Chapitre 38

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— Joshua, me dit Lista d’une voix douce, ne t’inquiète pas, il va bien.

— Mais ça aurait pu dégénérer, réponds-je avant de me reprendre aussitôt : Non, ça a dégénéré. Je n’ai jamais eu aussi peur de toute ma vie.

Lista me prend la main, et la serre dans la sienne. Son contact m’apaise, mais n’est pas suffisant pour m’enlever de la tête les événements de la nuit dernière. J’ai encore l’impression d’avoir le cœur qui palpite trop rapidement dans ma poitrine.

Quand j’ai vu Lista sortir de la voiture de sa mère, sur le parking, j’ai tout de suite su que je lui dirais tout. Elle était déjà au courant que j’héberge Flynn et qu’on essaye de l’aider à s’en sortir, du mieux qu’on peut, mais pour la première fois j’ai ressentis le besoin de me confier, et de lui dire toute la peur qui vibre en moi.

Comme je l’avais pressentis, elle parviens à m’apaiser un peu, et ça me fait un bien fou !

Alors qu’on arrive dans la cafétéria, je remarque le teint parfait de ses jambes, dévoilées par la coupe de sa robe bleue claire. Dans cette tenue, elle est vraiment séduisante, et je me mords les joues en relevant les yeux vers son visage, mon esprit bataillant entre mon désire pour elle et les restes de peur de cette nuit.

On s’assoit tous les deux avec le reste de nos amis.

Bien que ma vie à la maison soit sens dessus-dessous, je dois admettre qu’on trouve un certain équilibre au lycée. Depuis que Lista a rompu avec Jérémy, ses relations avec Audra et Déborah sont nettement moins tendues. Mieux encore, contrairement aux attentes de Jérémy, le fait qu’il s’en prenne à Déborah n’a fait que renforcer le lien qui uni les deux filles.

— Je suis vraiment impatient, dit Tim. Depuis qu’on a nos places, j’ai l’impression que le temps passe encore moins vite.

La discussion porte sur le concert des Jaguars de Gévaudan à Valens, la plus grande ville de la région. Ça faisait plusieurs jours que je n’en avais pas entendu parler.

— Jérémy et moi avions prévu d’y aller ensemble, marmonne Lista, comme pour elle même. J’ai encore ma place, mais il est hors de question que j’y aille avec lui.

Alors comme ça, Lista aussi est fan de leur musique ? Intéressant…

— Tu n’auras qu’à venir avec nous, suggère naturellement Déborah. On s’amusera beaucoup plus.

Lista sourit, ça lui fait plaisir qu’on lui propose cette option. Malgré tout, elle semble assez réticente à s’intégrer dans des les activités des autres. De nouveau, je songe à ce qui s’est passé à la dernière soirée, et je nourris de nouveau des soupçons sur ce que me cache Lista. J’ai envie de l’interroger à ce sujet, mais il faudrait qu’on soit seuls tous les deux. Et quand bien même, si elle ne m’en a pas parlé, c’est qu’elle n’a sûrement pas envie de se confier.

Pourquoi lui forcer la main ? Argh ! Cette situation m’agace.

— Vous avez entendu les rumeurs sur Flynn ?

À l’autre bout de la table, la discussion est un brin différente. Dès que j’entends le nom de mon colocataire provisoire, je dresse l’oreille. Dans mon champ de vision, je vois que Lista en fait autant, même si les autres n’en ont apparemment rien à faire.

— On dit qu’il a fugué. Personne ne l’a vu depuis la soirée de Jérémy.

— Quand il s’en est pris à Noah ?

— Il est reparti avec Alice.

— Vous croyez qu’il est chez elle ?

— J’sais pas, on la connaît pas trop, elle étudie à domicile…

Je n’arrive pas bien à discerner la suite de la conversation, mais j’en ai entendu suffisamment pour savoir que l’absence de Flynn commence à se ressentir. Je me mords les joues alors que Lista cherche mon regard. Si même les élèves commencent à se poser des questions, alors le lycée en fera de même, et bientôt les Pacat sauront qu’il ne s’est pas présenté en cours depuis longtemps…

Encore des problèmes, à croire que j’ai pris un abonnement quand on a emménagé ici.

Tout le monde se lève un peu avant la sonnerie, et on regagne nos classes respectives. Juste avant de nous séparer, Lista me prend la main.

Cette manie qu’elle a de chercher le contact fait toujours naître des frissons sous ma peau. Mais ce n’est pas pour me déplaire.

