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Lou

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     La sonnerie explose, et je me redresse d'un bond, cette fois-ci tiré du sommeil par autre chose que mes cauchemars. Il fait déjà jour dans notre chambre, et du coin de l’œil, je vois Léo en train de se préparer pour la douche. Lui aussi a vu que j'étais réveillé, mais ne fait aucun commentaire, se contentant d'attraper ma serviette en éponge pour me la jeter à la figure. Je tords du nez en amortissant le choc mou de cette dernière, et soupire.

  • Bouge, si tu veux pas avoir la douche handicapée.

Je ne vais rien dire sur l’absence de mots agréables au réveil, étant donné la nuit écourtée qu'il a eu à cause de moi, et donc de sa mauvaise humeur accrue. D'ordinaire, il est déjà imbuvable le matin, alors lorsque le sommeil lui manque, il devient totalement infréquentable.

Je me dépêche de sortir de sous ma couette pour me fondre dans l’air frais que nous offre notre chambre, et me hâte de retirer mon tee-shirt et mon short afin d'enfiler une serviette autour de ma taille, avant de suivre Léo dans le couloir.

Tous les matins, nous assistons à ce que nous appelons, lui et moi, la ''déferlante''. C'est à dire, la vague de garçons de notre étage se rendant compte que peut-être, il serait avisé de se doucher avant de retourner en cours, et qui donc, se ruent dans les douches communes, créant ainsi un déséquilibre horaire plutôt embêtant. Car, pour un étage de trente-cinq garçons, il n'y a que cinq douches. Alors, chaque matin, Léo et moi nous dépêchons de rejoindre les sanitaires dès la sonnerie afin d'éviter d'écoper de la douche handicapée qui fait partie des quelques cinq douches mises à notre disposition, et qui en plus de ça est la seule à avoir un problème de régulation d’eau.

En chemin, je croise Hugo, qui lui a trouvé la méthode imparable : il se lève trente minutes avant la sonnerie de six heure et demie, et ainsi, ne croise personne. Bien sûr, il sacrifie de son sommeil, et je me demande comment il arrive à tenir sans ces précieuses trente minutes, mais au moins, il est certain de toujours avoir le luxe de choisir entre les autres douches valides de notre étage. Et surtout, il esquive cette situation que nous redoutons tous : tomber sur une douche qui n'a pas été nettoyée après usage. La seule vue de ce véritable enfer sur terre peut vraiment ruiner une journée.

  • Pas d'eau chaude, nous lance -t-il en passant près de nous.
  • Pardon ?!

Le cri de Léo me pétrifie sur place et j'ose à peine tourner la tête pour voir son expression. Il a une voix grave, plutôt suave, mais lorsqu'il crie, il a la désagréable habitude de monter dans les hauteurs, et d'ainsi laisser sa voix craquer.

  • Ouais, j'ai essayé toutes les douches, pas moyen d'avoir de l'eau chaude.
  • Ils commencent à me faire chier ! Je paye pas trois cent balles par mois pour me laver le cul à l'eau froide ! Où est le pion ? Il est où ?!
  • Il n'y est pour rien, tu le sais ça ? tente de le tempérer Hugo.
  • Rien à foutre, je veux de l'eau chaude.

Sur ces mots, il rebrousse chemin, resserre sa serviette autour de sa taille, et se rue jusqu'à la chambre de notre pauvre surveillant d'étage qui doit de toute manière y être enfermé à double tour : la légende dit qu'il fait ça par peur des crises de nerf de Léo. Et qui serais-je pour l'en blâmer, moi qui suis sa principale cible lorsqu'il a besoin de se défouler ? Lors de ses orages de colère, il vaut mieux avoir une bonne planque.

De mon côté, je me fais à l'idée que ce matin je me laverai à l'eau froide, et adresse un signe de tête à Hugo avant de prendre la direction des salles de bains desquelles j'entends déjà des cris de protestations.

Cette journée commence définitivement dans un climat bruyant.

...

Je grelotte. Bon sang, je grelotte ! Pas étonnant, après ma douche glaciale couplée avec le manque de chauffage à notre étage. Ils nous prennent vraiment pour des animaux dans cet internat.

Léo, enfin calmé, s'est finalement lavé tout en injuriant la Terre entière, avant de se défouler sur moi dans la chambre, me hurlant dessus à cause d'une misérable chaussette qui traînait dans ''sa zone''. Autrement dit, toute la partie gauche de la chambre. La vie en collectivité ne convient vraiment pas à cet ours anthropomorphe.

