11 (partie 2)

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Lou

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Encore une nuit courte, sans rêves. Je ne saurais dire si je ne préférais pas encore mes terreurs nocturnes, à ces longues heures passées à me triturer l'esprit, en fixant le plafond.

Je repense à ma simulation, et je n'arrive pas à trouver le sommeil. Sans cesse, les images de Elio, battu avec une violence extrême par son propre père, reviennent me hanter. Et puis, je me revois moi, comme retenu par des liens invisibles, dans l'impossibilité d'aller l'aider, alors que son regard m’appelait à l'aide. Je sais pourquoi j'ai ressenti ça, pourquoi la simulation m'a empêché d'aller l'aider, et rien que d'y penser, je sens ma gorge se nouer, et mon estomac se tordre. Comment des vestiges du passé, aussi vieux et que je pensais pourtant enterrés, peuvent encore me faire souffrir de la sorte ? Comment est-ce que des lymbes de souvenirs telles que ceux-là même qui me brident, peuvent encore être si virulants, même après toutes ces années ?

Entre mes doigts, je serre ma couverture, retiens un sanglot, et laisse une unique larme couler le long de ma tempe, jusqu'à l'oreiller. Je ne dois pas pleurer, les autres dorment. Et si je veux m'épuiser avant l'épreuve physique, c'est mon problème, je n'ai juste pas le droit de les mêler à tout ça.

Dans ma tête, je revois monsieur Criada enfoncer les pancakes dans la bouche d‘Elio, et je sens une répulsion remonter le long de ma gorge. Ne pas vomir, surtout, ne pas vomir.

En m'appuyant sur mes coudes, je me redresse, et observe les visages endormis de mes camarades, dans la semie pénombre. Mia est tournée face à moi, et je souris à la vue de son visage apaisé et de son air serein. Elio lui, est dos à moi, je ne distingue donc que ses cheveux. De quoi rêve t-il ? Je ne sais pas si j'ai envie de le savoir. Rêve t-il seulement ? Ou a t-il, lui aussi de terribles terreurs nocturnes ? Des cauchemars infernaux le ramenant tout droit dans une réalité fictive mais tirée du réel, où son père est là, encore et encore ?

Lorsque je tourne la tête pour voir si Léo dort, je sursaute en croisant ses yeux noirs, grand ouverts, me fixant avec un étonnement mêlé à de la fatigue.

  • Oh Lou, tu devrais pas dormir ? murmure t-il.
  • J'y arrive pas. Tu vas trouver ça débile, mais je m'angoisse à cause de la simulation de ce matin.
  • Tout venant de toi est débile. Pas la peine de t'excuser pour un truc dont j'ai l'habitude.

Je ne relève pas, et esquisse un mouvement pour me recoucher, lorsque j'entends son matelas grincer, et que je sens le mien s'affaisser. Il vient de s'asseoir sur le rebord de mon lit, sur la pointe des pieds, sans émettre le moindre son. Sa respiration est régulière, pour lui qui respire tout le temps plus rapidement que la moyenne.

  • Pousse ton gros cul mec, on va causer.
  • Les autres dorment.
  • On va causer, mais pas trop fort.

Je hausse les yeux au ciel, pourtant au courant qu'il ne pourra pas le voir, et me décale afin qu'il puisse s'allonger à mes côtés.

Presque aussitôt, mon corps se réchauffe : Léo à la particularité d'être une véritable bouillotte, ce qui est relativement pratique lorsque l'on ne dispose que d'une minuscule couette aussi épaisse qu'une feuille de riz.

  • Allez balance, qu'est ce qui te tracasse ?
  • Bah à ton avis ? Cette saloperie de simulation. Ça m'a totalement brassé.
  • Je vois ça.

Il marque une pause, et je sens à son souffle, qu'il vient de se tourner face à moi. J'en connais un qui n'a pas été se brosser les dents...

  • Dis Lou, c'est quoi ta plus grosse peur à toi ?
  • Oh, et bien...

Je n'ai pas envie d'en parler, mais alors pas du tout. Surtout à Léo, qui bien que plutôt agréable en cet instant T, ne promet pas de ne pas se servir de ma peur contre moi, plus tard. Surtout que, même si il ne l'avouera pas, ma plus grande peur, il la connaît déjà.

  • Tu veux que je te parle d'abord de la mienne ?
  • Je ne te contrains à rien.
  • Je me doute que tu ne diras rien, si je ne parle pas avant.
  • ... peut-être.

