Chapitre 51

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Je suis excité comme une puce sur le siège conducteur de ma voiture, à l’autre bout de la rue. J’ai tellement hâte d’aller au musée avec Lista que j’en ai à peine dormi cette nuit.

Hélas, quand je vois ma voisine débarquer dans le rétroviseur à grands pas colériques, je sens que je vais passer la majeur partie de ma journée à essayer de la déstresser. Qu’à-cela ne tienne ! Je lui servirais de xanax si besoin.

Elle ouvre la porte avec un peu trop de force et se laisse tomber sur le siège passager, son sac à mains tombant sur ses genoux. Elle tourne le visage vers moi et m’offre le sourire le plus forcé de l’univers !

— Hey, fais-je en haussant les sourcils.

— Salut. Désolée, je suis pas d’humeur.

— J’ai cru comprendre.

Je ne mentionne pas que j’ai entendu la fin de sa dispute avec son père – n’alimentons pas le feu, non-plus.

— Tu te sens capable de mettre ta vie sur pause le temps d’un rencard ?

Lista rit jaune.

— C’est toi qui dis ça ? Je te rappelle que moi je vis pas avec un drogué. (Elle s’interrompt, grimace.) Désolée, il est en sevrage ? Ou déjà sevré ? Il essaye de pas de retomber… Désolée, j’y comprends pas grand-chose…

— J’aimerais pouvoir dire pareil.

Je fixe le pare-brise une demie-seconde avant de rassembler toute l’énergie que je possède.

— Tu sais quoi ? On s’en fout ! On oublie Flynn, on oublie les amis, ceux qui le sont pas, et on oublie nos parents. Aujourd’hui on est que tous les deux, OK ?

Lista sourit – un vrai sourire, cette fois – et me plaque un baiser furtif sur la joue. Aussitôt, je démarre et je la laisse me guider jusqu’au musée, même si j’ai vérifié le trajet sur Google une bonne dizaine de fois. Ça a l’air de lui faire plaisir de commenter chaque rue par laquelle on passe, alors je la laisse s’amuser en me réjouissant que l’atmosphère se soit considérablement allégé.

Le parking est à moitié plein vers 10 heures, et je trouve facilement une place près de l’entrée. On sort tous les deux et, maintenant que je n’ai plus les yeux braqués sur la route, je peux observer sa tenue : une jupe rose et un haut avec des manches en dentelles. Avec ses baskets, c’est une tenue légère, adaptée à une journée plutôt chaude pour la fin octobre, mais qui lui garantit aussi d’être à l’aise pendant un petit moment.

Cette idée me fait sourire.

L’entrée du musée est gratuite, ce qui en soit est plutôt agréable, même si je m’étais préparé à payer nos deux billets en bon gentleman. On se mêle à des visiteurs qui suivent un guide d’une vingtaine d’années.

Mon sourire trop large me donne un peu mal aux joues. Arrête de te comporter comme un premier de la classe, me morigéné-je. Il s’agit de la séduire, pas de lui servir d’esclave.

J’essaie d’être le plus naturel possible, mais j’ai tellement envie d’être à mon avantage que c’est pas très efficace. Au fur et à mesure qu’on avance à l’intérieur des galeries, j’arrive à me détendre un peu. Je me concentre sur les commentaires toujours constructifs de Lista.

— Tu es venue ici souvent ? Finis-je par demander quand elle corrige à voix basse un guide sur un bâtiment construit dans la première décennie du XIXe siècle.

— Deux fois, en tout, murmure-t-elle. Mais ce bâtiment était une église à l’origine. Aujourd’hui il a été rénové en refuge pour les migrants. Ça plaît pas à mon père.

Elle fait un sourire un peu contrit au guide quand on passe devant lui. Ce dernier la suit du regard avec un peu trop d’insistance, mais je refuse de m’y attarder – je n’aime pas trop cette facette maladivement jalouse de moi, et que je ne connaissais pas avant de rencontrer Lista.

Le guide se dirige vers une partie du musée qu’on décide de visiter dans l’après-midi. Au lieu de le suivre, on s’attarde sur un grand corridor où sont rassemblés statues et tableaux d’époque. L’époque Napoléonienne courant de 1803 à 1815, je ne m’attendais pas à ce que le musée soit aussi fourni, ou en tout cas pas à ce qu’il détonne autant des autres musées que j’ai pu visiter antérieurement.