Évidemment, je n'ai pas répondu : quelle est l'utilité de répondre à un cocker qui aboie à cause d'un pied ayant écrasé sa queue ? Aucune, il ne pense qu'à sa queue et se contente de japper, sans mordre, alors autant le laisser aboyer.

Ça sent le pain et la confiture au rez-de-chaussée. Mia doit sûrement déjà s'y trouver, nous attendant avec une impatience qu'elle ne se gênera pas de manifester lorsque Léo et moi aurons passé la porte de la cantine. Elle déteste avoir à nous attendre tous les matins.

En parlant de lui, il me talonne de quelques marches, et semble pourtant loin d'être prêt. Sa chemise n'est pas boutonnée correctement, son nœud de cravate est mal fait, et il lui manque une chaussure.

Notre lycée nous impose un uniforme, rien de bien excentrique bien sûr, juste une chemise rouge avec une cravate noire et un ensemble blaser et pantalon noir pour les garçons, jupe pour les filles. La seule chose que nous avons le droit de choisir, ce sont nos chaussures. Apparemment, il s'agirait d'un dispositif éducatif afin d'éviter les inégalités. Moi je pense surtout que c'est un choix du lycée, afin que nous ayons une certaine prestance face aux autres lycées de la région. Car après tout, nous sommes l'élite. Et puis, une seule paire de chaussures est bien suffisante pour dénoter des inégalités sociales, aucun doute là-dessus. On ne me fera pas croire que je suis le seul à l’avoir remarqué.

Le lycée Liberty a l’originalité d’être l’un des seuls parmi les régions environnantes à proposer un choix impressionnant d‘options sportives : danse, football, basket, art martiaux, athlétisme, gym, équitation, et j'en passe. De ce fait, les places se font rares, et les possibilités d'intégrer l'internat le sont encore plus. Trente-cinq places chez les garçons, la même chose chez les filles, ce qui ne laisse pas énormément de possibilités.

  • Bon, tu vas la mettre cette chaussure ou pas ? je soupire en le voyant manquer de peu de tomber en loupant une marche.
  • Je t'ai sonné ? Je fais ce que je peux, si on avait eu de l'eau chaude, je serais prêt.
  • Oui, sûrement. C'est vrai que l'eau chaude y est pour beaucoup. Dépêche, Mia doit nous attendre, alors active-toi.

Il ne répond rien, se contentant de pousser un râle de colère. Lorsque nous arrivons enfin au rez-de-chaussée, il a ses deux chaussures et sa carte de cantine entre les dents.

La salle de réfectoire est presque déserte à cette heure-ci : la majorité des internes préfèrent manger soit très tôt, soit très tard, ce qui fait que nous avons la paix durant l’entre-deux.

Mia est attablée devant son plateau couvert de petits pains beurrés, et fronce les sourcils en nous voyant arriver. Cependant, elle ne fait aucun commentaire, préférant sans doute attendre que nous soyons assis en face d'elle pour nous inonder de remarques réprobatrices.

Un regard circulaire dans le réfectoire me permet de constater la présence du proviseur à la table des surveillants. Il est accompagné d’un garçon qui doit avoir notre âge. Il a l'air perdu et ne porte pas d’uniforme.

  • Prenez-moi une dosette de beurre ! brame Mia. Et bougez-vous, on va être à la bourre !
  • Tu vas te calmer oui ? Il est même pas sept heures trente, on ne commence que dans une demie-heure !
  • Peut-être, mais vu comme tu manges lentement, il vaut mieux prendre de l'avance !

Léo mime un pas dans sa direction, avant de se résigner et d'attraper un plateau afin de sélectionner ce qu'il va déjeuner.

Lui et Mia se connaissent depuis la maternelle. Apparemment, ils se seraient adressés la parole, car Léo, à l'époque, aimait jouer avec les orvets du jardin pédagogique. Et quelle chance, Mia aussi ! Ils sont donc devenus amis autour de petits serpents répugnants, et depuis, ne se sont plus quittés. Moi, je me suis greffé à leur duo en primaire, malgré les vives protestations de Léo, qui n'avait sûrement aucune envie de partager sa meilleure amie avec quelqu'un d'autre.

Je termine de remplir mon bol de lait, et vais rejoindre Mia à sa table, tout en gardant un œil discret posé sur le proviseur, à quelques tables de nous.

  • Tu m'as pris un beurre ?
  • Oui, je réponds en lui donnant la petite dosette.