Je me tourne à mon tour face à lui, et mes yeux se perdent dans les siens.

Comment peut-on être aussi blond, et avoir les yeux aussi noirs ?

  • ... j'ai peur d'être seul.

Sa déclaration me fait l'effet d'une bombe. Léo, a peur d'être seul ? Lui qui se la joue tout le temps loup solitaire, voilà qu'il m'annonce avoir peur de se retrouver sans personne autour de lui. Je ne comprends pas.

  • Enfin, seul dans le sens ne plus avoir personne sur qui compter. Tu vois le style.
  • Oui, je vois. Tu as peur d'être abandonné, plutôt non ?
  • ... ouais.
  • Ça a quelque chose à voir avec tes parents ?
  • À ton avis abruti ?

Son ton est cinglant, mais je sais au léger tremblement dans sa voix, que j'ai touché sa corde sensible.

Léo est fier, ça personne ne peut le nier. Il est également une personne de nature assez directe, assez violente, voir blessante dans ses paroles. Et en plus de tout cela, il a une sorte d'obsession de protéger tout ce à quoi il tient. Et, soyons honnêtes, un caractère de merde.

Sauf que Léo, malgré tout ça, malgré toute sa carapace qu'il s'est forgé, reste un gosse qui n'a reçu aucun amour de ses parents, et qui a même du, par leur faute, vivre un temps dans la rue, avant de finir dans une caravane miteuse dans un camping tout autant miteux. Il n'a pas eu une enfance heureuse, loin de là, mais malgré ça, il est d'une force et d'une détermination inébranlable, et c'est en partie ce qui suscite mon admiration pour lui. Rien ne le touche jamais, rien ne le fais plier, alors qu'il aurait toutes les raisons du monde de douter. Tandis que moi, qui ai toujours vécu dans un cocon de protection créé par mon père et ma mère, je pleure pour un rien, et suis le genre de type à se faire racketter à la sortie du lycée. À Liberty, personne ne m'embêtait, mais uniquement parce que j'étais un ami proche de Léo, qui lui était craint par toutes les classes. En définitive, je ne dois ma situation de ''tranquillité'' qu'à la protection qu'il m'apportait plus ou moins volontairement. Et avec du recul, je me demande si lui aussi, n’aspirait pas à une quelconque protection de notre part à Mia et moi. Une protection inconsciente, mais bien présente, un bouclier contre sa peur la plus profonde : ni elle, ni moi ne l’avons jamais abandonné, alors que nous aurions pu le faire à de nombreuses reprises. Une protection mutuelle, un échange de soutiens, voilà sur quoi repose notre amitié, notre trio dynamique.

  • Mais tu sais qu'on t'abandonnera pas, avec Mia.
  • Tu ne peux pas savoir, Lou. On ne peut pas prévoir l'avenir, on n’est pas devins.
  • Oui mais...
  • Pas de ''mais''. Et toi, c'était quoi alors ?

Il insiste le bougre. Cependant, il vient de me faire part de sa peur, et je ne peux donc pas, de ce fait, lui cacher la mienne. Alors, je prends mon courage à deux mains, et inspire par le nez.

  • J'ai peur de ne pas pouvoir agir. Quand les gens ont besoin de moi.

Il ne répond pas tout de suite, mais je sais à quoi il pense. Et je le sens se tendre comme un arc à côté de moi. Sa respiration jusqu'alors plutôt calme, s'accélère légèrement, et je sens un tremblement le secouer de part en part.

  • Je vais aller dormir, me murmure t-il en se redressant, après quelques minutes.
  • Léo, attends, je...
  • ... non, Lou, ça va. Juste... j'ai sommeil. À demain.

Je ne tente pas de le retenir. Je savais que lui parler de ma peur le renverrait à tout ça, et que ce n'est clairement pas le moment de ressasser le passé. Cependant, je ne pouvais pas faire autrement, car ma propre peur inclut sans vraiment le vouloir, l'un de ses souvenirs les plus sombres qu'il partage avec moi. Un terrible secret, que lui et moi seulement avons en commun. Même Mia n'est pas au courant, c'est dire.

La fraîcheur reprend ses droits autour de moi, et malgré la légère caresse de sa main sur mon visage avant de partir, son manque m’étreins brutalement, la culpabilité sa meilleure amie venant me nouer la gorge.

  • Léo ? je murmure en entendant son matelas grincer.
  • Quoi ?
  • Peut être que tu doutes,mais pas moi. On ne te laissera jamais, tu entends ça ?
  • ... bonne nuit, Lou.