— J’ai réussi à convaincre mes parents de me laisser courir, le soir.

— Ils n’ont pas peur que je te rejoigne ?

Reconnaissons-le, l’interdiction de sortir de Lista n’a qu’une seule raison : moi. À croire que mes mères m’ont transmis une maladie incurable, et qu’ils ont peur que je la refile à Lista. Ou bien ils me détestent, purement et simplement – ce que je ne considère pas comme valable, car Eugène semblait bien m’apprécier quand il croyait que l’une de mes mères était ma tante.

— Faut croire que non, dit-elle, ou bien ils commencent à comprendre que tu ne vas pas me détourner du droit chemin.

Elle appuie volontairement sur l’expression, pour marquer l’ironie. Sa façon de se moquer des croyances de ses parents comme d’une chose passée de mode m’amuse, parce que je sais que si n’importe qui d’autre essayait d’en faire autant, elle n’hésiterait pas à prendre leur défense. Ironie ou pas, Lista a un sens aiguë des liens familiaux, qu’on partage tous les deux.

Encore une chose qui me plaît chez elle.

— En réalité, je pense qu’ils en ont marre que je tourne en rond dans la maison, comme un animal en cage. Tu penses que tu pourras caser un moment pour moi dans ton emploi du temps ?

De nouveau sous le couvert de la blague, elle me fait comprendre que j’ai toutes les raisons de refuser. Heureusement pour elle – et surtout pour moi, j’en conviens – je sais qu’Alice sera ravie de surveiller Flynn pendant notre footing.

En plus de son petit côté maniaque du contrôle, je crois bien qu’elle aime passer du temps avec lui autant que j’aime en passer avec Lista. Finalement, ce n’était pas bien étrange qu’elle ait accepté si facilement que notre relation n’aille pas plus loin que l’amitié.

— C’est génial, je suis partant !

Mon entrain la fait sourire.

— On se voit tout à l’heure pour en parler ?

Elle me fait un signe par dessus son épaule tout en s’éloignant, et je rejoins ma classe avec un sourire idiot sur le visage.

Plus tard, quand on parle d’aller courir, c’est à voix basse, en jetant des regards à droite et à gauche, et ce petit côté secret à quelque chose d’excitant. Je sors du bâtiment exactement trente secondes avant elle, et j’essaye de ne pas la regarder pour que sa mère ne se doute de rien. Dès que je me gare devant la maison, cependant, je m’efforce d’occulter la perspective réjouissante d’aller courir avec Lista pour me concentrer sur un vrai problème.

— La rumeur circule au lycée que Flynn a fugué, dis-je à Nicole en entrant dans le salon.

Je suis bien content qu’elle ne travaille pas cet après-midi, parce que je ne suis pas certain que j’aurais pu attendre des heures avant de pouvoir en parler.

— Ce n’est pas étonnant, me fait-elle remarquer, Flynn disparaît régulièrement.

Malgré le ton contrarié qu’elle a, ses mots m’étonnent. Peut-être ne me ferais-je jamais à l’idée que, en tant que psychologue de Flynn, elle en sait probablement plus que moi sur son compte. Plus, en tout cas, que les rumeurs que j’ai pu capter au lycée.

— Oui, mais ce que je veux dire, c’est que si les élèves commencent à se poser des questions, alors c’est étonnant que le secrétariat du lycée ait pas encore contacté les Pacat.

Ma mère pèse mes mots. Elle a l’air épuisée – nous aider dans le sevrage de Flynn, associé à ses journées chargées ne lui réussissent pas. De nouveau, je me rends compte que je ne suis pas le seul que mes décisions ont impacté, et je me sens mal pour mes parents. J’ai beau savoir qu’elles sont fières que je m’efforce d’aider Flynn, ce n’est pas la vie qu’elles espéraient avoir en s’installant à Larmore-baie.

— Je vais appeler le lycée, finit-elle par décider.

Toi ?

— Oui, étant donné que Flynn est mon patient, recevoir mon appel directement devrait nous faire gagner du temps.

Je suis pas vraiment convaincu, mais j’imagine qu’on a pas de meilleure option. Alors que je m’apprête à retrouver Alice et Flynn dans la dépendance, ma mère me rappelle :

— J’aurais besoin de votre aide, à Alice et toi.

— À propos de quoi ?

