Chapitre 50

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Le reste de la semaine se passe tranquillement. Dès mon réveil, je mets mon songe dans un coin de ma tête et je ne le regarde plus, parce-qu’il est encore loin d’être réalité. Les jours passent avant les vacances, et malgré-moi mon cerveau fait la liste de tout ce qui ne va pas et qui m’empêche d’atteindre ce rêve.

Je ne peux pas emmener Lista au lycée parce que ses parents se méfient de moi. Jérémy ne rate pas une occasion pour m’humilier dans les couloirs, et critiquer Lista comme si elle n’avait pas été sa copine pendant des mois.

Tout ça je pourrais faire avec, à condition de pouvoir au moins la serrer dans mes bras quand j’en ai envie. Mais je n’ose pas, j’ai l’impression que ce serait aller plus vite qu’elle ne veut, et ça me bloque. Je sais que les choses vont avancer, et je sais que je ferais en sorte qu’on passe une étape pendant les vacances. Mais attendre, ça n’a jamais été mon fort, je suis loin d’être patient.

Alors je ronge mon frein en souriant, parce que ma vie n’est pas minable non-plus. J’apprends que Emma aimerait passer quelques jours à la maison et qu’elle est en pour-parler avec ses parents, ce qui me donne un coup de booste pour finir la semaine.

Lorsque la sonnerie du vendredi marque le début des vacances, j’ai l’impression d’avoir une petite créature en moi qui rugit par soif de liberté.

Quand j’arrive à la maison, je jette mon sac dans un coin de ma chambre, bien décidé à ce qu’il y reste jusqu’au dernier week-end avant la rentrée.

— Yeees ! m’écris-je en me laissant tomber sur mon lit.

Dans le salon, Alice et Flynn ne font pas attention à moi. Je prends quelques minutes pour me rouler sur mon matelas en poussant un soupir de soulagement. J’ai toutes ces prochaines grasse-mâtinées en tête et rien que d’y penser je me sens un peu plus énergique.

Mieux encore, demain j’ai rencard avec Lista. Je me lève d’un bon et m’approche de mon armoire pour faire le tri dans mes vêtements. Je veux être parfait pour elle. Je mets de côté l’affreux pull en cachemire qu’Emma m’a offert pour rigoler à mon anniversaire – il est chaud, mais me donne des allures de premier de la classe très éloignées de ce que je recherche. J’hésite entre une chemise et mes habituels tee-shirts à manches longues. La plupart de mes jeans sont troués aux genoux et je me demande si mon côté négligé habituel pourrait passer…

M’habiller comme tous les jours n’a rien de vraiment extraordinaire, mais en même temps j’ai pas des masses d’autres choix.

Finalement, je mets une veste en cuir et un tee-shirt uni sur mon bureau, accompagnés d’un jean slim et de mes habituelles baskets. Rien de très innovent, mais savoir que ma tenue pour demain est prête calme un peu mon appréhension.

Putain de merde, j’ai un rencard avec Lista !

Quand je rejoins mes deux « colocs », ils ont les yeux figés sur la télé. À l’écran, une femme en tailleur gris et au brushing impeccable que je remets comme la journaliste Claire Avalon, parle devant la caméra :

— … Noah Tholly, en terminale au lycée public de Larmore-baie, est actuellement au centre de police pour détention et distribution de drogue. La police locale reste très discrète pour le moment, mais on sait que de nombreux parents se sont déjà plaint à plusieurs reprises de la distribution d’héroïne dans les rues de la ville…

— C’est quoi cette merde, lâché-je.

— Ça, ça veut dire que j’ai plus de dealer, marmonne Flynn en se détournant. C’est peut-être un mal pour un bien.

— Ils pourraient revenir jusqu’à toi, non ?

Flynn hausse les épaules.

— Si ça arrive, j’en subirais les conséquences, répond-il comme si ça n’avait aucune importance.

— Tu n’auras rien, affirme Alice en se détournant à son tour et en coupant le son de la télé. Tu n’as fais qu’acheter, tu n’as jamais provoqué le moindre problème, et tu as des circonstances atténuantes. Si les flics cherchent la merde, ils auront pas grand-chose, d’autant plus que t’es clean depuis presque trois semaines.

— Je vais quand même appeler Sabine, dit Flynn en se dirigeant vers la sortie, j’ai pas envie qu’elle flippe à cause de ça.

Quand il referme la porte derrière lui, je m’assois à table et accroche le regard d’Alice.

— Tu es sincère quand tu dis qu’il aura pas de problème ?

Elle hoche la tête d’un air résolu.

