5 (partie 1)

8 minutes de lecture

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Lou

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La fête bat son plein, tout autour de nous. Les spots lumineux au plafond renvoient des halos de lumière colorées sur la piste de danse en parquet, et la musique, pulsant au rythme des énormes enceintes présentes sur la scène, me procure une sensation de flottement. J’ai l’impression que le cœur dans ma poitrine va sortir de ma cage thoracique pour aller danser de lui-même au milieu de mes parents et de leurs amis, à moitié ivres.

Du haut de mes neuf ans, je me faufile du mieux que je peux entre les danseurs, et retrouve Mia et Léo, non loin de moi, en train de s’amuse comme le feraient des enfants de nos âges.

Mia porte une robe, c'est rare. Avec de la dentelle et des rubans, on dirait une véritable princesse. Léo lui, arbore un jean noir et une chemise bordeaux, ainsi qu'un grand sourire en coin, le regard plus ou moins amusé par la situation.

  • Voilà le loup, s'écrie t-il en me voyant arriver.
  • Arrête de m'appeler comme ça, je marmonne de ma petite voix. Lou c'est mon prénom.
  • C'est un prénom de fille.
  • Non, c'est mixte !

Je tord du nez, vexé par cette agression directe sur mon prénom, et roule des yeux en avisant l'air satisfait de Léo : il est heureux de me faire sortir de mes gonds.

  • Laisse-le ! s'exclame Mia. Arrête de l'embêter.
  • Oh, on peut pas rigoler avec lui, boude t-il.
  • Ce n'est pas drôle de se moquer.

Je ne comprendrais jamais comment Mia fait pour le canaliser de la sorte. Cependant, une chose est sûre, elle arrive à le remettre à sa place mieux que personne.

À l'école, quand Léo fait le malin ou embête les autres, c'est Mia qui le gronde, pas notre professeur. Ou bien, lorsque dans la cour, il se bat et se blesse, c'est elle qui le force à aller voir l'infirmière, car sinon, il n'irait pas.

C'est un peu comme sa mère, avec la seule différence qu’ils ont le même âge.

Bip... bip... bip... bip...

J'ouvre les yeux d'un seul coup, réveillé par le bruit régulier autour de moi. C’est presque... apaisant, alors que je me sentais agité dans mon sommeil.

Je tâtonne tout autour de moi du mieux que je peux. Où est-ce que je suis... ?

Peu à peu, je prends connaissance de mon environnement en serrant entre mes doigts moites les draps rigides et blancs qui me recouvrent, et fronce les sourcils à la vue de la perfusion à mon poignet.

Tout est blanc autour de moi, si bien que mes yeux ont du mal à rester ouverts, encore peu habitués à cette luminosité nouvelle et agressive.

J'ai mal à la cuisse. Ça me lance, à l'intérieur. J'ai l'impression que mes muscles sont en train de faire un effort auquel ils ne sont pas habitués, alors que je ne bouge pas, et reste allongé dans mon lit.

Je crois que je suis à l'hôpital...

Et soudain, quelques bribes de la nuit passée me reviennent en tête, et je sens mon sang battre plus fort à mes tempes. Devant mes yeux se rejouent les terribles événements de la nuit dernière : les cris, l'électricité coupée, les hommes armées, notre cachette au troisième étage, la fuite de Léo et Elio, Mia cagoulée et...

  • Léo ?

C'est le premier mot que je prononce en sentant ma gorge se déchirer. Je l'ai presque crié, mais la panique, qui me serre alors le ventre, est trop grande, et son prénom sort d'entre mes lèvres en un couinement aiguë et distordu.

  • Léo ? je répète.

Il s'est prit une balle dans le ventre, je m'en rappelle. Je l'ai vu, bien qu'à ce moment-là, j'étais déjà à terre, la cuisse en sang.

Où est-il ? Et où est Mia ?

  • Léo !!

Je me redresse dans mon lit, et le ''bip'' qui était jusque là régulier, s'accélère dangereusement.

La douleur dans ma cuisse m'arrache un cri perçant, et je me rallonge aussitôt, haletant, les larmes aux yeux.

  • S'il vous plaît..., je murmure en retenant quelques sanglots de douleur. Quelqu'un...

Je serre entre mes doigts le drap et me mords la lèvre afin de retenir un autre cri de douleur.

  • Tu ne devrais pas t'exciter comme ça, tu te fatigues pour rien.

Cette voix, je la connais. Plutôt suave, avec encore quelques nuances d'une mue qui n'est pas terminée, tout en restant douce et très agréable à écouter.

  • Elio ?

Je tourne la tête dans la direction de la voix, et constate alors pour la première fois depuis mon réveil que je ne suis pas tout seul dans la chambre. Mon nouveau colocataire est lui aussi étendu dans un lit, branché à une poche de liquide bleu tout comme moi, avec un bandage autour du cou, ainsi qu'une compresse sur l’œil droit.

  • Wouah, t'es salement amoché, je murmure en le fixant.
  • Attend de voir ta jambe, tu es pas mal non plus.

Toujours ce ton plat, sans aucune trace d'une quelconque émotion autre que la retenue.

Était-il déjà réveillé, ou bien seraient-ce mes cris qui l'ont brutalement tiré du sommeil ?

  • Léo était en soin intensif, mais il va s'en sortir. Quant à Mia, elle est dans la chambre à côté je crois. Alors détends-toi, ok ?

J'aimerais me détendre, vraiment, mais de savoir que Léo a été en soin intensif ne me rassure pas vraiment. Est-ce qu'il va garder des séquelles ? Des risques de rechute ? Et Mia, quel est le degré de gravité de ses blessures ?

