Chapitre 66

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Je sais bien, au fond de moi, que c’est une idée de merde.

Pourtant, je mets tout en œuvre pour qu’elle se passe correctement.

En voyant Lista aussi heureuse pendant l’anniversaire de Flynn, je me suis rendu compte qu’elle ne peut pas rester éternellement loin de ses parents. Elle ne va pas supporter bien longtemps leur colère, mais elle est allé trop loin pour reculer. Alors, j’ai la sensation que c’est à moi de régler la situation.

Ou du moins, d’essayer d’apaiser les tensions.

Le lundi, je profite que Lista aille au toilettes pour parler discrètement avec Audra et Déborah. Quand je leur expose mon plan, elles me regardent avec des yeux ronds, mais acceptent de la distraire pendant que j’irais à la boutique d’Eugène pour lui parler.

— Tu crois sérieusement que tu peux le convaincre ? Demande Audra, quand même septique.

— Non, mes mères ont essayé, je n’arriverais pas à changer quoique-ce soit. Mais ce n’est pas pour ça que je veux aller le voir. Je veux lui faire comprendre qu’il ne doit pas en vouloir à Lista, et que son comportement envers elle est injuste.

— C’est sûr qu’en lui disant qu’il élève mal sa fille tu vas réussir ton coup.

Je sais que c’est de l’ironie, mais la remarque de Déborah me montre à quel point mes espoirs sont bancals. Je refuse cependant de changer d’avis. Je dois arriver à effacer les tensions entre Lista et ses parents, ou bien un jour elle m’en voudra pour ce qui est arrivé.

— Bonne chance, ajoute-t-elle quand même. J’y crois pas trop, mais j’espère quand même que tu réussiras.

Elles s’éloignent toutes les deux, Lista revient, et la journée reprend son cours. Pourtant, j’ai un traque monstre qui enfle dans ma poitrine à mesure que les cours s’achèvent.

Les filles parviennent à leurs fins. De loin, je les observe suivre Lista jusqu’à la voiture de sa mère, et lui parler pendant un moment. J’ai l’impression que Karen est rassurée de voir que sa fille a d’autres amis que Alice, Flynn et moi, ce qui ne fait qu’appuyer encore un peu plus sur le point sensible dans mon cœur. Je comprends qu’elles ont réussi lorsque Déborah pousse des cris de joie et sert Lista dans ses bras.

Quoi qu’il arrive cette après-midi, Lista passera une excellente journée. Si jamais mon entretien avec son père est une catastrophe, j’ose espérer qu’elle sera dans de bonnes conditions et qu’elle n’ira pas jusqu’à me larguer.

Flynn et moi montons dans la voiture, je le dépose à la maison et, aussitôt, je prends la route du fleuriste. C’est la première fois que j’aurais l’occasion d’entrer à l’intérieur, et une chose est certaine : je suis bien dégoûté qu’Eugène et moi ne nous entendions pas, car c’est un petit paradis pour les jardiniers.

Eugène est en train de parler à un client. Je me glisse à l’intérieur de la boutique et je fais mine de regarder les bouquets de rose, hors de son champ de vision. Si les fleurs sont magnifiques, je n’en dresse pas moins l’oreille pour savoir s’il est de bonne humeur aujourd’hui. Quelques légères inflexions désagréables dans la voix me font comprendre qu’il a toujours en travers de la gorge que Lista se soit opposée à lui.

Il faut dix bonnes minutes avant que le client ne s’en aille. Je prends alors une profonde inspiration, et je viens me présenter devant le comptoir.

— Bonjour.

— Bonjour, monsi…

Eugène s’interrompt en levant les yeux vers moi. Aussitôt, une colère assourdissante envahit ses yeux, me faisant presque frémir d’appréhension. Je prends garde à rester maître de moi-même, mais il me ferait presque peur !

— Qu’est-ce que tu fiches ici ?

— J’aimerais vous parler, monsieur Estella.

J’espère que lui donner du « monsieur » le rendra plus réceptif. Même si j’ai très peu de respect pour lui (aucun en tant qu’homme, seulement en tant que père de Lista), je veux qu’il en ait l’impression.

— Je travaille, répond-il froidement.

— Je m’en irais dès que quelqu’un entrera, c’est promis.

— Moi je n’ai pas envie de te parler.

Il se détourne, faisant mine de partir dans une pièce, que je pense être une réserve. Je dois attirer son attention :

— Je vous en prie, monsieur Estella, c’est très important. Il s’agit de votre fille.

Je le vois serrer les poings, sans se retourner. Néanmoins, il s’est arrêté.

— Je sais que vous ne m’aimez pas, mais moi j’aime votre fille. Et elle n’est pas heureuse en sachant que vous êtes en colère contre elle.

Il tourne vers moi un regard menaçant, qui dépasse clairement les limites de la haine.

— Tu oses venir sur mon lieu de travail pour me dire que je rends ma fille malheureuse ? Vocifère-t-il.

— Ce n’est pas ce que je voulais…

— Mais c’est ce que tu as dit.

Je prends une profonde inspiration, repensant à l’importance de cette discussion. Je ne peux pas laisser tomber en ayant simplement empiré les choses.