— Il faudrait déjà que Noah le dénonce, et Flynn était pas son seul client. Il serait clairement dans la merde s’il donne le nom des mauvaises personnes. Et, oui, je suis sûr que Flynn ne risque rien de toute façon. Un interrogatoire pour essayer de dénicher les autres dealers, tout au plus.

— Alors il a raison, dis-je, c’est peut-être un mal pour un bien.

Si Flynn n’a aucun moyen de s’acheter de la drogue, il y a moins de chance qu’il retombe dedans. Je ne sais pas si c’est moi qui suis trop optimiste, mais je préfère penser ça plutôt que m’inquiéter maladivement.

— Vous devriez sortir, demain, tous les deux, fais-je remarquer.

Elle lève les yeux vers moi, pas certaine de comprendre.

— Je sors avec Lista demain, Flynn et toi pourriez faire quelque chose, au lieu de rester enfermés dans la dépendance.

Alice semble peser le pour et le contre. Elle hausse les épaules comme si ce n’était pas important, mais je sais que j’ai planté une graine qui ne fera que grandir.

En parlant de graine, je profite de mon nouveau temps libre pour faire le tour des fleurs – la dépendance croule sous les vases, et les roses rouges, roses et blanches. Je m’en occupe, coupe les pousses irrécupérables, et jette un regard par la fenêtre. J’ai un peu trop délaissé le jardin ces derniers jours, alors je rassemble mon matériel et je prends la fin de la journée pour me replonger dans cette activité reposante.

Je fais le tour de mon dernier rosier, choisissant la plus belle fleur pour la couper demain et l’offrir à Lista quand elle entrera dans la voiture.

Le soleil termine sa décente sous l’horizon, quand j’entends la baie vitrée des Estella s’ouvrir et des voix résonner de l’autre côté de la haie. Malgré-moi, la curiosité me pousse à dresser l’oreille :

— Évangelista, dis-moi la vérité !

La voix grave d’Eugène résonne comme un coup de tonnerre.

— Qu’est-ce que tu veux que je te dise ? Que j’ai pris de la drogue ? Sérieux, papa, tu me fais si peu confiance ?

— Je sais que tu traînes avec ce garçon, malgré tout ce que ta mère et moi t’avons conseillé de…

— Papa, c’est pas Joshua qui vend de la drogue ! s’écrit-elle. Noah c’est le pote de Jérémy, c’est peut-être de lui que tu devrais te méfier !

Sa voix se brise et me donne envie de sauter par-dessus la haie et de la prendre dans mes bras. Mais je reste tétanisé, sous les deux mètres de feuilles qui me cachent à leurs regards. Je me mords les joues pour m’empêcher de parler.

— Jérémy n’a jamais rien fait de déplacé, c’est un gentil garçon. Ses parents sont amis avec nous depuis des années, j’ai confiance en lui.

— Et bien tu ne devrais pas ! Rétorque Lista d’une voix hargneuse.

— Je ne te reconnais plus, Évangelista. Tu te rebelles, tu…

— Quoi ? Moi je me rebelle ?

— Oui, et tu t’entoures de personnes clairement pas recommandable.

— Tu préférerai que je laisse Jérémy me baiser pour me jeter comme un kleenex ?

Mes bras tombent le long de mon corps, et je tombe des nues. Je n’en crois pas mes oreilles. Son père doit être aussi choqué que moi parce-qu’il ne dit rien. J’entends les pas de Lista qui se précipitent à l’intérieur, mais pas ceux d’Eugène, qui reste tout seul dans le jardin.

En silence, je retourne dans la dépendance pour prendre mon téléphone. Je rédige une dizaine de textos que j’efface tous ensuite. Qu’est-ce que je peux dire à Lista ? Je suis au courant de ce que Jérémy demandait, des choses qu’il a voulu que Lista fasse. Je sais combien ça l’a bouleversé, et la preuve en est que jamais Lista n’aurait ainsi cédé à la vulgarité, encore moins devant son père.

Me borner d’un simple « ça va ? » me semble totalement insuffisant.

Finalement, c’est elle qui me parle en premier. Mon téléphone vibre entre mes mains et j’ouvre aussitôt son message.

J’ai hâte d’être à demain. J’ai besoin de toi.

Mon cœur bat à mille à l’heure dans ma poitrine, et la chaleur se mélange à l’horreur dans ma poitrine. Entendre Lista prononcer ces mots a détruit quelque chose en moi, mais savoir qu’elle compte sur moi pour la soutenir me fait un bien fou ! Je n’ai pas envie de la décevoir.

Ne t’inquiète pas, je serais toujours là pour toi. Au moindre problème, je répondrais.

Je garde mon téléphone dans ma poche toute la soirée, et quand je me couche, il est à proximité de ma main. J’ai le corps tendu, prêt à agir au moindre signe.

Je ne l’abandonnerais jamais.

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