On s’arrête devant une réplique du Sacre de Napoléon, comme si tous les musées devaient en avoir un exemplaire. Je pensais passer devant sans m’arrêter – j’ai suffisamment bossé sur ce tableau au collège – mais Lista s’arrête. Quand je la rejoins, ses yeux sont levés sur la couronne que Napoléon lève au-dessus de la tête de la future impératrice Joséphine.

— J’ai toujours aimé ce tableau, dit-elle. Je ne sais pas pourquoi. Mon père a faillit se battre avec notre prof d’histoire au collège parce-qu’il trouve que la toile est blasphématoire.

— Blasphématoire ?

Lista désigne un personnage derrière l’empereur.

— C’était au Pape de sacrer Napoléon. Mais il s’est auto-sacré à la place, même si le Pape l’a bénit. Je t’avoue que je ne me souviens pas trop de mes cours, je ne sais même pas si l’histoire est vraie. Mais mes parents l’ont quand même en travers de la gorge.

Je ne peux pas empêcher un haussement de sourcils railleur. Lista ne le rate pas, et sourit.

— Je sais ce que tu penses. Mon père est carrément extrême. Ma mère est un peu plus réservée, mais elle ne fait rien pour le calmer. C’est dur, parfois.

— C’est grave si je dis que je comprends absolument pas la différence entre un catholique et un évangélique ?

— Tu me l’as déjà dit. Et non, c’est pas grave. On s’en fout un peu, en fait. Le plus important, c’est notre foi, pas ce qui nous séparent les uns des autres.

Elle baisse les yeux, puis les lève vers moi.

— Je sais pas ce que dirait mon père s’il m’entendait dire ça !

Elle rigole, et je suis charmé par ce son délicat. Je lui tends ma main, et on emmêle nos doigts. Je l’entraîne vers la suite du musée.

— On devrait arrêter de parler de ma religion, réfléchit-elle à voix haute. Tu n’es même pas sûr d’être croyant, ça doit être agaçant.

Comment dire que rien de ce qu’elle peut me dire n’est agaçant ?

— Non, je trouve ça très intéressant.

— Tu es trop gentil.

De nouveau ce mot, mais positif quand il vient d’elle. Depuis quand le terme « gentil » n’est plus un adjectif foncièrement gentil à mes yeux ?

— On devrait aussi arrêter de parler de mes parents.

Ce qui n’est pas pour me déplaire…

— Je réussirais à les charmer, un jour, plaisanté-je, tu verras.

Elle se colle un peu plus à moi, et dans l’un des nombreux miroirs qui agrandissent les couloirs, je nous vois. On a vraiment l’air d’un couple, comme dans mes rêves, et j’ai des étoiles pleins les yeux. Je m’évertue alors, dès maintenant, à essayer de la faire rire et lui changer les idées.

Cet endroit est vraiment immense, quand 13 heures sonnent, on s’arrête à la cafétéria pour manger, et on n’a pas visité encore la moitié. Faut dire qu’on s’est pas mal dissipés sur la fin.

On suit la direction qu’indiquent les panneaux quand on passe devant un immense tableau en format portrait, en haut duquel est peinte une branche de gui. Sans prévenir, Lista m’attire juste en dessous et, se levant sur la pointe des pieds, m’embrasse.

Je suis tellement surpris que je ne me rends pas compte de comment mes lèvres s’habituent au contact chaud des siennes. Étrangement, c’est un acte très naturel, comme si c’était un énième baiser parmi tant d’autres, alors qu’il n’est qu’un des premiers.

La fièvre m’emporte quand je l’enlace. Je sers mes bras autour de sa taille, la tête légèrement baissée. Je respire son souffle, monte une main que j’enfouis dans sa nuque, sous la masse de ses cheveux blonds. Elle a la peau tellement douce ! Tout dans notre contact transpire la tendresse.

Ma langue a passé le barrage de ses lèvres pour caresser la sienne, le contact le plus intime que j’ai eu avec quiconque dans ma vie. Je sens mes veines s’embraser, mon corps réagir. Je me laisse aller contre elle à ce désir brûlant, lorsque je me rends compte que je brise la magie.

S’il y a bien une chose que je ne veux pas avoir devant Lista, c’est une érection. Alors que mon sang vibre vers mon bas-ventre, je mets un terme à notre baiser en écartant mes lèvres des siennes.

Lista ouvre les yeux, un peu écarquillés par la surprise, tandis que j’essaie de me retenir de paniquer. J’avale ma salive avec difficulté en éloignant un maximum mon bassin – pourquoi avoir mit un jean aussi serré ?