Après ça, je l'entends se rouler en boule dans sa couette, avant que sa respiration ne se ralentisse encore d'avantage. Puis, son léger ronflement qui vient s'ajouter à ceux de Mia et Elio.

Tandis que moi, les yeux grands ouverts, je me rends compte qu'en une journée, j'ai réussi à faire pleurer Elio, et à faire du mal à Léo.

Quel génie je fais.

Je ne comprends pas. Non vraiment, quelque chose m'échappe.

Ce matin, nous avons tous été levés en même temps, nous et les autres internes, là où hier, seuls Mia, Léo, Elio et moi avions été réveillés par les soldats-surveillants de Reborn. Mais pas ce matin, non.

À dire vrai, le réveil a plutôt été brutal : notre porte s'est ouverte dans un claquement sonore qui nous a tous tirés du sommeil, puis quelqu'un – le surveillant sans doute – nous a jeté quatre tenues à enfiler avant de descendre dans la cours. Pas de toilette, pas de petit déjeuner, rien.

Les tenues se constituaient simplement d'un pantalon et d'un haut noir, assortis d'une sorte de brassard dont la couleur pouvait varier entre bleu, et rouge.

Mon brassard à moi est bleu, comme celui de Mia, tandis que ceux de Elio et Léo, sont rouges.

Nous sommes ensuite descendus dans la cour, et avons découvert avec une appréhension qui ne cessait de grandir, que tous les autres internes étaient habillés de la même façon que nous, avec au choix, un brassard bleu, ou un brassard rouge.

Puis, on nous a expliqué, que notre dernier test, celui devant évaluer notre condition physique, calculerait également nos aptitudes au combat. Ainsi, répartis en deux équipes, le but était simple : nous avions champs libre sur toute la propriété de Reborn, avec pour seul et unique but, de mettre K-O les membres de l'équipe adverse. Et par K-O, les surveillants nous ont bien expliqué qu'un ''joueur'' serait considéré comme éliminé, seulement au moment où il serait inconscient, ou dans l'incapacité physique de se battre. Bien sûr, aucun coup mortel, et pas le droit aux armes d’aucune sorte.

Pour réussir notre test, nous devions mettre K-O au moins quatre personnes. Et si par exemple, je mettais Léo ou Elio au tapis, cela compterait pour deux personnes. En vérité, ils nous incitent à nous en prendre les uns aux autres, dans notre petit groupe, afin de mesurer nos limites quant à nos liens.

Je ne comprends pas l'intérêt.

Je n'ai cependant plus le temps de m'interroger, car la sonnerie de départ de l'épreuve vient de retentir : pour les autres internes, il ne s'agit que d'un entraînement, mais qui sera noté, d'où leur détermination à s'en prendre aux joueurs adverses. Pour nous, il ne s'agit pas que d'un simple exercice : c'est selon moi, notre survie, qui va se jouer ce matin, à l'intérieur de la propriété de Reborn.

  • Lou, on a pas le temps de rêvasser ! Bouge !

Mia m'attrape par l'arrière de mon tee-shirt, et me tire à sa suite, tandis que de toute part, les affrontements ont débutés. Je ne peux pas me battre, je n'aime pas ça : au lycée, si j'ai choisis MMA, c'est dans le seul et unique but de ne pas être séparé de Mia et Léo. Mais en réalité, je déteste me battre, au grand drame de mon père, qui plus est. Les souvenirs de mes cours de MMA me reviennent, où je passais le plus clair de mon temps à esquiver et à prier un hypothétique dieu de me faire survivre jusqu'à la fin de l'heure. Je m'estime heureux d'avoir tenu jusqu'en terminale sans être renvoyé de Liberty à cause de ça.

Alors de savoir, qu'en plus de me demander de m'en prendre aux autres internes, on me demande surtout de m'en prendre à Elio ou Léo, je me sens faiblir. Je ne pourrais pas lever la main sur eux, là où je me demande si eux auront des remords à lever la main sur moi.

  • Mia attention !

Mon amie se baisse, et esquive de justesse un coup de poing lancé dans sa direction par un joueur rouge, au regard exorbité par l'excitation de ce drôle d'exercice. Elle me lâche, et m'intime de fuir me cacher, le temps que les choses se calment. Cependant, je ne pars pas immédiatement, attendant de voir si elle réussira à se sortir du duel qu'elle vient d'engager avec son adversaire.