— Flynn ne va pas pouvoir cacher longtemps son état à Sabine et Stéphane. Je sais qu’il ne veut pas les décevoir, mais cette situation ne va pas pouvoir durer bien longtemps. Moi-même, je prends de gros risques en cachant son état à cette famille. C’est dangereux, tu comprends ? Il est important que Flynn réussisse à leur avouer ses problèmes.

Je grimace, conscient qu’elle a raison. Mais convaincre Flynn ne va pas être facile. La seule chose qu’il semble désirer, c’est ne pas décevoir les Pacat. Peut-on lui enlever ça ? Il s’est mit dans une merde impossible pour fuir la réalité, et on lui demanderait de l’affronter ? Ce n’est pas quelque chose qu’il fera du jour au lendemain.

Quand j’entre dans la dépendance, il n’y a que Alice assise à table. La porte de la chambre est ouverte, et je devine aux gémissements faibles que Flynn vivote sur le canapé ou dans mon lit.

— Ça s’arrange pas, fais-je remarqué en laissant tomber mon sac par terre.

— Quelques jours encore, soupire Alice. Les effets vont s’estomper et le plus dur pour lui sera de ne pas rechuter. Au bout d’un moment, il peut être facile de se dire qu’une entorse à la règle ne va pas jouer, mais ça peut coûter tout nos efforts. Le plus dur est encore devant lui.

Elle jette un regard triste vers la chambre, et je la comprends totalement. Flynn se retrouve empêtré dans un merdier immense. Lui qui voulait fuir une souffrance trop dure à supporter a sans doute plongé dans quelque chose de pire encore.

— On va devoir parler aux Pacat, dis-je à voix basse, en espérant que Flynn ne nous entende pas.

Alice me jette un regard perçant. Elle se lève, va jeter un œil dans la chambre avant de m’entraîner vers la porte – pas hors de la dépendance, mais tout à fait à l’extérieur, prêts à agir au moindre problème que rencontrerait Flynn.

— Flynn n’est pas prêt, dit-elle d’une voix tendue.

Je lui parle de la conversation que j’ai surpris à la cafétéria, et de ce que ma mère m’a dit.

— Si on veut que Flynn ait quelque chose à quoi se raccrocher quand il sera sorti de son sevrage, si on veut qu’il ne retombe pas dans la drogue, il faut qu’on s’assure qu’il y ait un après. S’il est renvoyé du lycée à cause de ses absences et que les Pacat perdent sa garde, alors on peut être sûr qu’il aura vécu tout ça pour rien.

— Dans quelques semaines il sera majeur, proteste faiblement Alice.

— Cela n’empêche pas que les Pacat se sont occupés de lui pendant trois ans. Ils sont importants à ses yeux. Il faut à tout prix empêcher qu’ils le rejettent, mais plus longtemps on leur mentira, plus ils se sentiront dépassés, et aussi gentils soient-ils, ils devront choisir entre leur propre bien et celui de Flynn.

Cette perspective semble terrifier Alice autant que moi. On jette tous les deux un coup d’œil à l’intérieur, nous assurant que Flynn n’est pas sorti de la chambre. Il doit végéter dans une douleur et un mal-être terribles. Je me demande s’il a fait une nouvelle crise pendant la journée – je sais bien qu’Alice ne m’aurait jamais prévenu. L’organisme de Flynn demande – ou plutôt exige – sa drogue. J’ai vu dans son regard fou, cette nuit, qu’à ses yeux c’était vital.

Je me demande une nouvelle fois comment quelqu’un peut se mettre aussi mal, avant de me reprendre moi-même. Personne ne voudrait être à sa place, il ne l’a pas fait de guetté de cœur. C’est facile de juger, mais quand on assiste à un tel combat, on ne peut que respecter ceux qui essayent de se sortir de ce genre de situation.

— On pourrait aller leur parler, avec ta mère, propose Alice. Sans prévenir Flynn. Si on lui explique qu’il essaye de s’en remettre, mais qu’il ne veut pas l’inquiéter, Sabine l’accepterait peut-être plus facilement qu’en l’apprenant après coup.

— Ce ne sera sûrement pas facile.

— C’est jamais facile. Mais je sais que ma mère avait apprécié que mon oncle lui demande de l’aide. Il n’y a rien de pire que croire qu’on refuse notre aide, de croire qu’on est inutile.

Je hoche la tête, et songe à Lista. Je comprends ce sentiment.

On décide de partir sur cela, d’attendre que Sabine me demande de revenir garder Ginny. Là, après coup, ce sera le bon moment pour leur parler, à son époux et elle.

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