Elle me gratifie d'un large sourire avant de me faire la bise et de se remettre à tartiner ses petits pains.

Léo nous rejoint quelques secondes après, son bol rempli de café, avec une assiette monstrueuse d’œufs brouillés et de bacon crépitant.

  • Tu sais qu'on a pas entraînement aujourd'hui ? je lui lance en ouvrant mon yaourt.
  • Tu as décidé de me les briser ce matin ?
  • Je dis juste que c'est pas la peine de t'enfiler autant de protéines.
  • Et de mauvaises graisses, complète Mia.

Léo redresse la tête et nous dévisage avec mauvaise humeur, avant de se remettre à manger sans plus nous considérer.

Mia, qui semble préoccupée, finit par me demander avec discrétion ce que m'inspire la présence du proviseur à la cantine aussi tôt le matin.

  • J'en sais rien, je réponds en mâchouillant mon pain au lait. Et tu as vu le mec avec lui ?
  • Ouais, je l'ai croisé en entrant dans le self. Il ressemble à un robot. Totalement creepy le type, aucune expression faciale.

Je penche la tête sur le côté, étonné de sa drôle de comparaison tandis que Léo en profite pour s'insérer dans la conversation.

  • Vous pensez que c'est un nouveau ?
  • Au mois de novembre ? Non, pas possible, répond Mia.
  • Alors qu'est ce qu'il fait là ?
  • Peut-être un stage d'observation ?
  • Hé les jeunes ?

Nous tournons tous la tête dans la même direction lorsque la voix de notre surveillant nous interpelle. Dans un même mouvement de tête, nous constatons que le garçon accompagnant le proviseur se trouve presque à nos côtés, escorté par notre surveillant.

  • Léo, Lou. Je vous présente Elio, le fils de monsieur Criada. Il vient d'intégrer Liberty, ainsi que l'internat, et j'ai décidé de le placer dans votre chambre : comme tu es délégué Lou, et que vous êtes plutôt bien intégrés tous les deux...
  • Pardon ? s'étrangle Léo.
  • Ça pose un problème peut-être, Léo ?
  • Euh ouais. J'ai déjà du mal à supporter l'autre tache et ses terreurs nocturnes, c'est pas pour me taper le fils du dirlo qui pourra en plus nous balancer si on fait des conneries.
  • Léo..., grince Mia avec mauvaise humeur.
  • Quoi ? On est déjà super bridé ici, c'est pas pour en plus se coltiner un infiltré. Je refuse.
  • Tu n'as pas le choix, soupire notre surveillant. Et sois un peu plus accueillant je te prie. Ça doit déjà être assez difficile pour lui d'intégrer le lycée en cours d'année.
  • Et vous croyez que c'est pas difficile pour nous de vivre ici ? De se peler le cul sous l'eau froide, de pas avoir de chauffage, de devoir attendre une plombe le soir le temps que vous fumiez vos clopes avant d'enfin pouvoir rentrer ? Et puis, si c'est le fils du directeur, pourquoi il reste pas chez lui ?

Mia, telle une furie, bondit presque de sa chaise et lui assène une grande claque derrière la tête, avant de se rasseoir, affichant son plus beau sourire devant le surveillant.

  • Excuse-le, murmure t-elle. Il est...de très mauvais poil ce matin.
  • Quoi ?! Je ne suis absolument pas de-...
  • Maintenant tu la fermes, s'énerve t-elle. Ou je peux t'assurer que ton petit cul sous l'eau froide sera le cadet de tes soucis !
  • Merci Mia. Bon, Lou, tu tâcheras de rendre l'arrivée d‘Elio agréable pour tout le monde ?
  • Je n'y manquerais pas, je réponds en souriant.
  • Bien, dépêchez-vous, les cours commencent dans quinze minutes. À ce soir.

Notre surveillant s'éloigne enfin et je croise le regard d‘Elio avant qu'il ne nous tourne le dos pour retrouver son père.

Il a... un air atypique. Des cheveux mélangeant le roux foncé et le châtain, donnant une sorte de couleur tirant fortement sur le rouge, ainsi que des yeux hétérochromes ; un bleu et un vert.

De plus, je remarque avant qu'il ne parte, qu'une cicatrice plutôt ancienne barre sa pommette gauche.

Lorsqu'il est enfin assez loin, je me retourne face à Léo et le foudroie du regard.

  • C’est quoi l’idée ? Tu veux qu’il se suicide ?
  • Je ne veux pas de lui dans la chambre.
  • Et bien pas de bol, parce que je peux t'assurer qu'il intégrera notre chambre ce soir, que tu le veuilles ou non. On se voit en cours.

