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Elio

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Il est dix-sept heure quarante-cinq, lorsque la porte de notre chambre s’ouvre enfin, pour laisser la lumière du couloir s'infiltrer à l'intérieur de la pièce. Léo est parti, furibond de n'obtenir aucune réponse quant à mon état, alors je me suis mis dans le noir, et me suis couché, ne sachant pas trop quoi faire d'autre.

Mon cerveau, mon être tout entier, n'arrivaient pas à se remettre de ce qu'il venait de se passer au sous-sol de l'internat.

Mia, avait tenu tête à mon père. Elle lui avait répondu, haussé le ton, tout ça dans le seul et unique but de lui faire ravaler sa verve, et de me garder avec elle. Un geste que je pensais tout bonnement impossible, car jamais perpétré auparavant : jamais au grand jamais je n’aurais cru voir un jour une fille comme elle s’interposer entre mon père et moi. Lorsque cela s’est produit, c’est tout mon monde qui s’est remis en question. Un simple geste, quelques paroles, et tout peut changer, en quelques instants seulement. C’est à la fois fascinant, et étrange. L’humain est étrangement fait, entre croyance et réalité, mon cerveau a court-circuité. Quel idiot.

Je ne me retourne pas, mon corps bien trop fatigué pour ne serait-ce que regarder qui vient de passer notre seuil, avant que je ne sente mon lit s'affaisser derrière moi. Un grincement, suivi d'un soupir, dont je devine la provenance.

  • Je sais que tu dors pas.

Je me mords la lèvre, pensif, avant de me retourner, pour faire face à la personne venant de s'introduire dans mon lit.

  • C'est mon lit, je marmonne.
  • M'en fiche. C'est même pas dix-huit heures et tu dors déjà ? Grand-père avant l'âge.

Elle sourit, et avance sa main vers mon visage avant de replacer une de mes mèches de cheveux derrière mon oreille.

Le temps s'égraine lentement, et je peux saisir tout un lot d'émotions passer dans les yeux de Mia : du doute à la colère, en passant par la peur et le regret. Ses iris bleu clair brillent d'un reflet sceptique, éclairées uniquement par la lumière de la lune naissante passant par la fenêtre.

  • ... je suis désolée.

Je m'y attendais, mais ressens tout de même une sorte de vide se créer en moi. Ça me fait, en quelque sorte, mal de l'entendre s'excuser pour quelque chose que j'attendais je crois, depuis longtemps. Vraiment très longtemps.

Alors, je tends mon bras, et pose ma main sur sa joue, retraçant sa pommette de mon pouce.

  • Tu n'as pas à l'être. Il méritait amplement tout ce que tu lui as dit.
  • Je t'ai mis dans l'embarra et, nous ai tous mis dans le viseur de ton père.
  • Si tu savais le nombre de gens qu'il a dans son viseur.

Elle sourit, et frotte un instant son visage au creux de la main avec laquelle je la rassure, avant de soupirer, et de darder son regard au plafond.

  • Il va falloir que... j'apprenne à gérer mon impulsivité.
  • Manuel théorique, chapitre trois : les émotions chez les Reborn.

Nos regards se croisent, et elle rit à nouveau, avant que je ne soupire à mon tour, le nez retroussé, dans une grimace de concentration.

  • Tu sais que je n'avais jamais vu mon père tirer la gueule comme tout à l'heure face à toi ?
  • Vraiment ?
  • Vraiment. Il avait l'air..., de ne plus savoir où se mettre. Et venant de lui, c'est vraiment rare.

Elle hésite à me rendre le sourire que je lui adresse, visiblement partagée entre l'amusement qu'engendre notre discussion, et le mal-être lié à ses agissements de tout à l'heure.

Le plafond, au-dessus de nous, me semble étonnement près ; j'ai presque l'impression qu'en tendant le bras, il me serait possible d'effleurer la surface grisâtre. C'est assez étrange comme sensation. Un peu comme si je flottais, au-dessus du sol, que je lévitais, en parfaite symbiose avec Mia.

  • Mia ?
  • Oui ?
  • Merci.

Sa tête, contre la mienne, bouge un peu, tandis qu'elle cherche visiblement à capter mon regard. Je continue cependant de fixer le plafond, de peur que si je quitte seulement un instant ce point de repère, toute mon assurance s'en aille.

