Chapitre 40

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Alice part un quart d’heure après que je sois rentré, juste le temps de surveiller Flynn pendant que je prends ma douche, et d’aller saluer mes parents avant de partir en vélo

Flynn se montre particulièrement désagréable. Il a l’air un peu moins faiblard que ces derniers jours, mais sa négativité a monté en flèche. Il peste sur la moindre chose, accumule la vulgarité, et je le soupçonne fortement de dresser une liste des endroits où il pourrait se procurer de la drogue. J’en ai la certitude lorsque je l’entends marmonner le prix de la Kétamine.

Au milieu de la nuit, après des heures à l’entendre insulter à tout va, allant de sa « constitution de merde » à ses « connards de bourreaux » je craque et je me redresse dans mon lit en allumant la lumière.

— Ferme-la ! Lancé-je avec colère. J’en ai ras le cul de t’entendre nous insulter alors qu’on veut t’aider. T’es le premier à dire que tu veux pas décevoir Sabine, alors fait en sorte de pas le faire !

Allongé sur le canapé, Flynn ne lâche pas le plafond des yeux, les lèvres hermétiquement closes. Je me passe la main dans les cheveux, et pousse un soupir.

— Excuse-moi…

J’ai à peine le temps de finir qu’il me coupe :

— Ta gueule.

Je relève les yeux. Il tourne la tête vers moi, le visage rouge de colère.

— Tu crois sérieusement que c’est aussi facile ? Crache-t-il. Qu’il suffit de claquer des doigts et de me dire que j’ai une bonne raison pour arrêter, et que ça va suffire à m’empêcher de replonger ?

Non, bien sûr que non, ai-je envie de répondre. Mais il me laisse pas le temps.

— Est-ce que au moins tu sais ce que ça fait de te voir fermer toutes les portes à clé, dès tu peux pas me surveiller ? Ou d’entendre vos remarques, à Alice et toi, sur mon état, alors que je vomis mes tripes dans une foutue poubelle ? Alors si j’ai envie de vous traiter de tout les noms pour m’apaiser juste un peu, je prends ce droit !

Je prends une profonde inspiration, pour garder mon calme.

— Non. Non tu ne prends pas ce droit. On se plie en quatre pour que tu ailles mieux, on a le droit à un minimum de respect !

— Vas te faire foutre !

Je bondis de mon lit, et m’approche de lui, ce qui reviens à quelques pas dans l’espace confiné.

— Si j’avais pas peur de te briser les os en te voyant gémir et trembler, je t’en aurais mis une depuis longtemps.

Il retrousse sa lèvre supérieur dans un sourire mauvais.

— Nan, tu l’aurais pas fait. T’es trop gentil pour ça.

En poussant un hurlement rageur, je plante mon poing contre le mur. La douleur transperce ma main, tandis qu’un trou apparaît dans le plâtre. Je détends mes doigts en rageant. J’ai envie de lui faire mal, de le faire souffrir, et en me rasseyant sur mon lit, je marmonne :

— Si tu mettais autant d’énergie à essayer de t’en sortir que tu en mets à cacher la vérité aux autres, tu aurais une vie bien plus supportable.

Il accuse le coup sans broncher, mais je regrette mes paroles aussitôt qu’elles sont sorties. Je recule au fond de mon lit, le dos contre le mur et les genoux ramenés vers mois, face à lui, et on reste tous les deux silencieux, trop fiers l’un comme l’autre pour reprendre la conversation.

Dans ma tête, je me remémore les excuses que Flynn avait fait à l’avance, quelques jours plus tôt. « Je vais sûrement être un vrai connard ces prochains jours, alors je veux te dire maintenant que je suis conscients des sacrifices que tu t’apprêtes à faire. Merci. »

Son « merci » résonne dans mon crâne comme une cloche accusatrice. Je pousse un long soupir.

— Excuse-moi, je ne le pensais pas.

— Si, tu le pensais.

