22 (partie 2)

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Léo

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En tailleur sur mon lit, je fixe Lou et Mia, en face de moi, attendre avec une impatience non dissimulée que je cesse enfin de rire. Ce qui est, je l'avoue, plutôt difficile pour le moment.

En fait, je ne sais pas ce qu'il y a de drôle, hormis leurs têtes, peut-être. Sans doutes. Le visage d'ordinaire parfait de Lou est tordu en une grimace d'exaspération qui ne lui va pas du tout.

Elio semble bien moins réceptif que moi à l'herbe que nous a donnée David, et est tranquillement assis sur son lit, les jambes battant l'air au rythme d'un air qu'il fredonne, les yeux fermés.

  • Léo, il est presque minuit, il va falloir penser à aller dormir, me lance Lou.
  • Non, je veux pas.
  • Mais arrête de faire l'enfant !

Il bondit sur ses jambes et s'approche de moi avec détermination, tandis que je me laisse tomber en arrière, pour me retrouver allongé sur la largeur de mon lit. J'entends les pas de Lou serapprocher de mon lit et sens ses mains attraper le col de mon tee-shirt pour me redresser.

  • Les surveillants vont finir par venir te faire la peau imbécile.
  • Qu'ils viennent, je les taperai.
  • Léo, s'il te plaît, tais-toi.

Je souris, pose mes mains sur les épaules de mon homologue et renverse la tête en arrière pour me perdre dans un rire que je ne contrôle plus. Je sens sous la pulpe de mes doigts, à travers son fin tee-shirt, la forme menue de ses épaules, et leur tremblement agacé. Lorsqu'il s'énerve, Lou a la fâcheuse tendance de sourire, voir de rire, ce qui peut parfois donner des réactions assez amusantes. Comme maintenant, ses yeux bleus lançant des éclairs, contrastant avec son sourire crispé éclatant.

Quelques minutes plus tard, alors que je suis toujours à moitié en train de rire sur mon lit, Lou tentant de me coucher, la porte de notre chambre se déverrouille, et un militaire entre, le regard noir. Son arme contre la hanche, les bras croisés sur la poitrine, il ne semble vraiment pas content de devoir ainsi faire irruption dans notre chambre à minuit passé.

  • Vous êtes au courant que vous devriez dormir depuis deux heures déjà ?
  • Désolé monsieur, répond Mia en s'approchant de lui.
  • Qu'est-ce qu'il a lui ?

Je le vois me désigner du menton, et en profite pour me redresser et lui faire face, le sourire aux lèvres, malgré les protestations de Lou dans mon dos.

  • Oui ?
  • Pourquoi tu ris comme ça, tu nous fais une crise de démence ?
  • Non, j'ai juste envie de rire, c'est tout.

Je sens au fond de moi, une petite voix me hurler de cesser de faire la malin face à ce militaire, mais malgré elle, je continu de le défier du regard, mon rire hystérique commençant à me faire peur.

Visiblement exaspéré, le militaire ouvre d'un geste vif une sorte de petite sacoche à sa taille, et en sors une sorte de long stylo en métal, muni d'une aiguille en son bout. Puis il attrape ma main de force, et m'oblige à planter mon doigt sur l'aiguille, avant de me libérer, pour constater le résultat, qui s'affiche sur le petit écran du stylo.

Le militaire soupire, et sort un transmetteur de sa poche avant de presser un bouton et de sortir de la chambre.

La porte claque, mais ne se verrouille pas.

  • Il va sûrement rameuter Miss Regina, t'es content ? Tu fais chier Léo, putain.
  • Oh, pourquoi tu me hurles dessus comme ça ? Ton protégé aussi il a fumé mais lui par contre tu le laisses tranquille hein !
  • Lui se tient tranquille, pas comme toi.

Je tords du nez, et regagne mon lit, les bras croisés sur ma poitrine.

  • C'est la faute à Quentin d'abord.
  • Bien de mieux en mieux. À ce que je sache, il ne t'a pas enfoncé dans le bec ce foutu joint !
  • Léo Pogbal ?

