement.
  • ... super ! marmonne Léo en levant le poing en l'air.
  • On se passera de tes commentaires, merci.

Il renifle, hautain, et darde son regard dans le mien.

Je ne sais pas comment le surveillant d‘hier s'est arrangé, mais les marques de ses coups ont du mal à partir, à en croire le nez tordu de Léo ainsi que sa canine au bien ébréchée.

Plus les minutes passent, et plus je déteste notre monde.

  • Vous savez ce que cela signifie ?
  • Qu'on va encore devoir se salir les mains, ricane Sarah avec un sourire tordu.
  • Je n'appellerai pas ça, ''se salir les mains'', mais plutôt se rendre utile à la société, à votre niveau.
  • Si vous le dites.

La voix de Tim, à ma droite, me surprend. Il a enfin eu quinze ans, et pourtant, à voir son visage, on lui en donnerai trente. Des cernes, des cicatrices, rien ne laissant penser qu'il n'est qu'un gamin de quinze ans prisonnier d'un corps refusant de mourir une seconde fois.

  • On va devoir se rendre au gymnase, élude madame Bercelo.
  • Et pourquoi ça ?
  • Ici, c'est moi qui pose les questions, Jeremy. Allez, debout.

Docilement, comme par automatisme, et sûrement par peur de la perche électrique, nous nous levons tous d'un même mouvement, comme le feraient de parfaits petits robots bien dressés.

Bêtes sans cervelle et apeurés, ils ont réussi. Par la peur et l'intimidation, nous ne sommes plus que des corps agissant pour fuir la douleur, pour ne plus se retrouver sous les coups de cette perche métallique déchirant notre corps avec une récupération amoindrie. Ce qui est plutôt triste pour eux, en un sens : ils ne nous ont pas convaincu de suivre Reborn en lui-même, mais de suivre notre instinct de survie.

En résumé, c'est un échec pour eux, comme pour nous.

Nous sortons de salle de détachement pour nous rendre sans un bruit dans le gymnase du centre.

Tout le monde sait ce qui nous y attend.

Nous avons commencé par tuer un raton, puis un oiseau, un canard, un cochon de lait, un chat, un chien, une chèvre. À chaque nouvel assaut de ce cours tant redouté, nous nous attaquions à une victime de plus en plus grosse. Et, désormais, alors qu'il s'agit de notre dernier cours et que notre but ultime est de devenir ''agents'', Reborn confirmés, nous nous doutons tous que notre plus grosse cible s'apparentera plus à l'humanoïde qu'à la chèvre.

Nous savons tous, par déduction et par les dires des classes supérieures, que dans ce gymnase, nous allons devoir tirer un trait définitif sur notre morale et notre libre arbitre.

Car aujourd'hui, nous allons devoir tuer un humain.

Lorsque nous passons les portes du gymnase, nous sommes beaucoup à remarquer les bribes de voix tantôt sereine, tantôt hurlante qui s’élèvent de la salle. Et, au milieu de ces filets de voix tous plus ou moins prédominants, j'arrive à percevoir le timbre traînant et oh combien insupportable de mon père. La journée s'annonçait déjà mal, mais désormais, j'en ai la confirmation : ça sent vraiment pas bon pour nous tous.

  • Restez concentrés, brame monsieur Yersen en avisant Lou et Alexia en train de chuchoter.
  • Le droit à la parole est universel.
  • Pour les humains, oui.

Il aurait pu faire plus subtil mais le message semble être passé.

Lou et Alexia se taisent, tandis que nous débouchons enfin sur la salle principale du gymnase, où une foule se presse déjà, mêlant scientifiques, militaires, surveillants lambda, nos différents référents, ainsi que toute une troupe d'hommes et de femmes en tenue carcérale, un sac en toile sur la tête. Cependant, j'arrive à percevoir leurs insultes, leurs cris de détresse, leurs sanglots.

Alors comme ça, ils savent ? Ça doit vraiment être triste d'apprendre l'existence d'une science, d'une branche cachée de la défense d'état, en même temps que notre mort imminente de par les sujets fabriqués par cette nouvelle technologie révolutionnaire qu'est celle de l'évolution mêlé à la régénération.

Rassurez-vous, je n'ai pas envie de vous tuer.

  • Bien, les Reborn ici, allez on se dépêche !

Dans un nouveau mouvement de groupe parfaitement synchronisé, nous passons devant tout ce petit monde immobile, coincés dans une sorte d'admiration angoissée, et nous arrêtons face à monsieur Yersen, qui entre ses mains, tiens une sorte de discours, sûrement à notre direction. Une nouvelle tentative vaine de nous convaincre que nos gestes seront utiles à la société, que nous ne causerons pas de mal en agissant tel qu'il snous le demandent.

