Chapitre 39

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Je ne suis pas tranquille quand je rejoins Lista à notre point de rendez-vous. Laisser Flynn seul avec Alice m’avait déjà tétanisé toute la journée, et maintenant qu’on est décidé à aller voir les Pacat dans son dos, c’est encore plus difficile pour moi de me conduire normalement, et de ne pas m’inquiéter.

Lista doit le sentir, car elle reste silencieuse dans un premier temps. Ce n’est pas un silence gêné, ou oppressant. Elle multiplie les petits signes pour me montrer son soutien, elle est présente pour moi et j’essaie d’être présent pour elle.

Je continue tout de même de me poser des questions. Je me retiens aussi longtemps que je peux, mais l’expérience que j’ai avec Flynn m’a apprit à être honnête. Quand il me fait chier, je lui fais remarquer, et lui est bien content de faire pareille. Le voir souffrir sous mes yeux a cassé une barrière qu’on avait tous les deux érigé entre nous, naturellement – une barrière qui ne serait jamais tombée si on ne s’était pas retrouvé dans une telle situation.

Cela pour dire que j’ai du mal à retenir mes remarques quand je suis avec d’autres personnes. Ça peut être problématique, car autant Flynn ne se vexera jamais à propos de mes réflexions, autant d’autres peuvent en souffrir.

Comme lorsqu’on arrive au niveau des rochers, et qu’on ralentit pour regarder les vagues exploser en une gerbe d’écume sur les récifs. La question sort de ma bouche sans que j’ai le temps de la retenir :

— Qu’est-ce qui s’est vraiment passé, à la soirée de Jérémy ?

Je la sens se crisper aussitôt, et je me maudits de ne pas avoir su garder les lèvres closes.

— J’ai rompu avec lui, se contente-t-elle de répondre.

Je me sens encore plus minable quand j’insiste :

— Je vois bien que tu es secouée. Il s’est passé autre chose, tu…

— Rompre avec quelqu’un ne suffit pas pour être triste ? Me coupe-t-elle.

Pas méchamment. Lista n’est jamais méchante. Elle a toujours cette voix douce et gentille, qui te fait tourner la tête. Parfois, c’est presque difficile de savoir qu’elle se met en colère si tu ne te bases que sur les inflexions de sa voix. Aussi, je me tourne vers elle pour mieux observer les traits de son visage, et comprendre les sentiments qu’elle veut cacher.

— Ne te caches pas de moi, dis-je en effleurant sa main de mes doigts. J’ai envie d’être là pour toi.

— Alors pourquoi tu m’obliges à dire ça ? Tu sais bien ce qui s’est passé.

J’en ai une bonne idée, oui…

— J’ai rompu avec Jérémy parce que je n’ai plus confiance en lui. Ces derniers jours il a montré une facette de sa personnalité que je n’avais jamais vu. Pas une fois alors qu’on sort ensemble depuis plusieurs mois. Ce n’est pas le garçon que j’aime. Je ne sais pas s’il l’a été un jour.

Je remarque qu’elle parle de leur relation au présent. Ça me tiraille l’estomac.

— S’il a été brutal… Si…

— Il l’a été, murmure-t-elle. Brutal. Mais il n’est pas allé plus loin. (Elle se tourne vers moi, et plonge ses yeux dans les miens.) Il n’a pas abusé de moi, je sais que ça t’inquiète. Il n’a pas été violent. Mais il m’a fait peur. Il m’a fait du mal. Je me suis sentis comme un objet. Je ne l’ai pas supporté.

Elle prend une profonde inspiration, et une larme coule sur sa joue. Avant qu’elle ne l’efface, je la cueille du bout de l’index, et en profite au passage pour effleurer sa joue. Elle a la peau froide.

— Merci, dit-elle.

— De t’avoir forcé la main ?

— De m’avoir poussé à me confier. Ça me pèse depuis des jours. Ça fait du bien de laisser la vérité sortir.

J’ai beau m’en vouloir comme un dingue pour mon indiscrétion, savoir que cela l’a aidé, au final, me réjouit. Ce qui m’agace encore plus. J’aimerais tellement qu’il y ait d’autres manières de l’aider. Qu’au lieu de parler de choses aussi grave, ses problèmes se résument à une banale dispute entre amis.

J’aimerais qu’il en soit de même pour Flynn. Pour Alice et pour Déborah aussi. Je repense à Jérémy, son sourire insolent qui me tape sur le système, je sens une colère ourdir en moi. Ce n’est jamais les bonnes personnes qui souffrent.