Je redresse la tête, embêté d'être coupé de la sorte dans mon altercation avec Mila, et constate que le militaire est de retour, l'air passablement fatigué.

  • Il faut que tu me suives.
  • J'ai pas envie.
  • Ce n'est pas une proposition. Tu viens avec moi.

Du coin de l’œil, j'avise Lou blêmir, et entends Mia demander où est-ce qu'il m'emmène, mais ni moi ni le militaire ne prenons la peine de répondre, que déjà je me retrouve dans le couloir, d'un coup de canon de l'arme entre mes reins.

  • Allez, on y va. Tu es dans la merde mon garçon.
  • Je suis dans la merde depuis novembre.
  • Si tu le dis.

La porte de ma chambre se referme et se verrouille sous les supplications de Mia, et sans vraiment m'en rendre totalement compte, je suis le militaire à travers l'internat, sans broncher, sans tenter de rebrousser chemin.

Nous passons, le militaire et moi, par le bâtiment administratif, ou l'infirmière confirme les doutes qu'avait émis l'homme m'escortant : je suis drogué. Ce qui ne semble vraiment pas l'enchanter, pas du tout. Elle m'administre une sorte de traitement à base de cachets broyés dans de l'eau, et me congédie d'un signe de la main. Un peu vaseux, sans doute à cause de ses cachets, je rejoins le militaire à la sortie de l'infirmerie, et le laisse me guider sans rien dire, sans demander à retourner auprès de Mia et Lou.

Je crois que, au fond de moi, je sais que j'ai merdé. À dire vrai, j'ai su au moment même où Quentin m'a tendu ce joint, que je faisais une erreur, mais je n'ai pas pu résister. J'en avais... vraiment envie. C'est pour ça que j'ai accepté, et que j'ai même entraîné Elio avec moi. Sauf que lui, a su s'arrêter. Pas moi.

Je me suis retrouvé projeté il y a quatre ans, quand je fumais presque chaque jour, pour me soustraire à ma vie que je jugeais de plus en plus inutile et dérisoire. Sauf qu'aujourd'hui, je n'ai plus envie de ressembler à ça, à cette loque humaine désireuse de tout lâcher et ne se rattachant à la vie que par bouffées de canabis. Je ne suis plus ce garçon. Du moins... je croyais, ne plus l'être.

Nous passons une porte que je reconnais : c'est celle menant aux cellules d'isolement en sous-sol, celles où l'on subit les nuits correctionnelles. Les murs sont humides, et mes pas dans les escaliers, peu assurés, révèlent mon état. J'ai peur de glisser, au moindre faux pas.

Lorsque nous arrivons en bas, je sens mon ventre se contracter à la simple pensée qu'à nouveau, à cause de mes idioties, je vais finir ma nuit en me faisant briser les jambes, les bras. Mais je ne montre rien, non. Je me contente de suivre le militaire qui m'escorte depuis tout à l'heure, sans rien dire, sans rien exprimer. Se taire, voilà encore une bonne solution pour ne pas perdre le peu de dignité qu'il nous reste.

Nous nous arrêtons devant une porte floquée d'une pancarte en métal ''Cellules d'isolement''.

  • Ouvrez, demande le militaire. J'ai un Reborn en détox.

Je relève la tête vers lui, tremblant de froid et de fatigue, et avise la porte s'ouvrir dans un grincement, nous libérant l'accès à un grand couloir où de chaque côté s'alignent des cellules ouvertes aux barreaux rouillés. Le sol est recouvert d'un carrelage à la peinture écaillée, ce qui fait un assez grand décalage par rapport aux structure modernes et à l'apparence récente du reste de Reborn.

  • Tu vas rester ici pendant trois jours, et réfléchir à tout ça. Au fait, c'est David qui t'a refilé l'herbe ?