— Monsieur Estella, Lista vous aime. Et oui, ça la rend malheureuse de voir qu’on n’arrive même pas à se tolérer.

— J’aurais pu vous tolérer, Périne, Nicole et toi, si vous ne vous étiez pas approché de ma famille.

Je remarque qu’il parle de mes mères et moi comme si nous ne formions pas une famille. Dans mon malheur, j’ai la chance d’avoir l’habitude et de ne pas m’en agacer.

— On est vos voisins, on ne pouvait pas…

— Écoute, Joshua, me coupe-t-il. C’est très simple. La façon dont vous vivez est inadmissible, et je ne serais satisfait que lorsque ma fille aura comprit que rien de bien n’arrivera à vous fréquenter. Il est hors de question que vous lui polluiez l’esprit davantage que vous ne l’avez déjà fait.

OK, là il se comporte vraiment comme un connard.

— C’est dommage, réponds-je, parce que je ne serais satisfait que lorsque Lista sera heureuse. Et ça signifie que je dois rester avec elle.

— Avant que tu n’apparaisses, Lista était très heureuse avec Jérémy.

— Lista n’a pas quitté Jérémy pour moi, elle l’a quitté pour vous.

Il hausse les sourcils.

— Pour moi ?

— Quoique-que vous pensiez, Lista ne tourne pas le dos à sa foi. Si elle a rompu avec Jérémy c’est parce-qu’il ne lui a pas laissé le choix.

— Qu’est-ce que tu racontes ?

Je ne peux pas le dire. Je ne peux pas dire à un père colérique qu’un mec à voulu forcer sa fille à coucher. Jérémy s’est montré tellement insistant avec Lista qu’on pourrait presque parler de tentative de viol. Du moins, la violence mentale, elle, était bien présente. J’ai beau détester Jérémy, je sais très bien que je mets sa vie en jeu en disant la vérité à Eugène.

— Je vous demande de me faire confiance, me contenté-je de dire. Jérémy a fait beaucoup de mal à votre fille. Ce n’est pas à cause de moi qu’ils ont rompu.

Eugène se redresse, et m’avise du regard un instant.

— Très bien, dit-il. Mais ça ne change rien.

— Au contraire, monsieur Estella, ça change tout. Moi, je vous promet que j’obligerais jamais Lista à faire quelque chose. Je ne lui ferais jamais de mal, je ne la détournerai jamais de sa foi, ni de ses rêves.

— Tu le fais déjà. Lista est insolente à cause de…

— Lista est insolente par choix, insisté-je. Elle est dépassée par la situation, elle vous aime terriblement, mais elle m’aime aussi. C’est la première fois que je ressens quelque chose de pareil, et je sais que votre fille ressent la même chose. Elle ne vous tourne pas le dos à vous, elle tourne le dos à votre colère, et à votre mépris envers nous. Je vous en prie, monsieur Estella, vous pouvez nous détester, mes mères et moi, vous pouvez refuser de nous voir, de nous parler. On peut faire des efforts pour ne pas vous déranger, mais ne vous opposez pas aux choix de votre fille.

Il reste silencieux, me regardant droit dans les yeux, avec une émotion que je suis bien incapable de définir. Ce n’est pas sa colère, ou sa haine habituelle, mais ce n’est pas non-plus une émotion positive. En fait, j’ai l’impression que même lui n’est pas sûr de ce qu’il ressent réellement.

— Je veux que tu quittes ma boutique, dit-il finalement. Tout de suite, Joshua.

Je ne baisse pas les bras, je ne laisse pas mes épaules s’affaisser, même si j’en ai envie. Je plante un dernier regard dans celui d’Eugène, et je me détourne. Au moment où j’ouvre la porte, je suis surpris de l’entendre parler de nouveau :

— Tu laisses Lista choisir ? Demande-t-il.

Je le regarde, et je hoche la tête.

— Donc, si Lista décide de rompre avec toi, tu l’accepteras.

— Non, je ne l’accepterais pas, admis-je. Moi je ne l’obligerais pas à rester avec moi si elle n’en a pas envie.

— Alors je ferais tout pour que ça arrive. Tout, suis-je bien clair ?

— Je suis devant vous, aujourd’hui, réponds-je. Je crois que ça veut dire que je suis prêts à tout pour vous arrêter.

— Tu es insolent et je ne t’aime pas, Joshua. Et je n’aime pas l’idée de jouer ma fille avec un garçon comme toi. Mais c’est ton choix. Le jour où Lista te tournera le dos – et ce jour arrivera –, que je ne t’entende pas pleurer des miettes.

— Tant que vous laissez Lista vivre sa vie comme elle l’entend, je peux supporter tout le mépris du monde. J’ai subit pire que vos mots, je vous assure.

Je ne lui laisse pas le temps de répliquer, et je sors. Une fois assis derrière le volant de ma voiture, je me rends compte que je n’ai sans doute pas avancé d’un centimètre dans cette histoire. Tout ce que j’ai gagné, c’est la certitude que le père de Lista s’opposera toujours à notre relation. Mais je peux au moins oser espérer que, pour elle, il se montrera moins fermé, et qu’elle retrouvera le père qu’elle aime.

Parce-qu’il peut avoir les idées qu’il veut, il n’empêche que Lista aime tendrement son père.

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