Les jambes hors du canapé, et la tête tombant en arrière sur le dossier, je vois ses paupières se fermer et se rouvrir. Je remarque que sa voix est plus assurée que ces derniers jours. Comme m’avait dit Alice, le sevrage n’est pas terminé, mais touche à la fin. Pourtant, son combat contre la drogue est loin d’être terminé. Je ne sais même pas s’il prendra fin un jour. La tentation sera toujours là, pour lui. Je m’en veux encore plus.

— Mais je m’attends pas à ce que tu mettes de la pommade. Tu dis enfin ce que tu penses depuis des jours. Je te tape sur les nerfs et ça te fout en rogne.

— J’ai promis de t’aider…

— Mais pas en me couvant comme un gosse, dit-il en ramenant son regard vers moi. Merci de m’avoir remis à ma place.

— Pardon ?

Surpris, j’ouvre en grand les yeux, pas sûr d’avoir bien entendu.

— Rêve pas, je le répéterais pas. Toute façon, ça m’empêchera pas d’être de nouveau un connard dans une heure, c’est plus fort que moi.

— Je peux pas te laisser me remercier…

— Pourquoi ? s’étonne-t-il. Parce-que t’as été vache et que je suis malade ? Sérieux, mec, je suis pas en sucre. Si toi tu faisais de la merde, t’aimerais pas qu’on te félicite. T’as été un connard pendant cinq minutes, et je suis sûr que tu t’es sentis mieux. Faut relâcher la pression de temps en temps, sinon tu finis mal…

Je me demande si par « mal finir » il veut parler de son état. C’est ça qui lui est arrivé ? Il n’a pas relâché la pression ? Je prends une nouvelle inspiration, et réitère mes excuses, parce que même s’il a raison, même si je me suis sentis bien sur le coup, je m’en veux maintenant.

— Laisse-tomber. Essaye de dormir le temps qu’il te reste.

J’éteins la lumière et me glisse de nouveau sous mes draps. Je somnole, mais je n’arrive pas à me rendormir, ressassant la dernière demi-heure dans tête. Tout à coup, le type insupportable et méprisable que j’ai rencontré en début d’année me paraît beaucoup plus humain et sympathique. À partir de cette nuit, j’en viens à me dire qu’il pourrait même être un véritable ami.

Aussitôt que la pensée se forme dans ma tête, je me reprends. Non, pas seulement à partir de cette nuit. Parce-que, au fond, j’aurais jamais pris autant de risque, et je me serais jamais donné autant de mal pour un mec lambda. Ça fait un moment déjà que je considère Flynn comme un ami. Je ne m’en étais tout simplement pas rendu compte.

Au matin, Flynn dort toujours quand je me lève, crevé et les yeux explosés par la nuit blanche. Je mange mon petit-déjeuner en vitesse et j’attends l’arrivée d’Alice pour aller au lycée. Cette dernière me conseille de ne pas attendre le prochain appel de Sabine, et de la contacter dès aujourd’hui pour qu’on aille la voir. Je mets une alarme sur mon téléphone pour me remémorer de l’appeler pendant la pause déjeuner.

— Travaille bien, me lance-t-elle avec un sourire ironique.

Je m’éloigne en levant mon majeur en l’air, et j’entends son rire jusqu’à ce qu’elle referme la porte derrière moi.

Je jette mon skate sur la banquette arrière, juste parce que j’ai envie d’en faire aujourd’hui, et que j’ai une heure à tuer entre deux cours. J’attends Lista dans le hall d’entrée, hors de la vue de sa mère. Audra me trouve un peu avant, avec l’air de m’avoir cherché partout.

— Qu’est-ce qu’il y a ? demandé-je en retirant mes écouteurs de mes oreilles.

— Je voulais te donner ça.

Elle me tend un tract pour un concours de musique dans un bar que je ne connais pas. Je hausse les sourcils en pensant à ma guitare, dont je n’ai jamais appris à jouer.

— J’y participe, explique-t-elle. J’ai écris quelques chansons. Je voulais inviter deux ou trois amis, et j’ai pensé à toi.

Ça me touche parce que ça veut dire qu’elle tient à moi, et qu’on est amis. Cette piqûre de rappel me fait du bien. Au passage, elle me dit que Lista peut venir avec moi, et sur le coup je ne suis pas sûr de bien comprendre le sous-entendu. Puis je hausse les épaules et la félicite de nouveau, même si elle a pas encore gagné.