J'attrape mon plateau désormais vide et quitte la salle de réfectoire sans un regard pour Léo, qui me braille pourtant de revenir avec toute la force dont il dispose. Il n'est même pas huit heures, et pourtant, je suis déjà épuisé.

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Mia

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La journée se déroule finalement dans un calme plat, compte tenu de son début explosif. Léo peut vraiment être épuisant quand il se met à hurler à tout va pour un oui ou pour un non, comme si sa seule réponse aux questions quotidiennes se trouvait uniquement dans la colère.

Lou a de la chance dans son malheur : il n'a pas à le supporter la journée, n'étant pas dans sa classe. Moi par contre...

Il m'a bassinée toute la matinée avec ses histoires de vie privée et de choix de colocataires, à tel point que j'ai fini par changer de place en milieu de deuxième heure afin d'aller m'isoler pour enfin pouvoir suivre le cours.

Il est dix-huit heures, la sonnerie vient de retentir. Je suis en train de ranger mes affaires, quand je vois Léo fondre sur moi avec un air crispé au visage.

  • Si tu prononces les mots ''Elio'' ou ''chambre'', je te bute, on est clair ? je gronde.
  • J'en reviens pas que tu m'aies aussi lâchement abandonné.
  • Tu veux que je pleure ? Tu n’arrêtais pas, et je te rappelle qu'on prépare notre bac. Alors peut-être que tu as envie de le louper, ou bien que tu te sens au-dessus des révisions, mais moi j'ai besoin d'écouter en cours.

Il se détend un tant soit peu et baisse la tête, prenant sans doute conscience de son immaturité.

  • Ouais, s'cuse. Allez, dépêche, on doit aller accueillir le nouveau.
  • Léo, un bon conseil : tu le laisses tranquille ok ? Il avait déjà pas l'air bien ce matin, alors zen. Il a bien le temps de découvrir ton sale caractère.
  • Je crois qu'il en a déjà eu un léger aperçu ce matin, lance une voix derrière nous.

Je suis la première à me retourner, pour tomber sur Lana, une fille de mon étage avec laquelle je n’ai pas de très bonnes relations . Elle est... bien trop superficielle à mon goût. Le genre de fille à se mettre en avant en toutes circonstances, à exhiber sa richesse et sa beauté refaite. Des lèvres chirurgicalement améliorées, assorties à ses extensions capilaires...un peu too much, pour une fille d’à peine dix-huit ans. Tout mon contraire, à dire vrai : moi qui m'habille à la va-vite, qui ne fais pas d'esclandre pour me faire remarquer, ou qui a autant de préoccupation pour mes cheveux qu'un accro aux fondues bourguignonnes pour la cause vegan.

Elle passe une de ses mèches de cheveux impeccablement lissées derrière son oreille, et nous jauge, Léo et moi, d'un regard hautain. Je sais qu'elle ne le fait pas exprès, mais bon sang, qu'est ce qu'elle peut m'énerver !

  • Sérieux Léo, je savais que tu avais un caractère de cochon, mais là...
  • Je t'ai sonnée toi ? Laisse-moi tranquille, c'est pas toi qui va te le taper dans ta chambre.

Ils partent dans un débat animé, ponctué de grands gestes qui me fatiguent. Alors, j'attrape mon sac, glisse un discret « je descends » à Léo, et prends congé des deux furies.

Le bâtiment est presque désert maintenant. Les externes sont déjà partis, il ne reste donc que nous.

Le lycée et l'internat, ainsi que les structures sportives, sont regroupés sur un seul et même site : ainsi, les déplacements sont facilités. Cependant, bien que tout ce système ait été pensé pour nous faciliter la vie, nous ne sortons presque jamais hors de l'enceinte de l’établissement, ce qui créé un sentiment d'emprisonnement qui nous étouffe un peu. Même nos mercredis après-midi, qui devraient pourtant être sources de soulagement, nous les consacrons souvent à du renforcement musculaire ou du soutien scolaire pour ne pas perdre le rythme. Ce lycée représente l'élite, nous ne pouvons nous permettre d'obtenir moins de quatre-vingt-dix-neuf pour cent de réussite au bac.

Le soir, nous devons tous nous retrouver à dix-huit heures en salle d'étude pour que notre surveillant général puisse faire l'appel puis, jusqu'à dix-huit heures quarante-cinq, libre à nous de faire ce qui nous plaît, tant que nous ne nous éloignons pas de la salle.