Mia est comme Léo : ils sont tous les deux très doués au corps à corps, et n'hésitent pas à se donner à fond, qu'importe les retombées sur leurs adversaires. À dire vrai, au lycée, ils étaient les meilleurs éléments lors des cours de MMA. Et on ne dirait pas, aux premiers abords, mais Mia sait se défendre : malgré son aspect plutôt typique d'une fille dite ''normale'', elle renferme des capacités et une force hors du commun. De plus, si j'ai bien suivi, grâce à Reboot, c'est sa force qui a été décuplée. Elle qui était déjà bonne, va donc devenir excellente.

En un coup de poing dans le cou de son adversaire, elle terrasse ce dernier, et me lance un regard noir.

  • Je t'avais dis d'aller te cacher ! Lou écoute-moi quand je te parle !

Et voilà, on en revient toujours au même problème : son désir de protéger tout le monde, et moi en particulier. On a eu beau lui expliquer, Léo et moi, qu'elle ne peut pas sauver tout le monde, elle ne comprend pas, et s'acharne à tenter de rester en un seul morceau tout en volant régulièrement au secours de personnes dont elle ignore parfois le nom. Un esprit héroïque comprimé par une réalité dure à entendre : on ne peut pas sauver tout le monde.

Je me mets à courir à sa suite, alors qu'elle part en vitesse en direction du gymnase. Les bâtiments sont fermés, mais il nous est autorisé d'en approcher pour nous camoufler ou nous défendre.

Je sens mon cœur battre la chamade tandis que je m'accroupis, totalement essoufflé, derrière la rambarde en pierre des escaliers.

  • De deux choses l'une : la première, tu as vraiment géré contre ce type. La seconde, c'est que je crois bien voir approcher Sarah, si je ne dis pas de bêtise, et... elle a un brassard rouge.

Mia ne répond pas, mais je la vois tendre son cou afin de mieux voir dans la direction que j'observe moi-même, avant de se cacher à nouveau, les sourcils arqués.

  • Je peux pas, marmonne t-elle. L'autre type de tout à l'heure d'accord, mais je peux pas frapper Sarah.
  • On a pas le choix, qui sait ce qui nous arrivera si nous échouons aussi à ce test ?
  • Je m'en fous. Qu'est ce que ça signifie Lou bon sang ? De se foutre sur la gueule jusqu'à ce que notre adversaire tombe inconscient ? Et ce n'est que notre test, alors imagine le reste... peut-être qu'au final, il aurait mieux valu que le Reboot ne nous soit pas injecté. Je veux dire, si notre nouvelle vie incombe de devoir blesser, ou tuer d'autres personnes, ce sera sans moi.

Je ne sais pas quoi répondre, car l'émotion, bien trop grande, me serre la gorge. Je ne suis pas d'accord avec elle, il nous faut nous battre, profiter de cette deuxième chance que le destin a bien voulu nous offrir, mais d'un autre côté...

Je n'ai pas le temps de plus m'interroger, qu'une main me saisit par l'arrière de mon haut, et me tire violemment en arrière. Je comprends trop tard que quelqu'un vient de m'attraper par le dessus de la rambarde derrière laquelle j'étais caché, et le temps que je prenne totalement conscience de ce qui m'arrive, je me retrouve projeté au sol. La personne qui vient de m'attraper, me donne l'impression que je ne pèse rien, tant il me traîne avec facilité à sa suite.

Je me débats du mieux que je peux, pour tenter d'échapper à sa prise, tandis que le premier coup tentant à m'atteindre, me loupe de peu.

  • Lou ! s'écrie Mia.
  • Va t-en ! Je me débrouille, t'en fais pas pour moi !

Elle est toujours perchée en haut des marches, et je la vois hésiter quelques instants, avant de sauter par-dessus cette dernière, et de partir à toute vitesse dans la direction opposée à celle que nous avons prise tout à l'heure.

  • Putain, je pensais pas que tu dirais à ta copine de se barrer, ricane le garçon qui vient de m'attraper.
  • Je n'ai pas besoin d'elle pour t'en coller une !

Alors que je suis toujours au sol, mon dos frottant douloureusement contre les graviers, j'arrive à donner une certaine impulsion à mes jambes afin de me délivrer de l'emprise de mon vis à vis, avant de me relever, pour lui faire face.

  • Allez, à nous deux ! Approche si tu l'oses !

Comme si cette ridicule provocation allait l'impressionner. Quel génie je fais.

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