Je suis curieux de savoir quel genre de chansons elle a pu écrire. Elle me dit jouer de la guitare, et je lui parle de celle qui sert de déco chez moi. Elle me propose naturellement de m’apprendre à en jouer, mais c’est comme ces promesses de politesse, qu’on dit histoire de combler la conversation. De toute façon, je ne crois pas que j’aurais beaucoup de temps à consacrer à ça, ces prochains jours.

Néanmoins, je garde l’info dans un coin de ma tête. Qui sait ? Peut-être qu’un jour j’aurais plus de temps libre, et moins de choses dans la tête. Ça pourrait être cool d’apprendre à jouer d’un instrument, alors.

Quand Lista apparaît, mon esprit se vide. J’ai l’impression d’avoir un regain d’énergie. Dès qu’elle me voit, cependant, son visage prend une expression inquiète.

— Qu’est-ce qu’il y a ? je demande, curieux de savoir ce qui a effacé son sourire.

— Tes yeux… Tu n’as pas dormi ?

OK… Je balaye ça d’un geste de la main mais elle ne laisse pas tomber. Je me demande si elle a autant envie de savoir ce qui ne va pas dans ma vie, que moi j’ai envie de savoir ce qui ne va pas dans la sienne. Cette inquiétude réciproque devrait me réjouir, mais en l’occurrence, elle me terrifie un peu.

Je lui explique la prise de bec que Flynn et moi avons eu, et la difficulté croissante de vivre avec lui et sa mauvaise humeur quotidienne. Je finis par baisser les yeux, un peu honteux parce que, au final, c’est Alice qui subit le plus. Elle passe ses journées avec lui, pendant que je suis au lycée, ou quand je m’absente pour aller voir Lista. Je me demande si les choses se passent mieux entre eux, mais je n’y crois pas trop. Elle aussi elle a l’air crevée.

— Ça ne va pas durer, me dit Lista alors que je l’accompagne jusqu’à sa classe. Ce n’est qu’un mauvais moment à passer…

Elle s’interrompt, un peu maussade, et je m’en veux de lui avoir bouffé sa journée avant même qu’elle ne commence.

— Je dis ça, mais je ne suis pas à votre place, admet-elle. Si vous avez besoin d’aide, n’hésites pas à me demander. Mes parents me lâchent de plus en plus, je suis sûre que je pourrais me libérer un moment.

L’idée de voir Lista et Flynn dans la même pièce ne me plaît pas beaucoup. Ce serait comme introduire un soleil dans un milieu nuageux. Je ne veux pas que sa lumière s’étiole, comme tout ceux qui s’impliquent dans cette histoire.

— Ça va aller, la rassuré-je. Mais merci pour la proposition.

— Réfléchis-y quand même. C’est courageux de votre part de l’aider, mais il ne faut pas vous laisser manger par cette situation…

Je baisse de nouveau les yeux. Lista me voit comme quelqu’un de généreux, de compréhensif, mais les mots que j’ai balancé à la figure de Flynn résonnent encore dans ma tête, et je me sens minable. Je m’efforce de mettre fin à la conversation, et pour la première fois, m’éloigner de Lista à la sonnerie me soulage.

J’ai envie qu’elle me voit comme quelqu’un de fort, quelqu’un de bien. Une personne qui aurait une influence positive sur elle, une personne qu’elle n’aurait aucune honte à aimer. Mais en la laissant louer l’aide que j’apporte à Flynn, j’ai surtout l’impression d’être un menteur, et un imposteur.

Toutes ces pensées quittent définitivement ma tête pour aujourd’hui lorsque je traverse le hall pour changer de bâtiment. Juste à côté de la porte menant au secrétariat, je reconnais le visage inquiet de Sabine. Elle pianote rapidement sur son téléphone, et le temps que je me décide à aller la voir, le proviseur ouvre la porte et lui demande de le suivre.

Pas besoin d’être devin pour comprendre qu’on est dans la merde…

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