Je m'humidifie les lèvres d'un coup de langue, hésitant : dois-je dénoncer David, sur qui ils émettent déjà des doutes, ou bien rester muet et ne pas passer aux yeux de tous comme la dernière des balances ? Je ne sais pas comment les surveillants pourraient réagir en trouvant leurs hypothèses confirmées.

Je décide de me taire.

  • Ok, soupire le militaire au bout de quelques minutes. Gardien, je mets le Nouveau en cellule huit, sans eau ni nourriture, pendant trois jours.
  • Bien cap'tain ! s'écrie une voix au bout du couloir.
  • ... trois jours ? je répète avec un temps de latence.

Je fais un pas en avant, considère la cellule huit, et distingue dans l'ombre, une personne déjà assise sur l'un des deux bancs présents dans la pièce.

  • Allez mon gars, on se voit dans trois jours. Profite bien de tes vacances !

La porte de la cellule s'ouvre, et la main puissante du militaire me pousse à l'intérieur. Je trébuche, me rattrape aux barreaux, et j’ai miraculeusement un regain d'énergie, pour me retourner et tenter de m'éclipser par la faible ouverture des barreaux.

  • Ben tiens, je me demandais où étais passé le blond saoulant dont tout le monde parle. Allez, fais pas d'histoires, et je laisserais tes petits copains tranquilles.
  • T'as pas intérêt à les toucher fumier.
  • Ouais. Bonne nuit le Nouveau.

La grille se referme, et je regarde le militaire s'éloigner, les mains dans les poches, avant de me laisser glisser au sol, épuisé. Je tremble encore de tout mon long, et ai honte, de m'afficher de la sorte face à celui qui visiblement va partager cette cellule avec moi trois jours durant.

Quel imbécile bon sang.

Je remonte mes genoux sous mon menton, et lance enfin un regard à mon compagnon de cellule, qui n'a toujours pas bougé depuis que je suis arrivé. Il est visiblement assis en tailleur sur le banc en bas nous servant de lit, et m'observe à travers la semi pénombre de notre cellule.

  • Le Nouveau ? Tu viens d'arriver ?

Sa voix est rocailleuse, signe qu'il n'a pas parlé depuis quelques temps, mais je remarque tout de même que des tonalités aigues en émanent, ainsi que des notes bien plus graves. En pleine mue, il doit avoir à peu près mon âge.

  • Détrompe-toi, je suis là depuis novembre.
  • Sérieux ? Moi je suis arrivé ce matin, et on m'a tout de suite balancé ici !
  • RIP.

Son rire éclate à mes oreilles, et je me décide enfin à le détailler : plutôt massif, avec un visage anguleux et des cheveux mi-longs bruns retenus en une petite queue de cheval au niveau de sa nuque. Ses yeux, plutôt sombres, me fixent avec bienveillance.

  • Je m'appelle Ruffus et toi ?
  • Léo.
  • Pourquoi t'es en cellule toi ?
  • J'ai fumé de l'herbe.

Je ne lui demande pas la raison pour laquelle lui aussi est enfermé, n'en ayant ni l'envie, ni l'énergie. Cependant, malgré mon silence, il se lance dans un long monologue me narrant son arrivée à Reborn et sa mise en isolement, à peine passé les portes du centre.

