Suivre le chat

4 minutes de lecture

Les chats longent le bassin de Celestia sous la clarté diffuse des réverbères. Ils se déplacent en file indienne, sans se préoccuper des enfants qui marchent, dix mètres derrière eux. Sur leur gauche, le port dont l’eau calme reflète la lumière de la lune et l’ombre des murailles de l’Arsenal. Les bateaux et les barques semblent endormis, bercés par un léger clapot. Sur la droite, ils voient les immeubles encore éclairés. Depuis les fenêtres ouvertes leur parviennent des bruits de conversation, de musique ou d’un film diffusé à la télévision. Au loin, le moteur d’un vaporetto ronronne sur la lagune.

Le doute sur leur aventure commence à les assaillir et les réduit au silence. Silvio s’interroge, il imagine la punition que ses parents lui donneront si jamais il ne rentre pas à temps. Livia se dit qu’il est encore temps de faire demi-tour, après tout, ils ne se sont pas beaucoup éloignés, personne n’a dû se rendre compte de leur absence.

Agostino s’arme de courage, il pressent que les chats les guident vers l’aventure, et de toute façon, ses parents ne sont jamais sévères avec lui.

La troupe de matous suit le bord du bassin jusqu’au bout, et ralentit un peu. Sur un des balcons, un homme et une femme sont plongés dans une grande conversation. Pour éviter d’être remarqué, Silvio se colle au mur et essaye de se faire tout petit, il est aussitôt imité par Livia et Agostino. Des questions désagréables lui grignotent le fond des pensées : que se passerait-il si ces gens les voyaient ? S’ils rencontraient une mauvaise personne ? Ce ne sont certainement pas les matous qui leur viendraient en aide.

Les chats pénètrent par la grille ouverte du club de rame. L’Unione Sportiva Remiera francescana1 occupe des locaux pris sur d’anciens bâtiments de l’Arsenal. En général, les portes sont fermées, mais pas ce soir. Les enfants entrent et découvrent l’escalier de l’association sportive. Aucune lumière ne l’éclaire et seuls les lampadaires de la ville leur apportent un peu de réconfort. Les chats, aucunement gênés par l’obscurité, sautent de marche en marche vers le palier. En bas, Silvio et Agostino sortent leurs lampes et les allument. Le halo lumineux les rassure, mais le doute et une crainte sourde les immobilisent. Le moment est venu de prendre la décision de rentrer ou de poursuivre l’exploration. En haut, les chats ont disparu, seul le gros roux les attend.

Assis, face aux enfants, il les regarde. Ses yeux forment des points brillants lorsque le rayon de la lampe de Silvio les croise. Le garçon croit discerner un sourire rassurant derrière les moustaches de l’animal et se sent attiré vers le haut de l’escalier. Ses jambes font un pas, puis un deuxième et, avant qu’il ait pu y réfléchir, il se retrouve au côté du chat, vite rejoint par Livia et Agostino.

Le félin pousse un miaulement de bienvenue et se dirige vers la porte de l’union sportive. Elle s’ouvre sur une pièce plongée dans le noir. Certes, chacun des enfants est déjà venu dans ces locaux, mais jamais de nuit, jamais sans un adulte. Et encore moins guidé par une troupe de matous des rues. Ils pénètrent dans la salle faiblement éclairée par les lampes de poche des garçons. Ils regardent autour d’eux, constatent la présence de mobiliers de bureau, de chaises et des casiers. Il n’y a pas un chat ! Ils aperçoivent juste une ombre furtive qui s’échappe par la porte du fond.

Rassemblant leur courage, ils avancent, Silvio en tête, suivi de près par Livia, Agostino formant l’arrière-garde protectrice du groupe. Ils entrent dans une pièce beaucoup plus vaste que la précédente, avec son haut plafond percé de baies vitrées au travers desquelles la lumière de la lune éclaire le sol. Des alignements d’établis encombrés de morceaux de bois occupent une bonne partie de la salle.

— C’est l’atelier de l’Unione. On est venu une fois le visiter avec mon père, déclare soudain Agostino.

Silvio et Livia s’aperçoivent que c’est la première fois que l’un d’entre eux prononce un mot depuis qu’ils ont décidé de poursuivre l’aventure le long du port. Ils avancent dans l’atelier, longent les établis à la recherche du chat.

Il les attend près d’une porte fermée. Dès qu’il les voit, il reprend sa marche en direction d’une lucarne percée au ras du sol. Il s’y introduit sans difficulté en étendant son corps pour se glisser dans l’interstice.

À nouveau, le doute les tenaille. Les questions se succèdent dans leur tête. Doit-on continuer à le suivre ? Devons-nous abandonner et rentrer maintenant ? Livia se penche et regarde par l’ouverture. Silvio la rejoint et éclaire les ténèbres de sa lampe.

Ils sursautent ! Une ombre gigantesque se dessine dans le rayon lumineux : le roi des chats. Il les attend, de l’autre côté, immobile, le visage souriant et légèrement moqueur comme s’il riait de sa bonne blague.

— Bah alors ? Vous voyez quoi ? chuchote Agostino en s’accroupissant derrière eux ?

— C’est noir, et le chat se moque de nous, répond Silvio en tournant la tête vers lui.

— Il veut qu’on le suive, murmure à son tour Livia.

— N’importe quoi ! réplique Agostino.

— Si t’as trop peur pour y aller, moi j’y vais en tout cas, insiste la petite fille en souriant de toutes ses dents.

— C’est bon, on y va, mais je passe en premier, conclut Silvio en s’allongeant sur le sol.

**

Alceo et son camarade montent les marches. Ils n’ont pas de lampes pour les éclairer, ils distinguent juste une vague clarté dans la pièce du fond. Ils se rapprochent en prenant garde de rester discrets, mais une crainte les saisit, non seulement la peur de se faire attraper, mais aussi celle plus profonde du noir et de l’inconnu.

Arrivés près de la porte, ils entendent des chuchotements confus. Alceo sait que sa victoire est à portée de main, il n’a plus qu’à ressortir et prévenir sa mère.

**

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 5 versions.

Vous aimez lire GEO ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0