Lou est déjà assis à notre table habituelle, dans le fond de la salle, et je le rejoins en tentant d'ignorer le fait que le nouveau, Elio, est assis seul quelques tables plus loin.

  • Oh yes, tu as semé l'autre énergumène.
  • Pas pour longtemps, rassure-toi. Il est en train de se battre avec Lana.

Il lève les yeux au ciel, et retire ensuite son sac de la chaise à côté de lui afin que je puisse m'y asseoir.

Lou est quelqu'un que j'ai parfois du mal à cerner. Il est très intelligent, vraiment gentil, et pourtant, cela fait des années qu'il subit le mauvais caractère de Léo sans broncher. Il pourrait l'envoyer balader une bonne fois pour toute, mais il n'en fait rien.

Lorsque nous l'avons rencontré en primaire, il était le genre de gamin timide que les autres embêtaient régulièrement. Alors, je l'ai plus ou moins pris sous mon aile, ne tenant pas compte les vives protestations de Léo, que j'ai rapidement remis à sa place malgré mon jeune âge. Depuis, une sorte de rivalité s'est instaurée entre eux. Pourtant, au-delà de ça, je sais qu'ils tiennent énormément l'un à l'autre. La preuve en est, il y a deux ans maintenant, j'ai pu noter une nette amélioration de leur relation : lors de leurs disputes, ils n'en venaient presque plus aux poings. Primitif, mais nécessaire dans leur drôle de relation de force. Je n’ai jamais eu le fin mot de l’histoire, étant en Afrique à ce moment-là, mais quelque chose avait changé, indéniablement.

  • Lou, tu as encore fait des cauchemars ?
  • Comment tu le sais... ?
  • Tu as des cernes terribles sous les yeux. On dirait que tu as quarante ans.

Je souris, entoure ses épaules de mon bras pour le rapprocher de moi et nicher mon nez dans son cou.

Lou a un physique qui ne ressemble pas à ceux des autres garçons de nos âges : il est plus petit que moi - en sachant que je suis plutôt grande – et malgré sa bonne structure physique, semble tout de même plus menu que la moyenne. De plus, son visage d'ange assorti à ses cheveux noirs et ses yeux bleus lui donnent un air tellement innocent que c'en est presque caricatural. C'est d'ailleurs sûrement en partie à cause de cette apparence que je me suis rapprochée de lui en primaire, afin de le protéger du monde extérieur, lui si fragile. Le parfait opposé de Léo, qui avec sa mine presque toujours renfrognée et son physique imposant, déconseille vivement aux inconnus de l'approcher. Un peu comme un chien à l'apparence féroce, mais qui, au fond, est une brave bête.

La porte de l'étude s'ouvre à nouveau et des cris d'animaux remontent alors jusqu'à nos oreilles : les options commerce. Ils ne m’ont jamais rien fait directement, mais qu'est ce qu'ils peuvent m'énerver.

C'est bien simple, ils se pensent tout en haut de la pyramide hiérarchique de l'internat alors qu'il n'en est rien. Ils sont huit, cinq garçons et trois filles. Tous aussi prétentieux les uns que les autres et se pensant surpuissants de part leur nombre.

Je les regarde entrer avant de m'en désintéresser pour revenir à Lou lorsque je remarque du coin de l’œil que quelque chose va poser problème.

  • Mec, c'est notre table ça, dégage.

Je me redresse et pose un œil discret sur la table où Elio est assis, et face à laquelle la bande des « commerces » s'est arrêtée. Il les regarde avec interrogation et je le comprends : comment pouvait-il se douter que cette table était attitrée ?

Chacun a une place bien définie et occupe un rôle aux contours nets et précis. Pas de place à l'improvisation, lorsque tout, du cercle d'amis à la table, est réglé comme du papier à musique.

  • Oh, t'es sourd ? Va te trouver une autre place !
  • Du calme Louis, ricane une fille du groupe. C'est le fils du dirlo, vas-y doucement.
  • Ah ouais ?

Le sourire de Louis, le ''chef'' de la bande, double de volume, tandis qu'il avance d'un pas menaçant vers Elio.

  • J'avais un message à faire passer à ton père, ça tombe bien, hein le rouquin ?

Cette fois je réagis au quart de tour et bondis de ma chaise avant que Louis n'ait le temps de joindre le geste à la parole, son poing déjà en l'air.

En trois enjambées, je me suis immiscée entre eux, face à Louis, qui me regarde avec un étonnement furieux.