Ruffus Decroix, âgé de seize ans, m'explique les grandes lignes de sa vie, mais surtout les raisons pour lesquelles elle s'est arrêtée. Ses paroles m'emmènent quelques années en arrière, lorsque ses parents, jugés comme déficients, n'ont pas pu empêcher les services sociaux de le placer en famille d'accueil. Il n'avait plus le droit de voir ses parents, une mesure d'éloignement ayant été mise en place entre temps. D'après lui, la famille d'accueil représentait tout ce qu'il ne voulait pas dans une famille ; de la rigidité, une mère bien trop sévère, des enfants bien trop propres sur eux, là où lui aimait à faire des bêtises avec son grand frère. À sa voix, qui se brise légèrement à ce moment, je comprends qu'au delà de ne pas convenir à son schéma de la famille idéale, la famille d'accueil était surtout bien peu aimante à son égard, et je sens alors mon cœur se pincer. Il a vécu en famille d'accueil, ce que j'ai vécu toute ma vie, avec ma propre famille. Il m'explique ensuite qu'au collège, puis au lycée, il ne s'est jamais senti à sa place, et que de ce fait, il n'avait presque aucun ami. Il était, d'après lui, trop différent pour les autres élèves qu'il croisait en milieu scolaire : trop passionné par l'art, trop rêveur, pas assez dans le moule. Je remarque une nouvelle fois qu'en parlant de cet incident, il en arrive presque à avoir les larmes aux yeux. Puis, d'un seul coup, il reprend du poil de la bête, en arrivant à la partie la plus récente, le lycée. Les couloirs remplis de personnes moqueuses, les professeurs indifférents face aux railleries et à la mise à l'écart de ses camarades, le dessin qui ne lui suffisait plus à oublier son quotidien.

... le lycée où, il y a de cela une semaine, il s'est fait explosé au milieu de la cantine, au milieu d'environ deux cents élèves.

Mon sang se fige dans mes veines, et je comprends enfin pourquoi Reborn l'a mis ainsi en isolement : ce type est complètement fou. Malgré son air sympathique, je dois bien admettre que, de savoir que je suis actuellement en grande discussion avec un kamikaze, ne me met pas très à l'aise. De plus, la façon qu'il a d'expliquer cette horreur avec un détachement pareil, à le don de me pétrifier sur place. Se rend t-il seulement compte de ce qu'il a fait ?

  • Et toi, pourquoi tu es ici ?

Dois-je vraiment lui dire que je suis ici de suite d'un attentat à l'internat de Liberty, alors que lui-même est l'investigateur d'un attentat suicide qui je n'en doute pas, à coûté la vie à beaucoup de monde ? Je n'en sais rien. D'un certain côté, je me dis que, si je dois rester trois jours dans cette cellule avec Ruffus, autant ne pas le monter contre moi, et m'en faire un allier. Les personnes instables il est toujours préférable de les avoir avec soi que contre soi.

  • Trois types sont venus dans mon internat, une nuit en novembre. Ils ont tué la majorité des élèves, mais moi et trois de mes amis les avons affrontés, en quelque sorte. On est tous morts mais, de ce que j'ai compris, notre action presque ''héroïque'' a poussé Reborn à nous injecté le sérum Reboot. Voilà.

Ses yeux s'agrandissent, tandis que sa bouche déformée dans un sourire admiratif, se met à raconter à quel point j'ai l'air d'être quelqu'un de puissant.

Je l'écoute, attentif au moindre de ses dires, nerveux qu'il ne me trouve pas assez ceci, ou trop cela, et qu'il ait alors l'envie de se débarrasser de moi. Pas que j'ai peur de lui, mais son corps musclé et son passif me mènent à me méfier de ses sautes d'humeur que je devine, dévastatrices. De plus, je suis atrocement fatigué, et je sais qu'un combat en cellule n'arrangerait pas mon cas. Heureusement, il a l'air plutôt emballé de partager sa cellule avec moi. Pas d'inquiétudes.

N'empêche, Reborn ressuscitant un type comme lui. Ça me paraît grossier comme méthode, de choisir un adolescent totalement en dehors de la réalité, ayant mis fin à ses jours dans un attentat suicide, pour faire office d'agent. Ou alors...de soldat kamikaze. Maintenant que j'y pense, peut-être qu’ils n'ont pas vu le côté fou de Ruffus, mais plutôt son côté prêt à tout pour aller au bout de ses convictions. Bien que la conviction précitée, soit de tuer en grande quantité les élèves de son lycée. C'est un but comme un autre j'imagine, pour Reborn qui ne voit plus rien d'humain en nous. De la chair à canon, voilà ce qu'est Ruffus. De la chair à canon, voilà ce que je suis.

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