  • Pour quoi ?
  • Pour... mon père, et mes crises d'angoisses, et le pantalon que tu as rincé la fois où je t'ai tout dit.

J'essaye de garder un ton amusé, bien que mon estomac n'ait de cesse de faire des sauts périlleux à l'intérieur de mon corps. Je suis stressé, mais pas pour les mêmes raisons que d’habitude ; là, j'ai juste l'impression de ressentir comme un envol de papillons à l'intérieur même de mon ventre. Et, du fait de n'avoir jamais ressenti ce genre de chose, le stress vient m'enserrer la gorge.

  • Tu sais, dans un roman, on part de la situation initiale. Puis, il y a l'élément déclencheur, suivi des péripéties et de la résolution. Plus ou moins, en tout cas. Dans notre cas, la situation initiale, c'était mon arrivée à l'internat de Liberty. L'élément déclencheur, l'attentat au sein de ce même internat. Les péripéties, tout ce que nous avons vécu jusqu'à maintenant. Et la résolution...

Je me stoppe dans ma phrase, sentant Mia bouger à côté de moi, avant que doucement, très doucement, comme précautionneuse de ne pas m'effrayer, elle laisse ses lèvres se perdre sur les miennes. C'est sensuel, rapide, mais d'une force que je ne saurais décrire. Un peu comme une photo prise en un clic, mais qui resterait à jamais encadré dans le salon d'une maison. Ici, la photo, représente le baiser que Mia vient de m‘offrir, et son avenir réside en une vie éternelle à briller au cœur de ma mémoire.

Lentement, je me redresse sur le coude, et me penche vers elle, pour réitérer son geste, en étant cette fois-ci, l'investigateur. Elle ne bouge pas, se laisse faire, et contre mes lèvres, je la sens sourire, avant de me repousser gentiment.

Elle a les lèvres humides, les yeux brillants, et le sourire aux lèvres. Les papillons s’agitent, je tremble, et elle me rassure d’un mouvement dans ma direction, d’une sorte de ‘’reste calme’’ murmuré par le corps.

  • C'était ton premier, je me trompe ?

Un rougissement furieux me monte le long du cou, jusqu'à mes oreilles, tandis qu'un petit rire lui échappe pendant qu'elle se redresse pour garder le contact visuel avec moi. Elle aussi, à les joues rouges mais plutôt par la fièvre que lui a procuré notre échange, que pour de la gène ou tout autre chose.

  • Et bah tu sais quoi ? C'était pas mal du tout.

Elle passe ses mains dans mon dos, s'agrippe à mes épaules, en me tirant vers elle, avant de laisser son front rencontrer le mien. Sa chaleur, son contact, sa proximité, ne me font plus peur, même pas frissonner car, pour une fois, j'ai réellement l'impression d'être en sécurité. Dans une bulle hors du temps et de l'espace à la paroi indestructible.

Les papillons s'affolent, mon rougissement s'estompe, sa peau contre la mienne me grise complètement.

Et elle m'embrasse, encore.

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Lou

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J'ouvre les yeux, presque étonné de me réveiller et de constater que, je suis encore en vie. En un seul morceau, dans mon lit, au chaud sous ma petite couverture.

Par la fenêtre au rideau entrouvert, j'aperçois les quelques faibles rayons de soleil perçant à peine de part l'heure matinale, et jette un petit coup d’œil à mes colocataires : Mia dort paisiblement, les yeux et la bouche fermés, en chien de fusil, Elio s'agite, dans un rêve que je devine mouvementé, quant à Léo...

Je souris, pour moi, en constatant sa position : un bras et une jambe en-dehors du lit, sa tête penchée en arrière et sa bouche grande ouverte. Il ne ressemble à rien dans cet état.

Sans plus m'attarder sur les positions ma foi pas plus étonnantes que cela de mes camarades, je me recouche correctement, les yeux rivés au plafond.

Hier, je me suis endormi sans dire un mot à Mia. J'étais énervé, vraiment. Et, autant après elle, qu'après Léo, qui était venu me trouver pour me secouer après son entrevue avec elle. Il m'avait demandé de ne pas jouer aux héros en laissant Mia tranquille, ce à quoi j'avais répondu que ce qui arrivait était de sa faute. Puis, nous nous sommes disputés, comme d'habitude en fin de compte. Il m'est difficile, même quasiment impossible, d'avoir une conversation constructive avec Léo lorsque celui-ci est en colère. Soit il crie, soit il fait la sourde oreille, ou alors pire, il m'attaque, toutes mains dehors pour régler le problème, par la force. Cette situation, est toujours la pire.