Foutaises.

Léo, à ma droite, a croisé les bras sur sa poitrine, et renifle avec dédain à la simple vue des feuilles entre les mains de notre professeur physique.

  • Un nouveau laïus d'endoctrinement, suggère t-il avec mauvaise humeur.
  • Ça m'en a tout l'air.
  • Est-ce qu'ils savent au moins qu'on en a rien à battre de leurs parlottes inutiles ?

Je hausse les épaules, indécis quant à ma réponse. J'imagine que, bien que techniquement, notre attitude ne laisse rien au hasard à ce sujet, cela doit plaire à monsieur Yersen de parler dans le vide face à dix ados complètement ailleurs, fixant la foule de prisonniers d'état qui, après son discours, devra mourir de leurs mains. Certains appelleront cela de la cruauté, à Reborn, ils appelleront ça un examen de validation de formation.

  • Comme vous le savez, votre présence ici n'est pas due au hasard. Vous êtes morts en héros, et avez aujourd'hui la chance, le privilège, de continuer de mener cette vie à une échelle bien plus grande. Celle, de soldats d'élite, d'agents Reborn, de défenseurs de l’État. Cela fait cinq mois maintenant que vous travaillez d'arrache-pied pour arriver à ce dernier cours de détachement, ou votre coopération et vos tripes vont être mises à l'épreuve. Car aujourd'hui chers étudiants, rien que pour vous, voici un large choix de déchets, qu’il convient d’éliminer.

Je déglutis, totalement atterré face à ce discours digne d'un maternelle précoce, et roule des yeux, interceptant le regard de Mia, non loin de moi, prête à rire – sûrement nerveusement – si tant est que Yersen rouvre à nouveau la bouche. Mes sourcils s'arquent, je la prie silencieusement de se taire, lorsque du coin de l’œil, je vois avancer mon père, d'une démarche assurée, il ne semble pas du tout au fait que bientôt, son propre fils, devra abattre un autre être humain, de ses mains. Sûrement cela ne lui fait-il rien, mais tout de même : j'aurai espéré qu'en ce jour où ses manigances vont enfin avoir raison de ma résistance qui jusqu'à aujourd'hui, m'a empêchée de devenir son reflet dans un miroir, il aurait eu un minimum de compassion.

C'est étrange comme, même après une vie où sa monstruosité n'a cessée de grandir, j'arrive toujours à imaginer une once d'humanité en cet homme. Il ne peut pas être définitivement mauvais.

Alors montre-le papa, montre que tu as tout de même un minimum de regret, un peu d'estime envers moi.

  • Bien le bonjour à tous. Je vais faire simple : aujourd'hui, vous allez prouver que vous êtes dignes de travailler pour nous. En accomplissant un acte d'appartenance, une sorte de rite de passage. Vos référents ont déjà préparé une liste avec le nom de la personne dont vous aurez la charge. N'ayez aucun remords jeunes gens car, toutes ces personnes en face de vous sont des tueurs, violeurs, ou autres déchets de l'humanité. Ils auraient finis par mourir d'une manière ou d'une autre. Vous n'allez qu'accélérer le processus de tri sélectif.

Un rire lui échappe, et je tords du nez. Il est abject, et le restera jusqu'au bout. Pauvre homme, si on doit éliminer les déchets, tu devrais aller te cacher.

Ensuite, tout s'accélère : Aubert nous hèle avec appréhension, et nous distribue à chacun un petit morceau de papier plier en quatre, qu'il nous demande de déplier sans attendre. Donc en plus du reste, c'est lui qui a choisit nos cibles ? Finalement, c'est peut-être mieux : autant ne pas avoir, en plus du reste, la responsabilité de notre choix premier ; sans choisir, on pourra se rassurer en se disant que la personne nous a été imposée, que nous n'avons pas eu le choix.

Alors que, dans le cas contraire, je ne doute pas que par la suite, les regrets auraient été bien plus insupportables.

J'ai choisit cette personne, et désormais, elle est morte.

Je frissonne, et déplie mon papier. Mes doigts tremblent, je n'ai pas envie de voir ce qui y est insrit, et encore moins de découvrir le visage de celui ou celle que je devrais supprimer. Je ne veux pas tuer. Ce n'est pas moi.

Mes yeux se ferment, j'inspire par le nez, repensant à tout ce que j'ai vécu jusqu'à maintenant, et surtout au fait que si je n'obéis pas, ils nous feront du mal, à Mia, Léo, Lou ou moi. Quel est le prix d'une vie ratée, gangrenée, contre la mienne ou celle de mes amis ?

Mes paupières se rouvrent et je sens mon cœur faire un bond dans ma poitrine, à la vue du nom sur mon petit papier.

J'ai soudainement, envie de mourir, une seconde fois.

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