La porte de notre chambre s'ouvre, et un médecin escorté d'un infirmier et d'une interne entrent, deux dossiers entre les mains.

  • Alors..., les miraculés de Liberty..., marmonne t-il en s'asseyant sur le rebord de mon lit.

Les quoi ? J'ai bien entendu ''miraculés'' ?

  • Vous avez bien dormi les garçons ? Surtout toi Lou, trente-deux heures de sommeil presque complètes, je te félicite.
  • Pardon ?
  • Tu avais besoin de te reposer après la blessure que tu as reçue. Et toi Elio, comment va ton cou ?

Je coule un nouveau regard dans la direction d‘Elio et détaille un peu plus son bandage autour du cou, n'ayant aucun souvenir du moment oû c’est arrivé.

  • Oui, merci. Ça tire un peu, mais rien de bien méchant.
  • Étonnant, vu l'entaille. On va faire un check up rapide, et ensuite vous pourrez vous reposer un peu. Ah oui, aussi, votre amie Mia va passer vous voir. Elle nous bassine depuis tout à l'heure, et à dire vrai, elle est épuisante.

Je sens mon cœur se gonfler à l'entente de son prénom, et retient un sourire qui menace d’étirer mon visage. Si elle est si insupportable que ça, c'est que ses blessures ne doivent pas être trop graves.

Je laisse le médecin m'examiner, observe l'infirmier faire de même avec Elio, et finalement, retombe sur mon oreiller, fatigué.

  • Dis Elio, je demande une fois que le médecin est parti. Qu'est ce que tu t'es fais à la gorge ?
  • Oh ça ? Après que vous soyez tombés, toi , Mia et Léo, je me suis occupé du dernier mec, mais il a eu le temps de me donner un coup de couteau dans le cou et de me faire un œil au beurre noir. Enfin, rien de bien méchant par rapport à vous.
  • Quand même ! Un coup de couteau dans le cou ?
  • Oui, mais il n'a pas touché d'artère, alors tout va bien. Du moins, c'est ce que m'ont dit les médecins.

J'écarquille les yeux face à son calme, étonnant face à la situation, et m'apprête à poser une nouvelle question, lorsque la porte de notre chambre s'ouvre à nouveau sur Mia, le sourire aux lèvres.

  • Alors les garçons ? Est-ce que ça va ?

Elle avance d'un pas, et je remarque un bandage autour de son crâne, ainsi que sa lèvre fendue et ses imposantes cernes sous les yeux.

  • Mia, je murmure.

Elle s'approche de moi, et me prend contre elle avec précaution, soucieuse de ne pas me faire plus mal que de raison.

Ma colonne me lance un léger éclair de douleur, mais je n'en tiens pas compte et rends son étreinte à mon amie avec ferveur.

  • Bon sang, j'ai eu tellement peur, chuchote t-elle contre mon cou. Quand il a tiré, et que tu as crié, j'ai cru que...
  • Tout va bien, je la coupe. Je suis en vie, Léo et Elio aussi, donc ça va aller.

Elle recule, hoche la tête en m'offrant un sourire rassurant, et se détache de moi pour s'approcher d‘Elio. Je la regarde s'asseoir sur le rebord de son lit et se mordre pensivement la lèvre.

  • On peut pas dire que tu as choisis le bon internat.
  • Oui, j'aurais mieux fait de me casser une jambe plutôt que de prendre la voiture pour venir, l'autre jour.
  • Tu m'étonnes. Tu pourras raconter ça à tes enfants plus tard.

Elle marque une pause, et pose ses doigts sur le bandage au cou de notre nouvel ami, avant de poser la question, que je m'apprêtais moi-même à prononcer avant son arrivée.

  • Qu'est ce qu'il s'est passé, après que nous soyons tous tombés ?
  • Et bien, commence t-il, un dernier type est arrivé, celui qui a tiré sur Léo. Il voulait finir le travail, selon ses dires. Et... il venait du troisième étage.

Mon cœur cesse de battre un bref instant. Du troisième étage... ?

  • Il a sûrement dû prendre la seconde entrée, à l'opposé de la nôtre, murmure Mia.
  • Il a cru que vous étiez morts et ne s'est donc pas préoccupé de vous. Il m'a attaqué, et m'a laminé, je dois dire. Après ça, j’ai un trou. Je me souviens juste d’un flash lumineux, puis plus rien...
  • Il n'y a plus que nous quatre... ?

Ma question pétrifie mes deux camarades sur place, et lorsque Mia se retourne vers moi, je vois aux coins de ses yeux des perles salées prêtes à couler si elle ouvre à nouveau la bouche.

Je ne comprends pas ce qu’il m'arrive, mais une chose est sûre : la sensation que je ressens est sans aucun doute la même que celle que ressentent les gens sautant d'un immeuble, l'impression terrible de chuter sans accroche, et de voir le sol se rapprocher de plus en plus vite. Ici, le sol, c'est le nombre de rescapés de cet attentat, s'élevant à l'insipide nombre de quatre.

Ma main sur le drap se crispe et je sens mes larmes couler à flot sur mes joues.

Comment a t-on pu échouer à ce point ? Au final, nous n'avons sauvé personne et pire encore, nous avons perdu Charline. Mon cœur se serre et mes joues s'enflamment de colère contre moi-même, les hommes étant venus nous assassiner et contre notre incompétence à réagir à temps.

  • Et les surveillants ? je hoquette.
  • ... pas de nouvelles. Mais..., je ne me fais pas de faux espoirs.

J'ai rarement eu aussi mal, que ce soit physiquement ou émotionnellement. C'est comme si mon cœur recevait des milliers de petits coups d'aiguilles et que je ne pouvais rien y faire.

Non, nous ne pouvons plus rien faire. Plus maintenant que le mal est fait.

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