De plus, hier, je n'ai pas pu m'empêcher de lui faire remarquer que ce que j'avais pressenti, était vrai : il était, et est sûrement toujours à l'heure actuelle, du côté de Mia.

J'ai donc pour la première fois depuis notre arrivée ici, mangé seul à la cantine, éloigné de mes trois amis, afin de méditer, et de faire un point sur ma vie, dans l'optique qu'elle aurait pu s'arrêter cette nuit même.

Bien sûr, dès que Mia sera réveillée, je m’excuserai en appuyant tout de même sur le fait que sa réaction était vraiment démesurée, puis j’irai voir Léo, afin de calmer les quelque tensions persistantes, au même titre que des braises sous les cendres, entre nous.

Mon esprit s’égare, je repense avant, a tout ce que j’ai loupé, et que je louperai désormais systématiquement, avec un pincement au cœur.

— Joyeux noël, je susurre pour moi-même.

Le sommeil, alléchant, m'ouvre à nouveau ses bras et m'accueille en son sein, dans une étreinte douce et salvatrice.

Entre mes mains tremblantes, je tiens une arme à feu. Une sur laquelle, comme d'ordinaire, je n'arrive pas à mettre un nom. Je devrais les connaître, depuis le temps que notre formation a commencé, et surtout, depuis le temps que je les manipule. Mais non, rien du tout. Le vide total.

Mes yeux se plissent, je fixe la cible face à moi, tends les bras, tenant l'arme à deux mains : les clichés des films américains où le héros tire à une seule main, avec une aisance extraordinaire, m'a valu une entorse au poignet la première fois que j'ai tiré. C'est pourquoi maintenant, la sécurité avant tout.

  • Bon tu tires où on a le temps d'aller faire quelques tours de terrain ?

Le braillement de monsieur Yersen me tire de ma rêverie, et dans un sursaut précipité, je presse la détente, n'arrivant qu'à touché le papier blanc entourant la cible représentant une silhouette humaine.

  • Tout ça pour ça ? Kampa, tu nous as habitué à mieux !
  • D-désolé..., je suis pas dedans ce matin. J'ai pas l'habitude.

Nous sommes le dix janvier. Nous avons repris les cours depuis deux semaines après nos courtes vacances et aujourd'hui, nos professeurs – madame Bercelo et monsieur Yersen – ont eu la bonne idée d'inverser leurs cours, afin de pouvoir évaluer nos facultés d'adaptation. Ici, la force physique le matin, et l'a concentration l'après-midi.

Ce qui, soyons honnête, ne me réussit absolument pas.

Frigorifié, je trottine jusqu'au banc sur lequel j'ai abandonné mon sweat, et l'enfile rapidement, avant de me frictionner les bras, le souffle hâché.

  • Bah alors le loup ? On galère ?

La voix cassée de Léo me fait redresser la tête, tandis qu'un soupir me fend les lèvres.

Il est malade, a la voix plus qu'enrouée, le nez qui coule, a de la fièvre, et arrive pourtant encore à mener son petit jeu devant le reste de la classe.

Depuis noël, depuis notre dispute qui s'est finalement soldée par une réconciliation assez musclée, il est... différent. Beaucoup plus proche de Mia et moi, par les mots. À nous donner des surnoms affectifs, à nous prendre contre lui, le tout en défiant quiconque d'approcher.

Et dans les ''quiconque'', j'intègre bien évidemment Elio. Celui qui semble le plus hérisser Léo. Bien sûr, sa colère envers notre ami vient surtout du fait que depuis noël, encore une fois, il semble beaucoup, beaucoup plus proche de Mia ; Et par là, j'entends des regards enflammés, des mains dans les cheveux, des sourires complices.

Ce qui, visiblement, ne plaît absolument pas à Léo. De ce fait, depuis deux semaines maintenant, il agit comme un véritable petit ami surprotecteur avec Mia, mais aussi avec moi.

  • Il essaye déjà de me piquer Mia, alors qu'il approche pas de toi ou je le plante.

Voilà ce qu'il m'a lancé, la semaine dernière, lorsque je lui ai fait une réflexion quant à son bras autour de ma taille durant le cours de sport.