Tout à coup, Lista me prend la main et m’entraîne le long du muret qui sépare le chemin de randonnée des rochers. Elle s’arrête à proximité d’un palmier, qui cache la lumière jaune d’un lampadaire, nous plongeant tous les deux dans l’obscurité.

— C’est ici qu’on s’est embrassé, dit-elle d’une voix claire.

Je baisse les yeux, pour bien mémoriser l’endroit. Quand je relève le regard vers son visage, je m’attarde sur sa bouche, ses lèvres pleines. Dans le noir, la pointe de gloss est invisible.

— Je suis venu plusieurs fois, confesse-t-elle. Pour prier.

— Prier pour quoi ?

— Pour toi.

Alors qu’elle parle, je l’observe, incapable de détacher mon regard d’elle. Ses cheveux blonds volettent autour de son visage. La croix en or à la base de son cou est illuminée par intermittence, lorsque le clair de lune n’est plus caché par les nuages.

— C’est une bonne chose ?

Je la vois sourire dans les ombres.

— Je ne sais pas comment, mais tu es devenu très important pour moi. Et avec la façon dont Jérémy s’est comporté, ces derniers temps… Je me dis que peut-être ta venue ici était Sa décision.

Dieu aurait-il joué un rôle dans tout ça ? A-t-Il guidé mes mères dans leur choix de venir s’installer à Larmore-baie ? J’ai plutôt du mal à y croire, surtout quand je vois des types comme Jérémy agir en tout impunité, ou Flynn morfler à cause des malheurs de sa vie. Mais j’ai toujours respecté les croyances de Lista. J’aimerai même, dans une certaine mesure, pouvoir les partager, les connaître davantage.

— Si Dieu a décidé que je devais faire partie de ta vie, dis-je en effleurant sa joue, alors je ne peux que Le remercier.

Son sourire s’élargit, mais elle a un petit recule pour éviter que mes doigts ne touchent vraiment sa peau. Je ne sais pas si cette répulsion est liée à Jérémy, à sa croyance en Dieu, ou parce-qu’elle ne ressent rien pour moi. J’ai le brusque envie de lui demander si, quand elle parle de l’importance que j’ai pour elle, elle veut parler de notre amitié, ou de ses sentiments.

La dernière fois qu’on s’est retrouvé là, quand on s’est embrassé, elle m’a avoué à demi-mots que je ne la laissais pas indifférente. J’ai besoin de savoir si c’est toujours le cas.

— Je t’apprécie, dis-je dans un souffle. Un peu trop, peut-être.

Son sourire s’évanouit. Je la sens prendre une inspiration, et souffler.

— Moi aussi. Mais je ne suis pas certaine que ce soit le bon moment.

— Est-ce que ça le sera un jour ?

Je suis pendu à ses lèvres, attendant sa réponse comme le Messie. Je sais bien que ça ne doit pas être facile pour elle. Ses parents me détestent, et elle vient tout juste de sortir d’une relation… toxique, de ce que j’en ai vu. J’imagine bien qu’elle n’est pas prête à se mettre avec moi aussi rapidement, et ce n’est pas sympa de ma part de l’interroger là-dessus alors qu’elle n’a peut-être pas encore la réponse.

Sauf que j’ai vraiment besoin de savoir. Ça me prend aux tripes, me retourne la tête, et me sert le cœur. J’ai minimisé les choses. Je suis amoureux, et j’ai besoin de savoir si elle l’est aussi.

— Un jour, dit-elle à voix basse. Un jour, quand je serais prête.

Je n’en ai pas besoin de plus. Je prends ses mains dans les miennes, et les presse, juste assez pour lui montrer mon affection, ma présence, mes sentiments. Et juste assez pour lui montrer que je respecte sa patience, et qu’à partir de maintenant, je ne lui forcerais plus la main.

Mais je sais bien qu’un seul signe de sa part, et je serais prêts à libérer la vague d’amour que je maintiens comprimé dans ma cage thoracique.

Nous séparant, on jette un dernier regard aux vagues qui explosent contre la pierre salée, et on reprend notre footing, en sens inverse pour rentrer chez nous. Je sais que dans peu de temps je retrouverais mon quotidien harassant, cette surveillance sans pause, et l’atmosphère lourde de ma collocation improvisée avec Flynn.

Mais jusque-là, je vais profiter de chaque seconde en compagnie de Lista, de chaque centimètre qui nous sépare, en sachant qu’un jour, quand elle sera prête, je pourrais l’aimer aussi librement que j’en rêve.

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