  • Mia ? Qu'est ce que tu veux ?
  • Tu allais vraiment le frapper ? Pauvre type va, dégage !
  • C'est notre table, et tu le sais.

Je grimace, lui démontrant que je n'ai vraiment rien à faire de ses arguments aussi solides que de la pâte à modeler, et lui désigne une autre table du menton.

  • Il y en a une autre là-bas.
  • Oh Mia, qu'est ce qu’il se passe ici ?

Je le maudis depuis ce matin, mais bon sang, que je suis contente de le voir à cet instant précis.

Léo vient de passer la porte, le regard grave, et à ma seule vue face à Louis, ses sourcils s'arquent d'autant plus.

Il se rapproche rapidement, et analyse la situation du regard, avant d'afficher un sourire carnassier à la direction de Louis et de sa bande.

  • Si tu touches à Mia, tu sais ce qui arrivera, hein abruti ?
  • C'est bon, je lui ai rien fait, se défend Louis, soudainement dépourvu de toute sa belle assurance.
  • Ouais, super. On va vous laisser votre table, on prend le nouveau avec nous, mais n'y reviens pas où je te pète une molaire, clair ? Tu me fais pitié va, minable !

Louis hoche vigoureusement la tête tandis que Léo me fait signe de circuler.

  • Viens, je lance à Elio en lui prenant le bras.

Il se laisse faire, tout en opposant une certaine fermeté lorsque je le tire à ma suite. Son visage est totalement fermé et son regard glacial.

Lou, toujours à notre table, observe Léo se laisser choir avec brusquerie, puis sonde Elio du regard tandis qu'il s'assied calmement en face de lui.

  • Dommage qu'il t'en ait pas collé une, ça me manque de ne plus les frapper. Ce type a une grande gueule mais rien dans le froc, j'te jure, quelle merde !
  • Si tu te bats encore dans l'enceinte du lycée, tu seras exclu, je gronde.
  • On ne se bat pas lorsque l'un tabasse l'autre.
  • C'est vrai que c'est carrément mieux, approuve Lou. Léo tu t’entends déblatérer ?

Léo lui lance un regard furibond et ils recommencent à se chamailler.

Je profite de ce laps de flottement créé par leur dispute pour me tourner vers Elio.

  • Tu dois penser qu'on est un lycée de sauvages... ?

Il semble étonné que je m'adresse à lui mais se tourne tout de même un peu vers moi afin de montrer l'intérêt qu'il me porte.

  • Oui, un peu. Entre ce matin, et ça, je commence à me demander où est-ce que j'ai atterri.

Il est si sérieux, c'est déstabilisant. Son regard est toujours glacial, et son expression figée. Comme si... rien ne l'animait.

  • T'en fais pas. J'ai envie de te dire que c'est presque normal, ici.
  • Ah oui ?
  • En quelque sorte oui. Il y a une espèce de démonstration de force perpétuelle entre les différents groupes. Les commerces, les scientifiques, les filles populaires, et nous. Tu vois un peu le genre ? Une sorte de Hunger Games entre les différentes filières. Personnellement, ça me fait plutôt rire.

Il incline légèrement la tête, marquant sans aucun doute son scepticisme quant à mes propos.

  • C'est... particulier comme fonctionnement.
  • Tu l'as dit. J'aimerais bien dire que c'est partout pareil, sauf que je ne sais pas comment ça se passe ailleurs, alors... Au fait, je m'appelle Mia, mais j’imagine que tu le sais déjà.

Je lui tends la main, qu'il met un court instant à saisir, avant de m'adresser un fantôme de sourire.

  • Elio Criada. Mais j’imagine que tu le sais déjà.
  • Ouais au fait, lance alors Léo, qu'est-ce que tu viens faire ici ? Je veux dire, si je dois t'accueillir dans ma piaule, j'aimerais au moins savoir pourquoi tu débarques comme ça en milieu d'année.

Le regard d‘Elio, qui s'était légèrement animé, redevient sombre lorsqu'il pose les yeux sur Léo.

  • J'ai été viré.
  • Wouah, respect. Moi j'ai jamais réussi et pourtant, c'est pas faute de leur avoir fourni des motifs. Pourquoi t'as été renvoyé ?
  • Il a peut-être pas envie d'en parler, marmonne Lou.
  • Effectivement, je n’en ai pas très envie. Pas aujourd'hui en tout cas.

Il me coule un regard discret, fatigué, et j'embraye sur une autre conversation.

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