Je grogne, en le dépassant sans même m'arrêter, n'ayant pas le temps de me confronter à lui, ma silhouette humaine en carton attendant toujours d'être perforée d'au moins une balle avant la fin du cours.

D'un pas rageur, je m'approche de mon stand de tir, attrape mon arme, la recharge, et braque, avant de faiblir en sentant mes mains trembler.

  • Léo dégage, tu me stresses à être dans mon dos comme ça.
  • Fléchis les jambes.
  • J'ai pas besoin de tes conseils.
  • Ah bon ? J'ai cru, excuse-moi. Si tu as besoin en revanche n'hésite pas, je serai sur le banc à t'observer louper ta cible. Oh et, au passage, moi j'ai déjà terminé. Toutes mes balles ont atteint la tête.

J'entends ses baskets claquer derrière moi, et gronde avant de me retourner pour lui intimer de revenir, en laissant mes épaules s'affaisser.

  • Léo.

Il revient vers moi, son sourire moqueur lui étirant les lèvres dans un rictus insupportable.

  • Jambes fléchies, les bras pas complètement tendus, et ta tête moins enfoncée entre tes épaules.
  • Qu'est ce que ma tête à avoir avec mon tir ?
  • Tu es voûté, redresse-toi.

Je grogne, insatisfait de me faire dicter ma conduite de la sorte, mais obéis tout de même, prenant la position que me conseille mon ami, avant de fermer un œil, et de plisser le second. Le bruit des balles, des explosions tout autour de nous, est assourdissant ; il me donne mal à la tête, c’est une horreur. L’écho renvoyé par les murs du gymnase, n’arrange rien, et ne parvient qu’à me déconcentrer d’autant plus.

  • Vise un tout petit peu plus bas que ta cible réelle. Pour le moment, avec le recul, tu as une marge à ce niveau-là, murmure Léo près de mon oreille.
  • Comment je fais pour moins ressentir le recul ?
  • Tu te muscles. Aller, tire.

Je me passe la langue sur les lèvres, anxieux, et finis par presser la détente pour voir ma balle foncer droit dans le cou de la silhouette en papier.

  • On progresse, note Léo en avisant l'impact de la balle, au loin.
  • Tu parles, c'est la tête que je visais, pas le cou !
  • Calme-toi. Si tu t'énerves, tu n'y arriveras pas.

Il se rapproche, et pose une main sur mon ventre, la seconde contre mon dos, avant de légèrement appuyer.

  • Contracte tes abdos. Et garde le dos un minimum droit.
  • ... ok.

Je sens un frisson me remonter le long du dos, tandis que Léo continu de me tenir le ventre, mais réitère mes actions du tir précédent, les dents serrées. Face à moi, la cible semble me faire de l’œil, et, sans réellement comprendre pourquoi ni comment, j'imagine u instant que cette silhouette en papier face à moi, est le père de Elio.

Et je tire.

La balle siffle après une détonation qui me surprend plus que de raison, et va se loger directement au centre de la tête de la cible en papier. J'ouvre la bouche, le souffle court, me rendant compte à la fois de mon exploit, mais également de l'image que j'ai eue, quelques fractions de secondes avant de tirer.

Les mains de Léo quittent mon corps, et la sensation de malaise s'accentue immédiatement.

  • Tu vois, que j'ai toujours raison, sourit-il tout contre mon oreille, son souffle balayant ma peau.

Il m'adresse un hochement de tête satisfait, avant de partir en petite foulées en direction de Mia.

Moi, je reste ainsi, mon arme au bout du bras, le cœur battant bien trop vite pour que je puisse espérer le calmer.

J'ai imaginé, tirer sur monsieur Criada. J'ai vu son corps, à la place de la silhouette en papier. Et, pour une fois, je n'ai pas loupé ma cible.

  • Pas mal Kampa, tu progresses, me lance Yersen en s'approchant de moi. J'ai vu que Léo t'as donné des conseils ? Tu devrais les suivre à chaque fois que tu tires, car ils m'ont l'air de bien fonctionner.

Il s'esclaffe, et me donne une tape presque amicale sur l'épaule, avant d'à son tour, tourner les talons.

Perdu, je jette deux regards furtifs aux deux tireurs à ma droite, et ma gauche : Tim, et Paulina. Ils ne ratent, jamais leurs cibles.

Qu'est-ce qu'ils voient, lorsqu'ils pressent la détente ?

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