— Je dois aller aux toilettes, lâché-je, sûrement aussi surpris qu’elle.

— Vr-vraiment ?

— Je te rejoins à la cafèt ?

Je n’attends pas sa réponse et m’éclipse aussitôt, avançant d’un pas rapide dans la direction qu’indiquent les panneaux. Je sens mon visage virer au cramoisi, alors que mon sexe ne désenfle pas. Sérieux, fallait que ça m’arrive ?

Avec la façon dont Jérémy s’est comporté, il est hors de question que je parle de sexe avec Lista. Et encore moins que je me mette à bander quand on s’embrasse ! C’est franchement la honte…

J’entre dans les toilettes des hommes. Il n’y a personne, ce qui me rassure. Je m’approche des lavabos, et me passe un coup d’eau froide sur le visage. Puis je fixe mon reflet en tapant des doigts contre la céramique colorée, attendant que ce moment d’égarement me passe.

J’ai envie de crier. Le moment était parfait, elle m’a embrassé volontairement, on était si bien ensemble. Tout mes rêves se sont réalisés en un instant, et moi…

Bon Dieu, comment elle va réagir ? Quelle image j’ai dû donner en m’enfuyant comme ça ? Pire, et si elle avait remarqué ce qui m’arrivait ?

J’essaie de me calmer. C’est une réaction physique tout à fait normale, après-tout. Je veux dire, je suis sûrement pas le premier mec à bander au mauvais moment. Et puis je me laissais carrément aller dans ce baiser, j’ai juste relâcher mes ardeurs un peu trop. Lista est très jolie, elle me fait carrément de l’effet, je m’en suis rendu compte il y a un bail, déjà.

La prochaine fois – si prochaine fois il y a – je sais que je devrais faire attention à ce genre de truc. Il est hors de question que je la mette mal à l’aise avec son passif. Surtout pas avec ce qu’elle a balancé au visage de son père hier.

Lista ne doit surtout pas se sentir repoussée à l’état d’objet de désir sexuel. Surtout pas quand mes sentiments sont plus purs que ça.

Une fois calmé, et toute trace de mon érection passée, je prends une profonde inspiration et sort des toilettes. Je prends le chemin de la cafétéria en me rassurant intérieurement. Mes inquiétudes commencent à passer quand j’arrive dans la large salle qui accueille les tables.

C’est là que je les vois tous les deux, Lista avec un sourire amusé et le guide de tout à l’heure qui la drague ouvertement. Je sens un nouveau feu brûler mon sang, mais de jalousie, cette fois. Une jalousie folle et enragée.

Je m’approche en essayant de ne pas le fusiller du regard. Le type pose un regard hautain sur moi, quand Lista se tourne, l’air à la fois inquiète et en colère.

— Je vais vous laisser, tous les deux, dit le guide avec un coup d’œil suggestif à Lista.

Soit elle ne s’en rend pas compte, soit elle est une très bonne actrice.

— Il t’embêtait ? Je demande, bien conscient de sa réponse.

— Non, il me demandait juste pourquoi j’attendais toute seule.

Son ton est clairement accusateur, pour le coup. Je baisse les yeux en sentant la honte m’envahir.

— Je suis désolé d’être parti comme ça, je…

— Tu quoi ?

Elle lève ma tête d’une pression sous mon menton, pour m’obliger à la regarder dans les yeux.

— Joshua, je veux pas que tu me mentes. Je veux pas non-plus que tu me caches des choses. Je pensais que c’était ce que tu voulais, mais si ce n’est pas le cas, je comprends…

— Non ! m’écris-je. C’était super, j’ai vraiment adoré t’embrasser !

— Tu as adoré m’embrasser ?

Son ton de nouveau taquin me rassure.

— Je suis désolé, j’ai eu la tête qui tourne un instant, je voulais pas t’inquiéter.

La tête qui tourne ? Drôle de façon de parler de ce que j’ai ressentis…

— Si tu voulais pas m’inquiéter, c’est raté, dit-elle en souriant.

Je sais qu’elle a conscience que je suis pas tout à fait sincère, mais je pense qu’elle comprend aussi que je ne peux pas lui dire ce qui m’est arrivé. Si elle y réfléchit, je pense qu’elle va finir par deviner, mais j’espère que ma fuite soudaine pour la préserver jouera en ma faveur.

— Je suis désolé, répété-je. Sans rancune ?

Elle ne répond pas par des mots.

Au lieu de ça, elle m’embrasse doucement sur la bouche.

Et je me sens tout apaisé.

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